Choix du NUMÉRO
J.S.O. n°039
VENTÔSE 2009

LA PASSIONATA


Christophe Tarkos : Les écrits poétiques
Flavie Pinatel - Gameplay
H A M B O U R G
POISSONNERIE - Armelle Kérouas - TANGENTE
Jean-Michel Meurice/Claude Viallat - LA COULEUR SUBLIMÉE
LES ATELIERS DE L´IMAGE - Yveline Loiseur : LA VIE PARALLÈLE
Made in Barjols Volet 2 - Aller voir... ou faire ce que dit la peinture
Julien Blaine : COMME UN BILAN 2008 - REMARQUABLE
Madeleine Doré - LE PETIT SALON QUÉBÉCOIS DE L´AUTO ÉDITION
J´avais rencontré Jeanne Poitevin
POÉSIE MARSEILLE 2008
GALERIE ATHANOR - LES GROS NEZ DE Gérard Fabre
FRAC - Pierre Malphettes
A VOIR - Galerie de Visu
Suzette Ricciotti - LA PASSIONATA : AUX FRONTIÈRES DE L'ART







AND THE WINNER IS





SOMMAIRE

Christophe Tarkos : Les écrits poétiques



Christophe Tarkos
Christophe Tarkos


Les écrits poétiques

Dans la lumière à peine, à l´heure où les mouettes attaquent la montagne d´ordure, je consulte à tout hasard Sitaudis point com. Addiction matutinale aussi innocente qu´instructive, l´excellent site littéraire de Pierre le Pillouër relayant avec une efficacité certaine ses déjà presque cœlacanthes petites sœurs de papier : la (cette année) centenaire NRF, La revue littéraire, Poésie, l´Infini, Europe, Critique, Action poétique, If, L´Atelier du roman, Pylône, Décapage, Inculte ou Le matricule des anges et quelques autres par miracle en état de se dire : "J´y suis, j´y suis toujours". Or, pour saluer la "première édition posthume" des écrits de Christophe Tarkos, publiée chez P.O.L., qui réunit les Introuvables du poète, comme Manifeste chou, Ma langue est poétique, La poésie est une intelligence, Processe, Oui, L´argent, Je m´agite, Donne et deux entretiens, l´un avec Bertrand Verdier, l´autre avec David Christoffel, Sitaudis, sitôt fait, monte en ligne un article de Samuel Lequette porte texte de François Rastier, auteur d´ouvrages savants sur la sémantique du style. On ne sait jamais. Lequel Lequette disserte sec sur "le style de Tarkos" en rejetant d´abord la théorie des "comparaisons prégnantes", Lequette dixit, qui ne les trouve pas si prégnantes que ça, dont Tarkos est habituellement habillé. Ainsi: Gertrude Stein, Kurt Schwitters, Artaud, Beckett, Michaux, Guyotat, Cadiot, Ponge, Oskar Pastior, Prévert, Pérec, et pourquoi pas Thomas Bernhard, et W. Burroughs et Julien Blaine et Denis Roche et Charles Pennequin et Valère Novarina et Vincent Tholomé et Nathalie Quintane ou, rare écrivain français à les écouter voir : "Gubaidulina, Nono, Lachenmann, Ligeti, Xenakis, Saariaho, Tiensuu" dont il dresse la liste dans Anachronisme à cause du "poids net" et de la "conscience aiguë" de la "matière musique" qui s´enclenchait là directement "dans le tas" du texte. Mais aussi La Monte Young, Aperghis, Morton Feldman, George Crumb, John Cage, Steve Reich et les images de Martin Parr et Nan Goldin aimés du poète, lesquels, Lequette, auraient pourtant fait bonne mesure. Lequel Lequette donc de considérer de haut de sa petite dunette académique les "approximations successives" et autres "impressions de lecture" qui conduiraient à "négliger toute déontologie" (rien moins) en assignant l´œuvre de Tarkos dans une sorte de cabanon du côté de chez Chaissac à la limite de l´Art brut sans daigner désigner au passage les auteurs de si improbables biffures. Aussi, Lequette se propose t-il le plus sérieusement du monde, comme au bon vieux temps du structuralisme régnant, et sans lésiner sur le louchébème, de se livrer à une "lecture attentive [...] des modes d´interaction normés spécifiques entre les différentes composantes sémantiques des textes." Vous avez bien lu, oui, c´est ça : "modes d´interaction normés". Or Sitaudis Lequette n´est pas Prigent l´avisé, qui dans la préface de ce premier volume des Ecrits poétiques s´acquitte de cette tâche avec brio en insistant sans trop y toucher sur la "Grande Rhétorique décomplexée et méticuleuse" que déploie le poète, maniant les tropes et les "figures autres que tropes" chères à Pierre Fontanier avec autant de vélocité qu´un joueur de tennis balles de break et passing-shots, enchaînant coup sur coup : gradations, anaphores, écholalies, rimes, anacoluthes, attelages, antonomases, ellipses, métaboles et autres redondances vibratiles semblables au dessin bigarré et aux moires que les Grecs désignaient par le terme poikilos, lesquelles, Lequette donnent à la "langue poétique" de Tarkos la consistance et l´épaisseur calorifère d´une "patmo", la "pâte-mots" élastique et brûlante à la fois sur la langue, si proche parfois de "pas de mots" ou d´un trop plein, le dictionnaire s´engouffrant par la brèche du texte, toujours prêt à vider d´un coup son sac de listes et à flancher dans la "compote", fonçant dans la "purée" ou la "nappe de brouillard" de la pensée, la "pâte de langue", un pastis du tonnerre qui échauffe le lecteur de Tarkos des pieds à la tête comme une injection d´iode sous le petit air frais de son scanner poétique. Et Prigent de mettre en évidence particulièrement la figure baroque du "polyptote sérialisé [...] parfois aphasiquement hoqueté" qui consiste, selon Fontanier en l´emploi de "plusieurs formes accidentelles d´un même mot, c´est-à-dire plusieurs de ces formes que l´on distingue en grammaire par les noms de cas, de genres, de nombres, de personnes, de temps et de mode." bref, l´arsenal de la langue au complet, en parfait état de marche mais tous circuits allumés en même temps au bord de disjoncter. Aussi lorsque Prigent, en s´attachant à montrer : "de quoi ça parle", "comment c´est fait" et "ce que ça me dit" m´incite à reprendre ma lecture illico, bref à me poser la question de : "comment penser ça" : le bloc d´écrits poétiques du bonhomme qui m´arrive dessus à toute vitesse et que je dois bien encaisser, Lequette, obscur scoliaste du "dispositif" lequel semble n´avoir jamais "mis les deux pieds sur la terre ferme" ni trempé ses doigts dans le "compotier" de la langue et n´y avoir jamais plongé "les deux mains" et le reste, ni fait faire "un tour complet" à son lourd compact, opaque et fumeux bredouillage, comme "la danse des quarks" et le "looping de l´ange" auxquels s´entendait Tarkos, me donne des indications pour ne rien savoir de ma réception, comme on dit au rugby, du poème. Jugez-en, que faire de la supposée "expérience doxique" et du "monisme" "autotélique" (re-re ineffable Lequette) du poète quand celui-ci est a mille lieues des doctrines philosophiques qui traitent l´ensemble des choses comme réductible à une explication unique et proposent une sorte de texte écrit par lui-même. Tarkos apportant lui-même de l´eau à ce moulin de ces billevesées fantasmant des écrits débarrassés du sens, composés de mots sans référent, procédant d´une bouffée langagière sans "deuxième sens", apportant avec eux une matière "complètement corporelle" - "détecteur de sens" en panne - taillée dans la pâte-à-mot comme des tortellinis. Non, j´ai beau essayer, à bien y regarder, mon bon Lequette, la patmo de Tarkos n´est pas une monade dépourvue de sens, une "grande substance" élémentaire, un bloc insécable, un corps simple, "d´une seule nature, d´une seule substance, d´une seule majesté, d´une seule puissance" comme ironise le poète, lecteur de la Génèse, mais un fameux minestrone qui pioche dans le grand livre des mots, du "Bon usage" aux almanachs les plus improbables, le Bible et Fernand Raynaud y compris, une soupe de textes ocellée de dicos et d´histoires et de genres et de cas aussi divers que les épisodes colorés des vitraux, une pâte de verre de langues avec ses petites variations, ses petites ondulations rouges et bleues, qui n´en finit pas d´être doublée, redoublée, feuilletée, brisée, projetée et rallongée "dans son déroulement et dans ses morceaux et dans le sillage de ses morceaux".


Christophe Tarkos
Christophe Tarkos

C´est que, Lequette, il n´y a pas de fond des choses mais un tas de choses, c´est aussi que le mortier de la patmo n´est pas homogène, il n´est pas "écrit par compacité" dans "un grand trou de silence" mais dans le "bruissement de la langue" comme disait R.B., à même la matière des choses, dans les "bruits d´herbes sèches [...] les bruits sonores des herbes desséchées de l´été, les bruits répétitifs, incessants [...]" de la langue. Tarkos écrit : "de ma langue sèche [...] ma langue sonore, ma langue herbeuse, ma langue de sons herbeux, ma langue d´herbes qui sèchent, qui sont sonores [...]". Et il y passe pour gâcher la patmo plus d´un processeur ou plus d´un "processe" que tu n´en auras jamais l´idée. Tarkos procède avec elle comme s´il s´essayait à faire passer un fil électrique dans une masse compacte, à la façon de Beuys, sauf que la graisse traversée n´est pas un corps simple. Si tel était le cas, pourquoi les écrits poétiques inviteraient-ils à prendre arrangement avec eux physiquement, en les lisant à haute voix, en les performant, en les liant à la scène du corps en mouvement (le sien, ceux des danseurs, celui des spectateurs) dans l´instant de la performance, pour mieux faire tenir ensemble, dans l´entre-deux, leur empatture vocale comme le poète lui-même et l´écrit gravé ? Si à entendre Tarkos dire à Bertrand Verdier : "La langue n´est pas en dehors du monde", mais est quelque chose d´"aussi concret qu´un sac de sable qui te tombe sur la tête", si elle est un truc "complètement réel, complètement efficace, efficient, utile", c´est bien parce qu´elle est pour le poète un matériau malaxé comme une boule de pain, mais aussi comme une pièce de la nature laissée à l´état sauvage, humée à fond comme n´importe quelle matière aimée : "l´herbe sèche de l´été" ou "les cheveux blonds". Elle réside aussi dans le monde à la manière d´un tas de gravier ou d´un amoncellement de pierres cassées, toutes "matières [...] mesurées dans des caisses ou des brouettes à claire-voie et convenablement égouttées" après avoir été calibrées et lavées, comme les tas de l´Arte povera, de certains Earth works ou de Pagès. Il faut imaginer, Lequette, la langue poétique de Tarkos comme une sculpture (de celles que Pagès appelle des Arrangements) d´éboulis : "composée de mots attachés a des mots par hasard, par des peines, par des agrafes, des coins et des accroches et des lanières et des frictions et des ficelles bricolées méticuleusement collées les unes contre les autres pour faire la longueur de sa taille." "Le poème est un tas, dit-il, c´est un petit tas [...] On lui donne forme en rentrant dans le tas ou alors on lui donne forme en le rallongeant ou en le grossissant ou en faisant un tas rond." Mais Tarkos en fait aussi son ordinaire comme un produit de grande consommation, à la façon du Pop art ou des Nouveaux réalistes dont : "La fraîcheur est garantie par la protection anti-séchage de son capuchon."


Christophe Tarkos
Christophe Tarkos

Pourquoi, sinon, le pari de Tarkos ferait-il aussi fort penser à celui de Pic de La Mirandole qui voyait dans l´art d´écrire une sorte d´échelle sur laquelle : "tantôt nous descendons, déchirant l´unité avec une puissance titanesque, l´éparpillant, tel le corps d´Osiris, en de multiples fragments, et tantôt nous montons, avec l´énergie d´un Phébus qui rassemblerait ces fragments, les membres d´Osiris, au sein d´une unité nouvelle." Pas de monade, pas de solipsisme, pas de scolastique de l´être là, rien de raciné, rien de la cabane de Heidegger là-dedans Lequette, mais l´échelle d´Osiris, une échelle un peu particulière, il est vrai, où comme Charlie Chaplin, sur l´escalier mécanique du grand magasin de la patmo, le poème de Tarkos chercherait non pas tantôt à grimper, tantôt à descendre, mais à faire les deux en même temps, du sens vers le non sens et inversement, de l´infime vers le grandiose et inversement, en s´agitant beaucoup, parce que la patmo, Lequette, comme le dit Tarkos à David Christoffel, n´est pas hiérarchisée et vectorisée c´est une purée : "une nappe où tout peut arriver de tous côtés."


