Choix du NUMÉRO
J.S.O. n°040
PRINTEMPS TARDIF 2009

Suzanne Strassman


Blaine au MAC le TRI - L´entreprise bucolique : un art du butin
BLAINE AU MAC UN TRI
Chute : chut.
L´autre, une proposition de Cédric Shönwald avec Justin Sanchez et Justin Sanchez
MARIKA NANQUETTE-QUERETTE T R O U V A I L L E
PICASSO / CÉZANNE - DUEL AU sommet
Le genre Singulier
L´ART des Corps - sixième festival de lagorce







AND THE WINNER IS





SOMMAIRE

Blaine au MAC le TRI - L´entreprise bucolique : un art du butin



Julien Blaine au [mac] photographie Serge Assier
Julien Blaine au [mac] photographie Serge Assier


L´entreprise bucolique : un art du butin


Que choisir dans la constellation des étoiles argentées réfrène aussitôt : pourquoi ne pas taper ailleurs, pourquoi commenter davantage celui-ci que tel autre, un ciel de lit, une fausse nuit, la pagination du désordre étant exponentielle à son déploiement. Trier, effectuer un tri, une sélection, une sorte de repêchage pour les mal voyants, retarde, active du retard. Par où commencer ? Tout fait sens et, dans la rigole des usages bannis, le pourvoyeur d´impasses voit encore plus loin dans la dérision de tout style. Dans l´idée de conviction arrêtée. De conséquences ajustées.

Quelle est l´intention de base ?
Au pays de la jongle, petit grigri passement de jambes, calcul de l´hypoténuse et arbitraire du cocktail champêtre, coq à l´âne, fumisterie du magistère composté bafoué, soufflet sans conséquence, défi relevé jusqu´au prochain godet.

La stratification de quarante ans de dévouement, à la cause de la provoque, de la mobilisation de l´imaginaire sous tous les cieux, prend une ampleur d´autant plus saisissante à la consultation du catalogue de l´expo de JB au Mac. Affiches, tract, libelles, pronunciamiento du désordre, billets, collages, plans sur la comète, tout ceci appointe la vocifération maintenue -« Je vocifère il faut s´y faire »- d´un ogre élégiaque qui ne craint pas d´occasionner des lésions à la messe huilée des récits établis. Brûlots, appels, jeux de compile, bacchanale des mots jetés, interjections, éructations, instances d´interpellation, cela trime jusque dans la trame du papier.
L´esprit de raison ne fonctionne pas avec le jujube, il fait feu de tout bois, il ne s´emporte pas dans des brasiers de fagots, il connaît et associe Gertrude Stein et Lili peau de chien, il tape gros pour être précis, entame des menuets, brame dans la forêt des attentes. Que cela déplaise, décoiffe ou fasse déchanter certains, tant mieux si cela fait ricochet : le bruiteur et le réanimateur ne font qu´un. La muse au buffet conséquent aime qu´on lui parle salade de museau et fricotage de trogne. Car c´est la langue qui est en jeu, le lalangue de Lacan et de Benveniste, ce qui nous fonde et ce qui nous fouaille. Le tégument de l´oralité, le sac à malices d´où sort un polichinelle, un miroir aux alouettes, un trombinoscope pirate.
A bas les pontifes, hue les poncifs.
Portes ouvertes fracassées, corridor de l´entendement, mise en bouche somptuairement déchiquetée, fracas des tire-laine du pot aux mots. Appuyer où cela fait mal, éclater la médiocrité, l´athlète tonitrue, joue les matamores, empile les défis (saut à l´élastique, trempolino, bonneteau à l´esbroufe).
Un demi-siècle d´action directe, de putsch avec les situations, les déguisements. Courir la prétentaine et attaquer les clivages, tout ça pour donner à la langue un rythme de chevauchée, d´emportement et de salut. Salut la compagnie et hors de la résidence. Résidence surveillée où sont traquées les refontes d´amertume, bastion des abandons consentis, réserve de feuilles et d´ossements traitée comme un haïku de résistance aux assauts du sens lessivé, univoque, impérialiste. Redoute où se retranche le montreur de mots, le jongleur de tons, l´archer qui épingle, coince et file une correction aux connivences et complicités que tout espace langagier répand.

