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J.S.O. n°032
NUMÉRO PRINTEMPSE 2007


Sommaire
LA MACHINE A VACHE Pierre-Gilles Chaussonet à la poissonnerie
INTER FAIT ENTRER LE LIEU DANS L´ESPACE
CECCARELLI CHEZ ALAIN PAIRE
Transmutation
SOPHIE MENUET
MARIE BOVO NOX
Bernard Demenge, grain de folie
TRANS...-EN-PROVENCE
GALERIE OF MARSEILLE
JOACHIM MOGARRA L´ART DE LA FIGUE
Michael Kenna
VINCENT BARRÉ La fabrique du pré
PASSAGE DE L´ART UN PASSAGE OBLIGÉ
Pierre Malphettes De la nature contrariée
Une interprétation du mercredi










SOMMAIRE

Pierre-Gilles Chaussonet à la poissonnerie



LA MACHINE À VACHE

La boutique miniature d´une ancienne poissonnerie du quartier d´Endoume, transformée en galerie expose La machine à vache 2004 de Pierre-Gilles Chaussonnet. Ne pas confondre avec Minus 2002, la salle frigorifique de Cristoph Büchel congelant la sono d´un concert rock ou avec L´Accident de Richard Baquié et sa Plymouth refroidie. La machine a vache de Pierre-Gilles Chaussonnet n´a rien d´une chambre froide. Même si, de prime abord, ses deux armoires sous tension et bourdonnantes comme un transformateur, au tableau de bord allumé, reliées à la machine proprement dite par de gros câbles, l´ensemble étant uniformément peint en bleu fixe, le bleu de la machine outil, le bleu du bleu de chauffe et de la défunte " classe ouvrière ", a quelque chose d´une centrale technique dont on se dit qu´elle pourrait bien conditionner un entier troupeau de vaches. Il faut dire que Pierre-Gilles Chaussonnet aime les machines-outils, les mécaniques solides du siècle dernier " dont l´effort final, dit Le Petit Robert, s´exerce sur un outil ".

La cohorte usinante des aléseuses, assembleuses, boudineuses, bouveteuses, cintreuses, dégauchisseuses, extrudeuses, ébarbeuses, limeuses, rainureuses, remplisseuses, toupilleuses et autres tourillonneuses de l´ère industrielle n´a pas de mystère pour lui. Mais quel " effort final " cette toujours active Sentimental française peut-elle bien produire ? Et sur quel outil ? Où est le bœuf ou plutôt la belle laitière de cette grosse fraiseuse paresseuse ? Quelle vache machine-t´on ici ?

Pour s´en faire une idée, il suffit de se placer face à l´œil de bœuf (l´objectif) d´un appareil photo à soufflet placé dans la partie supérieure de l´engin, et de plonger son regard dans la bête, tout en vérifiant que l´œilleton par lequel Pierre-Gilles Chaussonnet nous invite à voir n´est pas le viseur mais bien l´objectif, comme s´il nous fallait pour voir commencer par prendre les choses à l´envers, façon comics et apprendre à renverser notre point de vue (ainsi on le sait procède Fontaine, le Grand verre et Etant donné), bref prendre la " machine de vision " à rebours et planter son regard dans les entrailles de la " boite noire " la camera oscura des peintres de la renaissance, comme un idiot, à l´envers, et non pas à travers elle. Ce faisant, bien sûr, l´appareil de prise de vues, la tailleuse rectifieuse d´images se métamorphose en caverne du philosophe et en lanterne magique. Le regardeur regardé en oublie la lourde machinerie, sa double armoire grésillonnante, ses pistons à coulisse, sa respiration ahanante, ses flancs usinés et ses poignées nickelées pour explorer l´intérieur du petit théâtre optique à la façon d´un enfant ravi. Dans la pénombre de La machine à vache émerge alors, au premier plan, telles deux pin-up, deux accortes escort girls, deux vaches (nous y voilà) en plastique, tournées vers nous, mues alternativement par le soufflet qui les fait gonfler et dégonfler à vue d´œil. Au fond, un film est projeté : une petite partie d´un film pornographique allemand, après ça dégénérait, précise Pierre-Gilles Chaussonnet. Où l´on voit deux grosses dames encore assez pimpantes quitter un petit pavillon en tenue printanière, prendre une voiture et débarquer impromptu en plein champ. L´une d´elles tient entre ses mains une grosse tarte à la crème. L´image suivante montre nos deux Suzanne goûter d´un doigt en toute innocence. Le regardeur comprend bien assez vite (le film ne dure que quelques secondes) à quel effet " final " interrompu, mais somme toute réjouissant, peut contribuer l´addiction à la tarte à la crème. Il comprend en outre, mais plus progressivement, à quelle énergie fonctionne la chose où il a fourré son regard.

Photo Alexandre Roche


Son premier composant est certainement le goût des femmes un peu girondes et accessoirement de la tarte à la campagne mais aussi manifestement : la passion des gros appareils de l´ère industrielle contemporains des monuments industriels désaffectés que Bernd et Hilla Becher ont méthodiquement photographiées du dehors : les armoires techniques, les condensateurs, les Bathyscaphes, les salles des machines, soit tout un continent d´objets clos et déclassés. Sa prédilection pour le mode de fonctionnement simple et l´esthétique massive des objets techniques des années 30 aux années 50, conçus pour résister à des pressions énormes, apparaît au premier coup d´œil, mais aussi son intérêt pour la futurologie dans ces années là : ça remonte à l´enfance dit-il, au milieu de ses machines, dans le vaste atelier voisin du Frac où il vit, mon grand-père travaillait à la direction de l´armement. Je jouais avec les maquettes de présentation des prototypes des matériels que l´armée française était en train de faire réaliser par les ateliers des arsenaux, les fusées Atlas, qui étaient la mise au point des fusées Ariane, le Fouga-Magister, l´Alouette III, le AMX 13 Transport de troupes. J´avais un oncle très bricoleur et un père ingénieur des Arts et Métiers. Très rapidement je me suis mis à fabriquer des maquettes, je faisais des mises en scène avec, je reconstituais des batailles. Plus tard je réaliserai des natures mortes, des sortes de dioramas avec des chars et des petits soldats. J´ai fait mon service dans les fusillers marins, je me souviens des rondes de nuit dans l´arsenal de Toulon, d´une atmosphère à la Jules Vernes, des ateliers déserts. C´est à ce moment là que j´ai eu l´idée de créer des machines. J´avais été fasciné par les peintures de dos de camion de Peter Klasen que j´avais aperçues dans un numéro de Zoom et vues à Aix. En 83 j´ai visité une exposition de Richard Baquié à l´ARCA qui m´a conforté dans ma sensibilité. Il y a chez lui la nostalgie d´un monde cassé, comme chez Chris Burden, chez moi, il y a plus un travail sur l´objet qui se veut être une pseudo production industrielle comme si j´étais un ingénieur avec mes machines outils. Il y a un côté Jules Verne, capitaine Nemo, Vingt mille lieux sous les mers dans ce que je fais.

L´autre composante est non moins évidemment le goût de l´enfance et la mémoire des jeux. Pierre-Gilles Chaussonnet joue à faire l´ingénieur ou le petit soldat comme Beuys le chaman, Hyber le conseil en entreprises, Sorbelli la putain ou Sophie Calle la stripteaseuse. Il a gardé de son enfance le souvenir des grandes après-midi de lecture à la découverte du monde, le nez dans les nus du dictionnaire. Sa fascination et son effroi devant les engins de guerre est encore vive. Ses machines sont de gros jouets bienveillants qu´il continue à entretenir pour faire durer le plaisir.

La troisième composante est le sens de l´écart disproportionné, le mécanisme comique de Mon Oncle, Playtime ou Trafic, né du disparate entre la logique formelle, le mode d´existence de l´objet technique et l´effet produit : J´ai le souvenir, dit-il, de la visite du barrage de la Rance en Bretagne avec beaucoup de bruit, une chaleur d´huile surchauffée, la mer qui passe dans les turbines en dessous, quelque chose de démesuré et quand on sort du barrage, ce n´est qu´une route. Ou dans les accélérateurs de particules, ce sont des endroits immenses qui produisent de l´invisible. Tout ça pour ça se dit-on après avoir visionné l´intérieur de La machine à vache.

La quatrième est une manière d´éloge de la modernité industrielle. C´est dit-il une manière de dire : on est dans un univers où les complexes industriels existent toujours, au lieu de s´en cacher, au lieu de chercher à les faire disparaître, affirmons les, montrons les, de toutes les façons ils sont là, en aura toujours besoin, il ne faut pas les ignorer, autant en prendre conscience. De même avec les dames à la tarte de La machine à vache, il observe : ce sont deux filles grasses, grosses mais qui s´assument, voilà ça c´est bien, il n´y a pas de critique, je trouve ça bien, c´est une manière de dire que j´aime bien les femmes bien en chair et je le montre. Une façon aussi de s´opposer au lieu commun de la post modernité qui repousse toujours plus loin ses industries et dissimule ses machines outils sous une enveloppe design, tout comme elle fait défiler ses femmes-squelettes là où hier encore on pouvait vanter sans féminisme excessif la généreuse " carrosserie " de Sofia Loren.