Christophe Tarkos
Christophe Tarkos - collection Gérard Giachi



Christophe Tarkos
Ecrits poétiques
Editions POL, 2008

Xavier Girard


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Christophe Tarkos : Les écrits poétiques


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Flavie Pinatel - Gameplay



PERSONA META PORTRAIT EN PIED
A LA MALADRERIE

"Sur le sol impitoyable de la pièce (salon ? salle à manger ? tapis cloué aux ramages fanés ou bien tapis mobile au quelconque décor dans lequel j´inscrivais des palais, des sites, des continents, vrai kaléidoscope dont mon enfance jouait, y agençant des constructions féeriques, tel un canevas pour des mille et une nuits ..."

Michel Leiris "Biffures - La règle du jeu"



Flavie Pinatel - extrait du film “Gameplay”
Flavie Pinatel - extrait du film “Gameplay”

Renée Gailhoustet fut chargée à la fin des années 70 de réhabiliter La Maladrerie, un quartier d´Aubervilliers qui doit son nom à une léproserie installée sur le site au moyen -âge. Elle va concevoir ce nouveau quartier avec l´idée de créer un logement social différent, mixte, mêlant habitats en accession et locatifs, à un foyer pour personnes âgées, des ateliers d´artistes et quelques commerces. Sur 8 hectares se déploie une architecture proliférante, aux multiples voies piétonnes, terrasses et îlots de logements collectifs et maisons. Flavie Pinatel y a tourné une partie des images de Gameplay, alors qu´elle y résidait. Cet espace singulier fut à l´origine du triptyque présenté à la Zoo galerie.

Aux murs, trois vidéos en boucle se confrontent et se répondent aléatoirement.
Ces films mêlent des scènes d´enfants jouant, dans les îlots piétonniers de la Maladrerie à des extraits du jeu Electroplankton.
Ce jeu a la particularité d´avoir un graphisme subtilement primaire jouant avec les codes numériques. Volontairement sans autre but que d´interagir avec des créatures errantes pour produire une mélodie éphémère ce jeu existe par sa futilité même.

Tel un miroir Brot les trois écrans de tailles différentes renvoient plusieurs points de vue.
Une projection : un monde imaginaire.
Un reflet : les enfants se filmant.
Une relation : l´artiste cadrant.
On peut y voir un jeu de construction et déconstruction de ce qu´est un portrait ; un méta portrait.

Paysage luxuriant et synthétique créé par l´artiste japonais Toshio Iwai et structures hétérogènes et originales conçues par Renée Gailhoustet et son équipe comme terrains de jeu.

Le titre très littéral, Gameplay, évoque une mise en abîme du jeu.
Flavie Pinatel nous montre des enfants jouant à jouer au rythme très serein de l´enregistrement d´une partie d´Electoplankton composée par David Oppetit.
Avec ou sans masque, seul ou en groupe, devant ou derrière l´objectif, les 4 personnages (figures) passent d´un écran à l´autre, circulant dans les méandres de la cité.
Cette construction en ouroboros ajoute à la vanité très éloquente de cette vidéo.
Les métaphores du temps qui passe s´entrechoquent avec ironie et distance (jeunesse, reflets, musique, mathématiques ou jeu).
De ces jeux sans buts ni fin, de ce vain tourbillon ressort une extrême mélancolie.

Si la vacuité est au cœur de ce qu´a cadré l´artiste, elle est d´autant plus tangible par les choix du médium et du dispositif.
La vidéo, donne corps au temps et les trois boucles rendent cette vacance vertigineuse.

Gameplay semble nous rappeler que si l´environnement est un palimpseste, et l´identité une interface, reste à en explorer les infinies possibilités combinatoires.

Daphné Boussion


Flavie Pinatel a présenté Gameplay
du 15 novembre au 13 décembre 2008
à la Zoo galerie
49 chaussée de la Madeleine, 44000 Nantes
Tél : 02 40 35 41 55 - www.zoogalerie.fr


Flavie Pinatel - Gameplay


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H A M B O U R G



Edition Historisches Hamburg
Edition Historisches Hamburg


H A M B O U R G

Maintenant que Marseille est bénie internationalement et bénéficie d´un effet d´annonce quant à sa nomination de Capitale culturelle dans un temps proche, le JSO a décidé d´essaimer et d´exporter ses missi dominici dans les ports jumelés avec Phocée. Première étape d´une migration Hambourg, la cité hanséatique et sa puissance. L´année dernière, nous avons pu voir et entendre déjà un avant-goût à Marseille de la scène poétique hambourgeoise.
Pour ceux qui n´ont pu assister aux lectures sélect de Hendrick Rost et autres émissaires, nous allons brosser un portrait exhaustif à la fois des tréteaux institutionnels et des scènes alternatives. Au printemps, à chaque printemps, partout dans la ville explosent, sortis des squats et des aspirations de productions des groupes de preneurs de parole qui instituent un lien langagier avec le public multiethnique : turc, portugais, italien, camerounais, ghanéen. Proches des troubadours et de la comedia dell´arte, ces apartés musicaux et drolatiques attirent beaucoup de monde dans les parcs et squares.
A l´instar de Montréal et de Marseille, Hambour est véritablement une ville cosmopolite avec des quartiers communautaires, des enclaves très particulières, ce brassage linguistique se fait entendre dans la production de Fahrad Schwogi à la fois très savante et lettrée et dérapant par instants tel un chanteur de rap ou de raï ; tous ces aèdes ne trouvent pas le chemin de la publication. Les Allemands, très amateurs de lecture en public, ont développé depuis deux siècles ce mode opératoire de présentation des textes, ils éprouvent visiblement plus de mal avec les écrits en chantier, non finis, en cours. Au Literaturhaus qui est un peu notre équivalent du Cipm de le Vieille Charité, se déroulent conférences, débats et lectures ; l´ambiance y est plutôt compassée, assez religieuse, l´auteur bénéficiant toujours d´une aura sacrée imperturbable. Une certaine solennité dans le dire et dans la réception de l´écoute donc.

L´essence de l´autre est invérifiable. Ainsi l´auteur, seul autorisé à parler de ce qui lui arrive, peut se méprendre sur ce qu´il doit dire. Dans les attendus, il convoque l´assemblée de ne pas répéter. … aussi paradoxal que cela puisse paraître, nul n´acquiert d´expérience à dire son texte. Bien au contraire, plus un auteur livrera ses textes à la parole, les exercera publiquement et plus il sera déçu, navré d´un comble jamais accessible : le report de l´émotion qui l´a porté à écrire, à graver son nom sur l´écorce des ans, ce report ne joue pas ou joue mal. Ni faveurs ni défaveurs en termes d´exactitude et de vérité. Il n´est pas le même, ne peut être le même écrivant ou lisant l´écrit, il est déporté sous l´emprise de la parole proférée dans l´empire des mots. Monde dont il essaie de partir de toutes ses forces, servi par lui, baignant dans sa lumière et rayonnant dans sa fumure et son usure.


La lecture de componction de type classique a peut-être vécu. Comme s´il émanait d´une afféterie hypertribale, une célébration d´un rite de passage et confirmation d´un plaisir liée à l´expression d´un langage imagé ou surchiffré.
A notre quête réitérée de performers et de poésie orale, nous avons été obligeamment guidés vers les initiatives du milieu alternatif. Hambourg qui détient le record germanique en milliardaires (une bonne vingtaine) est aussi la ville la plus misérable, qui connaît le taux de chômage le plus élevé d´Allemagne Fédérale. Le tissu urbain distribue les rapports de force, des quartiers de plomb et de béton pleins d´hôtels particuliers avec gardes près du lac et des ghettos, des banlieues lugubres semblables à celles de Kaliningrad. La Ville en tant qu´institution recense toutes les pousses et tendances, l´intendant du livre chine et repère assez vite le nouveau et le singulier dans les prestations de rue. Les irrédentistes n´aiment pas être pris en main, l´idée d´être secourus, assistés, entretenus de façon continue ou brinquebalante, ne leur agrée. Nous avons été assez vite obligés de fuir le cadre d´échange entre personnes autorisées et butiner en dehors des ornières de la parcimonie solennelle. Une pompe qui ne se départit pas d´une ironie, tout ceci est balayé par des grapheurs et autres taggers échappés des squats sur la place St Moritz à Sternschance.


Susanne Marten & Hüseyin Olpak
Susanne Marten & Hüseyin Olpak

Le mordant d´une Suzanne Hartmann-Olpak qui allie le turc, des chansons et du bas allemand rehaussé par l´argot des putes de Sankt Pauli, les prêches en baloutche des imans et des jouets d´enfants achetés en vrac dans des boutiques ouvertes jour et nuit, donne un tout autre son. Même si nous ne comprenons pas tout du turc et des abréviations et néologismes, il se passe là nettement quelque chose d´hirsute. D´autres poètes très jeunes, tel Benjamin Maack, perforent et performent les slogans publicitaires qui euphorisent la toute-puissance germanique, machines de guerre, grosses cylindrées et technologie à tous les étages. Un système de traduction anticipée des courts haïkus pourrait servir de modèle expérimental en cas de présentation à Poésie Marseille 2009/2010.
La difficulté de transposer l´énergie de la poésie dans une langue autre rencontre plusieurs problèmes, les actionnistes de l´Ecole de Vienne n´ont pas essaimé jusqu´à la Hanse et les grands ports du Nord où la tradition du dict (Dichtung veut dire poème) pratiquée dans les tavernes a disparu. Epris du beau langage et à l´aide d´une bonne mousse, se levaient dans des lieux de libation et de brassages culturels incessants le marin débarqué, le migrant mirifique, le poète échoué ; ils montaient sur un tonneau balancer des odes que la plupart des assistants connaissaient d´autorité. Les porte containers ont changé la donne (les bombardements alliés y ont contribué) et la gentry de Hambourg a jeté son dévolu sur l´Elbe créant sur des pontons artificiels une sorte de banquise en béton doublant les docks avec des immeubles vitrés ; les petits troquets où jusqu´en 1950, les poètes et chansonniers entonnaient des histoires de visages (Gedichete Gesichten) ont reculé dans la ville.
La profusion de production poétique est si grande qu´Hambourg concentre les sièges des grandes maisons d´édition de langue allemande. Le budget alloué au livre est quatre fois celui du département des Bouches du Rhône dans ce domaine de l´aide au livre et à la lecture publique et aussi conséquent que celui du Grand Lyon. Les concours de poésie de volte, de poésie à la volée, se font plus discrets. Chaque année est publié pour 15¤ un magnifique catalogue des meilleures nouvelles des écrivains émergents des différentes communautés, la 11e édition de Ziegel (la brique) révèle encore des joyaux inclassables de cocasserie. Le ton hyperréaliste, la vivacité des points de vue, la variété des tonalités reproduit plutôt bien la richesse du terreau. La qualité de présentation, le design de la maquette cartonnée, la modicité de prix du gros volume où plus de vingt auteurs trouvent l´aubaine d´une parution séduisante, tout fonctionne pour produire une réussite de référence.
Fait aussi marquant qui frappe le regard et l´imagination, la réédition vraiment éblouissante du livre de Heinz Kindlimann, son Voyage chez les Indiens Yanomari à quarante ans de distance à la frontière du Brésil et du Vénézuela. Son format d´abord, 35 x 22 tout en largeur, le ton qui accompagne les images rayonnantes et mystérieuses rappelle le ton de Nicolas Bouvier ou Paul Théroux, des écrivains voyageurs. L´univers d´African Queen.
Il est à remarquer que ce livre est acheté et présenté comme un livre d´art et placé dans les lieux d´art et non comme un ouvrage ethnologique. Il apparaît moins belliqueux et publicitaire que le show d´Arthus Bertrand, du cadeau d´entreprise obligé pour ceux qui se déplacent en hélicoptère de latifundia en ranch.
Autre découverte, la subtilité de l´ouvrage édité par les soins de la belle Andrea Korban, correspondante à New York pour deux magazines allemands qui publie "Les animaux et nous" (non encore traduit), un recueil de textes choisis par elle sur un thème traité ici par Jean-Christophe Bailly ou Boris Cyrulnik et autres penseurs. Ces livres trouvent un écho tout particulier, ils servent à la base d´enseignements lors de séminaires de la Hochschule (l´Ecole d´art de Hambourg) et de tournées non pas de promotion mais d´agitation d´idées dans les villes de Lübeck et de Brême ; la vie d´un livre ou d´une exposition est gérée outre-Rhin en partenariat.
Le déclenchement de débats est plus recherché qu´une vente aléatoire. Un bruissement d´idées et de sons, une portée sur le moyen terme, la relance auprès de différents publics, propositions d´échanges et de combats d´idées aigus, donnent un avant-goût de ce qu´il est possible de faire avec une volonté politique de pratiques suivies et répétées.

P.S : le pavé encadré est extrait de "En public" publié par l´auteur aux éditions Exils.

