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J.S.O.n°038 - cahier détachable
- POESIE MARSEILLE 2008 -

FESTIVALS DE POESIE ET DE PERFORMANCES




SOMMAIRE

PM5 - SARENCO - Le Prof. et l´apostrophé - Galerie Meyer



SARENCO, “Hommage à Renoir”, diptyque, 2002, photo Forent Joliot
SARENCO, “Hommage à Renoir”, diptyque, 2002, photo Forent Joliot


Le Prof. et l´apostrophé

N´écoutant que son courage et sa vocation, le professeur monta, en chair et en os, en chaire.
Ainsi deux fois cher, il commença à articuler son cours magistral :

Aujourd´hui, je vous parlerai du maudit. C´est lui qui a permis de reconnaître le vrai artiste et le grand poète, l´immense musicien et l´écrivain de génie.
Qu´est-ce qu´un maudit ?
C´est celui dont le talent ou le génie n´est pas reconnu de son vivant mais qui, à cette qualité, doit en ajouter quelques autres : il doit avoir faim (ne jamais manger à sa faim), il doit avoir froid (ne jamais, même au pire moment de l´hiver, être normalement vêtu), il ne doit avoir aucun ami (aucun), pas de fiancée ni d´amant (aucun), il ne doit boire que des mauvais alcools, se piquer avec de méchantes seringues pour absorber les pires drogues, il doit être malade, si possible plutôt des poumons ou du sang que du cœur ou des rhumatismes, et fréquenter plutôt les hôpitaux psychiatriques et les prisons infâmes que les îles ensoleillées et les torrents glacés.

(vers Sarenco)

-Vous m´écoutez, monsieur Sarenco ? Permettez-moi de vous le conseiller ardemment, car je risque fort de vous interroger, tout à l´heure !

(à tous)

Untel ou quiconque voire n´importe qui, par exemple un critique d´art, un conservateur hors classe, un docteur de province, un érudit de banlieue, un fonctionnaire des impôts locaux, un commissaire de police, un collectionneur de timbres, une famille bourgeoise des beaux quartiers, ayant reconnu le talent et contemplé le génie, va un jour le prendre sous sa protection.


intervention musicale de Robert Léandre pour le vernissage de SARENCO en ouverture du festival, photo fifou
intervention musicale de Robert Léandre pour le vernissage de SARENCO en ouverture du festival, photo fifou

Saluons ici, mes chers enfants, l´admirable générosité et le splendide dévouement du protecteur ou de la protectrice qui, maintenant, vont s´employer sans compter à faire connaître l´œuvre de leur protégé.
L´œuvre posthume étant, comme chacun sait, la seule œuvre possible pour un maudit.

(vers Sarenco)

- Vous pouvez répéter ce que je viens de dire, monsieur Sarenco, le pouvez-vous ? Dissipé comme vous l´êtes, vous ne vous étonnerez pas, par la suite, de ne pas avoir tout compris. Vous me décevez beaucoup, monsieur Sarenco!

Vos camarades, eux, auront compris que, pour être considéré, le maudit, non content de posséder toutes les qualités que j´ai énumérées tout à l´heure, doit aussi inspirer la pitié et savoir, le moment venu, se placer sous la protection d´untel, de quiconque ou de n´importe qui.

Il faut abandonner toute fierté, tout esprit de révolte, inspirer - je le répète - la compassion, enfin, renoncer à la liberté pour flatter et mettre en valeur la générosité et l´excellent choix de son protecteur ou - bien sûr - de sa protectrice. Savoir être dépendant. Comprenez-vous, monsieur Sarenco ?
Comprenez-vous ?
Mais non ! Mais non ! Vous êtes comme votre ami français, votre camarade d´école : Julien Blaine, je crois ? C´est bien ainsi qu´il se nomme ?

Vous, vous aviez des maisons splendides, des châteaux africains, des villas dans la Vénétie, des usines à inventer et à créer. Vous ne cessez de faire, d´être cet entrepreneur tous azimuts de la création. Vos vêtements viennent des meilleurs fabricants de maille italienne ou des plus douces étoffes des plus belles lingères africaines. Votre mère vous a organisé les plus grands festins auxquels un être humain puisse participer ; dans les meilleurs restaurants, vous choisissez les vins les plus fins et les plus chers. Vos amis sont les plus joyeux compagnons que l´on puisse trouver aux quatre coins de la planète, du détroit de Drake au Groenland et de Wellington à la mer de Sibérie. Vos femmes sont de toutes les couleurs et de tous les âges, et vous abandonnent avec bonheur tandis que vous les quittez avec plaisir. Vos enfants chantent, dansent et jouent et arrivent malgré les temps qui viennent à simuler le bonheur et la joie de vivre. Vos alcools sont rares et vos drogues sont douces. Pour tout l´or du monde, vous ne renonceriez jamais à une once de liberté et, quand vous êtes malade, vous allez vous cacher dans une capitale étrangère inconnue de tous, sauf de vous, et ne revenez que guéri.