La machine à vache

C´est enfin l´énergie fabricatrice des doubles, comme Une voix dans le noir de Beckett, pour vous tenir compagnie : J´ai fait une machine qui respire, c´est une vision du corps interne, c´est l´époque où je fumais beaucoup, j´ai le fantasme de vouloir fabriquer un vrai robot dans le sens d´une reproduction de nous, un nous pas identique, un nous qui ne se dérègle pas mécaniquement (un jouet mécanique amélioré, c´est la santé !) un nous qui nous survivrait - un peu ce qu´on peut voir dans Metropolis de Fritz Lang ou Blade Runner. Mais comme Jules Verne, Pierre-Gilles Chaussonnet est aussi " un maniaque de la plénitude " et de l´enfermement bienheureux. Le chaos, le morcellement, le désordre, les formes ouvertes, le déglingué, le démantelé sont sa hantise. L´ingénieur artiste qu´il est devenu dans sa caverne-atelier-maison " ne cesse de finir le monde et de le meubler, de le faire plein à la façon d´un œuf " afin que l´homme puisse l´habiter plus entièrement et plus confortablement comme le capitaine Nemo le Nautilus, Céline le Génitron ou le professeur Picard-Tournesol son Bathyscaphe. Les machines de Pierre-Gilles Chaussonnet, d´une stabilité à toute épreuve, solides pour deux, souvent rondes et toujours impeccablement lisses, galbées comme des seins ou des globes oculaires, respirant à plein poumon et veillant dans les profondeur d´un Moi sécurisé, sont bien en définitive comme les bateaux de Jules Verne, des " maisons superlatives ", des " coins du feu 1" parfaits (une œuvre récente mime un feu de cheminée immatériel), une invite à explorer le monde en toute sécurité, tel un lecteur dans sa sphère, sans quitter le plancher des vaches.


Xavier Girard


1. Roland Barthes, Mythologies, Le Seuil, 1977, p. 80-82


Pierre-Gilles Chaussonet à la poissonnerie

SOMMAIRE

Inter fait entrer le Lieu dans l´espace


Photo Eric Blanco

Inter : volume 1 numéro 1 avec le printemps 1978
& ouverture du Lieu en 1982


1an 1979
10 ans 1988
20 ans 1998
30 ans 2008
100 ans 2078
2007 : ça ne fait pas un compte rond !

1978
C´ÉTAIT LE PRINTEMPS. 10 ANS TOUT JUSTE APRÈS 1968.
Un compte pas rond
à dire ce qui se passe et où ça se passe...
des Caraïbes au continent Asiatique
et des Amériques à la vieille Europe
à se balader dans les cultures premières et contemporaines des Afriques et d´ailleurs encore, les Océaniennes et les montagnardes, celles des fleuves et des mers et des plaines, celles proches et lointaines.

Et là en 2007,
Je & nous voulions trouver un compte rond
genre demi-jubilé ou quart-de-siècle,
des noces d´argent : enfin !!!
" Ô notre grand Manitou à vous, à nous et à tous ; Ô notre grand Manitou, notre atout et toi, Ô tête-de-boue, écoutez nous, entendez nous et octroyez nous nos dollars canadiens ou cet argent sonnant et trébuchant dans et sous n´importe quelle devise.
Par exemple, celle-ci : une seule devise : le trafic, un seul trafic : les devises.
Trafic d´art et d´artistes (dois-je le préciser ?) "

Alors Inter (la revue), déjà prémonitoire inventa un espace :
Le Lieu !
En 1982
1an 1983
10 ans 1992
20 ans 2002
25 ans 2007
2007 : ça fait un beau compte rond !
nos noces d´argent...


Un compte rond
à dire ce qui se passe et où ça se passe...
des Caraïbes au continent Asiatique
et des Amériques à la vieille Europe
à se balader dans les cultures premières et contemporaines des Afriques et d´ailleurs encore, les Océaniennes et les montagnardes, celles des fleuves et des mers et des plaines, celles proches et lointaines.

La performance et le mail-art,
fluxus et les installations,
les manœuvres et les manifestations,
les rencontres et les séparations,
les immigrées et les autochtones,
les vives et les vivantes,
les désespérées et les paranoïaques,
Les fixées et les itinérantes,
Les immobiles et les nomades,
les jeunes et les vieilles,
celles venant des mots et celles venant des objets,
celles du corps et celles de la voix,
celles des machines mécaniques et celles des instruments informatiques :
les digitales et les organiques ;
celle d´ici et celles d´ailleurs,
les importées et les exportées,
celles du sexe et celles de la cervelle,
celles du sexe-bite ou vulve et celles de la cerveau-vulve ou bite...
Et j´en oublie,
et j´en oublie...

Le réseau s´anime,
les ambassades se multiplient,
partout de nouveaux ambassadeurs établissent des comptoirs d´exportation et d´importation de nos cultures,
des bureaux d´import-export : galeries, revues, anthologies, essais, festivals et autres foires.,
des passeports passe-partout, destructeur de frontières, des casse-limites, des documents pour les évadés, les enfuis, les retenus, les discrets, les délinquants, les grandes gueules et les murmurants...

Le corps est enfin à sa place :
en chair et en os,
à cor et à cri.
Les périphéries deviennent centrales
les topographies se retrouvent dans les typographies
les typographies retrouvent les vignettes et les culs de lampe
désormais l´image hors texte est prévue, prélue puis lue et vue ès-texte...
l´espace est ouvert.
les rites redeviennent contemporains.
les chamans sont des artistes d´avant-garde et les dernières péripéties de cet immense renouveau est peuplé de chamans,
A contrario, les artistes deviennent des sorciers et comme le proclamait l´autre, des voyants, et, selon moi, des guérisseurs et des infectants.

Pour cet anniversaire, Richard Martel avait invité 3 des marseillaises présentées à l´exposition manifestation de la fermeture du VAC (Ventabren Art Contemporain)
Les performantes performeuses...

Elles firent une prestation dont elles ont le secret entre le rire et le rite la spiritualité de music-hall et la spiritualité du temple, entre le silence et l´ultra son, entre la nudité et le couvert.
Elles furent si remarquables, si intenses le vendredi qu´on leur demanda aussi de conclure le colloque du lendemain...
Oui ! ELLES étaient là : 3 marseillaises spiritu-elles à tous les sens du terme et
per-formant-es à tous les sens du mot.

Marina Mars, et son esprit religieux qui dans le formidable et l´incroyable respect voué à son dieu unique devient la croyance irrecevable et la sainteté exhibitionniste : le rituel exacerbé.

Claudie Lenzi vit et s´écrie et se vit, s´entend et t´écoute, parle et bouge au milieu de ses machines et de ses objets lumineux et électriques, ses performances -comme elle-même, quelquefois (souvent)- son(t) appareillées.

Frédérique Guétat-Liviani publie et lit, dit et vit, redit et revit et l´auditoire peu à peu entre dans la confidence, pénètre ses secrets : c´est elle qui dans le murmure ou à voix à peine articulée dévoile dans des performances très intimes les secrets d´une existence sienne ou notre ou autre.

julien blaine
mai 2007



Inter fait entrer le Lieu dans l´espace

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CECCARELLI CHEZ ALAIN PAIRE

Photo Claude Almodovar  Détail

Ceccarelli se destine en pratiquant la peinture à répéter à l´infini un modelé. Il ne change pas de régime pictural au cours des décennies, sa manière se tient en ceci que les formes choisies, produites ou élues servent un dessin occulte de la présence érotique. Marquage endémique du rêve, les taches qui prennent forme définissent un enclenchement du plaisir. Plaisir de le peindre, de le colorier, d´associer et de patiner des plans adverses voisins qui se contaminent avec délice.
Il n´y a pas une idée toute faite de la matière, de la toile fermée qui s´autosuffirait.
JJ Ceccarelli sait le faire, son adresse et sa minutie experte l´autorisent à lécher des arabesques qui composent un jubilé davantage qu´une jubilation ; ce qui advient paraît familier telle une réminiscence biologique d´une forme perdue, d´un dessin antérieur, une molécule oubliée, une bactérie pas facilement maîtrisable et au liseré supposé. La renaissance perdue et ravivée de ce qui s´ébauche et s´associe sans cesse dans nos membres, nos tissus. L´origine des formes privilégiées : taches de dessous de verre, formes des nuages, relevés topologiques, a une histoire qui dit la placidité, le recul d´une aridité traitée avec louange. Dans ces toiles à la technique mixte, où est la faconde si vantée de l´artiste ? Une sévérité espiègle, un traitement élaboré presque maniaque des relevés d´appentis chers à René Char, ces trucs de boutique bons à blouser le chaland ou un art surréaliste qui s´éternise. Ou un moyen de se déboussoler davantage. Le fini, la finition portés au point ultime du paradoxe dans la mesure où ce n´est jamais la même chose qui est peinte mais une urgence lente qui s´infinitive, la tapisserie éminemment malicieuse et zygomatique de lamelles biogénétiques traitées comme des enluminures. Activité de la patience, fébrilité soutenue du pinceau-scalpel qui écorche certaines figures, le modelé reste le même. L´on y reconnaît une solitude appliquée qui ne veut pas s´en laisser conter, un réceptacle des plaisirs qui accompagne sous toutes formes de tenues douleur et tension qui ne peuvent là circuler librement. Le naturalisme est chassé ainsi que toute expression d´un désordre malvenu, une malencontreuse baliverne ou une bassesse d´expression à expier.