« je recueille les secrets
mais ne dévoile pas l´énigme »

La dernière tournée est plus que conséquente. C´est longtemps l´avant-dernière. Remise de peine, carton visé. Les dessous de verre s´accumulent. Difficile pour Johnny et pour Julien de quitter la scène. L´estrade est un lieu où s´étriper.
La moindre pochette devient collector, le ticket d´entrée fétiche. Nous n´envisageons plus d´assister et de participer à une belle suée, à l´étreinte d´une livraison publique d´une geste tonitruante qui épuise le commentaire et la louange où rétamer la révulsion panique qui surgit de temps à autre tant la déclamation vise le basculement. Les principes de certitude d´une écoute tranquille, d´une paix possible, rappellent que la chaleur de la guerre est toxique. Les éléments pris, chantés et détournés par Blaine parlent du charivari du monde : un assassinat, une morgue, un tremplin pour la modulation, la dérive. « L´assassin me ressemble, il s´appelle Roussel comme Raymond du même nom. » Le règne des moustachus, trois destins télescopés et chorégraphiés.
Faire feu de tout bois, décliner des séries d´alarme et de propagande avec et suivant les anagrammes, tout sert à enflammer, à catalyser : élections, speech, concours. Diversité et monomanie, excentricité qui vient de l´enfance, de la découverte du bruit du corps, eulalie et glossolalie, ronds avec la bouche, la glotte, le torse, bulles de savon, stations assises et débordements : les grands noms des potiers en chef qui turbinent dans l´arythmie n´ont pas de place, sus à l´embuscade, tirage à gogo sur les coureurs des bois et trappeurs. Pisteur indien, vendeur de quolibets, pliants dépliants même combat.
La production du batteur d´estrade ne peut être réduite à la monstration d´éléments recensés et réunis mais l´avantage de l´exposition marseillaise est de fournir une palette de strates d´une œuvre protéiforme, spéculaire et spéculative qui tient surtout à l´interactivité entre un public qui la constitue et l´ardeur irradiée du montreur de mots et d´actions pour qui le poëme, avec tréma comme chez Baudelaire, reste avant tout un acte, une entame dans le réel, un baiser, pour reprendre l´expression de Paul Celan, « une poignée de main ».


E. LOI


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Blaine au MAC le TRI - L´entreprise bucolique : un art du butin


SOMMAIRE

BLAINE AU MAC UN TRI



Julien Blaine avec Achille Bonito Oliva, photographie Serge Assier
Julien Blaine avec Achille Bonito Oliva, photographie Serge Assier