SARENCO, “Sarenco et Cassius Clay”, diptyque, 120 x 200 cm, 2002, photo Forent Joliot
SARENCO, “Sarenco et Cassius Clay”, diptyque, 120 x 200 cm, 2002, photo Forent Joliot

Vos malheurs sont secrets, vos peines clandestines, votre humiliation dissimulée.

Mais où voulez-vous en venir ? Montrez-vous humble et misérable, et vous serez soutenu.

Assez de votre indépendance et de cet esprit libertaire cher à Marius Jacob. Sachez être dépendant et reconnaissant. Sachez remercier, rendre les honneurs. Montrez vos malheurs et votre tristesse. Prenez exemple sur ceux qui vous ont précédé : soyez humble, modeste, petit, discret, effacé, réservé, pitoyable, désespéré, infortuné - en un mot qui en sont deux : traîne-misère.

M´avez-vous compris, monsieur Sarenco, m´avez-vous compris ?

(silence)

Les étudiants se retournent tous vers l´apostrophé
et attendent sa réaction.

Très bien, monsieur le professeur, je vous ai très bien compris, très bien, et je vous confirme que je vous emmerde, je vous emmerde tous et je continuerai à gagner mes procès.
Je suis un artiste d´une autre sorte : un artiste nouveau qui n´est pas encore sur le marché, un artiste que vous serez obligés d´étudier tout au long du troisième millénaire : le Maudit Arrogant et Triomphant (M.A.T.).

Allez ! prof. Sans rancune, et va te faire mettre.

Alors comme on a pu le vérifier à la galerie Jean-François Meyer, aussi bien sur les cimaises que au cours de la perf-concert du grand orchestre de Poésie-Marseille & Cie, la soixantaine passée, cela devient difficile de continuer cette vie de M.A.T., alors si le talent est encore plus réfléchi et les résultats encore plus évidents la vie, la vie autre, la vie "normale" devient de plus en plus dure :
Texto à Bory du Kenya à ici (copie Blaine)
Cher ami, je m´excuse de ne pas assister à ton vernissage*. Je suis fatigué, malade et j´ai été kidnappé. Je te souhaiter le plus grand succès et espère te voir bientôt.
Texto de Blaine à Sarenco
OK. Comment vas-tu ?
Texto de Sarenco à Blaine
ça va un peu mieux, merci. Mon expo de Marseille tu peux la retourner chez mon frère à Salo ?

* à la Fondation Berardelli à Brescia le 28.XI.2008

Julien Blaine
Novembre 2008


exposition SARENCO
dans le cadre du 5ème festival Poésie Marseille
Galerie Meyer



PM5 - SARENCO - Le Prof. et l´apostrophé - Galerie Meyer


SOMMAIRE

Festival PM5- Galerie Où - Où en est la poésie ?



Performance de Nathalie Thibat accompagné de Caroline Soulat, photo Emmanuelle Bentz
Performance de Nathalie Thibat accompagnée de Caroline Soulat, photo Emmanuelle Bentz


Où en est la poésie ?

Au programme de Poésie Marseille, Nathalie Thibat et Didier Calleja performent à la galerie 0ù. En ce jour de pluie, ces "jaillissement du présent" - définition que donne Daniel Charles de la performance dans l´Encyclopédia Universalis - nous ouvrent à des instants hors temps. Du langage, des mots, des gestes, des cris, des balbutiements brisent l´horonzitalité du quotidien.
A l´entrée deux socles blancs, sur l´un repose une égérie, une nymphe silencieuse, vêtue de blanc semblant voilée, bâillonnée par une sorte de barbe blanche. Face à elle, un rouleau de papier exposé au mur se déroule jusqu´au sol laissant échapper quelques phrases écrites à la main, telles que : "Là là là fais moi danser".
Une femme se détache des spectateurs et prose. Elle parle en parcourant l´espace, elle donne voix à un flot fluide, coupé à un certain moment, par la parole du public qui lit à haute voix des morceaux de poésie provenant du rouleau suspendu, déchirés et offerts. Vers la fin de la performance, l´oratrice s´assoit face à la femme blanche muselée qui toujours murée dans un silence intérieur semble ne pas avoir bougé. Elle la regarde, lui prend la main et lit le mot faim au creux de sa paume.
J´apprends par la suite que Nathalie Thibat n´est pas la femme qui a pris la parole mais celle qui est muette et figée et que la femme à qui elle a offert sa voix s´appelle Caroline Soula. Cette performance pensée expressément pour ce 5° festival est un travail contextuel d´entente entre plusieurs personnes, la poète, l´oratrice, le couturier. Nathalie Thibat explique : "on veut voir et entendre le poète, ici on m´a vue dans mon véritable état".
La position qu´adopte Thibat, en même temps muse et poète offre une réflexion vivante et intègre sur la condition actuelle des femmes créatrices, toujours renvoyées à l´image de la femme inspiratrice qui depuis trop longtemps leur a été impartie. Sa performance intitulée "Femme sais-tu te taire" ne traite pas de féminisme mais de réalisme social, de femme qui écrit dans un monde d´hommes. (Par exemple, pour ce cinquième festival de Poésie Marseille, la proportion est de 4 femmes pour 12 hommes.)
Si c´est la paradoxale joie et douleur de s´exprimer qui motive Nathalie Thibat, c´est l´énergie créatrice dont notre corps est porteur qui est la force motrice de Didier Calléja.


