Choix du NUMÉRO
J.S.O. n°035
HIVER 2008

Max Armengaud


Yan Pei-Ming Fondation Maeght --- F A I R E  S O N  M I E L
Lawrence Caroll - Hôtel des Arts  CHINOIS
Eric Samakh  Galerie V F
Luminy voudrait converser avec Cantini
Natacha Lesueur  Maison de la Photographie
Eve - Rêves Espace Peiresc
Bernard Plossu et Patrick Sainton - L´ART DU GRIS A LA NON MAISON
Un autre soleil-Lumière et art sacré, XVème XXIème siècle
Sophie Ristelhueber - Galerieofmarseille
La peinture cyborgienne des Riches Douaniers
Galerie des Ponchettes - Sophie Menuet : un fascinant dégoût
Festivals de poésie :
FESTIVAL LES URBAINES - LAUSANNE
MAIL ART DANS L'ABBAYE DE NOIRLAC
au [m.a.c] Marseille artiste associés jusqu´au 30 mars 2008 :
Marseille artiste associés ..... Damien Berthier
Marseille artiste associés ..... suite










SOMMAIRE

Yan Pei-Ming Fondation Maeght



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F A I R E  S O N  M I E L


Parfois, la confusion nous rend complice d´aveuglement impromptu. Je suis parti à la Fondation Maeght en croyant aller voir des maquettes d´un géant de l´architecture Ieoh Ming Pei, celui de la pyramide du Louvre. Cela me semblait judicieux de montrer les travaux préparatoires des traces de réalisation de bâtiments construits de par le monde entier dans une fondation consacrée à l´art.
Non, il s´agissait de l´autre Pei, chacun dans son champ culturel. Le peintre chinois à la dextérité bluffante, le roi du box-office qui a poussé les Schnabel et Baselitz dans la fosse d´orchestre des boursicoteurs d´art.
N´ayant jamais demandé à spécifier au téléphone de quel Pei il s´agissait (comme tout xénophobe qui se respecte), j´ai donc occulté l´impossible : qu´une galerie ou une fondation montre autre chose que de la peinture ou de la sculpture. Les choses ne changent pas beaucoup.
On a cru et défendu pendant longtemps l´idée que se fabriquer une collection demandait un certain temps. Ceux qui achètent d´entrée des blocs épistémiques (en savoir sur son plaisir l´augmente-t-il ?), plus goinfres que gourmands, procèdent par entassement, thésaurisation. Ils pensent ne pas avoir à bénéficier du temps, de ses leçons. Ce n´est pas le bonheur de la recherche d´un morceau manquant qui les stimule, la rareté découverte au fond d´une salle des ventes, la rumeur sur un oubli de l´histoire de l´art, une trouvaille improbable. Non, ils veulent de suite l´ensemble, l´amas.

...

En court-circuitant la recherche, le labeur du temps, ils concrétisent un rêve de parvenus. L´œuvre de Ming Pei affronte de suite la question de l´œuvre en morceaux, des fragments et de la complétude par l´emportement de son trait, la grandeur des formats et la rugosité de la manière. En vingt-cinq ans, débarqué à Dijon où il travaille toujours et produit pour la planète entière, il a atteint une audience internationale. Autant au box-office de la valeur des toiles au prix plus que conséquent (les 3 mètres sur 2,50 monochromes atteignent facilement 600 000 euros) que par la vélocité de sa palette, de sa facilité à répéter, il est une cote.
Ce bond en avant d´un artiste chinois vivant en France a des retombées sur l´attrait rencontré par une noria d´artistes chinois qui envahissent nos biennales. Il a popularisé un art punchy, qui va droit au foie.
Le rapprochement effectué avec le fonds Giacometti de la Fondation Maeght est opérationnel. Visages taillés dans la glaise ou hachés par le couteau, bouilles grotesques qui fêtent un rite funéraire, esquisses à l´arrache de travaux qui n´ont jamais eu le temps de finir, de sécher. Hâte métaphysique, brûlot d´impatience, la fièvre serrée qui s´empare des femmes d´Alberto au socle si lourd les deux pieds unis dans une sorte de bottine orthopédique répond à l´autoportrait technopunk de l´artiste avec masque à peinture. Physicalité terrifiante, à la fois simple et butée, matoise et entière. Le non peint, la volonté d´être sale, immédiatement probants, jetés à la face, ces arguments de non séduction fonctionnent. Mais là où le ravissement zen, la quête de l´impossible beckettien des oeuvres de Giacometti atteint son comble, Pei veut époustoufler. Rageur, foncier, son art ne fait pas dans la dentelle. Un primitif savant qui se serait cogné à des questions de laissez-passer, de traversée des apparences et dont on aurait essayé de retourner dans une salle de torture les aveux jamais signés.
La violence de ce travail peut sembler fastidieuse, comme la rémanence d´un faste perdu par rapport aux histoires de flou, de la mémoire de la matière, de la nécessité d´une empreinte fortuite. L´impact est grand et fatigue vite ; à partir de là, l´attention doit redoubler car, si l´artiste roublard se jouant de nous dans une séduction pétroleuse, avait une ou plusieurs idées derrière la tête, il agirait autrement.

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Emballement facile, fatigue oculaire, attrait pour les combats de coqs en sous-sol, l´interrogatoire a duré trop longtemps, le mystère est inclus dans l´action de faire ( un rond de fumée, un cercle magique où personne n´est invité en compagnie, toujours seul le sujet parle de seul à seul) puis toute cette glaise (de la résine en fait) agitée, mixée, malaxée, balayée donne envie de toucher cette soie sauvage et nous mine progressivement. Etre bluffé, refait, peut être la position du passant moderne qui s´interloque, la turbulence brute de la séduction opère longtemps. Malin et féroce, observateur et pugnace - pour Mei, l´art du portrait appartient au domaine de la guerre - cette œuvre à succès mérite plusieurs regards. Plusieurs époques du regard. Jubilation, saturation ,dédain et redécouverte. Il songe à atteindre l´intérieur, à nous dessiner les songes qui entravent notre pensée, à donner une idée au dehors de ce qui se trame dans la concrétion des formes qui donnent un corps, un front, des orbites. Les têtes en résine d´un mètre de haut, charnues et massives, opaques et fermées, rappellent les statues de l´Ile de Pâques, les cimetières de troupes chinoises enterrées. Ce sont à la fois les épreuves, des modèles au quadruple en quatre dimensions servant de modèles pour les grands tableaux, la tentative et la nécessité de tenter de faire des têtes à la fois comme les Monteneros des réducteurs de têtes ou le respect classique de l´exercice en académie, le buste, la tête de célébration, le crâne. S´arrêter en cours de route, laisser les boursouflures, ne pas prétendre au léché, au surfacement. Il y a là interrogation métaphysique, qu´est ce que la matière, qu´est ce un corps fait de matières, quatre vingt pour cent d´eau, qui anime les formes, qui termine et où débute l´aventure ? Le désir de sagesse est compréhensible; l´affrontement avec la matière une tourmente de tous les instants. L´insatisfaction des réponses __ du hasard salvateur à une mission plus qu´hypothétique du passage sur terre __ peut rendre burlesque. La connaissance de soi-même, la scrutation acharnée de ses propres traits, nous apportent-elles du répit ? Le portrait du père de l´artiste dans un hôpital de Pékin est dans sa frugalité exemplaire porteuse de sérénité et d´angoisse : le vieil homme attend la mort les yeux ouverts. Il sait sa dernière heure arrivée, il ne fuit pas, il ne gomme pas la médiocrité des jours, il n´échancre pas la dévastation de ses rêves là pliés au pied du lit blanc. Il fait face, simplement et tout l´amour du fils gît dans cette toile. Sans réponse, sans comprendre, tout à l´attention de ce regard qui dit adieu sans craquer, sans s´attarder. Que nous soyons légendes ou scories d´un destin baratté à n´en plus finir, la modestie de la proposition enivre. Tel Morandi peignant ce qu´il a sous la main, ses pots de peinture, deux bouteilles, ses pinceaux, cette phrase très belle de Ming Pei : " le père de l´artiste est forcément un artiste. Ce que réalise le fils lui vient de... "
Je ne me suis donc pas trompé. L´homonymie est coquine. Ce n´est pas sûr que l´architecte vénéré, que ce mythe nonagénaire m´aurait bousculé autant sur la filiation, sur ce que représentent nos vrais pères et nos pères symboliques ?
Comme quoi d´autres ouvertures suppléent des manques que nous n´osons dire, comme quoi s´égarer reste heureux.



Emmanuel Loi


Fondation Maeght
06570 Saint-Paul
Tel : +33 (0)4 93 32 81 63
ouvert tous les jours.
1er octobre - 30 juin : 10h - 18h.
1er juillet - 30 septembre : 10h - 19h.