Emmanuel LOI



H A M B O U R G


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POISSONNERIE - Armelle Kérouas - TANGENTE



Armelle Kérouas, “STOLV” ,broderie sur toile, 2009, photographie Henryi
Armelle Kérouas, “STOLV”, broderie sur toile, 2009, photographie Henryi


DOUBLE EXPOSITION - Armelle Kérouas

A la Poissonnerie, Armelle Kerouas nous livre un art " engagé " où elle kidnappe l´actualité sous forme d´exergues brodées et de pernicieux carrés vintage.

Armelle Kerouas, c´est un peu le tonton flingueur de la broderie. Pas n´importe quelle broderie. La broderie en art contemporain. Les œuvres d´Armelle usent du fil comme d´autres usent du pigment. Son fil brodé au point arrière nous expose des vérités fortes, claires, abruptes, des vérités piquées de couleurs. Les couleurs viennent subrepticement étayer le propos : verts-armée, bleus/blancs/rouges-drapeau, mauves/verts-vintage.

Oh oui, Oh oui encore, Plus fort. Ne vous y trompez pas, ce ne sont pas des échappées de jouissance. Non. Ce sont d´acerbes ironies que pique la fée Kerouas sur ses toiles. Elle y ajoute un terrible petit " rien " : une grenade, une mitraillette, un missile. Trois images réduites à leur plus simple expression. Elle va dans le mille, Armelle. De la pointe de son aiguille, elle perce la toile du peintre et réveille nos consciences endormies avec ses trois fois rien. Un mot, un objet, du fil et une aiguille... Comment fait-elle pour dire tant de choses avec si peu de moyens !

Mais ce n´est pas tout. Osez le Vintage nous séduit par ses couleurs attrayantes. On a envie d´acquérir toute la série des six jolis carrés tendance. Ici, la broderie a gagné en matière, elle se superpose. Mais c´est pour faire trompe-l´œil : sous les couleurs fashion se cache une venimeuse svastika. Telle une vipère dans un panier de figues. C´est qu´elle nous tend des pièges, Armelle, et bien malin qui y échappera.
Chez Armelle, aucun message n´est anodin, aucun propos n´est banal. C´est une magicienne, et si elle manie l´aiguille, c´est pour nous trouer les yeux.

A la Tangente, Armelle Kerouas nous donne à voir ses facéties faussement " people ". D´un côté, sur une dizaine de toiles brodées, Armelle s´inquiète de ce que deviendra Paris Hilton si le dollar s´effondre. Elle égrène des réponses multicolores en français sur le ton de la conversation badine. Mi-question, mi-dessin, chaque œuvre acoquine une idée concrète à un objet décalé.

En face, un ensemble de toiles de formats variés disposées tel un retable privé.
Ici, Armelle imagine en anglais une relation supposée et intime avec quelques célébrités mâles internationalement convoitées. A sa manière succincte et frugale, elle annihile la distance avec l´icône et la transforme en relation épidermique. Les Brad (Pitt), Sean (Connery), Ashton (Kutcher) s´en trouvent tout à coup très incarnés.

Jamais vulgaire mais toujours tendancieuse, Armelle s´en donne à cœur joie et nous montre qu´elle a plus d´une aiguille dans sa trousse !


Carine KOOL


La Tangente, du 6 février au 15 mars
hall des antiquaires, marché aux puces
tel: 04-91-58-30-95 - la.tangente.free.fr

La Poissonnerie, du 6 au 20 février
360, rue d´endoume
tel: 06-13-14-68-35 - lapoissonnerie.free.fr



POISSONNERIE - Armelle Kérouas - TANGENTE


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LA MAISON DES ARTS - Jean-Michel Meurice/Claude Viallat - LA COULEUR SUBLIMÉE




LA COULEUR SUBLIMÉE

"... très tôt, Meurice et Viallat vont commencer à travailler au sol et à malmener la toile (manière de désacraliser la peinture) en la pliant, la froissant, la trouant, etc...", cette citation de Xavier Rognoy tirée du catalogue de l´exposition (La couleur sublimée) pour expliquer le titre malmené lui aussi du présent article (cette dernière inversion malmène également la phrase en lui donnant un tour précieux).
Il est de fait que le mouvement brutal de Supports-Surfaces fit basculer toile et chevalet qui ne s´en sont jamais complètement remis, mais c´est un mouvement d´humeur assez connu pour que nous n´ayons pas à y revenir (plutôt y rester).
L´accrochage à la Maison des Arts de Carcès est réussi, très professionnel, comme tous les accrochages qu´on y a pu voir (je persiste dans l´inversion des termes, marotte nouvelle). Mais cette fois ça ne doit rien à la dextérité des hôtes, Michèle et Christophe ; de leur propre aveu Viallat est venu en personne procéder à l´accrochage qui fut très rapide, l´artiste ayant acquis au fil du temps une grande dextérité dans l´appropriation des lieux et l´harmonie des oeuvres.


Claude Viallat
Claude Viallat

Deux sujets d´étonnement dans ces choix d´accrochage : tout est à hauteur de regard chez Viallat, c´est à dire plus bas qu´à l´accoutumée, le premier coup d´œil est un peu désorienté, comme lorsque l´on passe de la lumière intense à la semi obscurité, mais très vite le regard s´adapte. Et puis l´une des premières toiles en entrant (acrylique sur sac en toile de jute), noire et marron, dément le propos de l´exposition, comme pour mettre en valeur le reste (affirmation par opposition des contraires).
A noter les oeuvres se détachant du mur qui peuvent évoquer les capes de toréador, comme l´acrylique sur rideau et doublure reproduite ici peut renvoyer à l´habit de lumière.
Les titres valent leur pesant de déclinaison, comme un poème (on peut même supprimer le comme):
* acrylique sur cul de fauteuil
* acrylique sur toile de sac de café
* acrylique sur sac en toile de jute
* acrylique sur rideau et doublure
* acrylique sur assemblage de tissus
* acrylique sur assemblage de draps
* acrylique sur montage de chutes (bel oxymore!)
Le leitmotiv lancinant (acrylique sur) ne renvoie-t-il pas au motif récurrent dans l´œuvre de Claude Viallat (éponge, osselet, haricot, ce qu´on voudra...)?(comme le fait d´ailleurs l´accumulation des parenthèses dans le présent texte).
Une intéressante vidéo (décidément, du tic ça relève) sur place à regarder, dans laquelle avec simplicité de son travail l´artiste parle et dans le même temps nous le voyons agir, choisir ses matériaux (tissus très disparates souvent), les assembler à la colle, sans se soucier des bavures (pas très policé donc), peindre son motif au pochoir (qu´il place à main levée sans hésitation, et l´on s´étonne de voir toujours exactement la même inclinaison et le même intervalle entre deux motifs), puis choisir les couleurs, en fonction les unes des autres, selon sa décision du moment, parfois son motif en limite de deux tissus aux couleurs différentes, pousser la perfection jusqu´à ajouter un petit point de couleur sur la partie du motif qui dépasse, et parfois non.
Rapport direct et simple à son travail, qui est aussi un rapport direct au monde, on le voit dans la vidéo avec ses amis qui sont essentiellement des gens de corrida (Nîmes oblige). Le motif neutre ôte le souci de " quoi peindre... il peut alors se concentrer sur ce qui l´intéresse avant tout dans la peinture : les couleurs et les rapports qu´elles entretiennent entre elles" (article cité).


Jean-Michel Meurice
Jean-Michel Meurice

Avec Jean-Michel Meurice également l´accrochage a été facilité : absent, il a donné toutes les indications d´emplacement par croquis et téléphone, choisissant la deuxième salle : c´est que son travail est plus intériorisé, méditatif, de l´ordre du mandala. Ses grands cercles de couleurs rappellent ces tapis de tissus de récupération des années 80, jean et coton, souvent fleuris, comme ici, de touches légères, petites fleurs d´arrière-plan, d´arrière saison, comme en retard sur le printemps, ou bien découpées, matissiennes (Récaréde 3), volubiles (Li Po), fleurs au pochoir, très sty-lisées. Notons au passage l´utilisation chez les deux artistes de la technique du pochoir, de façon très différente, motif unique et obsédant chez l´un, diversifié et souvent estompé chez l´autre, comme un rappel dans les grands cercles, presque un souvenir de motif.
Les cercles sont concentriques, parfois formés chacun d´une seule couleur, d´autres fois de plusieurs, à main levée, on voit les traces plus épaisses de la fin du pinceau, on voit aussi de légers entractes de blanc, comme une affirmation de la gestuelle du trait de pinceau (l´unique trait de Shin Tao, le moine Citrouille Amère), qui refuse de revenir sur un manque, laissant des interstices, des ouvertures minuscules (sur le monde, l´au-delà du monde, le vide médian ?)
Les parentés premières, pour ce qui concerne le choix des couleurs, mais aussi de nombre de motifs chez Meurice, me semblent être données par Paul Louis Rossi dans son livre " Couleur pure " (Editions Pérégrines/Le temps qu´il fait) : le portrait d´Alfred Natanson par Vuillard, dont Meurice dit : " C´est un portrait d´homme assis dans un salon, vu de profil... peint sur une toile non apprêtée, un peu rousse, de couleurs genre tenue camouflée, des verts, des marrons ; la couleur bue par la toile laisse en surface une brillance de poudre cristallisée, très fine, veloutée, que l´on a envie de caresser."
"La sensation est corroborée, continue Paul Louis Rossi, par un autre cliché, celui d´une tombe étrusque à hypogée, que l´on découvre à Cerveteri... au nord de Rome. Les parois du tombeau sont striées de lichens, de mousses et de lécanores, et la surface du sarcophage recouverte dans toute l´étendue par un tapis de moisissures très vertes - un vert clair - comme une mare d´eau stagnante épaissie d´une couche de lentilles d´eau. Enfin, tout au fond de l´excavation, on aperçoit un fouillis de ronces et de branches qui pendent, un entrelacs de brindilles avec quelques boutures vertes."
Le grand secret du travail de Meurice, c´est la conviction profonde qui l´habite et qui se résume à ceci que "l´art de la peinture ne peut s´effectuer par des moyens mécaniques, qu´il est lié à une forme d´individuation du geste. Aucune esquisse, aucun trait, aucune valeur, aucune forme, aucune couleur ne ressemble absolument à l´autre." (PL Rossi, opus cité).
Réunis sous l´égide de la couleur, deux artistes très différents dans leurs approches, bien que partis d´un même mouvement. Une rencontre étincelante.


Antoine SIMON


Jean-Michel Meurice / Claude Viallat
- La couleur sublimée -
du 27 septembre au 20 décembre 2008
La Maison des Arts
7, bd Fournery, 83570 Carcès
tel:04 94 04 39 36
www.lamaisondesarts-carces.org



LA MAISON DES ARTS - Jean-Michel Meurice/Claude Viallat - LA COULEUR SUBLIMÉE


SOMMAIRE

LES ATELIERS DE L´IMAGE - YVELINE LOISEUR : L A V I E P A R A L L È L E



Yveline Loiseur, série “La vie courante”, de 2002 à 2008, 100 cm x 100 cm
Yveline Loiseur, série “La vie courante”, de 2002 à 2008, 100 cm x 100 cm


L A V I E P A R A L L È L E

Aux Ateliers de l´Image sis entre le Quai du Port et la Place de Lenche, expose jusqu´à fin février Yveline Loiseur, une photographe expérimentée, quasiment assermentée, qui a fait le serment de revenir sur ses pas et de désintriquer la matière de ce qui la constitue femme d´image. 15 ans après, elle est revenue à Dresde en ex-RDA se coltiner à l´abrasage de la ville atteinte comme tant d´autres par la modernité si l´on accepte d´appeler ainsi la modélisation d´une norme internationale et transfuge pour toutes les cités de la planète. Le tissage à travers le temps produit un dépôt de matière. Les rues souvent en chantier, l´orchestration des espaces en déshérence, signent une présence du moindre ; l´on perçoit que cela appartient à une gymnaste de la géométrie qui ne profiterait pas de la vacance pour projeter une scénographie qui l´arrange.

La précision de la juste distance hante la photographe, une hantise douce et ronde. Très peu intrusive dans la foule, beaucoup de groupes sont pris de dos, ne jouent pas avec l´objectif. Se faire oublier, fluer, frayer au sens de la truite sauvage qui remonte le courant. Aucun rapport religieux avec les segments de concentration humaine ; la marcheuse participe, elle emprunte, sollicite, picore, soulève ; le fait de ne pas s´attarder interdit tout rapport taxidermiste d´endolorissement de la conscience ou d´éblouissement face à la banalité, à l´extraordinaire étrangeté de la chose la plus banale (un pique-nique, une piscine improvisée dans un pré creusé couvert d´une bâche).