Performance de Didier Calleja, photo Emmanuelle Bentz
Performance de Didier Calléja, photo Emmanuelle Bentz

La performance de Didier Calléja, performeur des Koeurspurs, ne s´origine pas à partir du texte mais à partir du corps. Linguiste du corps en action, Calléja balbutie, bégaye joue avec les mots, la façon de les prononcer, de les écrire. Pour l´occasion, il interagit avec un système de reconnaissance vocale trafiqué, lorsqu´il parle, le logiciel ne retranscrit pas exactement ses mots sur un écran lisible au plafond. Il y a distorsion du corps du spectateur et de la parole. Ici, tout est toujours en décalage, le corps, le texte, l´image.
Improvisation, paradoxes, interactions avec les spectateurs se mêlent, se confrontent, s´affrontent et coïncident miraculeusement. Calléja dans les affres de son enfantement se livre dans toute sa fragilité et c´est ce qui fait la force de sa performance. Celle-ci prend forme en direct, au présent, s´enracine dans la situation, le contexte, le rapport à l´autre, en interagissant avec les œuvres de l´exposition en cours, en sollicitant certains personnages du public. Le performeur achève sa prestation recouvert de flocons de polystyrène, enterré sous des morceaux de sagex effrités par le public. Un rappel au vide, à la transcendance de la page blanche constamment sous-jacente.
A la galerie Où la question posée est : Où en est la poésie ?
La poésie, to poeïn signifie littéralement le faire, encore en création, la poésie n´est jamais définitivement achevée ni confinée, elle prend toutes sortes de chemins, s´insinue dans les plus infimes articulations, elle est toujours en train de se faire, tout est presque là sans jamais l´être.
Où en est la poésie ? Les performeurs semblent y répondre par un vide silencieux, réceptacle de toute créativité, de tout début, de toute fin. Entre mutisme, non dit, mal dit, trop dit, entre deux articulations, on perçoit tout le silence du trop plein du non encore exprimé. Silence de la muse poétesse tout de blanc vêtue, posée sur un socle pour Thibat, silence de l´espace entre le corps, le texte, l´écrit et le mal exprimé pour Calléja.


Jean-Michel Hannecart, “sur la plage”, 2008
Jean-Michel Hannecart, “sur la plage”, 2008

L´exposition de Jean-Michel Hannecart "Passager" à la galerie Où, s´unit également à ce silence sous-jacent et pourtant omniprésent. L´artiste expose sept papiers préparés à l´huile, peints à la craie. Sept tableaux pour les sept jours de la semaine.
Il procède par rituel, chaque jour Hannecart feuillette les journaux, s´arrête intuitivement sur une image choisit une photo dans la presse. Il cherche son punctum dont parle Roland Barthes dans "la chambre claire"; ce détail, qui arrive à changer la lecture de la photographie, en lui conférant une valeur clef. Il accumule ainsi 360 photos par année.
Chaque photo est traitée, retouchée, travaillée de l´intérieur. La technique qu´il utilise est bien particulière. Datant du 15e siècle, elle demande une rigueur de réalisation et des conditions météorologiques précises. Il mélange de la craie liquide à de la colle sur un support huilé. La technique varie selon l´image, ses éléments plastiques et s´adapte à sa signification. Les couches de craie fonctionnent comme des écrans les unes derrières les autres. L´artiste procède ensuite par retrait, par effacement. Il retire jusqu´à ce que l´image apparaisse dépouillée de son sens d´origine, mais réinvestie. Hannecart cherche à toucher la réalité de l´autre, à fusionner, à habiter l´image de l´autre.
Passager présente les portraits de sept personnages dont celui du passeur Varian Fry qui sauva entre 2 000 et 4 000 juifs et militants anti-Nazi en les aidant à fuir l´Europe, celui d´un pisteur du 19e siècle ou plutôt d´un personnage fictif qui possède le même nom du dit pisteur, celui d´un passager échoué sur une plage européenne du XXI° siècle, celui d´une femme algérienne se blanchissant lors de sa toilette et d´autres encore suggérant un voyage dans le temps, dans l´espace. Au mur, une fresque à la craie se détache renforçant encore ce sentiment de déplacement.
Ses personnages ressemblent à d´étranges apparitions. Leurs corps vidés de leur identité première semblent des spectres, tout en impression, en trace. Tels des golems qui prennent vie lorsqu´on leur ajoute la lettre aleph sur le front, transformant ainsi le mot meth, mort, en ameth, vérité, les images de Hannecart possèdent une vie propre, mystérieuse.
La craie noire fait office ici de glaise, de fond à partir du quel tout peut être créé. Fond noir occulte d´où ses images crayeuses surgissent, prennent vie, disparaissent pour apparaître encore.