Yan Pei-Ming Fondation Maeght


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Lawrence Caroll - Hôtel des Arts



Untitled 2007 331 x 259 x 12 cm

CHINOIS


Oui, je dis oui, le travail de Lawrence Carroll vaut la peine qu´on s´y arrête, et plus que ça : ces immenses panneaux blancs n´ont rien de monochrome, les nuances déterminées en grande partie par la cire dont il recouvre les toiles donnent de subtils effets de jaune, de gris plus ou moins bleutés. L´une de ses pièces, à gauche en entrant dans l´exposition, est-ce l´effet de son éclairage, m´a projeté dans la fresque de Piero della Francesca, Histoire de la Vraie Croix du Christ, à Arezzo (certains diront que j´ai beaucoup d´imagination... c´est vrai).
Il n´y a pas de monotonie dans ces réalisations, les niches que l´artiste ménage dans le bois et qu´il rebouche pour en créer d´autres en font une oeuvre en perpétuelle évolution, non seulement les niches existantes mais la trace des anciennes recouvertes de fragments de toile agrafés. Le tout (toile et agrafes) unifié sous la cire fait de chaque tableau un champ topographique et archéologique, l´oeil peut se perdre de longues heures dans ces accidents de terrain subtils et ces infimes nuances de couleurs. Le terme de "métaphysique" qu´utilise Gilles Altiéri, commissaire de l´exposition et directeur du lieu, convient bien, à mon sens, à cette oeuvre à la fois surdimensionnée et sous-colorée, grands objectifs mis en oeuvre à petits moyens, un terme sans doute mieux adapté que celui d "alchimister" isqué un peu plus loin.
Je suis plus sensible à la qualité du travail qu´à l´histoire personnelle de l´artiste (des artistes) qui me semble prendre trop d´importance aujourd´hui, le fait que Lawrence Carroll économise et récupère jusqu´aux petites coulures de cire parce qu´il est issu d´une famille pauvre ne me semble pas ajouter grand chose au résultat.
Le soir du vernissage, comme toujours, il y avait des contre, des pour et des indifférents fidèles aux petits-fours. Les critiques tournaient principalement autour du fait que c´était du déjà-vu qui fonctionnait encore, comme une recette éprouvée. Elles émanaient de personnes au fait de ce qui se fait et peut-être blasées d´avoir trop vu.
A l´autre bout de la chaîne vient celle (la critique) des surpris pour n´avoir pas vu assez, au premier rang desquels on peut citer ce journa-liste local (Var Matin du 6 décembre 2007), dont l´article intitulé Le mois du blanc à l´Hôtel des Arts s´apparente plutôt dans sa forme et son expression au registre grande surface de vente (super, hyper et autre méta - marché), qu´à la critique d´art. Il me semble que pour rendre compte au public (travail de journaliste) de quoi que ce soit, il convient d´avoir un minimum de formation ou de connaissance dans le quoi-que-ce-soit en question (déontologie de journaliste), et ne pas seulement réagir selon les critères du j´aime - je n´aime pas : parler d´ennui et de désespérance indique un regard superficiel et circulaire jeté sur les oeuvres qui ne sont pas seulement des panneaux de bois comme il est dit, mais le plus souvent des toiles sur panneaux. Pour voir il convient de regarder. Faut-il rappeler que le Carré blanc sur fond blanc de Malévitch a déjà très précisément 90 ans (quatre vingt dix, oui, presque un siècle), et nous en sommes encore à regarder ses dérivés comme les productions d´extra-terrestres ?
Faut-il rappeler également l´anecdote de Picasso qui, au cours d´un vernissage de ses oeuvres, se trouve à côté de deux dames qui ne le connaissent pas, l´une dit à l´autre : pour moi c´est du chinois, et Picasso se tournant vers elle : Madame, le chinois, ça s´apprend.
Supposons une exposition de calligraphie chinoise. Que dirait le critique non averti ? : C´est illisible!


Antoine Simon


Lawrence Carroll du 8/12/2007 au 27/01/2008 Hôtel des Arts
236, Bd du Maréchal Leclerc
83000 Toulon
Tel 04-94-91-69-18
Ouvert tous les jours de 11 H à 18 H
sauf lundi et jours fériés



Lawrence Caroll - Hôtel des Arts


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Eric Samakh  Galerie V F



La jeune galerie VF propose la dernière entreprise d´Eric Samakh qui, depuis vingt ans, explore l´espace géophysique des barrières de sons dans la nature. Enseignant à l´Ecole d´art d´Aix, l´exercice de la parole lui est coutumier, il excelle à agir par rebondissements, à shunter sur des lignes de fuite afin de creuser d´autres perspectives dans les sous-bois de la pensée. Il trace son chemin dans le dédale des aménagements piétonniers et l´art de la prosodie du tourisme vert, de la promenade idyllique dans des lieux tressés et coiffés par le peigne de l´investigation et de la dévastation humaines. L´artiste habille, taille et pointe un usage de la lecture de la nature. L´art d´ensemencer, de disséminer, d´opérer des sélections, indique un soin pour l´environnement et écarte cette pratique du land art.
Nous l´avons interrogé au sujet de la Zone de bruit, l´intitulé de la proposition. Aucune mystique de la virginité ne l´anime, à part qu´un psoriasis le dévore dès qu´il est exilé de la forêt, loin de sa machinerie (4 x 4, tronçonneuse, pelleteuse mécanique) et de son biotope principal.
Il habite en Haute Provence, se procure les dernières vues satellitaires de la partition du territoire, consulte à la fois un savoir ancestral sur les herbiers et bestiaires et les dernières cartographies mises à jour tel un ensemblier, un retoucheur du monde sauvage qui crée des dispositifs langagiers, un lexique qui déjoue l´ordre muséal, la taxinomie du classement et de l´acclimatation.


Pin Sylvestre

Question : Comment peux-tu nommer ces dispositifs ?

Eric Samakh : Se remettre à la photo. Je n´avais pas exposé de photos depuis vingt ans. J´ai l´habitude de faire des pièces qui parlent d´elles-mêmes : plans d´eau, flûtes solaires. Là, tout n´est pas à lire facilement.
On a fait de la photo aérienne. Au départ, je n´ai pas un projet arrêté. Tant que j´ai du temps, je produis le projet en m´adaptant. Le tronc et la vidéo n´étaient pas prévus.

Q : Combien de temps pour l´élaboration ?

E. S : Obligatoirement trois mois. C´est lié aux expériences antérieures. Début des années 90, avec les bambous à la galerie des Archives, je monte Zone de silence, j´envahis l´espace de la galerie avec les bambous vivants. Ce terme "zone de silence" vient de la gestion des parcelles forestières : des zones sont parfois clôturées et interdites au gros gibier, des zones où on laisse pousser la végétation naturelle. Les bambous sont utilisés au Japon pour isoler du bruit de la rue, les bambous produisent un bruit blanc par l´assemblage des feuilles.

Q : Est-il possible que ton travail soit acheté par des collectionneurs et non pas des institutions ?

E. S : Nous n´avons jamais vendu d´œuvre de ce type.
Il y a des partenaires plus ou moins actifs ou dormants. Soit une institution comme l´ONF, l´Etat, une mairie, me commandite une zone de silence ou des propriétaires privés qui investissent dans le bois de coupe et ne font rien de leurs biens.
J´ai 54 espèces de bambous chez moi, je peux conjointement récolter des images, des vidéos, des graines. J´ai là un décor vivant dans lequel je peux déambuler. Les photos qu´il y a dans l´expo sont des récoltes. Je plante les bambous pour modifier le paysage sonore.
Fort de mon expérience de terrain (j´exploite 28 ha de forêts), je me définis ni comme géologue ou arpenteur mais en tant que forestier. Je possède le matériel d´une petite entreprise forestière, je peux sillonner les chemins avec mon 4 x 4.

Q : En pénétrant dans la galerie, un arbre fraîchement écorché surprend le visiteur. En se penchant, en s´agenouillant, l´on entend la musique d´une source, un bruit d´eau. Comment as-tu procédé ?

E. S : La vitesse de réalisation est un facteur déterminant. J´ai repéré l´arbre, l´ai coupé, descendu de la forêt, écorcé et détourné. Pour le sonoriser, j´ai utilisé un transducteur. Ce que j´ai collé à l´arbre, c´est comme un moteur de haut-parleur. Un objet qui reçoit des signaux acoustiques met en vibration une membrane qui fait vibrer l´air mais c´est le tronc qui sert de transmetteur. Un vieux travail de Laurie Anderson "La table" utilisait déjà cet appareil qui permet de sonoriser une vitre par exemple, une table où on met les mains aux oreilles et on entend la musique.
En métamorphosant la salle Pièces d´eau, j´amplifie le son. Le terme de Zones de bruit est venu de la zone de silence.

Q : Ta façon de retoucher la nature n´est-elle pas par essence provisoire et précaire ?

Après l´expérience de Vassivière (où Samakh est intervenu : après un défrichage manuel réalisé à l´automne 2002, arbres et arbustes (54 espèces) sont plantés sur une parcelle d´un hectare et demi. La biodiversité générée par cette plantation mixte devait modifier et a modifié le paysage sonore de l´île de Vassivière), j´ai acquis une connaissance de la trouée. La monoculture d´une espèce étant une pauvreté, en dégageant une zone grâce et à cause de la tempête, du feu, de la présence de l´homme, l´on s´aperçoit que la zone ouverte est beaucoup plus bruyante. En ouvrant une clairière, on débouche sur la richesse. Jaillissement naturel que l´on peut réguler, observer. Il y aura une pression démographique énorme, de jeunes conifères se développent très vite grâce à la lumière.
La gestion d´une clairière a plusieurs fonctions, les troncs coupés peuvent être vendus ou utilisés pour faire des fassines ou dans les Landes des ariales. La clairière est un début.

Q : Je voudrais t´interroger sur ton rapport à la botanique, sur l´évolution de l´espèce et des espèces.

E. S : J´étais davantage féru en entomologie, c´est-à-dire les animaux. L´œil s´acère en milieu naturel. Touche mes mains ( l´épiderme est crevassé non pas par le manche de la cognée mais par le prurit nerveux).En travaillant dans les bois, dans mes bois, j´ai pensé et je pense aux Indiens d´Amérique qui font des brûlis, se bricolent une bicoque, c´est comme si je commençais à m´installer comme trappeur, pour ma tribu.