E. LOI


Galerie Alain Paire 30, rue du Puits Neuf Aix en Provence 04-42-96-23-67


CECCARELLI CHEZ ALAIN PAIRE

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Transmutation

Ecriture Rouge

Le Mai de l´Art 2006 fut pour moi décevant : j´étais allé spécialement à Saint-Raphaël pour l´exposition Ousman Sow, dont j´aimais beaucoup les sculptures vues une première fois à Genève, sur les terrasses de l´O.N.U., avant de les retrouver sur le pont des Arts à Paris.
Or elles ne supportaient pas, à mon sens, d´être présentées en intérieur, ce qui les affadissait. De plus chaque personnage ou groupe était délimité par un espace de copeaux qui donnait à l´ensemble une allure de crèche. C´est la volonté de l´artiste (ou de son épouse) me dit-on, dans un souci de préservation des œuvres. Du coup j´étais réticent pour l´édition 2007.
J´avais tort de ne pas y croire : c´est un très bon cru. Parmi les nombreuses réalisations de qualité j´ai noté en particulier les créations de Denis Tricot, légères, aériennes, envahissantes, et celles de Bernard Abril, légères, aériennes, envahissantes. Autant dire qu´il y a une parenté entre les deux : le premier déstructure l´espace, le second semble le reconstituer, du moins selon son propre schème, ou son propre fantasme. Les cordes et bambous de Bernard Abril présentifient (laid, ce mot), disons présent(ent) l´espace, le font exister comme un cadeau (présent) dans l´instant (présent) du regard. Cordes et bambous qui font, qui forment au choix des voiles pour le large ou des archets pour le vent.
Et puis il y a l´exposition de Marie-Lyne Costantini enchâssée dans la Mairie d´honneur. Le terme " enchâssée " évoque un bijou précieux et peut égarer, c´est en fait plus le lieu qui serait la châsse, ou alors c´est un bijou contemporain, épuré, sans escarboucle, un bijou issu d´une recherche de simplification, vous savez, l´histoire de " l´unique trait de pinceau ", les contraires qui s´abolissent (" bibelots d´inanité sonore "), la ligne d´horizon, l´éternité retrouvée de Rimbaud (" c´est la mer allée/avec le soleil "). C´est tout ça la peinture de Marie-Lyne (Costantini, pas l´autre, d´ailleurs ça s´écrit différemment), et c´est aussi le grand combat contre l´élément, contre soi-même, le Mahabaratta personnel, parce que la simplification s´accompagne d´une difficulté : l´utilisation du goudron, cette matière ingrate, qui ne sèche jamais, qui coule de façon imprévisible, qui prend des nuances imprévisibles aussi, inattendues, surprenantes, et le plus souvent belles. Ce goudron qui vous fond sous les pieds au soleil, cette substance rébarbative, hostile, qui vous enduisait le corps et vous bouchait les pores et vous faisait mourir lorsque vous étiez noir en Amérique. Le goudron, dans la mémoire collective, ça connote encore le maghrébin en sueur qui est le seul à travailler au milieu de la route caniculaire du milieu d´août. Et c´est à tout ça que s´attaque l´emploi du goudron transmué en matériau d´art pour une épuration. Encore un mot à transmuer pour lui redonner son sens positif : la transmutation des mots et des choses, c´est la transformation de l´être, et le grand livre de la Chine taoïste, le Tao tö King, se nomme bien " Le Livre des Transformations ".


Antoine SIMON


Mai de l´Art - Saint-Raphaël du 5 au 27 mai 2007-05-15
Tél. : 04 98 11 89 00



Transmutation

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SOPHIE MENUET


....

Sophie Menuet


Miracle sur la rade ! Une artiste qui vit et travaille à Toulon, qui y est exposée au musée des Beaux-arts (qu´on avait cru définitivement remisé sur le radoub des barques perdues) et à la Galerie Contemporaine, c´est à n´y pas croire.

Elle s´appelle Sophie Menuet. Retenez bien ce nom mozartien.

De l´exposition du musée intitulée Dialogue avec les collections qui part de l´excellente idée de mettre en relation œuvres anciennes et œuvres contemporaines réalisées à propos, idée souvent pratiquée par les musées pour revisiter leurs collections modernes, contemporaines et classiques, on dira qu´elle permet enfin de faire voir d´un œil neuf des œuvres que la présentation habituelle du musée recouvrait d´un crêpe d´ennui. Que le musée ait à cette occasion commencé à bouger après des années de mort clinique est en soi une divine surprise. Qu´il ait donné à Sophie Menuet l´occasion de montrer un premier ensemble de pièces en est une autre. Celui-ci occupe la moitié d´une des deux grandes salles du premier étage. Il trouve dans la collection de portraits du XIXe siècle, du côté des obscurs et très méritants Portrait d´Isabelle Guerin de Jean-Baptiste Paulin Guerin (1783-1855), Jeune fille en robe noire (1842) de Charles Adolphe Bonnesace (1808-1882) ou du Portrait de Marie Chabaud d´Octave Gallian (1805-1904), l´écho à des préoccupations qui dépassent le simple prétexte muséal. Un mur de verres lenticulaires, décorés à la pointe du pinceau de dentelles de peinture blanche, disposées de proche en proche comme les empreintes de pinceau de Niel Toroni, explore la transparence de la coiffe d´organdi du portrait sorti des réserves. Quelque chose du passement aérien qui ornait les cabriolets d´autrefois est suspendu au dessus de nos têtes comme un nuage neuronal, moitié bijou moitié ex-voto, en souvenir des ouvrages de dames du temps passé. Quelque chose d´un fil diaphane passé par leur guipure minuscule, est ici renoué en une immense broderie mallarméenne.
Non loin, un visage de soie rose inquiète davantage. Les replis de l´étoffe qui révèlent les traits du visage l´enserrent pour mieux l´étouffer. Sur le mur voisin, des " Boutis de dentelle noire " inventent des vêtements-sculptures porteurs de formes en verre, comme les chapeaux carnavalesques ou quelque jeu pervers. Que signifie cet alliage périlleux entre formes " près du corps " et pendentifs transparents ? Entre parures aériennes et danger ? Ailleurs, la soierie des faveurs bleues qui enrubannent un vêtement peint donne naissance à une cataracte de tulle. C´est à la fois extraordinairement délicat, d´une invention musicale légère à vous étourdir et guetté par la catastrophe.

Image vidéo Photo Alexandre Roche

A la galerie des Remparts, dans l´exposition intitulée Mythologie de la robe où sont aussi présentés les travaux d´Anne Gérard et de Marie-Ange Guilleminot, non loin des vêtements de Yohji Yamamoto, Jean-Charles de Castelbajac et Fred Sathal, l´enchantement continue. Des vidéos cette fois. Un adolescent couché dans l´herbe dont le buste seul est filmé est peu à peu orné de fleurs. Une main gantée de blanc (un médecin légiste, un joaillier, un prêtre ?) précautionneusement les scotche une à une comme si elles composaient, en manière de " tombeau ", une rivière d´Ophélie. Deux danseurs langés dans des couches de soie dansent lentement, tendrement, comme deux bébés sumo. Un treillage en forme de buste est piqué de fleurs. " Ces sculptures, dit-elle ont un rapport étroit avec le corps et la texture de la peau. Sous l´angle du champ gestuel, les pièces invitent les visiteurs à un exercice mental : se parer, se retenir, se refuser. L´association des matières intervient comme un déclencheur entre plusieurs domaines : l´organique, le médical et l´érotique (mais aussi dit-elle ailleurs : l´humain, l´animal, le végétal) pour provoquer le malaise, la dérision, le fantasque. " Mais aussi le plaisir et la folie mêlés.



Xavier Girard


Toulon Galerie
Contemporaine des Remparts
Musée des beaux-arts



SOPHIE MENUET

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MARIE BOVO


Marie Bovo Courtesy galerie Kamel Mennour

NOX

Une exposition des derniers travaux de Marie Bovo aux Ateliers d´Artistes de la Ville de Marseille présentait deux vidéos contemplatives inspirées des chants de la Divine Comédie ainsi que deux séries récentes de photographies, images de quotidiens enflammés et vues plongeantes des toits du Caire, formant une suite aboutie à une œuvre rigoureuse et toujours impeccable.

La métaphore du tunnel, premier contact avec cette exposition, doit-elle être prise au pied de la lettre ? D´ailleurs, à bien s´y attarder, l´accompagnement sonore dudit tunnel anticipe la réponse. L´Enfer, le bel enfer de Dante, est le passeport visible de cette projection qui en jette. Dit en arabe, le texte sursignifiant du poète écorche notre étouffante perception de ce trou sans fin, grotte et paroi, glotte et utérus, bref arsenal de l´enfer selon les hommes et, plus encore, parfaite résolution de l´impossibilité de l´exit. Happé dans la fuite physique de cette béance ouverte à l´infini, fasciné par la lente cursive des parois qui défilent et de l´humidité sourde qui l´habite, ce tunnel, paradoxalement, nous ouvre les portes d´une improbable rédemption : l´Enfer n´est qu´un petit rappel d´innocuité inoculé dans nos veines avides de circulations et de vitesse. Le trou comme chair même de la photographie, semble nous dire, à perte de vue, le Tunnel.
Si la langue délicieuse qui le hante, cette mélopée rauque de gutturales qui s´entrechoquent et d´incises qui chuintent, provoque un coma Guyotien parfait à restituer l´épopée du chant originel. -et en dit tout aussi long sur l´indécence de ce temps qui file à en perdre souffle-, elle fourbi à l´armada des sens une habile distraction qui, sans celle-ci, adjugerait à ce Tunnel de pixels l´abject absolu de la dissolution, ad libitum.