Françoise Rod


Galerie Où
Jean-Michel Hannecart
Exposition du 22/10 au 15/11 2008

5° Festival de Poésie Marseille
le 22 octobre 2008 à 17 heures
Performances
de Nathalie Thibat
et de Didier Calleja



Festival PM5- Galerie Où - Où en est la poésie ?


SOMMAIRE

Vox & " reVox " - ART ADO & ART ADUlTE, Un ART DéSORMAiS ADOLTE




Vox & “ reVox ” - ART ADO & ART ADUlTE

ART ADO & ART ADUlTE
Un ART DéSORMAiS ADOLTE

Il y a eu les adeptes de la poésie sonore, tantôt plutôt musiciens et loin de nos faire et de nos dire, tantôt plutôt poètes : ils étaient alors de splendides utilisateurs des machines de l´époque (les années 50 & 60) magnétophones, caméra 8 et super 8, du Nagra au Revox en passant par toute sorte de Uher ; les Paillard-Bolex, les Pathé, les Kodak et autres Eumig ou Beaulieu...
Ils les avaient accaparées, utilisées, outilisées et c´était devenu leurs choses, leur façon d´être, de dire et de faire...
Les voilà, hui, sexa voire septuagénaire.
Par exemple, Bernard Heidsieck :

Ainsi, la palette de Bernard
d´abord,
la voix,
sa voix.
Puis une double voix,
sa double voix :

Vox
&
" reVox "

le Magnétophone, son magnétophone…
Alors de la poésie directe, par la poésie directe, il dialogue avec lui-même, lui-même - en chair et en os -, lui-même - sur bande magnétique - .
Le parleur-à-vif et le haut-parleur, le son du corps et le son de la machine, le poète mobile, mouvementé, gestuel et disant ; face à la machine fixée, invariable et parlante…

Alors il va bouleverser le sens des bandes magnétiques et ce ne sera plus la machine qui lira les lanières de plastique mais le poète, l´artiste, lui : Bernard Heidsieck.
Il va les lire et les interpréter, après les avoir interprétées par le corps, l´ouïe et la voix, il va les interpréter par le corps, le regard et la main.
Et la double voix sera une double voie, une double vue, désormais : une vision du son, de ce son, de son son désormais inaudible.
Et je suis, devant chaque tableau, bouleversé, moi aussi, par ces compositions sonores devenues silencieuses, muettes, secrètes et belles, ne serait-ce que par leurs sous-entendus…
Le son devient espace, le son se décrit, s´écrit.

On respire alors, comme un manque dans cette solitude, un appel au vide où l´image n´est, ne serait, que composition coite, alors Bernard ajoute le titre et souvent calligraphie quelques fragments de texte et, le dialogue se renoue.
Il ne se renoue plus entre lui & lui, mais entre l´art plastique et l´art poétique, c´est à dire une fois encore : entre lui & lui, soi en double.
Mais d´une autre façon, sur un autre plan !

Le son devenu abstrait, absent est maintenant une image concrète. Le spectateur, le lecteur, l´ex-auditeur retrouve ligne après ligne les bandes magnétiques. Le son détruit par les ciseaux et la colle est devenu une typographie, une maquette de texte, le son découpé est mis-en-page. Les lanières de la voix disparue du poëme sonore est métamorphosé en poésie visuelle…

Comme un champs bien labouré, un chant bien élaboré : ce ne sont plus les sillons courbes du disque désuet mais les sillons rectilignes, égaux, parallèles des bandes magnétiques morcelées.
Un sillon étiré horizontalement et allongé vers un noir glacial…
Un sillon étiré horizontalement et allongé vers un vert visqueux…
Un sillon étiré horizontalement et allongé vers un gris nacré…
Un sillon étiré horizontalement et allongé vers un émeraude opaque…
Un sillon étiré horizontalement et allongé vers un brun, sang sec…
De temps à autre, l´espace est occupé, suréquipé, par un circuit imprimé ou une vieille lampe TSF qui s´ajoutent aux calligraphies et aux bandes magnétiques. Il s´agit de faire comprendre, une fois encore, que ce texte, ce travail plastique, quoique puisse être son aspect contemporain, neuf, immédiat s´adresse aux archéologues du futur.