Propos recueillis par Emmanuel LOI


VF galerie
15 boulevard Montricher
13001 Marseille
Tel : 06-08-52-94-17



Eric Samakh  Galerie V F


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Luminy voudrait converser avec Cantini



Gri-Gri montagne

Les expositions collectives sont souvent des pis-aller, les bonnes intentions ne donnent pas fréquemment des résultats faramineux. Voici peu directeur à Luminy, aujourd´hui respon-sable de la Fondation Maeght, Michel Enrici sait parfaitement que le temps perdu ne se rattrape pas. Jusqu´au début des années 80 quand Viallat, Kermarrec, Jaccard, Tony Grand, Marcelin Pleynet ou bien Yves Michaud enseignaient à Luminy, des rencontres ou bien des commissions d´achat s´improvisaient, les frontières étaient moins rigides, la donne était mobile. Grâce à des personnes comme Marielle Latour et Daniele Giraudy, des échos directs de ce qui se pratiquait dans l´école de François Bret trouvaient prolongements dans la programmation du Musée Cantini.
Après quoi, malgré les actions indéniablement positives menées voici déja longtemps par Germain Viatte et Bernard Blistène, les échanges entre les deux institutions se révélèrent beaucoup plus rares, les distances s´accrurent. La sociabilité et la courtoisie de-viennent minimales, les abords de la rue Paradis ne ressemblent pas aux calanques. Chacun suivit sa propre pente, l´éloignement et l´incompréhension réciproque prévalurent. Dans son texte de présentation de l´exposition, Michel Enrici propose un raccourci pour tenter de comprendre comment chacun ne s´intéressa plus véritablement aux activités de son voisin : "le fil s´est rompu comme se rompent les fiançailles... le territoire de l´art contemporain jubilant des années 60, 70 et 80 à Marseille s´est laborieusement efforcé de rejoindre par des effets de programmation le désenchantement du monde".
Pour cette exposition qui voudrait renouer le fil antérieurement perdu, Michel Enrici a regroupé des travaux de 26 artistes qui furent à Luminy "parfois des élèves, parfois des maîtres, ou successivement l´un et l´autre". Des ultraconnus, des anciens et des plus tout à fait jeunes : Viallat, Jaccard, Skoda, Traquandi, Jacqueline Guillermain, Marie Ducaté, Della Noce, Klemenciewicz ou bien Philippe Turc. Dans cet aéropage, presque personne n´est oublié, hormis quelques-uns comme par exemple Jean-Jacques Surian qui ne fut pas souvent invité à Luminy mais qui pouvait pourtant parfaitement figurer parmi cette nomenclature.
Pour esquisser dialogue entre les enseignants d´aujourd´hui et les maîtres d´antan, une régle de jeu plus ou moins lourdingue est proposée. Chaque protagoniste est invité à choisir parmi les collections des musées marseillais une manière de fétiche, une pièce qui le motive particulièrement. Viallat annexe un tableautin de son compatriote Chabaud, Boyer cite Hopper, Judith Bartolani médite Antonin Artaud. Le rez de chaussée de la rue Grignan reste vaste, l´occupation du sol est un problème. Pour remplir la jauge et multiplier les stratégies de distinction et les clins d´oeil, Theodore Deck ou bien Sol Lewitt, Giacometti, Matisse, Chanel, Man Ray, Finsonius, Loubon, Vostell ou bien Brauner ont été appelés à la rescousse.


En finir une fois pour toujours


Mezzapelle, Mettray
et Richard Baquié

Verre à moitié vide ou bien moitié plein, cette exposition peut se révéler pâlichonne, ou bien ici et là, intéressante. Plutôt que de faire une fastidieuse revue de détail et pour ne pas pratiquer l´acharnement thérapeutique, on saluera trois ensembles immédiatement convaincants. L´espace d´ordinaire sans saveur de la cour intérieure du musée est remarquablement rafraîchi par une installation parfaitement ironique de François Mezzapelle qui rassemble la meute débonnaire de quelques-uns de ses volumineux personnages en polyester stratifié. Comme de coutume, ses créatures impavides refusent placidement les bavardages, les tremblements et les affects.
Dans la grande salle on s´égare parmi les feuillets et les couvertures de la revue Mettray qui fait voisiner les photos de son responsable Didier Norin, la tombe de Jean Genet, Ezra Pound, Roman Opalka, Kostas Axelos, Pasolini et Bernard Plossu. "Pour ne pas en finir" avec les disparus dont les manques seront toujours ressentis, on s´attarde en face d´un grand format de Jean-Louis Delbès, on revisite une pièce mixte de Richard Baquié, une sorte de désastre contrôlé, l´assemblage redoutable de diagonales mazoutées, de morceaux de pneus éclatés et de lettrines rafistolées.


Alain Paire


Musée Cantini
19, rue Grignan 13006
04-91-54-77-75
du mardi au dimanche de 10 H à 17



Luminy voudrait converser avec Cantini


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Natacha Lesueur  Maison de la Photographie



sans titre

Je suis folle de ta bouche de fraise


Natacha Lesueur expose jusqu´au 16 février, à la Maison de la Photographie de Toulon des tirages photographiques choisis parmi plusieurs de ses séries (les dormeurs, les bouches, les ongles, les purées, etc. )
Les images de Natacha Lesueur sont précises, professionnelles. Ses compositions raffinées reprennent les techniques de la photographie publicitaire. Ses références sont les photographies populaires de mode, de pochette de disque, de sujets connus. "Je mets d´abord en place un cadre rassurant", nous avoue-t-elle. Ses grands tirages photographiques sur baryté ou ilfochrome sont perfectionnistes et l´impact visuel de ceux-ci repose sur l´opposition provoquée entre cette esthétique très maîtrisée et une mise en scène souvent incongrue. "La séduction, la sophistication (...) participent à la constitution d´un piège visuel", nous explique-t-elle.
La nourriture apparaît, chez l´artiste, comme l´élément inattendu. Elle s´approprie les aliments leur conférant une fonction autre, celle de la parure ou du paysage. Destructrice d´illusions, Natacha Lesueur révèle les tabous liés à la nourriture. Elle interroge ce que Didi Huberman nomme "Les paradoxes de l´œil vorace".
Ses images léchées qui semblent faites au premier abord - comme toute image publicitaire - pour être consommées sont finalement indigestes. "Je joue sur l´appartenance à la même famille de la nourriture et du corps (matière vivante, chair) mais la mise en rapport des deux, par l´opposition de l´une sur l´autre, (la nourriture sur le corps) débouche sur une mise en scène de l´échec de l´assimilation de l´un à l´autre." Ses œuvres interrogent les conditions liées à notre "ex-istence" pris dans son sens étymologique d´être à l´extérieur. J´existe dans le temps parce que je mange. La façon dont je me nourris, détermine la façon dont j´apparais. Les sourires de ses portraits sont constitués d´aliments : grenades, haricots, fraises. Ses images révèlent les liens qui unissent la chair à l´existence.
Au-delà de la seule question de l´apparence, l´artiste interroge les conditions de visibilité et de présence de l´être humain. Ici, la citation de Paul Valéry " Ce qu´il y a de plus profond en l´homme, c´est la peau" prend tout son sens. La peau donne à voir, bien plus qu´elle ne masque. La série des dormeurs où la peau, porte l´empreinte de feuillages en est un exemple. La peau devient surface d´inscription, support de mises en scène. Si, celle-ci est généralement marquée par des signes identitaires, tels que rides ou tatouages, ici les corps sont marqués par le pouvoir du monde qui les façonne.
Ces empreintes ressemblent aux cas de dermographisme, définit par les médecins Charcot et Briquet au XIX° siècle en tant que symptôme d´hystérie. il s´agit de la particularité de certains corps de femmes que l´on nomme "corps-clichés" qui gardent l´empreinte des traces du toucher de l´autre. Ainsi les médecins traçaient des lettres sur le dos de certaines patientes qui développaient une sorte d´urticaire de réaction formant une écriture lisible. Cette notion d´impressionnabilité où la peau s´y écrit "sur" elle-même, parce qu´elle est habitée par le regard de l´autre est développée dans le dernier livre de Georges Didi Huberman, l´image ouverte*. Comme les photographies de Natacha Lesueur, le dermographisme n´est pas un simple effet de surface, mais un symptôme du regard de l´autre ; Les corps révèlent leur inscription dans le tissu du monde.
Entre fascination et répulsion, l´artiste nous offre des portraits fragiles, vulnérables. Loin des portraits magnifiant la force et la puissance des sujets représentés, renforçant ainsi leur position sociale ou mondaine, les portraits de Natacha Lesueur sont en quête d´une identité, ils sont représentatif d´un XXI° siècle cherchant à révéler ses contradictions, ses faibles-ses.
Elle cultive le simulacre pour mieux dévoiler les subterfuges auquel il recourt. Elle révèle combien il est facile d´usurper des identités toutes faites, combien nous sommes habités par l´hypocrisie mensongère de nos images quotidiennes, combien le décalage entre ce que l´on ressent et ce que l´on donne à voir est grand, combien l´écart entre ce que l´on est vraiment et ce que l´on montre est abyssal.
La force de ces images est bien là, dans cette capacité à faire apparaître le cachez ce que je ne saurais voir comme le nez au milieu de la figure, dans cette facilité à divulguer l´évidence de la faille entre être et apparaître ; aujourd´hui, à l´heure du corps modelable, de la chirurgie esthétique, des changements de sexe, des transplantations, des clonages, où cette dimension de rupture semble se renforcer.
Natacha Lesueur comprend profondément l´histoire du féminin, de l´autre, l´éternelle muse si souvent regardée et représentée ; le genre qui développe au cours des siècles des symptômes comme le dermographisme ou les maladies liées à l´alimentation.
L´artiste réussit à créer des images contradictoires, miroirs des illusions du monde contemporain. Ses portraits sont parmi le fatras des images consommées et consommables des œuvres qui nous interrogent.