Yveline Loiseur, série “Les villes invisibles”, de 1992 à 2008, 40 cm x 40 cm
Yveline Loiseur, série “Les villes invisibles”, de 1992 à 2008, 40 cm x 40 cm

Le format carré de 50 x 50 segmente sans compartimenter, sans congratuler, cela forme un collier d´alliances, un champ de présences à soi qui n´est pas sans rappeler le cinéma comme le note dans la fiche de présentation de l´expo Nicolas Feodorff : "des personnages singuliers, un peu comme au cinématographe de Robert Bresson où les personnes ont ce statut si particulier de ce qu´il nommait des modèles, pas acteurs mais déjà plus eux-mêmes."

L´arrêt sur image de piétons, de trajets décidés ou aléatoires, combinés ou instinctifs, ne bloque pas, il suspend. Des êtres sans provenance définie dont le spectateur ne peut se prévaloir ou se prémunir de raconter un destin provisoire, pictogramme assidu d´un instant x dans un moment donné, des sujets en cours, des protagonistes d´une histoire qui est foncièrement toujours la même : qu´y a-t-il lieu dans un lieu ?

Dans une autre salle de la galerie ( qui produit, il faut le rappeler, un travail de proximité avec les habitants du quartier ) des petits tableautins encadrés de bois qui particularisent des éléments sont montrés, d´où une photogénie plus picturale. La caméra de surveillance en tant qu´objet insolite est sertie avec malice.

Plus loin, de grand formats de 100 x 120 peuvent apparaître des objets de placidité. Le lieu (un lit, une table, un enfant, l´absence de ciel) ou la scène reproduite (un apprentissage, une conduite de tous les jours, un petit somme sur le canapé) n´est plus le lieu d´affrontement entre l´ego de l´artiste et le cocon du sérail, un besoin de confrérie ou un accompagnement qui est à la fois le théâtre privé d´une intimité et une scénographie là plus du tout butineuse et transportable mais mise en scène, en saynètes, d´une sérénité fermée sur son mystère.


EMMANUEL LOI


Yveline Loiseur
La vie parallèle
du 23 janvier au 28 février 2009

La Traverse / Les Ateliers de l´Image
28-38 rue Henri Tasso, 13002 Marseille
tel : 04-91-90-46-76
www.ateliers-image.fr



LES ATELIERS DE L´IMAGE - YVELINE LOISEUR : L A V I E P A R A L L È L E


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Made in Barjols Volet 2 - Aller voir... ou faire ce que dit la peinture



Sylvie Guimont, “Jardin 2008”, 200 cm x 203 cm, Acrylique, toile, plastique polyane
Sylvie Guimont, “Jardin 2008”, 200 cm x 203 cm, Acrylique, toile, plastique polyane


Aller voir... ou faire ce que dit la peinture

La maison du Cygne présente Made in Barjols Volet 2, la seconde phase d´une série d´expositions dédiées aux Perles de Barjols. Cette fois c´est Sylvie Guimont et Katharina Schärer qui exposent leurs peintures.

Quatre imposants assemblages picturaux de Sylvie Guimont occupent le grand pavillon vitré ainsi qu´une suite de petits dessins encadrés qui représentent des motifs de végétaux et de fleurs. Chaque peinture est constituée de multiples toiles posées les unes sur les autres. Les espaces picturaux se superposent en laissant apparaître les fragments des débordements indiciels de la couche précédente. Les figures qui apparaissent sont indéfinies ; nature morte, cœur, gros plan d´herbe ? Les compositions se donnent à voir comme des motifs à réinventer. Les surfaces picturales incitent à lever les voiles des autres toiles glissées derrière. Les peintures sont suspendues sur des tiges de métal, un dispositif structurant la verticalité des plans et supportant le poids des surfaces à découvrir.

La peinture de Sylvie Guimont parle de sa nature multiple, de ses dédoublements, de ses détournements, telle cette recherche plastique amorcée à la fin des années 60 avec le groupe support surface. On retrouve dans l´œuvre de Sylvie Guimont ce même souci de déconstruction des composantes de la peinture. Le support, les matières plastiques, les pigments, les collages, tous ces affects matériels articulent des transformations structurales. Dans son travail, les agencements de traces de visibilité forment une mémoire gestuelle, un système relationnel qui donne des perspectives à la peinture et permet au spectateur de faire face à une "autre peinture", à la "prochaine phase de la peinture". Le constant recadrage avec l´éternel recommencement du tableau nous suggère que le peintre refuse définitivement de contenir la peinture dans un cadre unique avec une seule technique.

Regarder la dimension multiple de chacune de ses œuvres, c´est s´approcher de cette chair visuelle débordante d´énergie. Chaque pièce, faite de toiles superposées les unes aux autres, rayonne de et avec tout ce qui l´a précédé dans l´histoire de la peinture. Ce déploiement spatial est subversif, parce qu´il étend le spectre de la mémoire d´une forme traditionnelle de la peinture, pour mieux le briser et le repenser.

Dans cette approche picturale il ne s´agit peut-être pas de voir mais de faire ce que dit la peinture. Que dit cette peinture qui se fait porteuse d´une multitude de temporalités et qui crée une tension entre ce qui apparaît et ce qui résiste au voir ?
Elle libère l´image de son état idéalisé sur la toile. Il s´agit d´un transfert, l´image devient toile. Sylvie Guimont la place là où elle sera support et surface, la camoufle derrière d´autres peintures pour préserver l´intimité du rapport immédiat qu´elle entretient avec celui ou celle qui la regarde.


Katharina Schärer, “in_048”, 120 x 120 x 2 cm, peinture à l´intérieur de plaques avéolaires
Katharina Schärer, “in_048”, 120 x 120 x 2 cm, peinture à l´intérieur de plaques avéolaires

Katharina Schärer construit ses tableaux à partir de la matière picturale. Ses peintures occupent le second espace de la Maison du Cygne. Elles sont présentées au mur et au sol comme des objets.

Ses tableaux sont conçus à partir d´anciennes plaques alvéolaires industrielles. Dans ces tubes rectangulaires, l´artiste fait glisser des quantités variables de couleurs. L´ensemble forme des bandes colorées, un jeu subtil d´alternances multicolores construit par étagement minutieux que l´artiste présente verticalement ou horizontalement.

Ce dispositif qui questionne à la fois le contenu et le contenant, n´est pas sans rappeler le travail moderniste associé à l´exploration des virtualités du médium.
Les peintres du mouvement Color-Field, (champs de couleur) comme Helen Frankenthaler, et Morris Louis versaient de la peinture sur des toiles non préparées pour suivre les effets de fluidité et les multiples possibilités de compositions.
Pour Katharina, c´est d´abord la rigidité de ses plaques industrielles qui sert de plate-forme à une remise en question des frontières picturales et de ses expansions possibles.

Faire ce que dit la peinture de Katharina Schärer, c´est suivre le passage de l´outil à la technique, un déplacement producteur de paradoxes. Suivre le tracé de la couleur, pas celui du geste du peintre mais celui du médium peinture qui glisse dans un espace autre que celui d´une surface, celui d´un contenant qui retient la matière et laisse le hasard agir dans la coulée. La peinture s´étend comme s´il s´agissait de mouler ou de remplir une fonction visuelle. La matière peinture devient signe, signal. Elle est significative d´une volonté d´occuper l´espace intermédiaire entre la sculpture et la peinture, l´architecture et le design. C´est cet interface que l´artiste propose dans les espaces d´exposition. L´agencement infini des lignes, les épaisseurs, les modulés, les ajouts donnent un côté accidentel au travail et une potentialité infinie en terme d´occupation des lieux.
La peinture n´a rien perdu de sa magie à notre ère virtuelle, les peintres revisitent ses sources d´expressions, ses formes et ses techniques. La peinture reflète-t-elle l´époque dans laquelle nous vivons ?
Peindre pour être compris disait Van Gogh et 500 années auparavant Jan Van Eyck, écrivait en dessous de ses œuvres "du mieux que je peux".
Pour Sylvie Guimont et Katharina Schärer peindre implique un déplacement de la peinture et du peintre qui propose de nouveaux espaces de compréhension, d´appréhension et d´articulation du présent.

Sylvie Guimont et Katharina Schärer font partie du collectif barjolais Artmandat qui a transformé une ancienne tannerie en un centre dédié à l´art contemporain: Les Perles
L´espace divisé en ateliers, logements et lieux d´expositions, présente un calendrier soutenu d´événements haut en couleurs. Un groupe qui foisonne de vitalité et d´enthousiasme.


Madeleine Doré


made in Barjols Volet 2
Sylvie Guimont / Katharina Schärer
du 16 janvier au 15 février 2009
Maison du Cygne
-centre d´art- Route de la Coudoulière
La Coudoulière, 83140 Six-Fours
tel : 04-94-10-49-90



Made in Barjols Volet 2 - Aller voir... ou faire ce que dit la peinture


SOMMAIRE

JULIEN BLAINE : COMME UN BILAN 2008 - REMARQUABLE



Sarenco devant la vitrine du Centre Culturel Français à La Pointe Noire (Congo)
Sarenco devant la vitrine du Centre Culturel Français à La Pointe Noire (Congo)


Comme un bilan 2008
remarquables :

En Janvier

Votre prix sera le notre
30 artistes contemporains à la galerie des Grands Bains Douches de la Plaine
à Marseille

Le nouvel an des poètes
Performance poétique n°1 pour les 80 ans de Pierre Garnier à la Maison de Jules Verne
à Amiens

L´un pour l´autre
Expo : les écrivains dessinent à l´abbaye d´Ardenne
à Saint-Germain-la-Blanche-Herbe

En Février

Avec John Giorno, Once More
au Bower Poetry Club
à New-York

En Mars

Expo, déclara(c)tion, atelier, etc...
Avec Sarenco pour le Le Printemps des poètes au Centre Culturel de La Pointe Noire
à La pointe Noire (Congo)

Ni vieux ni traîtres : poètes...
Avec Heidsieck, Lebel à la galerie Meyer Le Bihan
à Paris

Polyphonix
à l´abbaye d´Ardenne
à Saint-Germain-la-Blanche-Herbe

La fin du printemps de la poésie
et le début la semaine de la langue française

Avec Serge Henri Rodin au Centre Culturel Albert Camus à Antananarivo
à Madagascar

La Lanterne Magique
à La Réunion

Rock brown
des Kœurs purs
à Montreuil

En Avril

Favole e altre storie
Expo extraordinaire à la Fondazione Berardelli
à Brescia

DreamTime
au Parc de la Préhistoire
de Tarascon-sur-Ariège
et au musée de la Préhistoire
du Mas d´Azil

La nuit des musées au CAPC,
à Bordeaux

P(a)lace aux filles au CYRNOS-PALACE
à Ajaccio

En Mai

"Mai... Où en sommes-nous ?"
Friche de la Belle de Mai
à Marseille

Hôtel de Massa. Rencontre, lectures et débat autour du livre "Ecrire, mai 68"
à Paris

Dans les Jardins de Georges Sand
à Nohant

En Juin

Festival Art des Corps 2008
à Lagorce

Atelier du Sud : L´Aventure intérieure
à Salon au Château Musée de L´Emperi

6e Biennale Européenne d´Art Contemporain
à Nîmes

Conférencia accio à la Fondaciô Joan Brossa
à Barcelona

expoésie : 7e édition
à Périgueux

En Juillet

l´Histoire de l´oeil - avec Jürg Halter - 12ème Rencontre littéraires
Nord-Sud-Passage.
à Marseille
l´héritage artistique et culturel de mai 68...
en Avignon

Le temps retrouvé
au Musée de la Poste de Caen & Mairie de Cabourg

Les voix de la Méditerranée
à Lodève

En Août

A Concentrate of Experimental Poetry
à Montevideo - Buenos Aires - Santiago.
Uruguay - Argentine - Chili.