Blaine au mac un tri

Beau temps calme. Le musée a enfin déménagé la cellule d´Absalon qui virait voiture-balais non loin de la bouse de César, un des premiers artistes, ami de son père, que rencontre le petit Blaine. Derrière l´allée des platanes, on peut lire à l´adresse des visiteurs, en toutes lettres : Il est encore temps de rebrousser... chemin, ce dernier mot, écrit à l´envers et dans la direction opposée. Mais je n´en ferais rien. J´ai rendez-vous avec Ju, Julô, alias Jules, je veux dire Julien Blaine, l´Homme avisé, le héros aux mille ruses, l´Inventif aux mille tours, expert en travestissements, mensonges fumants et fausses déclarations d´identité, tantôt Aithon de Crête tantôt Épérite d´Alybas, tantôt mendiant, tantôt sans papiers, débarqué du naufrage, nu comme pas un et en grand renom dans les Gaules pour son éloquence beuglée, Blaine l´endurant de retour au Mac, après un long voyage, sous l´apparence d´un artiste contemporain, aède sans égal, ennemi des « brodeurs d´initiales », des « calligraphes japonisants », des « assembleurs néo-dada », des « maquettistes suaves de l´école suisse », des « valseurs de phrases » et autres « chiens de salons », homme de la Parole, (comme Ulysse encore et contrairement à Achille, violent, mutique, renfermé et solitaire, homme de la ratiocination morose, de la conscience malheureuse et du silence), artiste d´avant-garde à la voix forte (« oui, je n´ai pas peur du mot, d´avant-garde ! brailles-tu, aujourd´hui, hui, je suis », très en vogue, notamment chez les Circés d´Italie, collectionneurs, critiques, artistes, éditeurs, amis venus en foule au vernissage, à qui j´ai envie de poser la question rituelle : Blaine : « Voici ce que je veux d´abord te demander : qui es-tu ? D´où viens-tu ? Quels sont tes parents et ta ville ? ... D´où es-tu ? » Que fais-tu à te promener comme ça tout nu ou en complet bleu marine de Ch´i ? Que font ces cornes de cerf sur ta tête ? Et ces oreilles d´âne ? Et ces masques de toutes sortes dont tu écrases le nez contre la vitre des musées. Et ces rangers d´Actéon clouées ? Est-ce parce que dans ta jeunesse tu as été le compagnon du Centaure ? Et ce bonnet de grand-mère ? Pourquoi te déguises-tu certains jours en Aurignacien et d´autres en celto-ligure à double tête, d´autres encore en Ojibwé, en Ngongtang, en Bamiléké, en Azilien ? Pourquoi diable fais-tu collection d´identités de rechange : Turoldus, Géranonymo, Jules Van, Tahar ben Kempta, Illi... la liste est si longue que j´arrête là. Est-ce pour tromper les Prétendants ? Semer la meute ? Ou bien le contraire ? A propos, que cherches-tu en t´attaquant comme ça aux dieux et aux déesses du monothéisme ? En incriminant à grands cris la froide épistémé des bibliothèques, la mémoire livresque qui a eu raison, selon toi, de la culture chaude, toi l´amoureux de la chose imprimée ? Toi dont le goût des livres est tel que tu ferais une exposition rien que pour ajouter un volume à tous ceux que tu as publié déjà depuis cinquante ans. Toute cette mémoire là que tu retrouves, dis-tu : « dans les cultures premières, la mémoire du corps, la mémoire de la boisson, la mémoire des fumées, la mémoire de tout ce que tu voudras », pourquoi t´avises-tu obstinément de la retrouver ? Et puis pourquoi s´en prendre à l´inquisition catholique comme si le Grand Inquisiteur, agité par Innocent VIII, t´attendait toujours à la sortie ? Il est responsable dis-tu du « génocide » des sorcières et des chamans. Il a tué le grand Pan. Brûlé les secrets. Il a étouffé des millénaires de savoir sentir, détruit la mémoire des sensations premières, tordu le coup à la poésie, abolit toute espèce d´inventivité, empêché à jamais toute Révolution, barré à jamais nos « amours de tigres ». Est-ce pourquoi tu t´echines à nous inviter à revenir au temps des galets peints ? A la civilisation du Renne ? Aux idoles ? Au djembé ? Pourquoi te fais-tu photographier en squelette humain, si ce n´est pour nous le rappeler ? Mais alors pourquoi aussi en gloire de la République en haut d´une stèle abandonnée ? Parfois, je l´avoue, j´ai du mal à te suivre. Les contradictions ne te font pas peur. Ulysse, je te l´accorde, n´en était pas avare. En Apache je comprends, mais en complet veston, ça... ? Je voulais aussi te demander, comme Colombo : Qu´as-tu fais par terre pour être tout maculé de rouge ? Quelle « pitié douce », quelle « charmante et grave passion » t´a pris de te jeter du haut des marches de la gare Saint-Charles ? Chaque fois que j´arrive là-haut, je pense à toi, roulant de quelle cuite monumentale ou de quelle rage entre les piliers de Carli et les « Colonies d´Asie » et les « Colonies d´Afrique » de l´oublié Botinelly ? La chute de l´Empire, l´échec tragique de la « rencontre impériale » comme dit Edward Said, ce scandale de plusieurs millénaires que raconte Marseille, n´est-ce pas aussi ton sujet ? Et puis que fais-tu en costume de représentant de la République, ceint de l´écharpe ? Toi en élu sur les socles de la Troisième triomphante ? C´est à n´y pas croire. Ou mieux : en uniforme de dictateur chilien ? Es-tu fou ou rusé comme le fils de Laërte qui pour tromper le Cyclope s´était fait appeler Outis, ce qui voulait dire Personne ? Qu´est-ce que tu fabriques en éboueur ? Pourquoi arborer des cravates aussi voyantes ? Et dans cet ensemble beige éclaboussé de bleu de Pythie claustrophobe ? Et là, sur une estrade en sœur de charité coiffée d´un bob à pinces à linge et couverte d´estrasses multicolores constellées d´étoiles : « la tenue d´Arlequin , les signes chinois, la partition musicale » qui en appelle au linge, autrement dit, selon toi, au drapé, emblème de la culture classique la plus muséographiée mais aussi, « entre lange et linceul », à la courbe d´une vie entière et à ses successives défroques ? Je t´ai reconnu en combinaison de Docker de piquet de grève, toi qui joue si bien le syndicaliste chez Guediguian. Mais quel moustique « inobédient et tyrannique » comme disait Montaigne t´a piqué de te faire embarquer un jour dernier sur la place de l´opéra devant l´aréopage de tes fans pour tapage et trouble à l´ordre public par un policier de connivence ? As-tu peur que les flics ne te prennent plus au sérieux ? Qu´ils ne te croient plus ? Veux-tu dire que l´avant-garde est bien morte qu´un artiste ne puisse plus troubler « l´ordre public » et se trouve dans l´obligation de mimer son arrestation, quand dans ta jeunesse on embastillait pour beaucoup moins ? Bien innocent celui qui y a cru. Veux-tu brouiller les pistes qui t´ont mené jusqu´ici ? Égarer ceux qui te poursuivent ou cherchent à te tirer de là ?