Françoise Rod

* Georges Didi Huberman, le sang, le sens et la sentence in l´image ouverte, Gallimard, 2007


Maison de la Photographie
Rue Nicolas Laugier
Toulon
04-94-93-07-59

ouvert du mardi au samedi de 10 H à 12 H 30 et de 13 H 30 à 18 H



Natacha Lesueur  Maison de la Photographie


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Eve - Rêves Espace Peiresc



Tomas Lips (The Star)


L´exposition Eve-Rêves présentée à l´E.S.P.A.C.E Peiresc met en avant de manière didactique la représentation de la femme dans la préhistoire. L´exposition est réalisée en partenariat avec le Musée de préhistoire des Georges du Verdon Quinson et le musée Terra Amata de Nice. Toutefois l´intention derrière ce concept d´exposition laisse perplexe.
Mettre en place une exposition interdisciplinaire devrait être l´aboutissement de dialogues, d´interrelations et de réflexions permettant une rencontre, donnant à voir l´émergence d´une proposition qui fait éclater les frontières entre les disciplines.
Qu´en est il de ce travail souterrain dans l´exposition Eve-Rêves ?
Il y a une dichotomie entre l´histoire et la pré-histoire et les deux salles d´expositions de l´E.S.P.A.C.E Peiresc renforcent cet écart. Dans la première salle, un ensemble de petites figurines féminines préhistoriques témoignent des différentes phases d´évolution de l´humanité. Les rondeurs des corps féminins magnifient les qualités de fécondité et la dimension sacrée de ces vénus reste mystérieuse. Ces moulages sont présentés dans des caissons en verre de musées d´histoire naturelle. Quelques œuvres contemporaines s´intercalent dans ce parcours; dont une sculpture de Niki de Saint-Phalle, et une autre de Sacha Sonos dont les contours suggèrent la vénus de Milo en taille réelle, scénographiée entourée de petites Vénus, ce qui rend l´ensemble assez anecdotique.
La seconde salle présente majoritairement des photographies contemporaines dont plusieurs œuvres provenant de différentes collections privées ou des Fracs. Des artistes locaux et majeurs se côtoient. Les représentations de la femme survolent un siècle d´histoire, ce qui donne des points de vues très éloignés les uns des autres.
Il peut s´agir de représenter une époque comme celle des années vingt avec Man Ray dont les modèles Natacha et Dora Maar présentent la vision d´un idéal plastique épuré et surréel. Patrick Raynaud pose un questionnement sur la peinture à partir du tableau d´Ingres "Mademoiselle Rivière". Il décompose l´image en cartes postales disposées sur un présentoir. Deux grands autoportraits d´Orlan se référent aux figures précolombiennes, un travail qui questionne les standards de beauté au sein de différentes civilisations.

Balkan Erotic Epic

Le face à face entre l´œuvre Vidéo "Thomas Lips" de Marina Abramovic et la reproduction en cire grandeur nature de Georgina une femme ayant vécu il y a environ 1 à 8 millions d´années pose problème. Dans ce contexte d´exposition le sens de l´œuvre d´Abramovic est complètement évacué. Car ici la majeure partie des représentations de la femme se rassemble autour de préoccupations formelles et esthétiques. On est loin des questionnements politiques de l´artiste Yougoslave des années soixante-dix. Thomas Lips (L´Étoile), relate une performance réalisée en 1975. L´artiste trace une étoile sur son ventre à l´aide d´une lame de rasoir. Elle accomplit cette action avec peu de gestes renforçant ainsi l´effet dramatique. Le corps, étant la dernière frontière de dépossession individuelle devient ici le territoire d´une inscription ultime. Elle questionne la responsabilité du regardeur, son attitude face à la violence.
L´œuvre vidéo d´Abramovic présentée dans le contexte de l´exposition Eve-Rêves, fait resurgir la mémoire de la grande Déesse préhistorique et celle de Lilith la première femme d´Adam qui selon la tradition kabbalistique a été rejetée dans l´abîme parce qu´elle s´était rebellée.
L´utilisation d´œuvres contemporaines dans des expositions à caractères pédagogique grands publics pourrait être moins illustrative. En effet il serait judicieux de veiller à ce que le sens des œuvres ne soit pas détourné de leur fonction première.


Madeleine Doré


Eve-Rêves préhistoire-art contemporain
9 octobre 2007 au 27 février 2008

Espace Peiresc
Rue Corneille
83000 Toulon
Tel 04-94-91-67-11
Fax 04-94-24-56-51


Eve - Rêves Espace Peiresc


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Bernard Plossu et Patrick Sainton



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L´Art du Gris


La Non Maison, située dans un petit immeuble de deux étages, est un lieu d´expositions, de rencontres et de partages. Des conférences, des conversations autour des arts visuels et de la littérature relaient des propositions d´expositions singulières aux accrochages renouvelés. Des CD audio enregistrant les conférences, un cahier sobre témoignant des événements et un fonds d´œuvres complètent le dispositif. Michèle Cohen pour qui la galerie est attenante au lieu de vie tient à ce mélange reprenant l´ancienne vocation du salon mais indemne de toute mondanité.
Cette fois ci, ce qui nous est proposé est de l´ordre du collage et de l´assemblage. Bernard Plossu, un photographe et Patrick Sainton, un peintre, ont cherché des échos et des équivalences issus de leur amitié et du regard qu´ils portent sur leur œuvre respective. Ainsi, de nombreuses photos de Plossu ont-elles été faites sur le parcours de l´atelier de Sainton et dans sa maison. Quant au peintre, il a ressemblé un matériel entrant en résonance avec les sensations propres à la photographie de Plossu. Ce dialogue prend souvent la forme de faux diptyques dont les liens sont des appels.
Il y a chez Plossu et Sainton une même sensibilité aux gris, aux lumières usées et à l´indistinction. Le gris, c´est la poussière, la cendre aussi des rites eschatologiques organisés par Sainton autour des grandes figures de la littérature, mais c´est aussi la pulvérulence du grain, le bougé, l´essuyé et le furtif qui font des photographies de Plossu des apparitions brèves dont la trace et le sillage restent profondément creusés. Il m´est arrivé de réserver certaines chambres d´hôtel de la corniche de Marseille rien que pour, au petit matin, y voir entrer par la fenêtre un énorme bateau cendreux, et je ne peux pas croiser une silhouette surprise au bord de la route dans les phares d´une voiture sans penser encore à Plossu. Art du peu pour tous deux qui partagent la même douceur et la même discrétion. Ce peu-là n´a rien de minimaliste parce qu´il n´est pas dogmatique. Il n´est ni réductif ni soustractif. Moins et plus ne font pas partie de sa dialectique. Il n´a pas pour entêtement l´économie. Il lui arrive même de laisser une place au superflu. Le peu est allusif, elliptique et l´on pourrait aussi bien parler d´un art de l´indice. Du passager aussi, que ce soit de l´effarement à l´effacement, comme dans le cas de ma silhouette, ou dans celui des stèles de Sainton, avec leur Vanité, leur provocation amoureuse adressée à l´orgueil fragile de la poésie.



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Photographies et peintures dialoguent avec des matières semblables, des masses équivalentes et les mêmes sensations lumineuses. Là où le photographe dessine, le dessinateur attrape une image. Ce qu´ils mettent en partage, ce sont des à-côtés. Sainton travaille dans les franges du dessin et de la peinture. Il regarde ce qui tombe : la chute, le déchet. De même Plossu enregistre, non pas le probant, mais là où le regard perd son objet de vue, à la limite de la disparition. C´est de l´activité quotidienne qui prend le tour de l´accident à moitié prévu ou du moins guetté. Cuisine, bureau, bibliothèque contigus à l´atelier pour Sainton. Pour Plossu, ce serait la chambre d´hôtel annexe de la rue. Voyager léger. Cet intérêt pour le décentrement, on le devine chez Sainton remarquant combien il observe les inclinaisons du corps de Plossu photographiant : le plus infime déport change toute la donne. Il suffit à la mise à jour d´ un territoire clandestin où l´œil peut enfin dérouler. Regarder juste à côté de ce qui est montré, c´est offrir l´alternative d´espaces qui n´ont rien d´autoritaire. Même les lectures de Sainton sont liminaire et marginales. Citations barrées, bribes de phrases. Le livre semble pour lui un objet trop péremptoire, intimidant. Alors Il le prend de biais. Regard coulis. La grande figure littéraire est traduite par taches, traces et son image est mordue par la corrosion. Glacis en adhésif transparent. Ce qui fascine aveugle et échappe. On entre aussi par la profanation.
Enfin, cette exposition est un hommage à l´amitié, celle qui amène Plossu dans le monde de Sainton, mais aussi celle qui a lié Sainton au poète Michel Crozatier. Les gens généreux, même généreux en peu et en apparemment pauvre, ne se refusent pas aux exercices d´admiration. Toute l´oeuvre de Sainton reprend ce titre de Cioran. Il y panse des survivants menacés, même en leur marchant un peu sur la figure. L´hommage et les dommages. La fêlure des aspirations ténues et grandioses.


Frédéric Valabrègue


Bernard Plossu et Patrick Sainton.
Du 12.01.08 au 29.03.08
La Non Maison
22 rue Pavillon. 13100 Aix-en-Provence


L´ART DU GRIS A LA NON MAISON


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Un autre soleil-Lumière et art sacré, XVème XXIéme siècle



anonyme


Sur le Cours Mirabeau, Barthelemy d´Eyck,
Henri Matisse et Aurélie Nemours.

On l´appelait "Le Maître de l´Annonciation d´Aix". Barthelemy d´Eyck fut longtemps quelqu´un d´insaisissable. Un être de papier, principalement repérable sur des actes nota-riés. Il fallut de l´audace et de l´intuition, une soudaine résurrection, des hypothèses farfelues, une bibliographie de plus en plus abondante (1) pour l´identifier et lui donner son nom de peintre flamand.

Prosper Mérimée, Roberto Longhi, Michel Laclotte et Carlo Ginzburg, des petites et des grandes mains - par exemple, un érudit avignonnais qui s´appelait, pareil patronyme ne s´invente pas, "L´Abbé Requin" - quelques-uns parmi les plus intrépides historiens d´art du vingtième siècle se sont penchés sur son énigme. Parmi ces derniers, à côté d´un chercheur japonais, Yoshiaki Nishino qu´il m´arriva de rencontrer sur le marché de brocante de la Place Verdun, surgit le souvenir d´ "un chasseur dans la nuit médievale" Charles Sterling, le découvreur d´Enguerrand Quarton. Privé d´emploi par les lois raciales de Vichy, ce conservateur du Louvre dont les parents étaient polonais fréquenta sur le Vieux Port Le Brûleur de loups, avant de s´exiler aux Etats-Unis.