Souvent malgré l´émotion qui m´étreint à la vision de cette œuvre picturale, je ne puis cesser d´imaginer que je décolle tous ces fragments de bande, que je les colle à la queue-leu-leu et que je les repasse dans son Revox* et, là, que je l´écoute, je le re-écoute…
Que j´écoute les voix de Bernard Heidsieck retrouvées, récupérées dans son tableau.


Bernard Heidsieck
Bernard Heidsieck

* Revox est une marque suisse d´équipements audio créée par Studer dans les années 50.
Ils commercialisent de fameux magnétophones à bandes comme le G36 (à lampes) ou le A77 et B77 (à transistors).
Le A700 est considéré comme le top avec une vitesse de variation allant de 2.5 à 22.5 pouces par secondes. (420€ à l´argus, hui !)


Ainsi les nouvelles machines sont arrivées, elles se sont épanouies dans les ateliers, les bureaux, les tables des artistes et des poètes. Au début, ils les ont humées, regardées, tripotées...
Ce n´était pas toujours convaincant puis ils ont commencé à les utiliser et, hui, ils y sont ! Elles sont devenues leurs outils, ils en sont maîtres : ils les outilisent, les festivals se multiplient sur l´art et la poésie numérique un peu partout dans le monde, les publications pleuvent...///
Ainsi le festival Transes Atlantiques à Bordeaux et à Pau avec deux concerts éblouissants (éblouir c´est pour la vue ! Comment dit-on pour l´ouie ? Un terme positif et admiratif pour "assourdissant" ? : sonorisant ? Soit : sonorisant !
Deux concerts sonorisants et assourdissants :
Celui de Joachim Montessuis dans la chapelle des Réparatrices à Pau.
Et celui de Philippe Boisnard et Hortense Gauthier au Théâtre Espaces Pluriels à Pau également.
De nombreux autres artistes se sont également manifestés à cette occasion dont un beau duo : Yvan Étienne & Claire Willeman à leur clavier d´ordi...

Bientôt ce seront d´autres rencontres à Paris SOS art : la transdisciplinarité, à travers l´expérimentation des nouveaux media où poésie, art sonore, vidéo et photo, se répondent ( Éric Cassar, Thierry Mory, Nicolas Carras)

Je parlerai une autre fois des antécédents : Tibor Papp et le groupe d´Atelier, Phillipe Bootz, Jacques Donguy, Jean-Pierre Balpe, Philippe Castellin et Akenaton, Caterina Davinio pour ne citer que celles et ceux parmi les plus actifs et que je n´ai pas oublié à l´instant où j´écris !

Il y a même un colloque qui vient de se tenir à Marseille "Poétiques du numérique" coordonné par Sophie Gosselin et Franck Cormerais et dont les actes viennent d´être publiés aux éditions L´Entretemps*. On y lira avec intérêt l´intervention de Colette Tron : "Excéder le format : inventer idiomatiquement", de Brandon LaBelle : "Corps et oralité à l´époque des nouveaux médias", enfin celle de Julien Ottavi : "Hackler le langage" ou les retrouvailles avec la poésie véritablement concrète et encore élémentaire.


* Entretemps éditions


Julien Blaine
Novembre 2008


¯Domaine de la Feuillade - 264 chemin du Capitaine Pierre Pontal - 34000 Montpellier


Vox & " reVox " - ART ADO & ART ADUlTE, Un ART DéSORMAiS ADOLTE


SOMMAIRE

Festival Poésie Marseille - Poésie Performative



Giovani Fontana à la Chapelle de la Vieille Charité, photo fifou
Giovani Fontana à la Chapelle de la Vieille Charité, photo fifou


Poésie performative

Pour sa cinquième édition, le festival Poésie Marseille maintient son Cap autant en termes de qualité que dans sa programmation.
L´événement reste en effet dominé par des acteurs internationaux historiques d´une poésie contemporaine que l´on qualifie tantôt de visuelle, de sonore, de poésie directe ou performative.
Pratiquée depuis plus d´un demi-siècle, en réaction à la poésie classique qui fige le poète dans le rôle de l´écrivain le privant de son lien direct avec le public ; Cette poésie performative où l´auteur, lecteur/interprète de son œuvre recouvre l´oralité perdue du poème, et dans la simultanéité de la diction à sa relation au public invente de nouveaux modes de conception et de transmission du poème sur le mode du conteur.