J´ai toujours aimé la photographie pour ce qu´elle avait de capacité à générer le commentaire. On peut, avec elle, comme avec une vieille pâte, sans cesse la remettre à l´ouvrage, la travailler à l´excès, la triturer à l´aune de pensées fugitives ou de tout autre artifice de poésie. Cette licence, loin s´en faut, ne nuit pas à sa libre et entière expression. Simplement, ce surcroît de latitude à l´envi du chroniqueur épuise t-il toute idée de contrainte même. J´apprécie cette occasion rêvée de pouvoir enfin subordonner la matière à la glose et l´épanchement. Ça fait de bien mauvaises manières à rendre à l´artiste l´hypothèse de son art, mais le plaisir est impeccable. Les photographies du Caire, ville exponentielle comme le sont toutes les images, décidément, incitent à cette merveilleuse dérive.


Marie Bovo Courtesy galerie Kamel Mennour

L´artiste, qui n´est pas une imbécile, le sait qui joue de cette délicate altération d´une même vue et d´un "sujet" identique pour mieux nous piéger dans le nœud de la contemplation, autre "marronnier" de la photographie paysagère, en prise directe avec le substrat Kierkegaardien. Cela dit, un rien de concept post-moderne (la réitération), un zeste d´engagement (le constat misérabiliste) et une indéniable maîtrise technique confèrent à ces tableaux -car ils en sont- une capacité réelle à dire le temps qui file (encore) et la trouée lente d´une descente aux enfers (encore), signifiée par l´aplomb de l´objectif, au dessus du volcan, comme en lévitation. Sursaut égotique déraisonnable du photographe ? Ou simple invite à la posture de Dieu ?

Dieu aime les villes grouillantes d´humanité et d´architectures, soumises à la même décrépitude, à une semblable érosion du temps. Dieu aimerait sans doute cette vidéo fleurie dans la troisième partie de l´exposition, qui dit la pourriture et la disparition, autre métaphore de la matière photographique, par la fanaison du lys, bel ordonnancement du vivant soumis à l´arridité de la proposition : être parmi les êtres, le plus beau des candidats n´aboutit qu´à la fin implacable promise à tous ses congénères. Ni plus, ni moins. Ainsi dirait-on, en va t-il aussi des images...

La dernière salle brûle de tous les feux de l´enfer. Au mur la petite dizaine de photographies de journaux enflammés nous renvoie au Tunnel et à sa lente descente dans les plis mouillés de la matrice. Mais ici, semble t-il -et quoique l´artiste en dise- il s´agit de surface, et de surface seule, images rescapées d´un brasier rêvé dont l´identité de la chatte et du trou sans fond de la nuit féminine affiche avec éclat l´évidence de ses atours. Peu importe qu´ils s´agisse formellement de journaux, ce qu´on y voit est du feu, et rien que du feu. Encore une allusion à l´illusion magnifique de la photographie ? Toujours est-il que la magie prend qui dit bien l´incroyable facilité de ce médium à se dissoudre dans nos attentes intimes. Un peu à la manière des tâches au plafond ou des lézardes dans le mur de nos siestes rêveuses, ces images-là fabriquent de l´envie, du désir et de la paresse. Au fond, qu´elles soient ici de simples feuilles de papier en consummation est indifférent, en effet. Il s´agit avant tout de pièges à lumière, de trous -encore- aspirant sans fin la pulpe même de la photographie. Et que l´identité féminine en sorte transfigurée et bien vivante, finalement, n´est pas si important que cela. Là aussi, la fascination exercée par l´appât marche à plein régime. On s´en tire en replongeant, une dernière fois, dans le goulot salvateur de ce tunnel initial qui, décidément, n´en finit plus de nous avaler.

M.R.


Atelier Boisson 11,19 Bd Boisson 13004


MARIE BOVO

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Bernard Demenge, grain de folie


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" Les photos de famille n´ont généralement que peu d´intérêt... " 1, si peu en tout cas du point de vue de la photographie que leurs auteurs, d´habitude, s´en excusent comme si ce peu était déjà trop. Comme si dans ce peu se glissait une inavouable volonté d´art dont il fallait s´exonérer au plus vite. L´image numérique à usage privé qu´on prend à bout de bras comme on prend un appel n´a pas sonné la fin de cette volonté d´art démocratique mais fait comme si. D´abord parce qu´elle n´est presque jamais tout à fait une photo, encore moins une photo artistique, ensuite parce qu´elle n´a pas d´existence propre, je veux dire qu´elle se résume au tremblement de lumière que fait la " binette solaire " 2 qu´on a provisoirement mémorisée avant d´appuyer sur la touche envoyer ou supprimer. Le modèle qui n´encourt plus sa transformation en cliché, sauf irruption de l´évènement criminel ou du Tsunami fatal, le sait bien qui n´oppose plus la même résistance qu´autrefois à l´appareil du photographe, transformé en caméra de surveillance ou phoinikographeus3, écriture téléphonique de l´image, tant celle-ci a perdu à ses yeux son pouvoir d´enregistrement mortifère, celui de la photo-portrait pour laquelle on prenait la pose, qu´on posait au-dessus de la cheminée et qui vous accompagnait jusqu´à votre dernière demeure. Très loin de cette photo vocale, de cette photo sans graphe, sans fond et sans caveau de famille, pareille à un phasme euphorique et bruité ou à une brève communication parasitée, très loin aussi des photographes contemporains qui à la suite de Nan Goldin (la foule des Jaret Belliveau, Juergen Teller, Corinne Day, Caroline Shepard, Jack Pierson, Richard Billingham, etc.) se sont laissés prendre au piège de " l´intime ", Bernard Demenge entretient avec les images un rapport de fascination qui trouve son origine dans leur texture funèbre. Ce qu´il cherche à mettre à jour en contretypant les clichés couleurs de ses " images domestiques ", ce sont les signes de mort, des fictions passées sous silence et pourtant " fixés pour la vie " dans les " grains arides " de mauvais tirages, comme les figures dans le tapis du salon, virées au rouge, criblées par l´agrandissement d´une fine pollution multicolore, c´est le fatum chimique qui se cache dans la matière de photos ordinaires et vieillies.
Il écrit : " Quand j´examine une à une les photos de ma famille, quand je prélève quelques détails en les photographiant, je pratique moi aussi une opération morbide, une sorte d´autopsie sur des corps figés. J´enquête, je cherche ce qui serait passé inaperçu, l´élément que le photographe n´aurait pas vu, l´erreur, la faille, l´image dans l´image. Je me rejoue un " Blow Up " domestique. J´imagine le fait divers sordide qui pointe sous le spectacle bon enfant. " Cette discrète, cette imperceptible " fissure " dans le tissu banal des apparences, telle est l´obsession de Bernard Demenge. Son ouvrage va dès lors consister à pratiquer dans le flux des images familiales des " coupures prélèvements ". Le photographe va procéder comme le médecin légiste sur le corps de la victime, scalpel en main, à l´isolation des indices du crime. Le voici détailler, mi archéologue mi flic scientifique, sur le buste d´un enfant qui pleure des traces qui sont peut-être du sang ou du sperme. Dans la scène anodine d´une femme allaitant, le voici traquer une rougeur inquiétante ; dans un pli vu de très près une légère cyanose que l´image entière dissimulait ; au second plan, derrière une jeune femme et un homme qui font songer à la scène du jardin public dans Blow Up, un corps étendu. Que font là tous ces protagonistes sans tête ? Quand ils ne dorment pas, quand ils ne sont pas morts (mais cela on l´imagine) ou quand ils ne ressemblent pas, comme les visages de Boltanski, aux visages de n´importe quelle famille, Bernard Demenge, coupe la tête de ses proches ou la représente isolément ou la dissimule derrière le bruitage du contretype, comme si la bonne distance était perdue, comme si à l´inverse de la traditionnelle " photo de table " et sa bonne mesure (celle en fin de compte de " l´image juste " que critiquait Godard et auquel faisait écho récemment l´impayable slogan de l´ " ordre juste ") elle n´avait d´autre issue que le gros plan qui brouille la vue ou le plan large, le plan de paysage qui laisse perplexe et annonce le drame. Principe d´incertitude auquel le photographe donne toute licence en ne légendant pas ses images, ce que ne manquait pas de déplorer un visiteur dans le livre d´or de l´expo qui eut préféré qu´on ne le laisse pas dans l´expectative, livré aux promesses déçues et aux probabilités de l´image atroce sous les banales images de famille.
L´observateur ne cesse donc de régler sa vue sur un sujet que le processus de découpe-prélèvement a privé de sa rassurante (et juste) toise familiale, un sujet privé de sujet que la photo reproduite laisse osciller entre les catégories flottantes de la perception, de l´action et de l´émotion, jusqu´à la cocasserie burlesque ou à la scène d´horreur.
Cette masse de chair est-ce un membre coupé, une pièce de viande, un croûton de pain ou une main difforme ? Ce corps sur une plage, fille ou garçon ? Ces jambes pendantes, une scène de repos ou d´exécution ? Cette tête renversée appartient-elle à un dormeur ou à la victime d´un accident de la route ? Sommes nous dans une scène de pique-nique ou dans un charnier ? Cet enfant assoupi sur la table familiale face à la bouteille de vin, est-il mort de fatigue ? Ou joue-t-il? Ces gens qui marchent en tous sens, sont-ils en train de fuir une fusillade ou d´aller tranquillement à leurs affaires ?
Deux images, particulièrement, nous renseignent sur la fascination (et la question) de Bernard Demenge : sur un quai, deux personnages se penchent au-dessus de l´eau. Ils cherchent un objet perdu. Quelque chose est là au fond de l´image qui échappe à leur vue et à la nôtre. Alors, ils prennent un bâton " pour voir ". A travers une fenêtre, une femme, dont le visage nous est caché, semble regarder au dehors (son regard a été supprimé) comme dans la célèbre photo de Robert Frank, dans Les Américains (1958). Peut-être est-ce parce que comme Robert Frank, Bernard Demenge " rend visible le fait que le champ visuel cache et exige des invisibles, qu´il ne relève pas seulement de l´œil (du prince) mais de l´esprit (vagabond) 4 ".