On a fini par établir qu´originaire du Limbourg, Barthelemy d´Eyck traversa la Bourgogne et les Alpes, se rendit jusque vers Naples et séjourna durablement en Provence. Entre 1446 et 1470, il fit partie des favoris du Roi René qui appréciait grandement ses "pourtraitures". En ses demeures de Tarascon et d´Arles, le roi d´Anjou lui avait réservé un retrait doté d´un équipement conséquent pour qu´il puisse "besongner". Barthelemy d´Eyck fut l´auteur de l´extraordinaire "Portrait de 1456". Ce nomade travailla sur d´autres mé-diums, les historiens d´art estiment qu´il enlumina l´admirable manuscrit du "Coeur d´amour épris".

Son Annonciation fréquenta plusieurs domiciles. Avant d´être hébergé en 1803 dans le transept de l´Eglise de la Madeleine, ce grand panneau de peuplier d´1,55 x 1,86 fut installé sur la droite du choeur de la Cathédrale Saint Sauveur. Des expositions internationales lui permirent de séjourner à Paris, en 1904 et 1929. On l´aperçut à Londres en 1932. Il était au Louvre en février 2004, à la faveur d´une exposition qui reconstitua l´essentiel de son rétable, démembré bien avant la Révolution. Lui font cruellement défaut l´envers et l´endroit des volets qui le protégeaient, les Prophètes IsaÏe et Jérémie, une Madeleine repentie ainsi qu´une Nature morte avec des livres. Tandis qu´on restaure la nef de l´Eglise des Prêcheurs d´Aix, on l´aperçoit actuellement dans la galerie du Cours Mirabeau. Il est la pièce majeure d´une exposition consacrée à l´Art sacré en Provence.

Saint Mitre et les paperoles

L´apparition de l´Archange Gabriel, son dialogue silencieux avec Marie se déroulent à l´intérieur des travées d´un vestibule d´église. Gabriel surgit sous la terrasse d´un porche où l´on aperçoit Dieu le Père et deux anges célestes. La Vierge est agenouillée sous les arcs brisés, non loin d´un vase avec un grand bouquet de lys, de rose et d´ancolie. Ses cheveux sont dénoués. Elle porte un somptueux manteau, des brocards décorés avec de très riches végétaux. On aperçoit un lutrin surmonté d´une tête de singe, une housse de soie rouge qui contiendrait la Torah, des reliures ainsi qu´un livre enluminé.


Nicolas Froment

Sur la droite de ce grand tableau, un panneau de la même époque est attribué à Nicolas Froment, le peintre du Buisson ardent. Une vaste composition sur les bords de laquelle les Aixois prétendaient deviner les bâtiments du Palais comtal d´autrefois. Ce panneau récemment restauré par Monique Pomey reconstitue la via dolorosa du martyr Saint Mitre. Parce qu´il avait donné à des sans domicile fixe les raisins d´une vigne qui ne lui appartenait pas, Mitre est arrêté, emprisonné, jugé et condamné à mort. Sur la droite, un bourreau chaussé de grandes bottes et pour moitié désolé arbore la grande épée qui tranche la tête. Mitre porte devant lui sa décollation revêtue d´une auréole, s´éloigne jusqu´au bout des grands carreaux d´une vaste place et s´en vient présenter son effigie aux dignitaires d´un porche d´église. Une mauvaise bande des-sinée, une fausse note pas tout à fait dénuée d´humour perturbent les avant-postes du tableau. Une main beaucoup moins fine que celle de Nicolas Froment a malencontreusement ajouté en premier plan les silhouettes des sept enfants des donateurs.

Des reliquaires et du bois doré, des calices, des ostensoirs, des crucifix, des burettes et des santibelli complètent cette évocation de l´Ancien Régime. On s´attarde parmi les petites niches vitrées des paperoles. Des miniatures inlassablement fabriquées entre deux oraisons par les religieuses. Avec des enroulements de papier doré sur tranche, des fragments de miroirs cassés et de minuscules porcelaines.

Chapelle de Vence et Lutrin
de Diego Giacometti

Commissaire de cette exposition, Jean-Roch Bouiller rappelle dans l´introduction de son catalogue que cinq siècles après les Flamands et les Picards qui fomentèrent l´Ecole d´Avignon, les avant-gardes fauvistes et cubistes renouvelèrent le traitement de la lumière. Quelques échantillons sont rassemblés pour traduire les efforts des nouveaux interprètes. Sarkis n´est pas fabuleusement convaincant parmi les verrières de Silvacane. Sol Lewit, Arnal et Alberola oeuvrent avec des techniques mixtes.

Un lutrin de bronze sculpté par Diego Giacometti, deux messages bibliques de Chagall, une chasuble de Matisse et des études du chemin de croix de la Chapelle de Vence complètent cet inventaire. Le détour qu´il ne faut pas manquer d´accomplir, c´est une visite dans les parages de Mane et de Forcalquier. Au prieuré de Salagon, dans la proximité des ethnologues des Alpes de Lumière autrefois créées par Pierre Martel, on découvre les vitraux réalisés en 1997 par Aurélie Nemours. Du plomb et du rouge vif de sélénium.

(1) Un impeccable résumé des recherches à propos de Barthelemy d´Eyck a été établi par Dominique Thébault, commissaire et auteur en compagnie de François-René Martin et de Philippe Lorentz du catalogue de l´exposition "Primitifs français / Découvertes et redécouvertes" du Musée du Louvre, 2004.

Alain PAIRE


L´exposition "Un autre soleil/ Lumière et art sacré, XV°-XXI° siècles" est ouverte jusqu´au 30 mars, au 21 bis du Cours Mirabeau, Aix en Provence, Galerie d´Art du Conseil Général des Bouches du Rhône.
Tous les jours sauf lundi, de 10 h à 13h et de 14 h à 18h.
Catalogue avec des textes de Jean-Roch Bouiller, Agnès Barruol, Régis Bertrand et Marie-Claude Leonelli.



Un autre soleil-Lumière et art sacré, XVème XXIéme siècle


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Sophie Ristelhueber - Galerieofmarseille



Sophie Ristelhueber, Fait, 1992

Elevage de poussière


La photographie de Sophie Ristelhueber décèle dans du paysage ou du bâti ce qui révèle un corps ou le prolongement du nôtre. Ainsi une frontière. Ce peut être une limite abstraite pas du tout concrétisée par la nature ( la frontière "naturelle" ). Pourtant, à cet endroit critique pour le voyageur, le paysage peut vibrer d´une autre façon, sans doute subjective. Nous résonnons avec la limite assignée au lieu et celui-ci s´en imprègne. De même un seuil ou un pas de porte marqué par un changement de sols - un parquet, puis, dans l´embrasure, des tomettes - représente-t-il pour l´enfant découvrant la maison familiale un changement de monde, d´état, la perspective d´un nouveau rôle ou une menace. Les hommes ont incorporé des limites autoritaires à une terre ouverte qui en conserve les cicatrices et les brûlures.
Aller sur le terrain. Demeurer sur le motif. Sophie Ristelhueber se comporte comme un reporter. Elle photographie les ruines de Beyrouth, les effets dévastateurs d´un tremblement de terre en Arménie, les dommages de la première guerre du Golf. Mais ce qu´elle voit est intime et pénètre la matière. Elle désigne dans les bouleversements géologiques et politiques la continuité de la chair et de la terre, les lignes brisées qui courent d´une plaie à une fracture. Ce serait un témoin engagé qui verrait en artiste, dans le sens où, globalisant l´événement, prenant du recul par rapport à l´histoire immédiate, elle en concentre les sensations primordiales : non-sites, chantier d´ossements et de fouilles, paysages entropiques, tapis roulant des vivants et des morts, humus pétri de mémoire. Ce n´est pas seulement de l´ordre de la sensation : les avant-gardes des années soixante-dix, land art, arts corporel et conceptuel particulièrement, infléchissent son regard vers ce qui résonne avec eux. Le détail, le fragment, ce qui paraît détruit, éclaté par la folie des hommes est rassemblé, cautérisé, par une pensée de l´héritage où histoire de l´art, Histoire tout court et autobiographie intriquées travailleraient à recréer les tissus, effacer les crevasses et les barrières.


Sophie Ristelhueber, Eleven Blowups, 2006

La galerieofmarseille présente des œuvres anciennes dont certaines, très significatives, de la série Faits (1992), et nouvelles dont WB (2005), Blowups (2006) et Le chardon (2007). WB - west bank - montre certains aspects du morcellement et de la dislocation de la Cisjordanie. Routes détruites, tranchées ouvertes. Je disperse le corps d´Osiris. Je brouille les langues. Cassant la terre, je brise le peuple. Il n´y a pas d´oliveraies dont la limite ne soit pas marquée par un no man´s land où plus personne ne peut vivre ni cultiver. Politique de la terre détruite plutôt qu´elle puisse encore appartenir à ses habitants. Blowups, photographies sérigraphiées sur verre, présentent des routes explosées par le minage, les attentats ou la chute d´obus. Une route, c´est une circulation mais aussi un tracé, une limite. On se souvient de l´expression passer le pont, de ce que signifie le fait de traverser, d´amener de la divagation ou de la libre circulation dans un territoire balisé. Blowups, en phase avec le film, cherche dans une matière picturale floutée, dédoublée par l´ombre de la photo sur le mur : un hologramme de fumée..., les traces ou les effets d´un bruit, enregistre son ébranlement.
Enfin, "Le chardon" est la première réalisation vidéo de Sophie Ristelhueber. Celle-ci nous a ramené immédiatement à ses débuts, les photographies faites pour la Datar au début des années quatre-vingt. Commandité par l´état, elle avait autrefois exploré les grands travaux faits en France au nom de l´aménagement du territoire. Là, c´est pour le parc du Vercors qu´elle filme un surplomb de granit en un long travelling qui nous fait perdre nos repères et nous suggère un renversement vertigineux. Perte de l´espace ou redécouverte d´un endroit aveugle et intime inscrit dans la pierre et résonnant avec le dedans du corps. Sur ce travelling passant de la route au surplomb suivant une longue fracture, travail cyclopéen où il s´agit d´entailler la montagne, le comédien Michel Piccoli dit un texte de TolstoÏ, écrivain visionnaire s´il en est et d´une puissance sans égale. Nous nous souvenons alors de ce que les bolchéviks ont reproché à l´amour sensuel de la terre exprimé par TostoÏ : "Nous n´avons pas de grâce à attendre de la nature !" Et au nom d´un tel principe, on vous assèche la mer d´Aral !