« poëmes métaphysique », photographie fifou
« poëmes métaphysique », photographie fifou

« Tu n´es pas né, je crois, du roc ou du fabuleux chêne... » comme les autochtones mais de la lecture des Contes de Perrault, des Voyages extraordinaires de Jules Verne et des gravures qui illustraient les éditions Hetzel : « Et alors, il entrait dans la grotte... » mais encore du Grand Larousse illustré de la bibliothèque familiale, né m´as-tu dit des Pléiades de Rimbaud et d´Apollinaire et du Bestiaire (Le Cortège d´Orphée du même illustré par Dufy).

Dans la salle aux livres et aux revues où sont exposés des numéros de l´Octéor, Robho, et de très nombreuses publications : L´histoire de la typographie, dis-tu, vient chez moi de deux livres : évidemment Le coup de dé que je découvre chez quelqu´un après les Calligrammes d´Apollinaire, dans la Pléiade et le Bestiaire d´Apollinaire, des poèmes très courts, illustrés par Dufy, c´est le livre fondateur. Quand en 1962, je fais la performance à l´éléphant je suis sur Apollinaire. Je ne m´intéresse pas à Orphée. Je fais mes animaux à moi, mon bestiaire à moi mais en le faisant tourner autour de l´éléphant, d´ailleurs, ça s´appelle : Bestiaire à l´orphisme éléphantin. La lettre est toujours en rapport avec l´image, qui est le bois gravé, c´est à dire le noir et blanc typographique. En plus je suis étudiant à Aix, je fais une revue qui s´appelle les Carnets de l´Octéor - un jeu de mots sur Octuor, on était huit - et j´ai à côté un petit imprimeur qui fait tout lui-même, qui fait la typographie et de la linotypie avec une vieille machine pourrie. Je trouve des lettres en bois et après je fais des empreintes. Au lieu de rentrer dans le livre de manière imbécile : les vignettes, la typo, les images, pour moi, c´est rentrer dans le livre par le désir. Tous mes livres sont comme ça. Ils ont tous cette forme-là qui est une façon de désirer le livre.