En Septembre

La caravanne des poètes
400ème anniversaire de la fondation de l´état de Québec : Québec - Chicoutimi - Trois Rivières.
à Québec (Canada)

La Muga Caula, Trobada
à Les Escaules

Musée muséum de Gap
à Gap

ActOral : la fin de la chasse
à Marseille

En Octobre

Six reine pour une sirène
à Marseille

premier marché de la poésie à
à Montreuil-sur-Brèche

Poésie Marseille
Cinquième : divers musées, librairies et galeries de Marseille
à Marseille

Festival accès(s)
à Pau

En Novembre

Festival Images de la ville & les Écritures croisées
à Aix-en-Provence

The world of Performance Art : ten years of Asiatopia

Au New BanGkok Contemporary Art & Cultural Center
à Bangkok (Thailande)

Roma Poesia : Favole e altre immagine
à Rome

Biblioteca civica d´arte L.Poletti Adriano Spatola e sul suo lavor
à Modena

En Décembre

Colloque international
à Aiglun

SOS-art.com
à l´Avant-rue
à Paris

Lectures, rue Benoît Malon
à Marseille
pour les éditions Fidel Anthelme X

Et je devrais parler mieux plus longtemps des beaux moments 2008 :
2008 - 2oo8 - 2oo∞= 2008 ( l´infini s´était redressé, c´était plutôt bon signe ! )

Mieux et plus longtemps de Pierre Garnier, de Jean-jacques Lebel, de Bernard Heidsieck, de John Giorno, de Sarenco, de Serge-Henri Rodin, de Patrice Treuthardt, des trois Calleja (Arno, Didier et J.M.), de Joan Brossa, d´Édith Azam, de Nat Yot, de Marina Mars, de Jürg Halter, de Richard Martel, de Marcel Proust, de Jacques Ralite, de Fabrice Beslot, de la place de l´Opéra à Marseille dans et sous les sirènes avec la Cie Alzhar, De Nani Balestrini, de Jacques ou Claude Darras, de Frédérique Guétat-Liviani, de Éric Cassar, d´Anne Kawala ou d´Adriano Spatola...
Qui tous pour de bonnes ou mauvaises raisons ont rempli mon an 008


Adriano Spatola
Adriano Spatola

Mais c´est d´Adriano dont je vais vous dire
2 mots
20 ans qu´il est mort, le cœur éclaté à l´heure de la sieste...
Il fut un redoutable inventeur, organisateur, éditeur,
Il fut un splendide poète inventeur de la poesia totale.
Comme beaucoup d´entre nous et d´entre eux il commença par un recueil de vers Le pietre e gli dei (Tamari, Bologna) en 1961. Dès l´année suivante il crée la revue BLU, qui publiera seulement deux numéros. Déjà il travaillait à Bologna membre du comité de rédaction de la revue "Il Mulino", un nom prédestiné en ce qui nous concerne...
Il collabore en même temps à "Il Verri" et à "Nuova Corrente".

Mais la poesia totale est toujours là à ses côtés, dans son corps, dans sa bouche, dans ses livres, dans ses prestations nommées plus tard performances. C´est l´expérience la plus complète du mot de la "parole" ainsi qu´il est nommé en italien à juste titre. Il continue ainsi, poursuit et développe les enseignements des avant-gardes historiques et surtout celles qui viennent de naître et de se développer comme les poésies concrètes, visuelles et sonores...

Mais cette totalité englobe le son et le mouvement : sa voix et ses gestes.
Il eut un premier mouvement, penchant vers le surréalisme mais ses recherches et son travail auprès de la revue Malebolge (1964), le conduise vers une nouvelle écriture caractérisée par le travail de l´auteur : un artiste qui produit des actes visuels et sonores. Ce dialogue permanent l´emmène vers cette poésie totale qui mélange toutes les disciplines artistiques.
Il participe alors au groupe 63 qui modifiera les perspectives puis l´histoire dans la culture italienne.
Après une première expérience en prose avec son roman "L´oblò" (Feltrinelli, 1964), il se consacre qu´à la poésie, à elle seule. Et il renouvelle ses expériences, ses pratiques même celles de la poesia concreta et de la poesia sonora. Par exemple dans cette composition abstraite "zeroglifici" réalisée à partir de collages avec des fragments de lettres de plusieurs alphabets.
En 1968 il fonde à Turin avec ses frères Maurizio et Tiziano les éditions Geiger. Il s´installe à Rome où il participe quelques temps à la "Quindici".
Alors il est temps de publier en 1969 son essai "Verso la poesia totale" (Ed. Rumma, Salerno), qui s´impose immédiatement dans le monde des critiques de la poésie contemporaine. Il sera publié plusieurs fois en 1979 (Ed. Paravia), et traduit aux Éditions Via Valeriano par Philippe Castellin ; il est toujours l´un des meilleurs textes théoriques sur la poésie contemporaine, celle de la fin du XXe siècle.
L´expérience romaine le laisse sans illusion sur le monde commercial des auteurs et des "grandes" éditions... Adieu "Quindici", il retrouve, enfin, un moulin dans le Val d´Enza, à Mulino di Bazzano, là, avec Giulia Niccolai, alors sa compagne, il crée la revue "Tam tam" (1972), qui, très vite deviendra le point de ralliement de toutes les avant-gardes historiques d´Europe et du monde... Surtout un point de rencontre pour les jeunes auteurs.
En 1979 il fonde "Baobab", une revue sonore sur casette, sous titrée : Informazioni fonetiche di poesia.
"In quegli anni, la vecchia amicizia con il poeta francese Julien Blaine lo portò ad entrare nella redazione della rivista "Doc(k)s", di cui Blaine era fondatore e animatore."
En 1981 il anime et dirige l´incroyable revue "Cervo Volante".

Durant sa courte vie il fut ce nomade croisé à tous les carrefours de la poésie, dans tous ces festivals internationaux comme One Worls poetry à Amsterdam ou la Biennale di Venezia (1972) et la Quadriennale di Roma (1986).


Julien Blaine



JULIEN BLAINE : COMME UN BILAN 2008 - REMARQUABLE


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MADELEINE DORÉ - LE PETIT SALON QUÉBÉCOIS DE L´AUTO ÉDITION



Le petit salon québécois de l´auto édition


Le petit salon québécois de l´auto édition

Cet hiver, la galerie Jean-François Meyer donne carte blanche à l´artiste québécoise Madeleine Doré. Elle présente les auto éditions de son mouvement Bonheur d´occasion tout en créant le petit salon québécois de l´auto édition. Jouant du double rôle d´artiste et de commissaire, elle invite une dizaine d´artistes à présenter leur travail d´auto édition.
Sans pourtant l´être vraiment le petit salon québécois de l´auto édition a tout d´un vrai petit salon d´auto édition. La cérémonie d´ouverture donne le ton, celui d´une auto dérision tout en finesse. Le jour du vernissage, lors de sa performance d´ouverture, Madeleine Doré étrenne son salon en coupant le ruban rouge. Elle se l´approprie définitivement en le signant sur une porte de la galerie et finit rayonnante sous une pluie de petites pâtes en forme de lettres envoyées par le public sous les cris de "Vive le Québec livre." Entre livre et libre, il n´y a qu´un pas. Etymologiquement, tous deux proviennent de liber, nom donné au tissu végétal qui forme l´écorce des arbres. Cela à former le mot livre car autrefois on écrivait sur le liber du tilleul et l´adjectif libre dans le sens de sans entrave. Libéré est d´ailleurs resté dans le langage botanique pour désigner la partie de la tige qui adhère à l´autre mais qui à une certaine hauteur s´en trouve libérée. De même, lorsque les livres sont brûlés lors de pogroms, la liberté de pensée s´envole avec leur fumée.
Sans tomber ni dans la caricature, ni dans le grotesque, l´artiste relativise en douceur avec une distanciation ironique. La banderole présentant le petit salon sous l´égide d´une bonne mère un peu chromo renforce ce sentiment. Si, les stratagèmes les plus courants de l´auto dérision sont le déguisement et le travestissement, ainsi l´artiste joue sur les références, les citations en conjuguant les multiples facettes de l´écrivain.
Le présentoir des éditions bonheur d´occasion est une petite installation parodiant différents rayonnages de libraires - Policier, Jeunesse, Théâtre, Bande dessinée, Cuisine -. L´artiste joue à se mettre en scène de différentes façons, elle prend de nouvelles postures. Créativité et humour se donnent la main, la recette "de faire comme si c´était vrai" porte ses fruits et le salon devient réalité.
Ce salon naît de la nécessité de Madeleine Doré de confronter ses livres avec d´autres, de créer des vis à vis. Le livre est un objet relationnel, tel un portrait, il se personnalise au contact des autres. C´est en la présence de l´autre qu´il prend un caractère, une nature, qu´il se définit. Comme l´artiste crée de manière mimétique et mouvante, elle a besoin des autres pour poursuivre ses jeux de miroirs formant, déformant. Si je compare les livres de l´artiste à des portraits, c´est loin d´être un hasard, en effet tout son tourne autour de la notion d´autobiographie.
Chez elle, l´énonciation du qui suis-je? n´est pas récente. Déjà en 1999, chaque jour, pendant quatre mois, elle peignait un autoportrait à l´acrylique sur toile, formant finalement une œuvre imposante acquise par une bibliothèque. De même, à partir de l´an 2000, quotidiennement pendant six ans elle demande à un tiers de la photographier. Le portrait, énonce-t-elle contient en lui-même le mot port et le mot trait. Tirer des traits dans la mouvance des reflets de nos projections afin de créer un point d´ancrage qui peut-être sera révélateur.
Suite à sa dernière exposition chez Jean-François Meyer bonjour je m´appelle, ici on assiste à la variante avec quelques modifications, bonjour je m´édite.
Madeleine Doré a réalisé un livre par semaine, adoptant à chaque fois un différent style d´écriture, une autre relation entre le texte et l´image. Comment opter pour une vérité quand tant d´autres réalités sont présentes ? Sa personnalité bouillonnante de créativité ne peut se confiner dans une seule facture. Elle multiplie ainsi les facettes de son univers, en conjuguant les possibilités d´être au monde.
Chacun de ses livres est dédié à une personne. Objet relationnel, il est fait pour être offert, être partagé avec quelques intimes. C´est cet échange privilégié qui motive sa création. Le livre est conçu comme un tableau, une œuvre voyageuse mobile. Loin d´illustrer des moments, l´artiste donne sens et forme au vivant, elle use de la réalité comme d´une matière malléable, transformable. Il en résulte des livres où art, vie et poésie se télescopent, où l´action artistique débouche sur une forme créative d´écriture.
Son petit salon offre des livres édités par une grande diversité d´artistes. Cela va d´éditions proches de la documentation d´événements comme celle réalisée par Sylvie Guimont et Christiane Ainsley sur le travail d´Artmandat - un centre d´art très dynamique - au "presque" livre d´artiste, le voyage d´Ulysse de Michelle Héon, - une édition prestigieuse, tirée à un seul exemplaire -, en passant par les livres conçus comme outils thérapeutiques, réalisés lors d´ateliers d´écriture pour femmes sans domicile fixe, dirigés par Diane Trépanière. Tous les artistes présents ont un corpus solide de travail plastique, les auto éditions qu´ils présentent sont un écho de celui-ci. Loin d´être une illustration, il est plutôt une voix off, un objet avec un statut tout à fait spécial.
Les livres dialoguent, entrent en résonance, laissent entre passer des échos de phrases silencieuses.
Lors du vernissage, les invités spéciaux du petit salon, le duo Hélène Sarrazin et Claude Dallaire ont édité en direct avec le tordeur. Le tordeur est une ancienne essoreuse de machine à laver utilisé en tant que presse à estampes mobile et également le nom de leur centre d´art fondé dans la région du Bas Saint Laurent. L´édition réalisée à Marseille s´inspire librement de l´histoire de ce centre.
La production de Louise-Andrée Lauzière s´intitulant SexyFall, CHUTe! Oui /nous, lauréate du premier prix d´Expozine à Montréal en 2006, est une invitation à l´intimité. Son approche imagée et réaliste dialogue avec le livre de Michelle Héon, une succession d´images de vagues rouges, transparentes, se dépliant et se repliant l´une sur l´autre.
Joceline Chabot aborde ses livres comme des installations. Ce sont des espaces d´exploration, d´intervention conçus lors de résidences d´artistes. Gaufrages, sérigraphies, confectionnés à l´aide de bleu de méthylène, de teintures d´iode, de myrrhe, de benjoin s´allient pour donner des réalisations épurées et poétiquement condensées. Sa préoccupation de l´espace résonne avec la démarche de Louise Paillé qui squatte, la vie, le livre, l´écriture, l´image. Elle transgresse de façon méthodique les codes internes de la tradition livresque et produit un contre usage du livre ; Elle prend par exemple comme support de petits livrets que les éditeurs offrent gratuitement dans les librairies. Dans ceux-ci en choisissant des mots qui suivent la linéarité du récit et en les surlignant, elle réécrit un texte dans le texte.
Hélène Matte présente un petit livre coloré et poétique autour du manège, qui dégage une simplicité rayonnante. Celle-ci fait écho au livre créé pour l´occasion, par Paryse Martin et Stéphane Vallée ROND ROND. Une très belle réalisation autour de la forme ronde où nous retrouvons comme dans les autres productions un souci commun pour le coté esthétique et formel.
Parce qu´ils ne sont pas tracés d´avance, les circuits d´échange de ce salon invitent le livre à devenir un nouveau type de lien social, à déclencher des processus de rencontre. L´exposition donne le goût de faire des choses par soi-même, invite à prendre l´initiative de mettre en forme des instants de vie, à créer des réseaux intimistes. Un mode de mise en relation efficace entre art et vie.
Le petit salon de l´auto édition pose une réflexion sur " l´édition en forme de... ? " En forme de cheminement, de mouvance, pourrions nous répondre, un peu comme l´auto édition elle-même qui se définit par le processus assumé de toutes les étapes de création.