Frédéric Valabrègue


Sophie Ristelhueber
Exposition du 26 janvier au 22 mars 2008
Galerieofmarseille
8, rue du Chevalier Roze 13002 Marseille


Sophie Ristelhueber - Galerieofmarseille


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La peinture cyborgienne des Riches Douaniers



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La peinture cyborgienne des Riches Douaniers


Marie -France Vô : Vos travaux sont différents de ce qu´on peut voir dans la plupart des lieux d´art. Quel constat faites-vous donc en ce début de XXIème siècle ?

Les Riches Douaniers : Nous sommes effectivement quelque peu en dehors des normes d´une certaine modernité. L´art conceptuel, Fluxus et leurs dérivés ont clos les grandes aventures du XXème siècle débutées par Duchamp, Malevitch et tous les autres. Et en ce début de XXIème siècle, les produits dérivés, le maniérisme à la manière du XXème continue de remplir une partie des lieux de création. Les organisateurs ont encore dans leurs oreilles les résonances de ce XXème siècle. Certes nous ne disons pas que le maniérisme est mauvais, mais nous inventons un autre langage.

M-F Vô : Le sujet de vos travaux ne semble pas non plus s´apparenter aux œuvres numériques qu´on a l´habitude de voir ?

RD : Un certain nombre d´artistes expérimentent les nouveaux jouets numériques, s´émerveillant comme des enfants devant leur première tache de couleur. A partir de 2000, création des Riches Douaniers, nous avons aussi expérimenté les différentes possibilités du numérique (expositions virtuelles, GIF, Flash, 3D, kaléidoscope ...). On peut voir une partie de ces premiers travaux sur notre centre de virtualité www.palaisdetokyo-2.com.
Mais un nouveau visage apparaît avec la puissance du numérique et une chose est sûre, les enfants et les jeunes adultes jouent et jouent et jouent. Dans les jeux, tous les mythes, toutes les vieilles histoires, se mélangent, se mixent. Leur identité historique est perdue. Dans le jeu, le joueur s´identifie aux héros qui n´ont plus de nom mais qu´une apparence générique. Le joueur devient un dieu d´un monde irréel avec son avatar. Il lui donne un nom, le façonne, choisit la couleur de ses yeux, de ses cheveux, la forme de son visage. Le joueur se construit ainsi une personnalité aux références imaginaires où le définissable n´est plus en mesure de se définir. Une nouvelle culture est née. Cette culture qui grandit avec ces accrocs, a oublié la renaissance européenne et ses nombreuses conséquences intellectuelles : manière de penser, organisation des idées. Cette nouvelle culture fait table rase des produits du XXème siècle.
Comme nous avons des racines dans ce monde de virtualité (l´un de nous est un spécialiste français du jeu de rôle), nous avons été embarqués dans cet univers mais avec le recul de la réflexion (l´autre est historien d´art par formation et connaît bien l´art du XXème siècle).

M-F Vô : J´ai pu voir sur internet que vous entreteniez l´histoire d´un héros. Est-il un personnage de jeu ?

RD : Nous avons créé notre propre personnage, comme dans les jeux, ni féminin ni masculin, dont nous alimentons l´aventure sur www.karapika.com. Et ce héros, protéiforme, emprunte son visage aux héros des jeux. Ainsi il devient reconnaissable par tous. Mais de plus, nous développons un travail appelé " HéroÏc Painting ", à partir de cette culture grand public, dont on peut voir des tableaux numériques sur www.karapika.com/slime et qui ne font pas partie de l´histoire de notre héros. Nous fabriquons aussi des machinimas, vidéos réalisées à partir du monde des jeux.
Dès le premier contact avec l´HéroÏc Painting, tout adepte du jeu n´est plus étranger au sujet et se sent dans son quotidien. On peut même élargir cette reconnaissance à tous ceux qui " subissent " cette nouvelle civilisation, sans être joueur.
Nous prenons parfois le réel pour modèle pour le réintégrer dans le monde virtuel du jeu. Actuellement nous réalisons même une série de portraits de Bill, chanteur de Tokio Hotel, car ce personnage est, par son apparence, une incarnation de ce monde.


titre oeuvre

M-F Vô : Votre technique qui semble très personnelle n´a-t-elle pas quelquefois des échos avec la peinture ancienne ?

RD : Nous avons mis au point une technique numérique que nous appelons " CyborgPainting ", précédemment nommée " Slime ". Nous utilisons un périphérique de saisie pour peindre notre HéroÏc Painting, mais sans singer la peinture traditionnelle, sans nous suffire des outils automatiques du numérique, ce que pourrait faire un adepte de Duchamp, héritier du XXème siècle. Pour nous, le stylet manipulé transmet la pensée à la machine avec le pouvoir du numérique pour malaxer une matière faite de millions de pixels. Ainsi, comme dans la peinture ancienne, l´humain est présent, semble échapper à la machine et s´introduit dans la richesse de l´imagerie numérique. La machine ne fait que saisir avec une acuité extrême la pression, la rapidité, la précision du geste qui s´immisce, parcourt, se faufile dans les méandres des pixels. Une nouvelle peinture qui s´affranchit de la matière traditionnelle naît sur l´écran pour écrire avec la matière lumière. Nous sommes en face d´une peinture " améliorée ", celle de peintres cyborgiens démiurgiques (sourires). On va finir par une phrase mi-sérieuse mi-ironique : les limites de la finitude humaine sont repoussées toujours plus avant par la CyborPainting.

Propos recueillis par Marie-France VÔ


Galerie J-F Meyer
04-91-33-95-01
janvier 2008


La peinture cyborgienne des Riches Douaniers


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Galerie des Ponchettes - Sophie Menuet : un fascinant dégoût



Photo Alexandre Roche


Il n´y a sans doute pas de moment plus heureux pour la critique que celui de l´émergence d´une œuvre. Assister à la formation d´un univers ou d´un climat singulier, voir se constituer, à quelques mois d´intervalle, l´unité et la cohérence d´un propos est surtout par les temps qui courent - la production fixant de plus en plus son calendrier - quelque chose d´assez rare. Tel est le cas de Sophie Menuet. Après une exposition au musée et à la galerie des Remparts de Toulon l´an dernier et une brève apparition à la Galerie du Tableau à Marseille, c´est au tour de la galerie des Ponchettes à Nice de présenter son travail. Le titre de la manifestation : " Mise en pli " laissait craindre le pire. Mais l´exposition n´a rien d´un Beauty parlor et les pièces présentées d´un Brushing artistique. Dans le petit ouvrage publié en marge de la manifestation (et de l´horrible catalogue commis par la galerie des Ponchettes) les lignes suivantes, revues et corrigées pour le Sous officiel, cherchaient, à en interroger la complexité :

Bien des créations de Sophie Menuet font songer au temps où les aventures de la princesse Minon-Minette et du prince Souci étaient lues avec transport par les fans de l´Abbé de la Porte et de Madame d´Aulnoy, quand " Il était une fois... " conduisait tout droit, à mots délicieusement convenus, de tendres feux en plaisirs charmants, au parfait bonheur de la dernière page. Mais cet édifice de verre brodé et d´étoffes transparentes, ce falbalas de satin aussi léger, aussi chantant que Les Folies françaises ou Les gris vêtus de François Couperin, ces broderies scintillantes, comme les houppes que Watteau aimait à peindre, au détour des fourrés de Choisy, sont sans nostalgie pour la fête galante.
L´ouvrage de Sophie Menuet ne nous conduit pas à l´île de Cythère. Son horizon n´est pas celui des Divertissements champêtres, excepté quand une main gantée de blanc, une main de couturière et d´embaumeur, pare de fleurs blanches, le Torse fleur (2007) d´un garçon couché dans l´herbe, à la limite indécise d´un rituel funèbre et d´un jeu d´enfant. Même si elle aime filmer la danse un rien mélancolique de beaux et lourds cupidons voluptueux emmaillotés de rose, l´ajustement qu´il bâtit combine toujours deux effets inverses : l´un qui incline vers la féerie d´un corps-vêtement, l´autre vers l´étoffe inquiétante de fragments cousus comme à même la peau, avec la peau elle-même.
L´île aux Délices ou le Jardin des supplices (ou les deux en un) de Sophie Menuet est celle à laquelle nous abordons, chaque fois que nous saisit l´attrait d´une sorte de peur. Nous aimons la bonne-grâce, le demi-castor ou le masulipatam parce qu´ils appartiennent aux mots et aux modèles d´un autre temps, comme s´ils recouvraient sous leur dehors charmant une réalité double, fascinante et repoussante à la fois. Nous nous laissons happer par leur délicatesse, par la beauté de leur agencement, par la légèreté et la finesse de leurs textures mais nous sommes en même temps horrifiés à l´idée qu´ils sont aussi porteues d´une forme d´abjection. Le succès des films et des livres consacrés à Marie Antoinette réside dans ce mixte instantané de beauté et d´horreur. Devant les Corpspiqués, 2007 présentés aux Ponchettes je ne puis pas oublier ce mélange de fascination et d´angoisse qui m´envahit chaque fois que je visite une exposition de vêtements. Je ne cesse de me dire : des corps ont été touchés par cette douceur, des mains ont froissé ce tissus, l´aiguille qui les a surfilés est passée à cet endroit, la caresse des amants l´a effleuré, l´empreinte de la vie s´est déposée là, à l´endroit même où la vie s´est absentée. Sous la splendeur des tissus la mort continue de porter ses défroques. Les corps cousus de Sophie Menuet sont à la fois en majesté, éclairés comme les châsses d´un trésor et l´anatomie qui est la leur est celle du dégoût.
Comme Marie-Ange Guilleminot, Sue Williams, Kiki Smith ou Martin Margiella, Sophie Menuet n´interroge pas seulement les relations du corps au vêtement et de " l´art au corps ", elle s´attache à mettre en œuvre notre proximité d´avec la dépouille et à la transformer en un motif autonome et lumineux. Les objets qu´elle crée portent la trace de certains films - entre Rebecca et Gertrud - qui donnent l´impression que le vêtement des protagonistes ne fait qu´un avec eux , comme cette étrange Vierge de Miséricorde dégoulinante (appelée Petites gouttes, 2007) le buste dressé au dessus d´un océan de velours noir.
Dans l´œuvre de Ralph-Eugen Meatyard, souvent, les enfants du photographe, apparaissent perdus dans la contemplation d´un objet invisible. L´une de ces images montre un petit garçon, au milieu d´un champ d´herbes hautes penché sur un dôme de lumière irisée comme Meatyard lui-même sur les lentilles de son cabinet d´optique ou bien il affuble ses proches de masques de Thanksgiving. Ainsi m´apparaît Sophie Menuet, à la lisière des maisons en ruine et des arcanes du rêve, vêtue d´un étrange linon : " sorte de mousse d´or moitié touffe de soie, moitié fourrure de chat ", comme l´écrit Proust, penchée sur ses coupons magiques. Il arrive que les " objets fées " qui sortent de ses mains, dans l´atelier-caverne où elle les cultive produisent le même saisissement. Je pense notamment à ces lentillons ovales qu´elle appelle des Dentelles de verre, brodées d´un treillis d´arabesques blanches qu´elle dispose sur le nu du mur tels des vœux dans les églises d´orient.
Toutes ces oeuvres sont des sortes de créatures de soierie et de verre soufflé qui oscillent entre la dépouille d´un corps, des médecines d´un autre temps et la chair d´un vêtement cousu à même la peau comme la robe rose de Marylin. Il y a dans ces enveloppes d´organdi le spectre d´un personnage que l´on n´ose à peine imaginer, marqué par l´ambivalence d´un corps désiré et cousu au revers d´un écorché comme le vieux manteau de velours noir de la mère de Jean Santeuil transformé en sujet d´effroi : " bordé d´aiguillettes, doublé de satin cerise et d´hermine, qui, meurtri par la violence du coup, entra dans la chambre au poing de Jean comme une jeune fille saisie aux cheveux par un guerrier. "