Bartolomé Ferrando à la Chapelle de la Vieille Charité, photo fifou
Bartolomé Ferrando à la Chapelle de la Vieille Charité, photo fifou

Cette poésie s´inscrit dans la continuité des mouvements d´avant-garde Dada et Fluxus ; Et, si elle affirme cet ancrage dans l´histoire de l´art contemporain, sa filiation avec la performance ainsi qu´un degré certain d´abstraction, elle n´en revendique pas moins son appartenance au genre littéraire. En Linguistique Pragmatique, la performance est une parole qui transforme symboliquement le monde. C´est cette ambition transmissive que partagent l´ensemble des intervenants chacun à sa manière, la question de l´expérience du rapport et de la confrontation du texte au public.
Ainsi Julien Blaine en Mr Loyal donne de la voix, du geste et du souffle, dans des interludes poétiques et per-formatifs de présentation des intervenants du festival. Fernando Aguiar lors de ses lectures scande les mots de ses textes sonores adoptant un comportement sériel, froissant chaque feuille en boule de papier de même calibre, tapant sur la table de laquelle tombent des lettres de plastique, la grammaire se disloquant ainsi visuellement ; ou étirant, oblitérant du poing du scotch estampillé fragile. Ici le public partage le sentiment de violence de la genèse du texte. De la même manière Bartolomé Ferrando après avoir dans un rituel d´offrande païen éparpillé au sol, tour à tour plantes, paille, pétales, lamelles puis lettres de papier, se lance dans une interprétation sonore et filmée des signes qu´il voit au sol comme lirait un voyant dans le marc de café. Ainsi l´expérience procède de la tentative de retour à l´essence des choses, l´essence du verbe. Giovanni Fontana quant à lui pousse le rituel dans sa dimension la plus métaphysique sur un fond sonore qu´il modifie en direct par son intervention verbale sur deux micros organisant ainsi l´écho de sa propre voix qui se superpose à des sons primitifs de gouttes, de bourdonnements, de chuchotements, accouchant littéralement de son texte dans une litanie à la dimension religieuse et intemporelle. Ainsi la naissance du texte suit dans une ambiance sonore prénatale, intra-utérine, le même cheminement par l´écho, que la naissance de la conscience de l´homme par les ombres dans le mythe de la caverne de Platon.


Arno Calleja, Florence Pazzottu, Démosthène Agrafiotis à la Libairie L´Odeur du Temps, photo fifou
Arno Calleja, Florence Pazzottu, Démosthène Agrafiotis à la Libairie L´Odeur du Temps, photo fifou

Nathalie Thibat, Didier Calleja et Démosthène Agrafiotis, abordent également leurs lectures poétiques sur le mode du rituel performatif, tandis que d´autres travaillent davantage la diction et la déconstruction du texte classique, ou du mot dans un genre littéraire plus conceptuel.
C´est le cas de Jean-Michel Espitalier qui scande ses textes-lexiques travaillant avec humour sur l´absurdité du sujet et la répétition; Tandis que Cécile Mainardi comme Arno Calleja se distinguent par la contemporanéité des sujets et du vocabulaire utilisé souvent issu du language technique et scientifique.


à la Librairie La Touriale, Olivier Domerg avec Jean-François Bory, photo fifou
à la Librairie La Touriale, Olivier Domerg avec Jean-François Bory, photo fifou

Jean François Bory cabotin, manipule quant à lui une mise en abîme formelle du contenu de ses textes. Dans la lecture d´un poème traitant de la place que tient la pensée sur le papier ; s´inquiétant de la valeur du texte et sur les raisons pour lesquelles "on n´enroule jamais un poireau dans un papier blanc" ; Et ce lisant à chaque page, il le réalise symboliquement. Et de clore son texte en les tournant : "et le mouvement de la page qui retombe sur la page" ; son livre lui-même accède à une dimension que l´on pourrait qualifier de performative.
Il est à noter également dans ce contexte de manifestation poétique, la présence de l´exposition Sarenco à la Galerie Meyer, l´artiste ayant sa place d´invité d´honneur son œuvre plastique et poétique travaillant la distorsion des signes, mots objets avec l´image et leur place dans la conscience collective, on comprend que dans le même mouvement de rapport au public, chez Sarenco ce sont les œuvres elles mêmes qui performent.
Pour Paul Ardenne, la Transmissivité de la performance qu´il qualifie de Transnarcissisme et qu´il dénonce, assoit la dimension rituelle libératrice et désinhibitrice de l´art, flattant public et artiste. "La performance est tout autant l´art par excellence de l´ère individualiste désacralisée, à présent que chacun d´entre nous est devenu Dieu et peut revendiquer de l´être."