Xavier Girard


1. Charlotte Cotton, La photographie dans l´art contemporain, Thames and Hudson, 2005, p. 137
2. Bertrand Mary, La Photo sur la cheminée, Métaillié, 1993, p. 73
3. Marcel Detienne, L´écriture d´Orphée, Gallimard, 1989, p. 104, écriture de la voix, écriture d´Orphée.
4. Jean-François Lyotard, L´Inhumain. Causeries sur le temps, Paris, Galilée, 1988, p. 137, cité par A. Rouillé, La photographie, Gallimard, 2005, p. 225.


Barnard Demenge " Fissures "
Atelier De Visu
19 rue des Trois Rois, 13006, Marseille
contact@atelierdevisu.fr



Bernard Demenge, grain de folie

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TRANS...-EN-PROVENCE


Serge Plagnol

C´est là que se trouve la galerie Remarque où Jean Sintive (le créateur des éditions Unes), expose Serge Plagnol.
Il serait presque injurieux de présenter Serge Plagnol, il est suffisamment connu/reconnu dans la région, le pays et au delà. Pour lui " peindre est un manifeste pour la couleur " écrivait Daniel Bizien. Aujourd´hui Serge Plagnol le fait un peu mentir car il semble se détacher de la couleur (eh oui, la couleur , ça tache). Evolution ou simple changement ? Simplification ou mouvement d´humeur ? (les humeurs sont souvent noires). Les démarches artistiques sont comme les passants dans une ville, elles vont dans tous les sens, certains vers la couleur, d´autres à l´inverse, et l´on parle toujours d´évolution personnelle. Il n´y a pas de loi générale, surtout dans les domaines artistiques qui sont les lieux privilégiés de l´expression individuelle.
Comme les mots, le texte sur une toile, signes parmi d´autres, formés de traits et de boucles, mais qui nous parlent différemment : Thupinier qui les avait beaucoup utilisés s´en est libéré dans sa série des " faces " vue à l´Hôtel des Arts de Toulon. Plagnol les péremptoirise de façon inhabituelle chez lui avec le curieux SAINTE ANASTASIE, en grosses lettres, au milieu d´une toile peu colorée, représentant un arbre avec beaucoup de vide. Les mots cassent la toile et démentent la figure, mais que signifient-ils ? On sait que la sainte en question a connu le martyre dans les années 400, on ne sait pas si elle est morte brûlée ou la tête tranchée. Rien de réjouissant pour elle, sauf à s´être ainsi rapprochée du divin, à avoir contribué à l´expansion de la foi chrétienne. Plagnol aurait-il été touché par la grâce ?
Il y a une autre explication possible : Anastasie, comme chacun sait, c´est la censure, et le tableau est récent. L´artiste exposerait-il ses craintes sur l´avenir politique lié aux élections que nous vivons ?

Ou alors, troisième explication, il s´agirait du nom d´un petit village de la région que Serge Plagnol aurait découvert récemment, avec lequel il serait dans la phase dite de la " lune de miel " qui l´inciterait à mettre son nom sur les arbres, pratique plus répandue chez les amoureux fervents que chez les savants austères. C´est certainement la bonne explication : ce village existe, j´y ai habité 16 ans.
Cependant...une explication n´exclut pas forcément les autres.
Le soir du vernissage Jacques Séréna, qui publie régulièrement aux éditions de Minuit, nous a gratifiés de la lecture d´un passage de son livre " Autour du canapé " illustré par Serge Plagnol, édité par la galerie Remarque. C´est toujours un plaisir d´entre Séréna lire ses textes qui collent à son personnage comme deux gouttes d´eau, cette atmosphère vaguement déliquescente (toujours l´eau) à la Carco revue junkie. Pas tout à fait l´univers de Plagnol, plus soft, mais après tout, n´est-ce pas, " rien de ce qui est humain ne nous est étranger ".

Antoine SIMON


Galerie Remarque
2, place de l´Hôtel de Ville 83720 Trans-en-Provence
Du 5 mai au 16 juin de 15h à 19h du mardi au samedi tél. : 04 94 84 54 72



TRANS...-EN-PROVENCE

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GALERIE OF MARSEILLE


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Galerieofmarseille
(en un seul mot & en deux couleurs pour se distinguer de la feue galerie de Marseille en trois mots et en multicolore et avec un M majuscule)

L´espace est si beau, au 8 de la rue du Chevalier-Roze que l´on pourrait -presque - oublier le bel espace abandonné de la rue Sainte, celui de Nina Rodrigues-Ély et de Juliette Hini qui avaient montré en leur temps quelques unes des plus belles expositions vues dans cette ville...
Je me souviens, par exemple, avec une violente nostalgie des barques de Claudio Parmiggiani...

Nous étions au début d´avril, je quittais mon opticien pour rejoindre le Vieux-Port quand je me souvins que dans la même rue venait de s´ouvrir la nouvelle galerieofmarseille.
Je traversais la rue, je devinais de la large vitrine de grandes aquarelles, celles de Yvan Salomone, Sylvie Amar me reconnut et, malgré l´heure de fermeture, vint m´ouvrir.
Accueil très professionnel et très chaleureux, je découvris un espace magnifique, accrochage classique mais pertinent, éclairage parfait...
Il était temps de contempler les œuvres de Yvan Salomone, un jeune malouin qui, à partir de cartes postales et diverses photographies, fait à l´aquarelle des agrandissements au rigoureux et définitif et éternel format de 104 X 145cm. C´est là sa seule originalité, sans doute ne recherche-t-il que la banalité.
Pour se rapprocher encore plus et encore mieux de ses compagnons artisans et menuisiers, (pas ébénistes, c´est déjà trop précieux et trop sophistiqué : menuisiers), il utilise des rigoureux et définitifs et éternels cadres de bois. De même, et ce sera sa dernière originalité, il signe et intitule toujours de la même façon (si toutefois on peut désigné ce maniérisme par le mot façon !) Il voulait être impersonnel, c´est réussi.
Il voulait délivrer des poncifs c´est un succès.
On ne sera jamais pourquoi un artiste si commun désire " feinter " pour entrer en clandestin les ports de Dunkerque, Le Havre ou Marseille.
Il n´a qu´à monter ce qu´il fait : de belles aquarelles de vieilles dames désœuvrées et toutes les barrières des bassins se soulèveront avec aisance.
Allez, encore un effort, cher Maître, pour arriver à un travail vraiment nul.

Julien Blaine
Mai 2007


galerieofmarseille
8, rue du Chevalier Roze 13002 Marseille
Tel 04-91-90-07-98
Fax04-91-91-08-24



GALERIE OF MARSEILLE

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JOACHIM MOGARRA L´ART DE LA FIGUE