photographie fifou
photographie fifou

Tu auras beau jeu ensuite de jeter l´anathème sur les livres. De bons auteurs pourtant, enseignés à l´école. Le corps de la lettre, l´image seront les plus forts. Alors que s´est-il passé ? Pourquoi t´es-tu mis à faire du scandale ? Dès ton plus jeune âge ? Gueuler comme un putois, faire parade, aller et venir dans le soir fauve ? Au lieu de réciter sagement ta leçon ? Et ce goût, très tôt pour la parade sauvage ? Comment as-tu fait pour être hanté, si loin que je m´en souvienne, par le lion, l´éléphant, « Pourpre mort !... J´achète ma gloire » (c´est tout toi syncopé), le poulpe (« jetant son encre vers les cieux/Suçant le sang de ceux qu´il aime... » du toi encore), la méduse (« Vous vous plaisez dans les tempêtes », hurlé très fort) et le hibou (celui qu´on cloue dans les remises, comme tes souliers et qui déclare « Tous ceux qui m´aiment, je les loue. »), hum.., tous animaux sauvages, il est vrai, bêtes féroces, pas domestiques pour deux sous, gravées sur bois en cartouches blanches sur fond noir si denses, si carrées dans la page, si épaisses, taillées à gros traits droits et courbes, comme des lettres humides dans la forêt vierge, qu´elles t´ont fait entrevoir, peut-être, d´un coup que l´image la plus dense, encore suante d´encre et le texte - le plus ramassé aussi, à la façon d´une brève braillée - plutôt que de se regarder de haut, plutôt que de se battre froid, de s´illustrer bêtement ou de s´ignorer, peuvent, dans certains cas, disons : s´équivaloir et peser d´un même poids.

Oui, je sais, tu es né de Braque et de Picasso, de Khlebnikov, de Ball, Huelsenbeck, Janco, Tzara et Marinetti et j´en passe, mais aussi de Dotremont et de Corneille, né du corps onze, de l´encre d´imprimerie, du vlan-vlan de la machine, des chiffons du typographe, de cette intoxication là, à l´odeur d´essence, du marbre et de l´achevé d´imprimer de ta première revue, les Carnets de l´Octéor. Tes « ancêtres » s´appellent Francis Ponge, Pierre-Albert Birot. Tu es né de ceux-là et des courses « par la nature » dans la campagne et de la construction des cabanes. Né si je ne m´abuse de la rencontre d´un éléphant dont tu notes, en 1962, les interjections et les onomatopées compréhensibles à l´inverse de tes questions. Question de justesse de ton, d´élégance naturelle, mais aussi d´émission du souffle ou de port de voix, de vrombissement du son, enté sur la mémoire de l´origine (toi que fascinent Lascaux, Rouffignac, Pech Merle) à l´affût d´un poème qui serait tout droit pioché dans les bronches et la cage thoracique, foré directement dans les basses fonctions du corps, dans le ventre et la nacelle du sexe, dans les pieds et les genoux, un poème haubané par les bras et les jambes et par la partie évidée du cylindre. Né, dirait-on de ce battement du souffle que Prigent, dans La langue et ses monstres propose de mettre à l´étude à rebours du mépris dans lequel l´école tient ordinairement la langue parlée et qui est tout le style de Céline : « haleté invectif », d´Artaud : « silhouetté martelé », de Holderlin « flottant décroché » et dont on peut dire qu´il est, chez toi « gueulé performé », emporté de la gueule et susurré... « mobile, indolent et violent tour à tour », en pleine écholalie braillée, soufflée, scandée, grondée... Mais arrêtons-là.