Françoise Rod


Galerie J-F Meyer janvier-février 2009



MADELEINE DORÉ - LE PETIT SALON QUÉBÉCOIS DE L´AUTO ÉDITION


SOMMAIRE

J'AVAIS RENCONTÉE JEANNE POITEVIN



Julien Blaine “les six reines”
Julien Blaine “les six reines”

J´avais rencontré Jeanne Poitevin sur le parvis de l´opéra lorsque sa troupe, la compagnie Alzhar, avait prêté main forte au poète et performer Julien Blaine lors de la cérémonie d´essai des sirènes qui est commémorée chaque premier mercredi du mois.
Pour la circonstance le poète offrait une lecture à la nombreuse assistance qui attendait avec lui en silence le signal de la première sirène.
Comme on le sait Julien Blaine a fait des adieux définitifs à la performance en 2006 mettant ainsi un terme à 40 années d´une pratique assidue qui l´a conduit à sillonner infatigablement la planète.
Si celui dont tout un chacun dans le monde et même le monde le plus contemporain, disait : "il vocifère, il faut s´y faire", conservait néanmoins pleinement l´usage de cet organe qui avait concourru à sa célébrité on pouvait craindre sur cette scène improvisée en plein air un regrettable déficit sur la plan de l´action. Heureusement Jeanne était là avec sa troupe et tandis que le poète déclamait, les six comédiennes juchées sur des petites échelles attendaient sans broncher, dans leurs costumes de reines de cartes à jouer, la sonnerie qui serait la signal de leur agonie. Et elles mirent tout leur cœur à se jeter au sol et mourir asphyxiées.
J´avais commencé à bavarder avec Jeanne et nous avions rapidement dévié sur le thème du rapport théâtre et performance mais la troupe et les musiciens qui avaient accompagné le poète l´attendaient pour dîner et je lui proposais de remettre à plus tard ce qui pourrait au fond prendre la tournure d´un interview.
C´est ainsi qu´elle est venue répondre à mes questions au siège du journal avec trois membres de sa troupe, un comédien, une comédienne et un vidéaste. On a commencé sans elle, Jeanne était en retard ou peut-être qu´elle était déjà là.

Marie Audrey Simoneau : Koltès conseille de jouer jouer en ayant envie de faire pipi... dans un état d´urgence organique et pas dans un état intellectuel

JFM : Du ressenti quoi.

Maxime Carasso : Mes références c´était le cinéma américain, Jeanne est une héritière par son père le poète Julien Blaine et sa mère la cinéaste Catherine Meyer-Poitevin. Elle m´a amené une autre vision :que les comédiens ne soient pas simplement dans un rapport de représentation un peu à distance... comme le comédien en retrait et en projection derrière son personnage... ce qui l´intéresse c´est qu´est-ce qui transparait de notre humanité à travers un texte...avec notre corps avec notre voix

Marie-Audrey : De quelle manière on était traversé par ce personnage qu´est-ce qui résonne en nous de ce personnage. Moi je n´ai pas du tout d´expérience de la performance je viens du théâtre.
Avec Jeanne il ya des gens très différents, de par leur formation, sur une scène de théâtre.
Ce qui l´intéresse c´est comment ça communique dans notre microcosme à nous et après comment on le transmet ?

Maxime : A chaque représentation ce qu´elle dit c´est : N´essayez pas de retouver, essayez plutôt de retraverser, d´imprimer des traces.

JFM : Est-ce que ça veut dire que vous ne répétez pas ?

Maxime : On répète mais la répétition est une recherche de rencontre avec le texte. C´est vrai qu´elle construit l´espace mais elle ne construit pas le relationnel des personages, le relationnel s´écrit, vient avec la singularité de chacun.

Marie-Audrey : Oui enfin il y a quand même la question de savoir... il y a quand même quelque chose de tenu, on n´est pas complètement lâchés
Elle commence toujours par de longues conversations mais qui sont déjà pour elle une étape de travail. Le travail de Jeanne me fait penser à une avancée dans le sable où tu as la trace de tes pas dans le sable et en même temps la mer qui efface tout mais il y a toujours ce mouvement de va et vient des vagues ça s´efface mais il y a toujours une mémoire.

JFM : Alors comment différencieriez vous la performance et cette sorte de théâtre que vous pratiquez ?

Marie-Audrey : Déjà en théatre il y a beaucoup de travail de répétition je crois que...

Sébastien Bretagne : Dans le théatre il ya toujours la médiation d´un auteur tandis que le performeur par nature il est auteur, c´est toujours un je.
Pourquoi est-ce que ça reste du travail théâtral; c´est qu´il y a quand même un auteur qui va donner... qui va être traversé par d´autres... qui vont se l´approprier ou se le réactualiser.

Maxime : Dans le théâtre de Jeannne moi je me sens vraiment en performance mais comme tu dis il y a toujours un je et je ne suis pas l´auteur.
La performance c´est très fortement politique, la volonté de bousculer les codes, l´appréhension de l´intime par exemple, l´intime s´est mis en public avec la performance et je crois que c´est vraiment la rencontre de ça... comment la performance est venue un peu foutre le bordel dans le théâtre. On l´utilise et elle a bon dos la performance on la pervertit un petit peu. Sur ce qui était là au départ, sur son essence et elle est mis maintenant comme une "attitude".

Sébastien : La performance ça a appris aux acteurs à lâcher quelque chose de la technique... plus vrai...

Marie-Audrey : Je ne suis pas d´accord avec cett interprétation là, on peut être vrai en tant que comédien...

Sébastien : Dans le téâtre on va vraiment s´attacher au sens.

Marie-Audrey : On ne va pas forcément s´attacher au sens mais à ce que ça provoque dans le corps de dire le texte, quelle musique ça produit, quelle sensation ça produit... c´est être traversé par ce que ça fait en soi de dire ce texte.

Maxime : Le metteur en scène voulait proposer une vision, c´est à dire qu´il n´y avait pas d´autre espace que ce qu´il proposait.
Que le sens se révèle et non pas qu´on appuie le sens, Jeanne est très vigilente par rapport à ça.
Elle veut que ce soit de l´ordre de la trace, évocation, résonnance...Dans la performance le public est libre.
Comment les actants sur scène se mettent en expérience, en découverte...

Sébastien : Dans les 2 dernières présentations il ya eu 2 cas de figure différents. Dans les videos je filmais sur scène avec les acteurs, j´étais parmi eux et c´était retransmis en direct sur un écran, sur un élément du décor et là aussi il y avait quelque chose qui était assez proche de la performance, on avait travaillé, il y avait eu des répétitions et en même temps je suis toujours libre de mon déplacement, de mon choix, du rhytme d´intervention et sur Britanicus il y avait 4 acteurs réels et 3 qui étaient joués sur des écrans donc ça c´était un peu plus rigide.

Marie-Audrey : Le Misanthrope, Britanicus, maintenant elle veut traverser des monuments, elle a longtemps monté ses propres textes.
Elle veut les ramener au présent, elle arrête la fiction à certains moments pour mettre des textes de Guérasim Lucas ou de Jeanne ou des textes issus de la mémoire d´ateliers qu´on a eu avec des adultes ou avec des enfants donc elle essaye d´ancrer formellement dans le présent.

Maxime : Elle a rassemblé des textes poétiques du moyen-âge jusqu´à aujourd´hui, jusqu´à Bernard Heidsieck et Julien Blaine et on les donne en lecture.

Mais la voilà.


Jeanne Poitevin
Jeanne Poitevin

Jeanne : En venant je réfléchissais au projet de la compagnie qui est née aux Beaux arts à Cergy Pontoise et l´idée c´était de faire une œuvre de théâtre et de dire que c´était de l´art plastique. A l´époque je m´étais fait renvoyer des Beaux arts pour ça., On m´avait dit : mais t´as qu´à aller écrire du théâtre, bon ben d´accord, renvoyez moi donc, ça m´a sauvé sinon ils m´auraient tué. Et donc on est parti dans cette histoire là : théâtre et performance et arts plastiques c´est une même chose. Alors après...
Moi j´ai d´abord été formée au théâtre par des stages que j´ai fait chez Ariane Mouchkine ou avec Niels Arestrup, Alain Knapp, Jean-Pierre Sarrazac et Jean-Pierre Ryngaert, Antoine Campo, Ben Gazara, Stella Adler, Shymé Shigéyama donc je suis devenue comédienne. Mais j´ai pratiquement jamais eu envie de proposer à une équipe de comédiens très formés de traverser mon plateau, l´espace que je propose avec un texte.
...des relais de mon regard avec des gens qui viennent témoigner du monde sur le plateau, quelque chose qui est un peu nomade entre le théâtre et la performance, la façon dont on dialogue avec ce texte énorme, extrêmememnt puissant et notre pratique. Il y a des moments qui sont complètement techniques, des moments performatifs où on jette notre énergie dans le texte avec ce qu´on a à dire aujourd´hui, avec l´état où on est aujourd´hui.
Pour la manifestation des sirènes on a répondu à une invitation de Lieux Publics.
La particularité d´ Alzhar c´est que c´est un vrai collectif alors moi je suis souvent incitatrice mais je ne fonctionne qu´en collectif donc Blaine quand il est venu nous chercher avec ses conques il est entré dans le collectif. C´est vrai que c´est extrêmement intéressant de proposer à des performeurs isolés de s´intégrer dans un collectif.
On travaillait sur les cris, sur les reines mais pour moi c´était un dialogue avec la mort, ça me touche beaucoup qu´il me convoque à cet endroit là mais qu´on en parle pas.
Le théâtre c´est un espace qui dit qu´ on tue la mort, qu´on est plus fort quoi.
Le théâtre aide les vivants à faire des deuils.

Maxime : La performance c´est l´éternité absolue

Jeanne : Dans le No il y a l´acteur et dessous il y a les morts.
Je suis absolument certaine que Molière rend visite à qui il veut, mais il faut pas le dire, ou Genet ou Koltès.

Jeanne : C´est vrai que les spectacles meurent aussi.

"Le théâtre c´est de l´ordre de la fiction, la performance crée une confrontation."


Propos recueillis par Jean-François Meyer


manifestation : "le paralèlle entre la performance et le Théatre"

Marie Audrey Simoneau - Comédiènne
Sébatien Bretagne - Vidéaste
Maxime Carasso - Comédien et Auteur
Jeanne Poitevin - Comédiènne et Auteur


Compagnie ALZHAR
direction Jeanne Poitevin avec Maxime Carasso
2 place Coimbra, 13090 Aix-en-Provence
Tèl: 06 62 86 27 05 - alzhar@voila.fr


Compagnie ALZHAR



J'AVAIS RENCONTÉE JEANNE POITEVIN


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POÉSIE MARSEILLE 2008



Chapelle de la Vieille Charité
Chapelle de la Vieille Charité


POÉSIE MARSEILLE 2008

Alors voilà, c´est la cinquième édition de Poésie Marseille, dont l´ouverture est stentorée par Julien Blaine dans la chapelle de la Vieille Charité qui fait caisse de résonance. Il se photographie avec humour pour marquer l´événement et cède la place à Marina Mars.
Je parlerai peu d´elle : un compte-rendu de sa performance est donné par ailleurs. Je reviendrai seulement sur la dernière partie qui semble avoir posé problème à certains : le paradis de sa marelle atteint, elle actionne la manivelle de ce qui semblait être une sorte d´autel, un diable jaillit de sa boîte. J´y vois l´illustration de la sentence "l´enfer est pavé de bonnes intentions", on croit parfois atteindre le paradis en se leurrant jusqu´au bout, ce qui correspond à l´affirmation zen " si tu rencontres le Bouddha, tue-le! " , car tu ne rencontreras pas le Bouddha si tu n´as pas toi-même atteint la bouddhéité.


Fernando Aguiar
Fernando Aguiar

Vient le tour de Fernando Aguiar (portugais) qui fait un poème, froisse les pages, les pose à côté, et voilà, le poème est fini, froissé, posé à côté. La table devant lui est jonchée de lettres en plastique rouge, il scande ses mots (incompréhensibles, du moins pour moi) en tapant du poing très fort sur la table et des lettres tombent, formant des mots aléatoires. Puis il dit un texte sur les choses qui rappellent, remplacent, multiplient, etc... les choses. Tout en parlant il se colle sur le tricot des lettres qui forment le mot générique "mot ". Enfin il déroule un autocollant blanc marqué fragile, le froisse, le colle sur la table et tape dessus violemment, prouvant qu´il n´est pas si fragile qu´il l´affirme (l´autocollant), en scandant des mots toujours incompréhensibles pour moi (mais ça ne fait rien : chaque mot remplace tous les autres).