à la Librairie Histoire de l´Œil, Jean-Michel Espitalier, photo fifou
à la Librairie Histoire de l´Œil, Jean-Michel Espitalier, photo fifou

Je pense pour ma part comme Thomas Clerc dans "Lecture et performance de littérature contemporaine", que "la dimension textuelle fait partie du régime performanciel", à savoir que le texte, même préexistant à l´événement de la lecture, par celle-ci et par son intention acquiert définitivement sa dimension performancielle.
Ce qui me conduit à faire le parallèle dans un mouvement similaire avec la pratique artistique de la branche opposée de la performance telle que la mettent en œuvre des John Bock, Paul Mc Carthy ou Mike Kelley, chez qui par une démarche inverse, l´objet final réalisé pendant la performance, fétichisé, devient réceptacle de l´expérience, sculpture indissociable du geste.

Mr Loyal
Mr Loyal

Et de conclure : La Performance idéologique est déclarée morte, l´idéologie et l´énergie restent elles bien vivantes au travers du livre au travers de l´objet.


Florent Joliot


5ème Festival de Poésie et de performance
POESIE MARSEILLE 2008
www.poesie-marseille.net



Festival Poésie Marseille - Poésie Performative


SOMMAIRE

p Œ sie MARSEILle 20O8 - 5èMe - La poEsie est à MARSEILle - L A P O E SIE Ne Sert à rIen



Marina Mars, performance à la Chapelle de la Vieille Charité, photomontage
Marina Mars, performance à la Chapelle de la Vieille Charité, photomontage


La poEsie est à MARSEILle
  L  A   P  O  E  SIE Ne Sert à rIen

Organisée à Marseille dans des lieux de culte (librairies, musées, chapelle), Poésie Marseille peut se flatter de cultiver l´estime. Des happy fews se réunissent pour assister à une perf ; l´épisode de la diction, imprécation ou mélopée, valse de soupirs ou envolée à profusion de syntagmes et d´apocopes, une énurésie de la langue pas toujours de première jeunesse ni de nécessité intérieure, vient confirmer ou infirmer notre sentiment premier, à savoir que les auteurs ne sont pas tous des comédiens et que l´oralité de la poésie la piège souvent.

En effet, si le souffle qui habite celui qui s´expose n´est pas vaillant ou est de simple duplication, rien ne s´entend. Faire mouche à tout coup, soulever l´auditeur, le perturber et non simplement l´amuser ou le séduire, demande explicitement de penser sa langue, de ne pas ménager sa peine.

Rares une fois de plus ceux qui ont eu ce courage ou cette facilité.

Les poètes-bateleurs qui ont trop de métier comme ceux, portugais et italien, que nous avons entendu à La Caravelle perpétuent une tradition de troubadour, de la construction du dit dans ses arabesques ; c´est alors question de faconde et de savoir-faire. Le poète doit nous laisser sans voix. Ce qu´il exprime ne doit pouvoir être rangé dans une armoire à balais, dans un casier où crabes et daurades se côtoient. C´est d´un renversement dont il est question, du pouvoir de renverser l´attente, l´application, les petits pièges peureux de l´écoute standard.

Tout le monde n´est pas fait pour dire son texte publiquement, pour le donner et se battre avec et contre. Des textes intimes, souterrains ou cérébraux ne font pas l´affaire au micro et sur l´estrade. Par contre, des pochades ou une frénésie subalterne peut faire l´affaire à condition d´être bien balancée.

La poésie ne sert à rien, elle dessert plutôt,

Ne servant pas, à quoi peut-elle être utile ? La question de sa forme, de sa persistance selon des modules et sous des modes répertoriés d´édification du chantre (versification, allitération, euphonies, synecdoques) se pose encore et toujours.


à la Librairie La Tourial, Frédéric Ohlen, photo fifou
à la Librairie La Touriale, Frédéric Ohlen, photo fifou

Passant par la métaphore du corps, de la danse, de la musique, de la recherche dans tous ses états, de France Cadet à Orlan, une batterie de performers scande une nouvelle forme métaphorique de la poésie. Nous avons un brillant élément de cette modernité avec une régionale de l´étape. De grands moments à la Vieille Charité avec la prestation toujours aussi spirituelle et épicée de Marina Mars dans sa marelle en direct de Las Vegas revisitée à Pasadena par Marcel Duchamp et Dennis Hopper ( rétrospective hommage à voir à Paris toutes affaires cessantes à la Cinémathèque à Bercy à Paname).