Photo Alexandre Roche

Je regarde en écrivant ces lignes un objet cousu par Sophie Menuet. C´est une sorte de mule enfantine recourbée en pointe à son extrémité. L´ouverture gansée retenue par le même fil noir qui étoile son tissus, un œil facetté à la boutonnière, laisse passer un doigt, qui ne peut pénétrer plus avant. J´hésite entre la ballerine, l´étui pénien, le bijou ou quelque braguette maniériste avantageusement érigée dans son logement de soie comme dans le Portrait de Ludovico Capponi peint par Bronzino et les sex-toy S.M. dont raffolait Casanova. Sa teinte est indéfinissable, couleur chair, couleur de louvet, d´églantine, d´isabelle et de nymphe émue. Je sais que jamais petit pied ne se glissera dans son cornet, sauf à imaginer comme les frères Grimm, le conte de cette mère folle de chagrin qui boulangea des chaussons en pain pour que son enfant mort ne gagne pas le paradis en va-nu-pieds.
Les objets-vêtements de Sophie Menuet inventent une anatomie qui emprunte beaucoup à la stratégie de la moufle, autrement dit du gant sans séparation entre les doigts sauf pour le pouce. Dirais-je que cette bizarrerie a troublé mon enfance ? Comme si contrairement aux adultes qui avaient droit à des mains entières, les enfants n´avaient la jouissance que d´une main entravée, une main à un doigt qui interdisait d´en détourner l´usage vers les plaisirs. Cette même main dont on trempait le pouce dans le bleu de Méthylène pour interdire qu´on le suça.
Face à ces sortes de corps habillés et partiellement emprisonnés dont plusieurs membres ont été solidarisés comme les doigts à l´intérieur de la moufle, nous réagissons comme s´il fallait coûte que coûte rétablir une fonction qui justifie l´aberration anatomique. Or Sophie Menuet laisse précisément cette hypothèse en suspens. Ses mules et ses corsets de dentelles, ses habits à la fois hypertrophiés et inaccessibles, ses objets ne coÏncideront jamais avec un corps à l´ouvrage. Le tissu surpiqué et les entraves, qu´elle a ménagée entre leurs lèvres entrouvertes, les protègent de toute espèce d´action. Ils vivent d´une vie indépendante de nos actes. La division entre corps et vêtement est sur eux sans effet.
Les cloches de verre que peint Sophie Menuet sont de même nature. Leur fonction recouvrante et protectrice, comme les habits, n´est pas plus efficiente. D´ailleurs, elles ne protègent rien. Comme les globes que le mobilier du début du siècle dernier aimait à multiplier dans les vitrines et sur les commodes, ces sous verres orbiculaires mettent en scène un espace prohibé. On ne touche pas plus au vide qu´ils défendent qu´au corps de femmes en noir plissé et surpiqué. Leur vision me rappelle ce passage de la Recherche, quand le narrateur évoque la façon dont : " les demoiselles de chez Gouache, quand nous venions faire une commande, m´offraient un des bonbons qu´elles avaient sur le comptoir sous des cloches de verre et que maman me défendait, hélas ! d´accepter. " Mais ils sont aussi l´image des interdictions et des dégoûts que le regard transgresse et sous leur verre grossissant, un lieu de métamorphoses. Les arabesques qui courent à la surface du globe projettent leurs ombres comme si dans leur abri transparent et réticulé de lumière Sophie Menuet cherchait à matérialiser un corps défendu, tels les " dangereux rubis " de la vitrine de cristal du salon de chez Swann.

Xavier Girard


du 18 janvier au 9 mars
Sophie Menuet
Galerie des Ponchettes
77, quai des Etats-Unis
06300 Nice
Tel 04-93-62-31-24


Galerie des Ponchettes - Sophie Menuet : un fascinant dégoût


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FESTIVAL LES URBAINES - LAUSANNE



Nicolas Tardy et Arnaud Miland - Crédit photographique Nelly Rodrigez


6 décembre 2007, venant de Marseille j´arrive à Lausanne (Suisse) pour participer, le soir même et le lendemain à la onzième édition du festival Les Urbaines (www.urbaines.ch), commencé la veille. Arnaud Mirland, musicien, venant du nord de la France, m´y rejoindra pour présenter notre travail commun de lecture-musique. Les autres intervenants sont principalement suisses et français, mais aussi américains, anglais, mexicains, belges, ukrainiens, finlandais.
L´année précédente le festival s´était accordé une pause afin d´interroger ses 10 ans de fonctionnement et a décidé de bousculer ses habitudes en multipliant les lieux d´interventions dans toute la ville (galeries associatives, bar-concert...). Bien que réparties en 3 grandes catégories (Arts vivants / Arts visuels / Musique) l´hybridité semble dominer dans le choix des interventions retenues par l´équipe du festival sous la houlette de ses directeurs Delphine Rivier et Patrick de Rham.
Armé d´un petit plan-programme, le public de Lausanne, mais aussi de Genève à une 1/2 heure de là, peut chacun des 3 soirs aller d´un lieu à l´autre en se composant son programme (le thème de 2007 était : Do It Yourself !). La gratuité du festival et la petite taille de Lausanne incite à cela mais certains événements ayant lieu en même temps, personne ne peut assister à tout.
Lorsqu´on intervient sur ce type de festival, entre les temps d´installation, ceux de déplacements et de rangements, les possibilités d´assister aux interventions des autres invités sont réduites ; et ont été, pour ma part, limitées à des invités de Véronica Tracchia en charge de la partie " littéraire " dans la section Arts vivants. J´ai pu revoir le collectif BoXoN qui durant une heure, en alternant interventions solos et collectives, lectures et performances, a perturbé la séparation scène-salle. Autres français vus : Emmanuelle Pireyre et Olivier Bosson. La première en lectures complétées par de courtes projections vidéos. Le deuxième dans des hybridations de conférences et projections vidéos. Tout deux maniant un humour pince sans rire.
Et puis, côté suisse, une découverte : Stéphanie Pfister, née en 1982, qui lu son livre Sous science, tout juste paru aux Éditions Héros-Limite. Sobrement, avec une belle tension, des poèmes viennent interrompre/nourrir une brève fiction diffusée sur bande. Une justesse de dispositif. Une artiste/auteure à suivre, dont on pourra découvrir un autre aspect de son travail entre objets et performances sur son site www.actions-poetiques.ch