Photo Jean-Christophe Lett

Le titre en constitue le programme. Cette exposition des derniers travaux du photographe renoue avec le fond de l´air nineties de ses débuts, une esthétique qui caractérisait alors toute une production de jeunes artistes décomplexés à l´égard de leurs aînés, et du lourd héritage d´un appareil formel et théorique dont ils se moquaient comme de leur premier diabolo-menthe.
Joachim Mogarra fut un de ceux-là. A la fin des années 80, il produisait ce type d´images sans qualité que l´on qualifie désormais de "lambda", sorte d´éco-montages rudimentaires par lesquels il disait la fragilité du monde. Je me souviens d´un numéro du défunt magazine "Mars", initié par notre ami Marc Partouche, alors seule revue marseillaise de référence dans le domaine des arts visuels, dont la Une fut confiée à Joachim Mogarra. Une vue anodine d´un mètre en bois déplié et de son ombre projetée, sobrement photographiée, sans pathos ni maniérisme, évoquait la majesté d´un monticule dix mille fois exploité depuis le grand Aixois comme emblème même de la peinture-peinture. Son titre, fécond quoique laconique, nous renvoyait ainsi à ce qui travaillait la monomanie de l´étudiant moyen des écoles d´art d´alors : "La montagne Sainte-Victoire", frustre photographie en noir et gris de l´immensité d´un héritage, était une incontestable réussite formelle.
Aujourd´hui, Joachim Mogarra n´a toujours pas renoncé à la rusticité de ses moyens, pas plus qu´à la petite musique proustienne de ses "montages" poétiques. Avec les moyens ténus d´un photographe d´occasion, il restitue le geste ordinaire d´une occupation désœuvrée, apanage du vrai dilettante. "Construisant" ses petites scènes avec les moyens du bord -patate, carrés de sucre, figurines de kinder-surprise, camembert coulant...- il s´autorise un rapport minimal à la narration picturale, tournant ainsi en ridicule la scène de genre des Pompiers ou la "grande" peinture d´histoire avec lesquelles, visiblement, il a des comptes à régler.
Son truc, une observation distanciée et ironique de ce qui constitue le monde, à travers une relecture mordante des poncifs de l´histoire de l´art, parfois la plus récente, fonctionne tellement bien qu´il remet le couvert avec gourmandise. On passe ainsi d´une grande série "spatiale" où les spoutniks sont en toc et les planètes des patates flétries, à un grand thème wagnérien délicieusement foulé aux pieds de l´incongruité, désamorçant ainsi toute récup formelle, décourageant toute exégèse. "Le Hollandais roulant", sans Walkiries ni vaisseau-fantôme, est une fresque pittoresque en même temps qu´un jeu de rôles, qui n´en libère pas moins un formidable éclat de rire.
Désopilants également sont ces "Rorschaach", une petite série d´encres et gouaches -une fois n´est pas coutume- accrochées queue leu-leu comme autant de grilles d´un jeu idiot auquel on s´imagine volontiers s´adonner par un dimanche matin ennuyeux. Si les commentaires en sont indubitablement potaches, c´est bien la marque de cet artiste qui aime à jouer avec tout, et avec rien aussi de temps à autre. Ce qui d´ailleurs embarrasse quelquefois son œuvre d´un surplus "littéraire" à vocation poétique dont, finalement, on se passerait bien, préférant laisser aux images -parfois très belles plastiquement- leur juste souffle et l´évidence de leur présence.
Mais, cabotin et cabochard, l´artiste est tout cela, qui se fiche bien finalement des appréciations et des réserves de son public, pourvu qu´on le laisse encore s´amuser de ses petites manies et de ses bricolages sympathiques. Un livre au titre éponyme, réalisé avec la complicité bienveillante de Jean-Pierre Ostende, relate ces exploits. Je n´en rendrai pas compte, attendant avec impatience que son co-auteur me le fasse passer pour en juger la teneur. Mais je ne doute pas que, connaissant le goût de Jean-Pierre pour l´ironie et le mordant de ses interventions, le mariage soit consommé avec réussite, élégance et à-propos.

M.R.


"L´art de la Figue" exposition au FRAC Paca jusqu´au 25 août. T : O4 91 91 27 55
"L´art de la figue", un livre de Joachim Mogarra et Jean-Pierre Ostende, disponible sur place.


JOACHIM MOGARRA L´ART DE LA FIGUE

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Michael Kenna


Michaël Kenna Kussaharo Lake Tree Study 2, Japan-2005

L´artiste académique

Qu´est ce qu´un artiste académique ? Comment définir un académisme contemporain, quand il y a belle lurette que l´académie (l´institution, l´école, un corps de doctrine et de savoirs faire constitué, la convention transmise et qui fait loi) n´exerce plus le pouvoir qui était le sien jusqu´au siècle dernier ? Quand il n´y a plus même d´école de cinéma ou de photographie qui vaille ? A cette délicate question, les photographies de Michael Kenna, exposées à la queue leu leu dans la Maison de la photographie de Toulon, apportent une réponse qui mérite qu´on s´y arrête un instant. Si vous souhaitez en prendre le chemin - la période est très favorable - un conseil, il vous suffit de respecter un petit nombre de règles, toujours les mêmes, mais assez scrupuleusement, une technique pas si compliquée, pas si virtuose qu´on veut bien le croire (l´académisme est à la portée de tous) et un répertoire de signes que le public disponible possède déjà et qu´il s´enchantera de reconnaître. Vous devrez donc opter pour le noir et blanc et le format classique (env. 30 X 40 cm). Vous n´oublierez pas la signature à la mine de plomb en bas à droite, assez visible mais sans exagération, ni la justification de tirage (on ne sait jamais). Vous choisirez un passe partout assez important, ne lésinez pas sur le cadre, mais n´en faites pas trop quand même, le photographe académique déteste l´excès, la faute de goût, toute espèce d´inconvenance. Un cadre modeste mais point trop cheap suffira. Votre légende devra être strictement descriptive. Strict en tout, vous mettrez votre savoir faire au service d´un solide lieu commun et vous aurez alors quelque espoir de devenir le photographe académique de vos rêves.

Michaël Kenna Nandaro Cage, Rumoi, HokkaïdoJapan-2004

Surtout, soyez constants, honnêtes, exigeants avec vous-mêmes et traitez d´un seul sujet, choisissez-le de préférence parmi les anciennes catégories des Beaux-arts : nu, portrait, paysage, nature morte, de préférence à la photographie d´histoire quoique le genre compte aussi ses William Bouguereau. Le paysage fera l´affaire (voyez Arthus-Bertrand). Donnez lui une localisation exotique (il en existe encore), le Japon par exemple. Prenez une région déjà " artialisée ", déjà imagée par la tradition picturale. Au Japon, vous n´échapperez pas à l´Ukiyo E. Le pays du Hokkaido est l´endroit idéal, mais ne vous trompez pas de saison, la période des neiges est recommandée, rien de tel pour la touche " mystère ", l´étrangeté indispensable, le nappage poétique. Attention cependant, ne soyez pas brouillon ou dispendieux. Après avoir éliminé toute présence humaine, ne faites pas comme les peintres d´estampe, avec leurs foules de pauvres randonneurs affairés, isolez bien chacun des éléments, un bosquet d´arbres, une étendue de neige, le mont Kaibetsu Koshimizu au loin fera très bien. Préférez un ciel de nacre aux vulgaires ciels de traîne. Placez les assez haut dans votre composition de façon à créer grâce aux jeux de décentrement (effet japonisant très apprécié) et de polarisation des petits écarts de définition entre net et flou, transparence et translucidité, blanc et blanc. Vous aurez soin de valoriser l´opalescent, le légèrement lacté, le lunaire, le givré en même temps que les effets de nuit en plein jour (ou l´inverse) le tout habilement jointoyé sous une apparence de continuité panoramique. Faites des arbres solitaires et des futaies brumeuses, harmonisez proches et lointains dans la même image. Votre but, ne l´oubliez jamais est de donner l´impression de " premier paysage ". L´intact, l´intouché, le pur et le probe, l´aube voilà votre sujet. Vous avez donné cent fois quarante cinq versions de ce " premier matin ", signé proprement, numéroté, tamponné ; alors vous y êtes. Vous êtes photographe académique, vous êtes Michael Kenna, vous vivez et travaillez à Portland, Oregon, USA, vous avez été fait Chevalier des arts et lettres (l´artiste académique adore ça, les ministres aussi, allez savoir pourquoi) et comme un bonheur n´arrive jamais seul vous exposez rue Nicolas Laugier, place du Globe à Toulon.

Xavier Girad


Maison de la Photographie
Toulon



Michael Kenna

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VINCENT BARRÉ


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La fabrique du pré

L´Hôtel des Arts de Toulon poursuit avec l´exposition de Vincent Barré l´exploration de l´œuvre d´artistes contemporains désormais quasi classiques, qui des années 70 ou 80 à aujourd´hui, longtemps après que les derniers feux de l´avant-garde se soient éteints (Minimal Art, Arte Povera, Supports/Surfaces, etc.) ont poursuivi une carrière souvent prolifique, riche en accidents et en nouveaux développements, laquelle, c´est le moins qu´on puisse dire, n´a pas toujours rencontré l´attention qui s´était portée sur leurs débuts. Un choix aussi peu " tendance " et d´une aussi constante exigence de qualité (accrochage impeccable et catalographie soignée), quand l´ " artiste émergent " s´impose un peu partout comme le seul point de vue possible, mérite d´être salué. La protestation récente d´un certain nombre de représentants de cette génération, née autour de 1950, face à la politique de Cultures France et de la DAP est le signe d´un malaise évident. Elle pourrait être également adressée aux musées parisiens qui laissent en friche des pans entiers de la création contemporaine dans une programmation partagée entre expositions grand public, manifestations thématiques et concessions à la " doxa ", cette " rumeur de voix 1 " qui court la ville et la campagne du monde de l´art. Vincent Barré est de ceux là, dont le nom émerge au début des années 80, qui ont développé une œuvre à la fois reconnue et peu divulguée. L´exposition présente lui permet de montrer le travail de ses deux dernières années dans toute sa complexité. Les fontes d´acier présentées dans le vestibule voisinent avec un cabinet des dessins qui met à découvert la fabrique de l´œuvre : carnets de voyages, croquis, notes, réflexion à main levée sur les formes de son obsession. La pièce est une excellente introduction aux œuvres abouties exposées à l´étage : grands dessins estampés, tôles d´acier, grès noirs, céladons de Sèvres et bronzes. On songe en passant d´une salle à l´autre à la prégnance de la nature sur cette génération de sculpteurs (celle de Penone, Anselmo, Kounellis, Toni Grand, Pagès) née avec la fin des sociétés paysannes. Les belles photographies de l´atelier de l´artiste prises par Jacqueline Salmon à Saint-Firmin-des-Bois (Loiret) montrent que la métaphore naturaliste prend sa source, chez Vincent Barré, dans une grande proximité avec la nature, comme en témoignent aussi ses herbiers. Une nature " opiniâtre et lente dans ses opérations2 " dont Vincent Barré détache avec précaution les états privilégiés de sa rêverie : des formes nées de la lente germination d´un végétal ou de l´excoriation d´un matériau. Quand nombre d´artistes établissent un rapport de transgression avec ce qui se fait sans l´homme, indépendamment de l´activité humaine, " par nature ", Vincent Barré met à jour une sorte de création continuée, faite de la reprise obsessive d´une forme rhomboïde ou empennée, mi élytre mi ove, qui se recourbe sur elle-même comme les " hautes racines courbes " du Saint-John Perse d´Eloges, célébrant " l´en allée des voies prodigieuses, l´invention des voûtes et des nefs ".