photographie Serge Assier
photographie Serge Assier

Voici ce que je veux encore te demander : comment fais-tu pour conjuguer tes « antécédents maltais, algériens, de Bône, Cambodge, Afrique, Niger, Côte d´Ivoire » - toi le provençal et l´alsacien qu´aucun Mr. Barrès ne fera jamais prendre racine ? D´où vient ton goût pour les listes en tout genre, à commencer par ces noms qui te font comme une toison d´or, tant le monde où tu vis, est doublé de femmes, d´amis, d´ennemis et d´enfants : fils, filles et petits-fils (filles) de ta progéniture & Cie, tel Philidor dans le Ferdydurke : Mathieu, Jeanne, Marie, Géraldine, Elise, Théodore (que tu fais rimer avec alligator), Joseph (avec nef, une nef dont tu es, bien sûr, le Noé), Emile (avec crocodile), Armand (avec caïman), et Joachim (comme ton cher Joachim (du Bellay, fils de Jean, sieur de Gonnor et de dame Chabot de Liré et de la Turmelière) avec je ne sais plus quel toutim. Listes que tu ne limites pas à la généalogie mais dresses à tout propos : d´une main : « pouce + index + majeur + auriculaire/index + majeur + annulaire + auriculaire... » ou de continents que tu empiles, la gueule ouverte : Europe + Asie + Australie + Afrique + Amérique, dans des totems dont tu aimes à mettre la pile sens dessus-dessous. Toi qui n´aime rien tant que lancer des noms à tue-tête, il faut t´entendre gueuler la litanie des origines : Chem, Japhet, Aram, Chélah, Yogtan, Almodad, Chalef, Cheva... pour mieux en entendre l´écho distordu comme par le coquillage ou dresser la liste de ceux avec qui tu as un jour sous le tipi de Beaubourg réalisé la performance L´Arc c´est la lyre comme au générique d´un film de Godard. Toi pour qui être poète c´est être aussi un peu pythie, exégète, prêtre, prophète, ethnologue, typographe, chaman, ot choz, balayeur, élu démissionnaire, agitateur, performer, plongeur, éditeur, curator & Cie... Un vrai tableau de chasse en trois versions : « originelle, aurignacienne, bamiléké » sans oublier l´encombrante « Gréco-latine », diras-tu, où étaient abattus en même temps que les cartes : lion, tigre, éléphant, léopard, orang-outan, serpent, ours brun, lynx, buffle et avec les bêtes sauvages, le château de carte de l´espèce toute entière, voué à être naturalisé dans la salle des espèces éteintes de ton Muséum terminal, plus sombre, plus apocalyptique que tu veux bien le déclamer. Toi qui n´aime pas la chasse et les chasseurs, mais sait comment on tue un lapin, un poulet, un canard comme te l´a appris le grand-père Albert, il faut t´entendre « à peine entré dans la grotte à la source ruisselante » celle où les nymphes se baignent nues (aussi nues que toi, sur l´affiche du Mac) raconter, pérégrin-poète-Actéon, Il giro del mondo dont tu as dressé les cases conjuguées dans l´entrée du Mac.

Il giro del mondo, c´est quand même les trois quarts de ma vie, dis-tu, je pars et je reviens, je me répare (contrairement à Actéon, dévoré par la meute) et je repars. C´est une installation que j´ai créée pour Pompidou. Quand le Centre a fermé, on m´a demandé d´inaugurer le tipi, sur la piazza. C´est le mythe de Diane chasse-resse, c´est un mythe qui me traverse, que l´on retrouve dès la préhistoire ; tu as les bêtes, les animaux chassés et tout le bordel, on ne sait pas ce qui se passe sauf qu´au final Actéon est bouffé par ses chiens. La performance consistait, avec un orchestre de djembé, dans l´acte d´assassiner les bêtes une à une. Toutes ces bêtes là sont tirées de ce jeu de l´oie.