Giovanni Fontana (italien) en combinaison blanche transparente avec cagoule et masque respiratoire, râle, respiration haletante, ôte cagoule et masque, respiration de gorge avec micro, puis accouche d´un œuf par la bouche, on sait désormais que la poule n´est pas à l´origine. Maintenant il parle dans deux micros, sons plus ou moins incompréhensibles, puis s´ajoute un enregistrement, l´ensemble fait musique qui nous emporte dans ses rythmes changeants avec plaintes et cris, crescendos et decrescendos, une partition sonore, un lointain descendant de l´Ursonate de Shwitters, un enregistrement de bruits, de chocs, de froissements auquel s´ajoutent des claquements de dents. Il finit en ouvrant sa combinaison et fouillant dans son slip, ce qui fait craindre le pire, et projette en l´air une multitude de petits morceaux de papier, semblables à des grains d´avoine, qui peuvent symboliser le sperme triomphant, ou la création, ou tout ce qu´on voudra, ou rien, être le geste pour lui-même, pourquoi pas ?


Bartoloméo Ferrando
Bartoloméo Ferrando

Bartolome Ferrando (espagnol) emprunte, lui, le geste auguste du semeur, bras haut levés pour éparpiller d´abord de la menthe (je crois), puis de la paille, puis des feuilles roussies d´automne (vigne, je crois), puis des lambeaux de feuilles de papier passées à la déchiqueteuse, puis des lettres de papier découpé. A l´aide d´une caméra sur pieds à roulettes il se promène dans ce monde miniature et filme, le résultat est projeté sur un écran. Avec des bruits de bouche il crée l´animation sonore de ce petit monde, comme si les habitants minuscules de cette contrée, elfes et lucioles (ou tout ce qu´on veut, qui n´a pas de nom), s´exprimaient dans une langue étrange. Hasard objectif, il termine son périple sur la lettre " a ", un peu à l´écart, le commencement de toutes choses.

Il termine aussi ce début très réussi de festival. Pendant tout ce temps je pensais à cette dame, conseillère municipale je crois, déléguée à la culture, qui nous avait dit, avant le commencement, qu´elle aimait la poésie et les alexandrins, et je me demandais comment elle avait pu recevoir ces performances, une nouveauté pour elle. Je me suis empressé de le lui demander, elle m´a assuré qu´elle n´était pas déçue.

Antoine SIMON


www.poesie-marseille.net



POÉSIE MARSEILLE 2008


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GALERIE ATHANOR - LES GROS NEZ DE GÉRARD FABRE



Gérard Fabre, vue d´ensemble, 2009, photo J.C.Lett
Gérard Fabre, vue d´ensemble, 2009, photo J.C.Lett


Les gros nez de Gérard Fabre

"Il faudrait, écrit Jean-Loup Trassard (L´ancolie, Gallimard, 1975), un récit qui soit comme un sabot. Ce serait, vu de l´extérieur, une ligne précise, assez courbe pour au hasard de ses développements revenir sur elle-même et sans fin décrire une forme d´apparence plutôt arrondie. A l´intérieur un creux. Un espace dans lequel on habite l´ombre. Les images rejetées s´enrouleraient sur le sol en copeaux." Plutôt arrondie comme le récit-sabot de Trassard, ou montée en nez, passablement briochée ou flanquée de rondeurs, avec une fenêtre au-dedans, non pas tournée vers la petite caverne érigée et obscure où loger son pied ou son sexe mais vers le dehors éclairé ou le mur blanc de la galerie comme une réserve en longueur, lèvres rougies, ou une meurtrière parfois cruciforme parfois onduleuse taillée par le milieu, définitivement hybride, la sculpture de Gérard Fabre raconte une histoire assez semblable à celle du sabotier.

Sauf qu´elle ne marche pas de la même façon. Son objet n´est jamais organique, en dépit de certaines formes comme surgies d´une planche d´anatomie - gibbosités, nombril saillant, téton, bourses ou pustules du meilleur effet - mais à deux doigts de l´être. Même si on pense parfois à des sortes de rocailles, elle n´a pas grand-chose de végétal. Elle n´est pas vraiment non plus animalière mais presque, là aussi, avec ses sortes de trompes ou d´oreilles babaresques. Elle n´est pas davantage géométrique, malgré ses orifices au carré, mémoire d´un suprématisme carnavalesque, mariage de Babar et de Malévitch qu´il agglutinera à la fin des années 90 en "Babarévitch" sur la table de dissection où ses sortes de freaks de papier mâché peinturlurés comme des berlingots se déclarent "des nôtres".

Une chose est sûre, comme les copeaux de Trassard, les "images rejetées" parce qu´elles auraient incliné l´objet vers l´illustration d´un objet réel et d´un récit encombrant, ne le sont pas tout à fait non plus. Il y a dans ces sortes de morceaux en forme de mannequins métaphysiques déjetés, des bâtons et des sections coupées net, des meubles divers projetés vers les murs, des nuages et des tables façon Giacometti, des sortes de fesses à la Philip Guston, des jambes écartées, des ventres, et même des visages. Dans Le mausolée des amants, Hervé Guibert extrait de son anus des sculptures du même genre en forme de buste de Beethoven et autres billevesées. Alors, on songe moins à un corps qu´on aurait réduit en morceaux qu´aux restes d´une sorte d´organisme mutant dont on aurait peine à comprendre le mode de fonctionnement. Nulle mélancolie dans ces géométries faussées ou interrompues, nulle nostalgie d´enfance dans ces carpes et ces lapins, que le sculpteur raboute avec empathie.


Gérard Fabre, Babarévitch, 2009, photo J.C.Lett
Gérard Fabre, Babarévitch, 2009, photo J.C.Lett

Et pourtant, entre pâte à modeler emphatisée et coloriée comme une céramique de fête des mères Fabre nous fait apercevoir autrement l´espace des classes de maternelles, ses objets rebondis par le désir de s´en saisir pour les ingérer, l´univers vu à travers la langue qui lèche et suce, les doigts qui pétrissent, tapent ou cassent, les trucs qu´on balance contre le mur, les ballons qu´on crève, les trous qu´on fait, les doigts qu´on enfonce, les couleurs citronnées qu´on barbouille en s´agitant beaucoup, etc. et le design de BD, façon Bertrand Lavier, la même augmentation du volume mi rocheux mi organique mi designé, encore accentuée par la couleur tintinnabulante dont les formes faussement amollies sont recouvertes comme pour les rendre plus savoureuses, quelque chose d´autre est à l´œuvre : une sorte d´infléchissement hilarant, une débauche enfantine, comme si selon la formule consacrée l´artiste avait eu "les yeux plus gros que le ventre". On gagnera à interroger ce fantasme pantagruélique d´une meringue Bourdaloue, mixte d´une pâtisserie et d´une sorte de typographie personnelle où détail après détail le monde se recompose, comme un organisme dans lequel le sabot se serait transformé en appareil d´audition et les oreilles sans visages en instruments d´optique.

"Je crois me souvenir (écrit Gilbert Lascault dans Boucles & nœuds, Balland, 1981) que, dans un tout petit village du Limousin où j´étais réfugié pendant l´occupation allemande, les jeunes gens rendaient visite au sabotier avant d´aller dans les bals organisés dans les granges. Celui-ci "arrangeait" leurs cheveux et les "fixait" avec une sorte de brillantine. Celui qui sculptait des sabots était censé s´y connaître en ondulations. "Quelque chose du même ordre est en train de se passer chez Fabre. Le designer, celui qui dessine des tablettes et des guéridons, celui qui donne forme à des nuages ou à des éléphants est aussi celui qui connaît le galbe des joues, la rondeur d´une fesse, mais plus encore, celui censé s´y connaître en courbes et en contre courbes, le géomètre à l´ouvrage. De fait, le métamorphisme est sans doute une entrée essentielle de cette œuvre. Dans le monde de Fabre, les objets, quelques truqués qu´ils soient (ou pour cette raison même), échangent leurs propriétés comme dans une chambre d´enfant les jouets et les corps les plus hétéroclites.


Xavier Girard


Gérard Fabre
"On n´peut pas toujours être drôle"
15 janvier-14 février 2009
Galerie Athanor
Tél: 04 91 33 83 46 - www.galerie-athanor.com



GALERIE ATHANOR - LES GROS NEZ DE GÉRARD FABRE


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FRAC paca - PIERRE MALPHETTES - LA FORME INTRINSÈQUE À SON ABSTRACTION



Pierre Malphettes, Sans titre (La poutre), 2009, acier, béton, 67,5 x 80,5 x 610 cm, photo : Jean-Christophe Lett - production FRAC Provence-Alpes-Côte d´Azur, courtesy l´artiste et galerie Kamel Mennour
Pierre Malphettes, Sans titre (La poutre), 2009, acier, béton, 67,5 x 80,5 x 610 cm, photo : Jean-Christophe Lett
production FRAC Provence-Alpes-Côte d´Azur, courtesy l´artiste et galerie Kamel Mennour



La forme intrinsèque à son abstraction

Avec "Un arbre, un rocher, une source", Présenté à Buy-self, en été 2007, nous avions pu voir une installation de Pierre Malphettes mettant en oeuvre dans un même ensemble composé, divers objets sculpturaux caractérisant une thématique chère à l´artiste qui est celle de la traduction de la nature par son artefact. L´exposition Actuelle "Sculptures terrestres et atmosphériques" que le Fonds Régional d´Art Contemporain donne à voir dans son espace est à envisager "dans une démarche de soutient et d´accompagnement du FRAC amorcée au début des années 2000" ; Et se faisant propose une succession de pièces réalisées entre 2000 et 2009, dont certaines co-production ou collection du FRAC, dans l´intention de "mettre en perspective et en résonance des pièces éloignées dans le temps et des production nouvelles, afin de susciter une confrontation, un dialogue formel, conceptuel, sensible".

Au travers des pièces Un nuage de verre, 2009; Un tas de sable, 2009; Brouillard, 2000-2009; et la série des Flaques 2007-2009; on peut noter dès le titre, la volonté de l´artiste d´accéder à la dimension générique des choses qu´il représente. Le général étant caractérisé par son logotype particulier.

Avec Brouillard, Il dispense des points gris le long des murs de l´exposition, l´ensemble dépendant structurellement de sa plus simple caractéristique, de sa molécule, de son atome. De la même manière dans Un nuage de verre, des lamelles de verres transparentes suspendues par des câbles de part et d´autre donnent l´impression de la dissection conceptuelle et formelle d´un objet intangible, dans une volonté de le passer au scanner, au microscope, de voir au travers ce qu´il reste au delà du vide.

En effet, La démarche de Pierre Malphettes procède de l´Ontologie au sens étymologique du terme, de l´étude de l´être en tant qu´être. Pour cela à la manière d´un exercice Zen, il transcrit, retranscrit, décortique, épure, comme s´il tentait par le vide d´atteindre l´ossature, le noyau, de nous laisser entrevoir l´intangible, la permanence des choses. "Pour gagner en liberté je dois comprendre les contraintes" explique t-il.

Ainsi, dans Sans titre (La poutre), l´artiste présente une énorme poutre métallique (HEA de 260) sculptée, rongée, dans laquelle le métal devient une fragile dentelle. La poutre se cintre sous son évidemment, et c´est curieusement ce vide, l´abstraction de sa propre matière, son allègement qui la fait plier. Dans ce retournement la poutre perd sa fonction de soutien tandis qu´elle repose elle-même péniblement sur des cubes de béton.

Dans ses installations, ses sculptures, l´artiste ne cherche pas à créer une illusion de la chose représentée ; il laisse au spectateur la possibi-lité de voir les dispositifs, les matériaux à l´origine de sa traduction de l´objet. Et c´est paradoxalement toujours avec des produits manufacturés, matériaux de chantiers, banals, solides, qu´il parvient à extraire le fond de la forme. C´est en l´assumant pleinement que les objet s´émancipent de leur forme, accédant ainsi à leur caractère générique.


Pierre Malphettes, “Un tas de sable”, 2009, claustra en béton, 70 x 215 x 215 cm, photo : Jean-Christophe Lett - production FRAC Provence-Alpes-Côte d´Azur, courtesy l´artiste et galerie Kamel Mennour
Pierre Malphettes, “Un tas de sable”, 2009, claustra en béton, 70 x 215 x 215 cm, photo : Jean-Christophe Lett
production FRAC Provence-Alpes-Côte d´Azur, courtesy l´artiste et galerie Kamel Mennour

Aussi, Un tas de sable, est-il constitué de Claustra en béton, cimentées puis découpées à la disqueuse dans cette forme logotypée de la représentation du sable (le tas). Le regard passant au travers des Claustras, l´artiste prend soin de laisser le spectateur s´interroger sur ce qui constitue ce tas... le sable. Le générique participant à la modélisation du particulier et vis versa. C´est donc paradoxalement par l´économie de moyen et la conceptualisation que le cadre formellement contraint, s´affranchit et déborde dans un déplacement poétique initié par l´artiste.

A l´origine était le désir de comprendre et d´embrasser les phénomènes qui régissent le monde dans leur plus petite manifestation, "de faire rentrer le monde dans la sphère de l´intime" comme le souligne Sandra Patron dans un entretiens avec Pierre Malphettes.