Xavier Girard


1. Anne Cauquelin, L´art du lieu commun Du bon usage de la doxa, Le Seuil, p. 21
2. Diderot , De l´interprétation de la nature, cité par Clément Rosset, in L´anti-nature, Puf, 1973-2004, p. 9.

Hôtel des Arts 226, bd Général Leclerc Toulon


VINCENT BARRÉ

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PASSAGE DE L´ART


Jean-Marc Brodbecker

UN PASSAGE OBLIGÉ


La méritante Lyse Madart a créé il y a quatorze ans au Lycée des Remparts un centre polyvalent d´art contemporain le "Passage de l´art" dont le but est de montrer l´Art contemporain dans tous ses états.
Chaque année le Passage accueille des expositions souvent accompagnées de tables rondes, de lectures critiques et organise à partir du mois d´avril la manifestation intitulée : "l´Art Renouvelle le Lycée, le Collège et la Ville". Cette manifestation réunit autour d´une thématique nouvelle chaque année une quinzaine d´artistes montrant leurs travaux dans quinze lieux, au sein de la ville de Marseille et au-delà.
Les lieux participants sont des établissements scolaires; l´un dans d´entre eux choisi dans la ville rassemble tous les artistes, chacun y montre une œuvre relative à la thématique énoncée, en une sorte de synthèse de l´ensemble de la manifestation. Un colloque animé par 4 ou 5 intervenants traite du thème proposé. Enfin un catalogue est édité témoignant des différentes expositions et du colloque.
Nul doute qu´en intéressant, ce qu´on pourrait appeler les jeunes français, à l´art contemporain, dès leur plus jeune âge on augmente les chances de les impliquer dans cette création aventureuse et donc souvent déroutante, comme l´on déjà compris (chez eux) les allemands et d´autres gens du nord. Bien sûr les adolescents qui commencent à avoir bien d´autres chats à fouetter ou à carresser ne sont pas forcément plus disponibles que d´autres classes d´âge mais sans doute pas moins.
En tout cas au Lycée Mistral où l´on passe des BEP de carrosserie un certain nombre d´élèves semblent s´être intéressés aux travaux de Jean-Marc Brodbecker, dont la démarche former-déformer paraît particulièrement adapté à la jeunesse et ont participé à la réalisation de l´œuvre de Laurent Perbos.
Il n´y a pas tellement de points communs, a priori, entre le travail de JMB et celui de LP sinon une certaine approche de l´abstraction.
De la même façon que 2 chiens ne se ressemblent pas on a vite fait de trouver qu´ils ont également des pattes, une queue et qu´ils aboient à la moindre occasion; le troisième chien qu´on rencontre on sait que c´est un chien. Et c´est ainsi qu´on est passé sans effort du concret ou du particulier à l´abstrait ou à l´universel.
Mais on peut se donner plus de mal pour arriver à l´abstraction et en empruntant le chemin d´Alexandre d´Aphrodise on peut suivre la démarche du sculpteur qui à force de tailler le bloc de marbre finira par révéler la nymphe qui y était enfermée.
Et chacun de creuser le particulier jusqu´à l´universel.

Laurent Perbos

La démarche de Jean-Marc Brodbecker consistera plutôt à retrouver dans l´œuvre accomplie la trivialité de la superstructure que montrera l´œuvre générique.
Dans l´œuvre retenue, la "Cène" de Vinci, la réduction de JMB pose le problème : qu´est-ce qu´on y voit ou qui y voit quoi ? La focalisation sur le thème permettra, Ô miracle, de décourir un couteau dans la main d´un des disciples (peut-être Pierre ) et c´est cette découverte que JMB déclinera de façon récurrente en une série de petites huiles sur papier de soie, imprimées par une matrice afin d´assumer sans faiblir la rassurante (?) similitude.
Son œuvre est un work in progress permanent, c´est un gaphiste, un adepte du trait, on y voit des huiles sur papier transparent dont un diptère fossilisé ou un pictogramme de quelqu´un qui s´étouffe "in caso di bloco della respirazione", un corps d´ange ou "M.O.I" un autoportrait qui s´efface et qui semble emblématique de son art ou de sa personnalité tout en discrétion.
Il parait, comme Zadig, trouver que la meilleure manière d´avoir de l´esprit c´est de ne pas en faire.
On a aussi affaire à des pliages de papier qui joue avec la lumière comme la nappe de la Cène de Vinci magnifiée par Dali (26 mains) une œuvre naturellement qui collait tout à fait avec le thème choisi par Lyse Madart "Les Mains".
Le thème a entraîné deux approches opposées chez les deux artistes.
JMB a trouvé des mains toutes faites dans le tableau de Vinci "La Cène", LP a décidé d´en fabriquer entrainant les élèves du Lycée Mistral dans cette expérience qui comme toute autre les prépare à leur métier de carrossiers.
Laurent Perbos a relevé le défi de travailler avec les élèves. Ses objets à la fonctionnalité déroutante se prêtent sans doute plutôt bien à une pédagogie souriante. On se souvient de ses terrains de tennis ou des ses tables de ping pong qui font fonction de tapis d´escalier ou se gondolent dans des positions surprenantes.
Cet abonné du livre des records a fait des ballons au carré, deux ballons de foot en un, battant à plusieurs reprises le record du monde de la longueur de ballon (2, 50 mètres pour le dernier). Ses créations convoquent la génétique, le dopage, par exemple par changement d´échelle ou de matériau, le nominalisme lorsque l´objet caricature le mot.
Là il présente cinq ongles plantés dans le sol figurant les doigts d´une main. Il y étale sa technicité et son savoir-faire magique qui peut provoquer la disparition d´un objet en court-circuitant les repères habituels de l´imaginaire.

JFM


PASSAGE DE L´ART

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Pierre Malphettes


Un arbre, un rocher, une source, 2006, bois de construction, néon, transformateur haute tension, moquette, tôle larmée, inox poli, 550x720x255 cm

De la nature contrariée


" Un arbre, un rocher, une source". Trois termes dissociés de cette nouvelle exposition de Pierre Malphettes au Buy-sellf Art club qui évoquent la nature ; Rassemblant l´espace à la manière d´un puzzle, ces objets n´ont d´existence propre qu´en résonance les uns avec les autres comme si dans un retournement sémantique le tout participait de chacun. Ils ne prennent leur dimension onirique qu´en tant que composants de ce tableau sculptural imaginé par l´artiste. Le rocher tout comme la source sont traités comme des sculptures minimales, et paradoxalement tirent leur essence de leur matière, de la force évocatrice des matériaux industriels décontextualisés qui les composent. L´arbre quant à lui réalisé en tasseaux de bois brut de construction, ne doit son existence qu´à cette sève électrique qui alimente ses feuilles de néon et le rattache au vivant dans cette vibration rétinienne.

" Un arbre, un rocher, une source". C´est un point de départ. C´est la matérialisation du désir de l´artiste. Un titre qui pourrait caractériser sa méthode empirique de travail. En effet, La démarche de Pierre Malphettes ne semble pas ressortir d´une tentative de retranscription de la nature qui s´apparenterait à un geste gratuit, tautologique. Il s´agit d´avantage de la convocation, de l´invocation de cette nature au travers de matériaux industriels contemporains. L´artiste démiurge compose son tableau établissant par l´artifice assumé, par la décontextualisation, un équilibre formel qui n´a pas pour ambition de singer la nature, mais de faire nature, d´être sensation.

" Un arbre, un rocher, une source". Si l´Artiste choisis ce titre d´apparence descriptive, c´est pour affirmer sa concentration sur ces figures, son entreprise improbable d´accéder a leur caractère intangible, leur essence profonde, et capter leur impermanence. Bien qu´étant une installation en trois dimensions, cette pièce hérite d´une esthétique orientale de juxtaposition des plans comme dans les estampes japonaises. C´est d´ailleurs au Japon lors de sa résidence à la villa Kujoyama en 2005, que Pierre Malphettes a initié ce travail de sculpture autour de la figure de l´arbre. D´avantage que de déterminer une scène au sens théâtrale et occidentale du terme, proposition narrative régie par la succession des éléments qui la composent ; Il s´agit ici de proposer un temps et un espace mental d´émancipation de nos sensations.
La forme dans la précision de sa facture n´est là qu´en tant que vecteur d´accès visuel aux sensations de poids, de fragilité, de transparence, d´évanescence comme si tous les ces objets artificiels étaient parcourus du même fluide que leurs (désormais) répliques réelles.
Ainsi l´artiste, A la manière du jardin japonais, réussit par la rigueur de l´énoncé du cadre, à créer un espaces de sensations des éléments qui le composent, réalisant une poésie visuelle, issue d´un déplacement, d´une disjonction collant à la réalité s´apparentant au Haïkus.