Nicolas Tardy



FESTIVAL LES URBAINES - LAUSANNE


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Damien Berthier au MAC



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EURÊKA


" Eurêka" , la pièce de Damien Berthier présentée au Mac sonne, non sans un certain humour, comme une auto résolution de l´œuvre.
La genèse des pièces de Damien Berthier se fait au gré de ses rencontres avec les objets, il glane des matériaux issus du quotidien, du langage ou de l´iconographie populaire qui forment à terme la matrice de son travail. Dans ces premières pièces vidéos comme " Les Encombrements ", " Bouh ", et " les Arrangements ", il manipule les ordures, les sacs et cartons poubelles ; leur donnant un ordre nouveau dans une tentative éphémère, parfois vaine d´échapper à leur condition de rebut. C´est ce point de rupture qui semble caractériser le travail de Damien Berthier : c´est précisément de ce moment critique de glissement vers un acte manqué que dépend la réalisation de l´œuvre. L´artiste emprunte en effet volontiers au burlesque de Buster Keaton ou de Charlie Chaplin, et ce notamment dans la réalisation de ses vidéos performances.
Si les médiums utilisés par Damien Berthier sont souvent la vidéo et la photographie, il n´en reste pas moins que c´est l´objet qui reste à l´initiative de l´œuvre (par exemple l´ampoule à l´initiative d´" Eurêka "). La question centrale qui reste abordée est celle de la composition sculpturale ; La composition dans son double entendement, à savoir autant l´équilibre des formes de la sculpture (sens classique et pictural du terme) que l´action de composer elle même. La sculpture chez Damien Berthier est toujours performative.
Ainsi avec " Magic Bucket " et " Tour de magie " dans lesquels il incarne la fonction d´artiste démiurge à travers le rôle du magicien qui construit et reconstruit un empilement de sceaux ; L´artiste montre qu´il assume pleinement les procédés potaches de montage de la vidéo, ce qui n´enlève rien à l´exaltation que le spectateur ressent au regard des vidéos. Une fois de plus la notion d´équilibre et d´accumulation est au centre de l´œuvre. Dans le travail de Damien Berthier la question du procédé étant assumée, l´œuvre semble être sans cesse rejouée dans un triple mouvement Production-Consomation-Destruction, se situant dans l´espace temps infini et linéaire du devenir.
Le recyclage permanant et poétique du réel que pratique l´artiste par le choix de ses matériaux et leur mise en œuvre, le fait s´inscrire directement dans la lignée du nouveau réalisme tel que l´avait défini Pierre Restany : un " recyclage poétique du réel urbain, industriel, publicitaire. "
Ses accumulations de chaises, escabeaux, fauteuils, issus de sa série des " imbroglios ", participent des mêmes mécanismes sculpturaux et temporels. L´artiste, par cet enchevêtrement de structures angulaires s´équilibrant par la tension et compression de leurs éléments, va au point de rupture. La structure plie, s´affaisse pour s´assouplir dans une forme courbe (comme dans un grand nombre des accumulations d´Arman).


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Les pièces " Jour de paye " et " Eureka " qui semblent faire suite à " Vernissage " et qui prennent la forme de panneaux lumineux au slogan publicitaire improbable, marquent un tournant esthétique dans la pratique de l´artiste. En effet, elles se distinguent de cette dernière par la qualité des moyens employés. Les pièces revêtent un caractère plus maniériste, plus pop que les précédentes. Si la mise en tension de l´oeuvre ne se fait plus comme avec les accumulations, de manière structurelle ; Le point de rupture de l´équilibre est réalisé désormais dans un va et viens entre le sens usuel du vocabulaire utilisé (Vernissage, Jour de paye, Eurêka), et sa mise en forme contre nature. Ainsi l´annonce " vernissage " menace de s´effacer à l´usage des gobelets, " jour de paye " tire son absurdité de la permanence de son clignotement, et " Eurêka ", interjection lumineuse, pose l´Idée comme Corps préexistant et persistant de l´oeuvre. Au travers de cette oscillation œuvre-idée, Damien Berthier propose une mise en abîme de la question narcissique et tautologique de l´art conceptuel qui ne se veut pas plus critique que résolutive. Il réalise une mise en œuvre de la fascination et de l´ivresse que procure un état de rupture oscillant, soit la proposition artistique de la question de la perception d´un état déjà posée par la physique quantique et l´expérience non réalisable du chat de Schrödinger.

Florent joliot



Damien Berthier au MAC


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Marseille Artiste Associés ..... suite



Afrique Noire


Pour tout voir il faut habiter Marseille ou du moins y séjourner un certain temps, ce n´est pas mon cas. J´ai donc fait le tour du MAC au pas de course le soir du vernissage et j´y suis revenu spécialement un jour, mais ça reste largement insuffisant pour rendre compte de la prolifération qui s´y déploie. Par ailleurs d´autres en ont parlé dans le dernier numéro du JSO. Je m´attacherai donc à quelques interventions. J´ai particulièrement remarqué les grands cadres métalliques (environ 2mx1,50m) de Jean-Baptiste Audat (Association Art-Cade), renfermant, enserrant des journaux en boules carrées (oui, ça existe) d´environ 5x5cm, dont la partie visible et lisible est en rappport avec le titre de l´oeuvre, on a ainsi :11 septembre 2001, Afrique noire 2004, Palestine-Israël 2002, Oui/Non 2005. Une oeuvre forte et politisée qui ne se prononce pas, se contentant de constater, ce qui est bien plus redoutable que tout commentaire. Un bel effet esthétique de surcroît et de loin. On aurait aimé, pour parfaire la prouesse technique, que l´ensemble répète délicatement le propos, par exemple pour Oui/Non un oui formé de l´assemblage de journaux plutôt blancs dans le haut du tableau et un non dans le bas et dans le noir, mais peut-être aurait-ce été trop redondant ? A voir.


Zorro débotté et desarmé

J´ai envie de parler un peu de Julien (Blaine pour les intimes), bien qu´il soit déjà suf-fisamment connu à Marseille, mais j´ai constaté des réactions assez mitigées ou indifférentes devant son Zorro-Zhéros-Zéro. Il faut bien connaître l´animal pour savoir que son premier degré est absolument volontaire, est même une tentative délibérée de destruction de la langue et de l´intelligence pour retrouver le geste primitif, orignacien, loin du bla-bla de cour, et d´ailleurs Zorro il l´a été lorsqu´il a envoyé sa démission d´adjoint à la culture dès l´annonce du maire " socialiste " offrant sa voix à Balladur. Je lui avais aussitôt téléphoné pour le remercier de montrer ainsi l´intégrité de ses convictions, mais beaucoup le lui ont au contraire reproché comme un défaut de stratégie. Les coups de fouet dans le vide sont aussi ridicules que Don Quichotte attaquant les moulins à vent, et le Zorro débotté (pris au débotté, à l´improviste) lui aussi est un héros au niveau zéro.
Et puis il y a les projections de vidéos dans l´auditorium (Vidéos de AàZ#2) par l´association Vidéochroniques : celle de Cécile Beau, Wan Shuen " des images presque invisibles " est-il dit, pour moi elles l´ont été totalement et ça l´apparente au travail de Sugimoto qui, photographiant un film en entier, aboutit à un écran blanc. Emmanuelle Bentz Proposition de développement du schéma narratif, très littéraire dans son propos ironique de "décortiquer la narration", là encore on pourrait poursuivre en décortiquant la décortication jusqu´au noyau de l´oignon. Damien Berthier Arrangement, très joli film absurde de deux minutes dans lequel on le voit trier les poubelles par catégories juste avant l´arrivée des éboueurs qui jettent tout en vrac dans la benne. On l´a vu aussi dans l´exposition (avec quelle association ?) présenter un film dans lequel il mixe tout le contenu d´un repas McDo avant d´ingurgiter le résultat,démarche téméraire et dénonciatrice. "Butterfly" de Seau Huvi Chan, illustration de "Le temps d´un sein nu entre deux chemises" de Valéry. Claire Dantzer Conversation avec télévision la répétition des paroles de la télévision zappée donne un monologue absurde très réussi, encore une belle critique de notre monde fou qui pêche peut-être un peu par sa longueur, comme le film de Jean-Claude Rugggirello (8´20 du bruit d´une main frappant des objets), ou le bateau ivre d´Olivier Grossetête qui n´est pas sans intérêt mais aurait pu être ramené à une dizaine de minutes plutôt que 16. Jérémy Laffon Bilan de compétences est certes humoristique mais la lévitation finale du personnage est maintenant trop facile à réaliser pour présenter un réel intérêt. L´ensemble est à prendre plutôt comme un terrain d´expérimentation que comme un travail abouti, et dans l´expérimentation trouve sa valeur.

Antoine Simon



Marseille Artiste Associés ..... suite


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MAIL ART DANS L'ABBAYE DE NOIRLAC



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C´est en 1999 qu´à partir du mot mer lieu de rencontres, de dialogues et de conflits, fut lancé à travers tous les réseaux de mail-artists et de poètes par voix(es) épistolaires un hommage aux fondateurs de ce mouvement qui pouvait fêter un demi siècle de vie et d´activités ;

C´est aussi en 1999, rien d´étonnant ! que l´administration postale française reprenait à son compte le post´art dûment détourné par le commissaire de l´exposition (Julien Blaine)...

Voici donc un nouvel itinéraire pour cette exposition 1/2 siècle de mail-art qui a déjà fait quelques tours du monde de Cuba à ici, à l´abbaye de Noirlac.

Oui l´art salit les mains comme le proclame Ko de Jonge... Et les papiers se froissent et se déchirent ainsi que le démontre Frédérique Guétat-Liviani.

Puis tout au long du mur du cloître on retrouvera en A4 - obligatoire - pour cette exposition, le fluxus italien Giuseppe Chiari qui ouvre en désobéissant le grand mur du cloître, et le portugais Fernando Aguiar attablé aux côtés de Daniel Daligand et 180 artistes et poètes de 28 pays...

En poursuivant la promenade, tantôt à table tantôt appuyé sur le mur, le visiteur retrouvera Pierre Garnier et Michele Perfetti, Jacques Lombard et l´incontournable Guy Bleus de Wellen en Belgique, et Cozette de Charmoy, jadis des îles lointaines, et Pete Spence d´Australie, et le russe Tolsty, et Jacques Villeglé, l´inventeur des abécédaires populaires et des affiches lacérées, et John Bennet, et André Robèr de La Réunion avec qui, Blaine avait réalisé pour le bicentenaire de l´esclavage, cet autre incroyable rassemblement aboli, pazaboli l´esclavaz ? et Pascal Lenoir et celles et ceux de Carted, et Lia Drei et Ray Johnson (évidemment !), et Emilio Morandi et Clemente Padin...

Et, et ... encore plus de 100.

Plus de cent pour arriver sur les poëmes objets de Joan Brossa par deux de ces plus beaux travaux de ce style : un gant de dame à poster, et le général Franco mis sous enveloppe comme une carte à jouer mortelle.


Julien Blaine



MAIL ART DANS L'ABBAYE DE NOIRLAC