D´ailleurs, c´est parti. Tu me fais visiter Blaine, enfin Blaineaumacuntri, le bien nommé. Justement, dans le Dictionnaire amoureux des langues de Claude Hagège, avant de venir, ce matin, je lisais qu´en tetela, langue bantoue de la République démocratique du Congo : je t´aime se disait lambokolanga en un seul mot : « le marqueur d´acte accompli (belle définition du poète) ambo entre l "je" et ko "te/t´", le verbe "aimer", lang, étant suivi d´une voyelle a marquant l´affirmation, ce qui donne, note Hagège, une déclaration sentimentale résolue. » Toutes tes déclarations, comme « je t´aime » en tetela, ne sont pas sentimentales, (bien que...) mais résolues à coup sûr. Si résolues, si décidées, si frappées que le plus souvent tu les tonitrues, vociférant tout ce qu´il est possible, comme les véhicules-crieurspublic de Douala. Mais que veux-tu dire en hurlant ce que les mots du poème ne disent plus ? Que veux-tu faire entendre que nous n´entendons plus ? Pourquoi faut-il que tu nous crèves le tympan pour nous le dire ? Quel usage de la parole et de l´attention veux-tu nous rappeler ? Celui des fous et des illuminés, celui du crieur public, de l´appel au meurtre ? Le contraire en tout cas de ceux dont la parole a été lissée pour mieux « passer ». Quelque chose comme la voix de la Pythie. Ou bien celle des appels dans la forêt primitive ? La grande parade sauvage ? Le philosophe intempestif ?


photographie fifou
photographie fifou

Tu as fait le tri donc, sans tambour ni trompette live, hormis quelques barrissements dans le lointain et sans chronologie : l´exposition commence par des œuvres de 2005 et s´ouvre par un film où au fond de la piscine de Ventabren et à Callelongue, tu réponds aux questions de l´interviewer. Il y a aussi le film où je chute dans l´escalier de la gare Saint-Charles : Julien Blaine, L´éléphant et la chute de Marie Poitevin qui confronte les performances de l´Eléphant et de l´escalier de la gare Saint-Charles au présent du film en 2006. Tu es content d´exposer dans ta ville, au Mac, comme Lygia Clark et Dieter Roth. Tu aimerais bien que l´exposition voyage. Pendant « 103 jours », dis-tu, tu as préparé l´accrochage, vécu là. Ceci n´est pas une rétrospective, dis-tu, mais des moments musicaux dont la mémoire t´es restée.

Il y a pour moi des moments de ma vie qui sont très importants, dis-tu, donc je vais les montrer. Le moment de la démission (de la mairie de Marseille), ce moment là qui est l´abandon de la performance, voilà maintenant c´est fini, je suis maintenant un artiste ou un poète qui expose, qui fait des déclara(c)tions, mon corps n´est plus à la mesure de mes ambitions. Mon travail à moi n´est pas ce film de Marie Poitevin que je trouve formidable, très intéressant et très important pour moi mais ce n´est pas mon travail à moi, c´est de tomber dans l´escalier de la gare Saint-Charles et de faire remarquer cette métaphore incarnée de la CHUTE et du CHUT ! Et essayer d´en sortir en lui donnant des prolongations incarnées. L´escalier, c´est le lieu de passage, c´est surtout l´arrivée. C´est en plus la dernière performance de la chute, j´en ai fait de table, du chevalet, du balcon, enfin de partout. Les objets d´une performance sont des objets morts, intéressants seulement comme résidus. Le rapport que j´ai moi à l´art plastique, ce n´est pas la peinture, ce n´est pas la sculpture, c´est de montrer des détritus de ce qui a été vivant. Et donc par rapport à ça, en effet, un spectateur bien intentionné, qui en a envie, peut rebâtir la vie à partir de cette défroque. Je peux voir exactement cette pièce là comme si elle n´était pas de moi.

Tes chutes me font penser au saut d´Yves Klein, mais tu ne te jettes pas dans le vide. Le monde dans lequel tu erres est plein de gens, d´histoires, de musiques, de signes et de discours, saturé de lieux et d´histoires, son bruit de fond est si obsédant qu´on aimerait parfois le mettre en phase silence. C´est pourquoi tu joues sur le chut ! Je songe aussi à la chute du papier dans l´imprimerie et à tout ce qui retombe, au symptôme de la performance dont les chutes, les « résidus », dis-tu, nous sont présentés.