Florent Joliot.


Pierre Malphettes
Un arbre, un rocher, une source
26 mai au 13 juillet 2007
Buy-sellf Art Club
101 rue Consolat Marseille (1er)
04 91 50 81 22
www.buy-sellf.com



Pierre Malphettes

SOMMAIRE

Une interprétation du mercredi

Sans Marylin Manson
Mercredi soir se déroulait Art contemporain et religion, quelles nouvelles interprétations ? vernissage d´exposition, discussion et performances, rue Fort Notre-Dame à la galerie Jean-François Meyer.
Religion et art contemporain ont leurs croyants (et leurs cultes), leurs détracteurs et leurs profanes. L´un comme l´autre donnent lieu à de nombreux procès. Il ne s´agit pas de savoir ici si l´art contemporain est chrétien ou post-chrétien. Les frontières n´existent plus, le décloisonnement des sanctuaires a en premier et en second lieu, la commande religieuse fait appel aux artistes contemporains indépendamment de leur foi, les chapelles s´ouvrent aux expositions.


Hye Ryon Park Rue Barthélémy

La fin du monde
Le père Christian Salenson est théologien (la théologie est étude méthodique de la foi en Dieu sur la base des données de la révélation chrétienne, une écriture de la transgression du Verbe). Il expose un point de vue depuis sa chapelle sur la thématique proposée. Après une longue "connivence historique" et la mort de Dieu, la religion devient un motif de détachement pour l´art. La Révolution industrielle et la modernité mettent en jeu le sacré, la spiritualité, la métaphysique sur d´autres liens. Il pose en hypothèse la reprise d´un intérêt de la représentation religieuse dans l´art contemporain en occident car elle offre tout un capital symbolique à réinvestir. J´apprécie cette position de refus de tenir un discours revanchard sur la décadence relevant d´un prière morale sur la fatigue. Il définit l´art comme une autre manière de penser la représentation religieuse et comme activité humaine potentiellement plus en phase avec la modernité (l´industrialisation de masse, l´âge du jetable, l´ère de la communication (le portable remplace l´ange annonciateur) et de la sacro-sainte société de consommation (croissez, multipliez)).
L´héritage culturel n´est pas la propriété privée de la religion, une " police " de symboles. Le code iconographique, les figures métaphysiques, la mémoire mythique nourrissent l´imaginaire occidental depuis l´avènement de l´homme. La transgression, celle qui ne cherche pas à tuer le malade, s´avère nécessaire afin de ne pas épuiser les figures dans le regardable, de méditer sur " l´idole qui ne parle plus ", de sortir du repli culturel sous les vestiges d´une civilisation traditionnelle, bref de remettre de l´ " essence " dans le moteur. Le père Christian Salenson fait un parallèle entre le théologien et l´artiste, " frères d´avant-garde ", qui sont amenés à penser le rapport de l´humain avec le monde, la transcendance et ses figures sous forme d´éveil constant, activité susceptible de heurter la pensée gélatineuse et le regard immunitaire des garants de l´ordre. Ni l´un ni l´autre ne sont des bienfaiteurs. Chacun a sa façon vit à l´heure du crime pour choquer, au sens médical, le cœur du " soleil [qui] s´est noyé dans son sang qui se fige " (Baudelaire).


Iréné Hétier, Christian Salenson, François Bazzoli

L´œuvre qui réfléchit comme un miroir et qui refait le portrait
François Bazzoli, historien d´art, débute sa présentation par souligner que la question est : quelles nouvelles interprétations ? et non pas quelles nouvelles formes ? Il s´agit de comprendre les œuvres dans leur totalité, avec leurs interprétations possibles dans une perspective non seulement plastique, esthétique, historique et anthropologique dans leurs interactions avec le monde, le religieux, le philosophique, le social, le politique, l´économique, la science...
La question de la transgression, de la prise de distance s´est toujours posée pour l´art et à toutes les époques. Les œuvres qui tiennent de la simple posture de dérision ou du banal blasphème ou de la récupération indue ne valent que dans une lecture immédiate du regard. Elles font bêtement images. Elles reflètent au lieu de réfléchir (Cocteau). Demain, il n´y paraîtra plus.
Ce qui est à l´intérieur de l´image n´est pas une lecture à priori. Dans le renouvellement des images et du sens, le spectateur n´est pas toujours à même de trouver la symbolique, ce qui est perdu et retrouvé, ce qu´il ne cherche pas.
L´historien d´art a le temps de faire la recherche de toutes les dimensions de l´oeuvre. Faire avancer l´iconographie pour permettre à l´image de persister (art rémanent qui suggère une universalité de l´oeuvre), de " prendre le temps ", et de questionner le rôle de l´artiste comme producteur de visible et créateur de mythe.
Il prend en exemple l´art corporel, ou " body art ". Michel Journiac, dans l´action Messe pour un corps en1969, organisa un rituel où il invita le public à communier avec lui en lui offrant à consommer en guise de corps transsubstantié du boudin noir fabriqué, les participants l´apprendront plus tard, avec son propre sang de " Christ-matière ". Ce n´est pas le seul procès de Dieu, avec témoin à charge et " pièce " à conviction. Plus que de subversion, il y est question de métamorphose. La réappropriation de la Passion christique lui permet d´exprimer sa vision du tragique de la condition humaine. Le corps humain sert alors de point de départ, de point de retour, de centre, de langage, de concept, de médium, de matière, d´espace théorique, de lieu de travail. Inventant des nouveaux modes de récit, l´homme s´impose toujours comme zone d´expérimentation critique.
La figure du Christ se porte bien sur la croix de la réalité. Autre exemple avec Arnulf Rainer qui, depuis la fin des années 1950 dans des surpeintures, raye rature griffonne barbouille patouille recouvre la figure christique de reproductions couleur dans l´art occidental. Ce geste iconoclaste figure, défigure, préfigure, reconfigure la crucifixion ontologique. Les œuvres présentées expriment tout autre chose que le thème central de la foi chrétienne, le Christ est la métaphore de ce qui lie et relie toute chose dans le temps et l´espace, le dissident absolu, le résistant qui fait toujours face mais aussi le Grand Schizophrène, substituant sa loi à l´ancien système, un sens nouveau aux choses pour leur redonner vie. (l´archevêque de Vienne commandera l´illustration d´une Bible à Rainer).


Françoise Rod

Les perfs
Au début des années 70, dans une élaboration théorique et transdisciplinaire, le concept de performance semble naître de la scène (danse, musique, théâtre, conférence), pour échapper à toute forme de réification et d´assimilation, mais existe aussi dans le fait " d´être là ", travail artistique en temps réel au milieu d´un public, rituel entre anecdote et geste absolu, dans toutes ses implications philosophiques.
Marina Mars joue les maîtresses de cérémonie (elle est à l´origine de l´exposition avec le père Irénée Hétier) et met en scène grâce à une série de gestes et d´accessoires symboliques une lecture singulière de la Sainte Bible. Elle réhabilite les éléments de la vie empreints de valeurs sacramentelles pour leur charge émotive. Le geste initial est l´ouverture, le geste fondateur est la division. A coups de hachoir et de marteau, comme à l´abattoir là où le livre se plie. Un morceau d´évangile est ensuite lu sans intonation, comme vidé de son pouvoir d´invocation après une rupture violente. Ce n´est pas le sacrifice du Livre qui est en jeu - sa reliure sera suturée sur sa tranche avec du ruban rouge, les " points d´attache " le transformant alors en un objet domestique " très cuir " qui retourne dans un sac à main - mais la résonance du choc des cultures sous-tendues par la thématique du soir.
Des réponses, des réponses et toujours pas de question. Vêtue d´un t-shirt blanc où on trouve, pile un point d´interrogation imprimé, face, le même signe à l´envers, Françoise Rod quitte la scène pour toucher son public en bredouillant " mais...mais... qu´est-ce que... ". Le Verbe heurté, la parole comme soumise à un séisme intérieur fonctionne tout du long comme une bande-son. Elle invite, d´un simple contact de la main, chacun à rejoindre un groupe cible qui occupera la place centrale. " mais... mais... qu´est-ce que ... quelle est la question que je dois poser ? " A cette chute verbale répond celle de pages de papier Bible froissées et enduites de cire (matériau plastique apte à reproduire les formes, fragile responsable de la dégringolade d´Icare, le " fantasme de la chair "). Puis la litanie bégaie à nouveau " des réponses... des réponses... " tandis qu´elle balaie la galerie d´art contemporain les feuilles d´une oeuvre pour les mettre au coin. " des réponses... des réponses... et toujours pas de question. ".

Luc Jeand´heur


Père Irénée Hétier





Galerie Meyer
43, rue Fort Notre Dame 13001
04-91-33-95-01
Jusqu´a la mi-juillet



Une interprétation du mercredi