Et cette ambition de l´artiste démiurge de finaliser une chose intangible, ne peut ce faire que par delà la matière (soit : au travers de celle-ci, avec celle-ci), par sa conceptualisation, son abstraction, par le poétique comme dans un rêve ou les chosent se dilatent, se dispersent pour atteindre leur finitude.


Florent Joliot


Pierre Malphettes
Sculptures terrestres et atmosphériques
du 23 janvier au 25 avril 2009
FRAC Provence-Alpes-Côte d´Azur
1 place Francis Chirat, 13002 Marseille
Tèl: 04 91 91 27 55 - info@fracpaca.org



FRAC paca - PIERRE MALPHETTES - LA FORME INTRINSÈQUE À SON ABSTRACTION


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A VOIR - Galerie de Visu



Marion Gronier
Marion Gronier


A VOIR

La stratégie du voir développe un penchant cruel par rapport aux vagues de la cristallisation des images déjà vues, en soif de représentation. L´occasion est toujours rêvée de dénigrer les influences et de regretter la malléabilité d´artistes en devenir qui donnent dans la pure copie ou s´octroient des déclinaisons sur des gnoses assorties : le quart monde, l´exotisme, des sujets ingrats, pauvres. Le refus du beau, du léché, d´un ordonnancement courtois du monde n´intéresse pas les jeunes photographes dont nous avons pu voir un diaporama à la galerie de Visu.
Projetées sur un drap, les vues combinent une proximité entre elles. Le public sage, une vingtaine de personnes qui se renouvelle toutes les dix minutes, ne bronche pas. Impossible de savoir s´il est, s´ils sont partisans, s´ils se connaissent mais l´impassibilité de convention de façade qui consiste à ne pas laisser sortir émotion ou dépit, les pose là. Le procédé en soi est intéressant : de projeter une série de vues, huit à dix par artiste, tel un catalogue à la volée, sans musique, sans texte, sans sabir.


Chris Dyer
Chris Dyer

Deux lignes s´opposent : une ligne claire, tonique, graphique, proche de l´école anglaise de photo surréelle et burlesque, des plongeurs sous-marins, des égoutiers vaseux de Chris Dyer et de l´autre, une ligne tétanisée : brumes, détails, flous, apparente inutilité de la présence du sujet et du preneur d´images. S´il y a une impression globale de conformité, si tout se ressemble à la longue, c´est à cause de la perception du monde. Pouvons-nous nous plaindre de voir la même chose ?
Eu égard à une façon de recevoir le monde irrésolue, les propositions ne sont pas pour dire la réfutation, indiquer un malaise, se rebiffer, chercher un angle neuf. Le travers du procédé aussi joue en sourdine car il ne permet pas d´isoler, de s´attarder sur un cliché, pas de repentir, pas de marche arrière. De même que toutes les paroles n´ont pas le même poids, une image n´en vaut pas une autre. Le choix de ne pas privilégier une en particulier dépareille la volonté de distribuer prioritairement le droit au regard. L´étrangeté du travail de Marion Gronier sur le théâtre kabuki et ces plans serrés d´acteurs fardés se préparant au jeu, ados étiques, hommes de tout âge dont aucun ne sourit, aurait mérité une autre présentation. Rareté et incongruité d´une magie séculaire, accord hostile à la prise, déconvenue face à la préparation trahie ou surprise.
La singularité de Brigitte Letensberger supporte de même mal le support flou, l´écran bougé. Ses portraits, dont il nous est dit par un encart qu´il se nourrissent de l´art du portrait du 11e siècle, sont des portraits de sujets de profil qui jettent un œil scrutateur envers qui le regarde. Je ne suis pas dupe, voyez-vous. Je vous laisse me regarder mais je vous vois. Ces portraits sont-ils sertis par rapport à l´ambition du propos ? Car le parti pris hyper classique du médaillon implique une certaine superbe qui, par la présentation molle et flottante se retrouve ébréchée, manquant de duplicité. Cette accroche de biais de la bigleuse que l´on retrouve chez Claude Lorrain est intelligente, savante, forte ; on aurait aimé en voir plus, où l´esprit de système et l´estompe codifient, la malice est plus forte en dehors de l´a peu près. Pour que cela marche, la subversion y gagnerait à être plus aguerrie.


E. L


Galerie de visu
Projections de travaux de 8 photographes
19, rue des Trois Rois, 6e Marseille
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A VOIR - Galerie de Visu


SOMMAIRE

SUZETTE RICCIOTTI - LA PASSIONATA : AUX FRONTIÈRES DE L'ART



auteur “titre
Philippe Daney, “L´horloge sans titre”, 30 x 30 x 5 cm


Aux frontières de l´art
elle... ne dit pas, elle fait, elle montre

Le commissaire d´exposition Suzette Ricciotti a pris le risque de mêler design et arts plastiques, designers et plasticiens; elle nous entraine aux frontières de l´art, là où les formes permutent où les fonctions s´échangent, dans cette zone étroite et dangereuse, si difficile à explorer.

Mais avec toujours en mémoire et dans le coeur la belle épopée du Bahaus on peut dire que les frontières poreuses ne sont plus des frontières ?

Les québécoises d´Artmandat n´ont pas traîné pour inviter Suzette Ricciotti à organiser une expo dans leur tannerie de Barjols, une rencontre un soir de vernissage, suivie d´un mail laconique avec les dates.

Suzette Ricciotti à la Slick, la nouvelle foire pour les dégourdis, est interpellée par le nom Philippe Daney qui figurait sur le petit stand de la Grandville gallery, jeune galerie Normande.
Philippe Daney, cet architecte, designer, aujourd´hui écrivain, dont elle commercialisait les créations (avec Pascal Bauer et Thierry Leclerc, ils avaient fondé TEBONG à Landéan) dès l´ouverture de Tropismes à Bandol, soit en mai 1989. Perdu de vue depuis quinze ans.

Elle invite Stephan Henry, de la même galerie à se joindre à eux, aux Perles (dans ce lieu, les femmes de Barjols confectionnaient des couronnes de cimetières, d´où le nom puis s´installèrent les tanneurs). Partant du principe, qu´elle avait de bons produits avec ces deux là, et un produit d´appel avec RR, elle releva le défi.

Chacun d´eux montrerait une œuvre plastique au milieu de sa collection de meubles design et d´œuvres de jeunesse (peintures ou objets d´environnement de son mari, l´architecte Rudy Ricciotti).


Rudy Ricciotti, “Bicentenaire de la révolution”, 1989, photographie S. Demailly
Rudy Ricciotti, “Bicentenaire de la révolution”, 1989, photographie S. Demailly

De son père, Suzette a hérité le goût du beau métier. Charpentier il construisit avec l´ingénieur Serge Ketoff et l´architecte Maurice Novarina, Grand prix de Rome (qui entre autres eut comme élèves Jean Nouvel, Pierre Lombard) la première charpente en lamellé collé en Europe, à Amphion-les-Bains, ajouté à cela les champs de glaïlleus cultivés par sa mère, on n´est pas étonné de cotoyer en parcourant cette exposition une foison de noms célèbres du design ou de l´art contemporain comme Bob Wilson, Gio Ponti, Marteen van Severen, Dali, Jean Prouvé, Ray et Charles Eames, Starck bien sûr avec son tabouret hommage à Wim Wenders, ses amis Gérard Traquandi, Gilles Mahé, Olivier Millagou ancien assistant Pailhas, Josée Sicard, Raoul Hébréard, Sophie Menuet, Pab, Goulven, Jacques Guyomar et Alain Deswarte pour qui s´est la première exposition, architecte, stagiaire chez RR puis assistant de Patrick Bouchain (La Grange au lac à Evian-les-Bains, la Haute-Savoie toujours...), Gaetano Pesce, George Nelson, Andrea Branzi, Anne Demeulemester styliste Belge et plus Xavier Lust.


Stéphane Henry, “Echo”, 2008, photographie S. Demailly
Stéphane Henry, “Echo”, 2008, photographie S. Demailly

Philippe Daney a filmé l´horloge de la gare de Lyon en temps réel pendant 24 Heures. Le film en boucle, en noir et blanc, donne donc l´heure à tout le monde même si c´est l´heure de la gare de Lyon qui est à Paris. L´œuvre c´est donc une horloge qui en assume la fonction. Mais c´est une œuvre unique que Daney assure avoir réalisée dans un esprit ludique, gratuit et en prenant le risque physique de filmer sans discontinuer pendant 24 heures.

Stéphane Henry expose une table basse percée en son milieu de ce qui ressemble à un cendrier. L´œuvre quand on la regarde du dessus c´est une table, relativement haute pour une table basse, percée en son centre de ce qui ressemble à un cendrier en cuivre. Quand on la regarde de côté on voit que le cendrier est le pavillon d´une trompette posée verticalement. Comme le dit Henry si on s´en sert comme d´une table l´œuvre s´abîmera plus ou moins rapidement et deviendra donc une table. Comme disent les médecins la fonction crée l´organe. Mais il l´a conçu comme une œuvre d´art et il est plutôt disert sur les multiples entrées offertes à celui qui désire en rechercher le sens.


Rudy Ricciotti, “coffre à bijoux”, 2008, photographie S. Demailly
Rudy Ricciotti, “coffre à bijoux”, 2008, photographie S. Demailly

Philippe : On se connait depuis 20 ans, on avait monté une usine à Landéan, en Bretagne Suzette achetait régulièrement des produits chez nous , et j´étais venu la voir à Bandol, on avait fait appel à plein de créateurs (NEMO par exemple dont Suzette a gardé une paire de fauteuils , l´un avance, l´autre recule, hommage à un danseur de tango, Moreno Marini).

JFM : Pour en revenir à ce que disait Stéphane Henry tout à l´heure quelle différence ferais-tu entre le design et...l´art.

Philippe : Pour moi le design c´est la série, on m´a demandé 1000 fois des pièces uniques et j´ai toujours refusé mais lorsque j´ai fait l´horloge de la gare de Lyon je l´ai conçue comme une œuvre d´art et bien sûr unique.

JFM : Est-ce que c´est la seule différence ?

Stéphane : Non probablement pas, je crois que la fonction pourrait aussi constituer une frontière mais plutôt poreuse...

Philippe : Les gens qui achètent un vase d´un designer célèbre ne l´achètent pas pour mettre des fleurs.

JFM : Sa fonction serait essentiellement décorative. Ce vase aurait en soi la capacité de procurer du plaisir et ce serait là son attribut ou sa fonction principale sinon sa fonction tout court. Et lorsque on raisonne en terme de fonction les limites de l´art et du design paraissent extrêmement minces. On peut dire que n´importe quelle forme d´art assure au moins la fonction de procurer un plaisir qui peut prendre des formes différentes et entre autres qui peut lasser et ne plus exercer sa fonction. C´est ainsi qu´une œuvre d´art devient ancienne et se retouve dans un musée où l´on pratique le culte des œuvres mortes et retrouver alors une nouvelle fonction. Non seulement en donnant du plaisir à tous ceux qui n´en trouvent pas ailleurs (par exemple dans l´art de leur époque) mais en plus une fonction éducative qui va permettre à des bataillons de chercheurs de trouver suffisamment de références pour dire ce qu´est l´art, en faire l´histoire et la théorie.

Philippe : Si tu veux. Mais par exemple je travaille avec Michel Verjux et là comme il est incontestablement considéré comme un artiste contemporain, je suis incontestablement considéré comme un artiste conteporain.
Mais je m´en fous.

Stéphane : L´horloge de Philippe est une œuvre d´art mais c´est aussi une horloge qui donne l´heure et la bonne... En noir et blanc elle est plus universelle... En Avignon sur un tertre j´ai construit une ruine de 3 à 4 m de haut. Fabriquer une ruine c´est fabriquer l´échec architectural, une ruine qui deviendra ruine.... Pour en revenir à la différence, le designer a les mêmes problématique que l´artiste, il n´a pas les contraintes du menuisier ou de l´ébéniste, ses problématiques sont éthiques, sociologiques, politiques... et poétiques. Il y a rupture entre le design et le mobilier traditionnel d´où liberté, recherche, sur les formes, les matériaux et l´usage, pliable, pas pliable...


Propos recueillis par Jean-François Meyer


La Passionata
du 17 janvier au 6 février 2009
Les Perles / Art Mandat - Ateliers d´artistes & Centre d´art contemporain
19 rue Pierre Curie, 83670 Barjols
info@artmandat.com - tél : 06 72 79 97 54 - www.artmandat.com - www.suzettericciotti.com

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Volet 2 - pour la 660e St Marcel à Barjols
avec Philipe Daney, Michel Verjus, Gérard Traquandi - Février 2010

Made in Daney - ed. archibooks grandville galerie


SUZETTE RICCIOTTI - LA PASSIONATA : AUX FRONTIÈRES DE L'ART