La jubilation baroque des shows et acting out de cette artiste ne l´empêche pas de "pratiquer" et de marquer sa dévotion selon un rite subtil où la provocation vient revigorer l´espièglerie de la croyance. Agile et frondeuse, elle n´est pas consternée par la consécration. Il n´est pas tant question de singer le religieux mais de foi, ma foi, "persévérer dans son être" écrivait Spinoza.

Le souci de renouveau nous pousse à ne pas entretenir des légendes néfastes ; c´est au créateur de se doter des moyens de son temps. L´éloge au Créateur de toutes choses n´est plus avec Marina Mars, la sirène de Marseille, simplement touchant mais explosif.


Cécile Mainardi à la Librairie Histoire de l´Œil
Cécile Mainardi à la Librairie Histoire de l´Œil

En dehors de la Caravelle et de la Vieille Charité, une triplette de poètes invités par Poésie Marseille a fait fort à la Touriale : Fréderic Ohlen, Olivier Domerg et J-F Bory. Ce dernier à la causticité toujours aussi lustrée nous a lu un texte publié il y a quarante-deux ans et jamais lu par lui, le livre s´égrenant page à page avec des colifichets sentant son Perec et l´école minimaliste de l´observation détachée. Plutôt bien lu, il nous a octroyé une histoire d´ours à Berne sur un pont glacé avec Blaine, jeune mousquetaire à l´époque, morceau de choix, fabliau qui reprenait la tradition du trouvère quant au canto troussé, éloge ou tombeau, rondeau ou suite spontanée. Inventant sa langue, le poète dans sa dédicace au pote poète présent ne loue pas l´autre compère mais lui chante une chanson à sa façon. Belle étreinte en public, perlaboration du temps passé au tamis, bravoure de la parole qui dit le regard, le poids et le tain des années à faire les clowns, otaries et autres acrobates dans les espaces microscopiques de la poésie contemporaine.

Moins heureux dans la lecture dans le duo avec Olivier Domerg de plus en plus désopilant et scénariste, Jf Bory a démontré son savoir-dire.

L´habileté de Domerg lui fait emprunter le chemin escarpé du chansonnier ( les Belges en ont pris pour leur grade), il cingle à toute vitesse et se vautre dans les contrepèteries, faisant feu de la moindre brindille ou brimborion de mots à la dérive ; pétaudière loufoque et lassante par son approximation parfois lycéenne ou proche de l´almanach Vermot (tout le monde n´est pas Lacan, Jarry ou encore moins Rabelais), la récitation d´irritations montre ses limites.


Fernando Aguiar à la Chapelle de la Vieille Charité
Fernando Aguiar à la Chapelle de la Vieille Charité

S´il est sympathique de badiner avec la langue, de conspuer le sérieux d´avoir à dire, de tamponner les expressions toutes faites, un moment vient (au bout de dix minutes) où la légèreté du procédé finit par confirmer un système défensif par rapport à l´idée d´exprimer quelque chose de soi, pas forcément du secret, une confidence ou de l´intime, mais quelque chose que l´on ne contrôle pas. Une certaine humilité de l´émotion. La parodie gagne à être courte et momentanée. Fustiger les signes extérieurs de l´expression nous fait maintenir à l´extérieur. C´est tout con. Le formalisme. L´acidité. La parcimonie.

Tout ce qu´un aède venu de Calédonie rejette de façon naturelle. Les procédés pour ne pas être disant, pour ne pas être vivant en train de dire.

Lui-même éditeur de textes, il a préparé son intervention de façon minutieuse, nous a lu en regardant dans les yeux. Une poésie naïve et datée certes mais dite avec une telle candeur, un art de la fièvre retenue qui nous rappelle que la datation de la langue ne s´effectue pas par latitudes et longitudes mais par le péricarde et le diaphragme.

Ce n´est en termes de valeur, qui ne saurait être que subjective, de bon ou mauvais aloi. A Loi. Voilà que je fais mon Blaine ou mon Domerg. Pas une question de valeurs ou de goûts mais ce qui agit la destitution du sujet parlant, le fait ramer. Sommes-nous celui que nous disons ou prétendons être ? Certainement pas.

Mais la dérobade et l´enfouissement dans des jeux de langage aussi luxuriants qu´ils soient, moqueurs et intelligents, cultivés et trapus, ne disent jamais cette vérité première, chantée et psalmodiée auprès des berceaux et des rivières de par le monde entier : si tu ne parles pas pour ouvrir le monde, referme la bouche.

Emmanuel LOI


5ème Festival de Poésie et de performance
POESIE MARSEILLE 2008
www.poesie-marseille.net


p Œ sie MARSEILle 20O8 - 5èMe - La poEsie est à MARSEILle - L A P O E SIE Ne Sert à rIen