Là, dis-tu, c´est le Y dont je t´ai parlé, Y, c´est y être, y rester, y demeurer, y avoir droit. L´espace dans lequel tu es. Il suffit que je me déplace d´un millimètre pour que rien ne soit pareil. L´espace dans lequel tu es, dans lequel tu te déplaces, dans lequel tu risques d´aller ou d´où tu viens pour moi, c´est absolument déterminant. D´ailleurs l´enseigne, là ici, très modeste : Il est encore temps de rebrousser chemin, ça veut dire : n´y va pas, ne viens pas, ce n´est pas la peine, pourquoi tu viens ? Casses toi, ne viens pas...


collection Suzette Ricciotti
collection Suzette Ricciotti

Le film étant lui-même présenté dans le bocal du Mac, à côté de la Dernière installa(c)tion Manifesten, Limoges, 2005, Bye Bye la Perf vue à la galerie Meyer, propriété désormais des Musées de Marseille. Je reconnais le matériel de camping, les classeurs en plastique, la tirelire en forme de cochon, la corne de vache brésilienne « la grande berçante » et le coquillage « comme un casque énorme », sous la banderole « Julien Blaine actif dans la performance d´avril 1962 à février 2005 hui (oui aspiré dans la langue B.) poète disant & (insigne ligaturé des copistes médiévaux considéré il y a peu encore comme la 27e lettre de l´alphabet. Pour dire es-per-lou-et, les enfants de la communale, criaient comme toi après le Z : « ète-per se-ète ! », ce qui faisait une fin quand même beaucoup plus parlante - et plus proche de l´humanité persévérante que zède, non ?) artiste posant & artiste répondant. Documentation gratuite ci-dessous (ci-devant lui) Servez-vous. » De part et d´autre de l´invitation, tu apparais en 1962 devant l´éléphant de la performance Reps Éléphant 306 , photo en noir et blanc prise au cirque Franchi à Aix-en-Provence en 1962.

J´interviewe les éléphants, c´est le début du magnétophone, les éléphants n´ont rien à faire de mes questions, mais en changeant les vitesses, de retour chez moi, je deviens inaudible, « vrobloulouvroibl.. » en tout cas incompréhensible alors que l´éléphant se met à parler par onomatopées « Oh ! » et par interjections « Ah ! Oh ! ». Je reviens de Ramallah où il y avait un festival de performances et de films, et là, j´ai vu un film de Chris Marker où l´on voyait un éléphant danser un tango incroyable. Ici, c´est pareil. Chris marker a trouvé une ballerine chez l´éléphant et moi j´ai trouvé quelqu´un qui pouvait répondre clairement à mes questions incompréhensibles.

L´éléphant et l´olifant, le coquillage et la tirelire, le jeune homme en pantalon de gardian et le portrait du poète en aborigène ébouriffé « Aurignacien supérieur dans la plaine de sable de l´île de la Réunion », je m´avise que les trompes de l´esperluette que tu ligatures sont bien celles de l´animal sauvage et du petit bureau nomade dressé dans le désert, celles de la prose imprimée (esthétique administrative) et de l´image (documentaire) mais aussi du dit ou du son, de l´objet et de la mémoire de l´action accomplie, du bruit de fond de la mer ou de l´appel du cor au fond des bois. Comme toutes les œuvres exposées au Mac, celle-ci fonctionne comme un rébus ou l´énigme de l´oracle. Le visiteur est invité à poser des questions à la Pythie tout en sachant que la réponse ne sera jamais controuvée. A moins d´être passée par le corps comme le corps même de la lettre dont tu as imaginé que chacune était liée à une partie du corps féminin. Que signifient ces instruments ? Que m´apprendra cette documentation dans son panier ? Que veux dire : « actif dans la performance » ? Quelle espèce de « consultation » suis-je censé entreprendre avec toi ? La performance était-elle ton métier ou une activité comme une autre ? Actif dans la performance ! Et si cet ensemble un peu funéraire, un peu bureau des pleurs, comme un autel portatif, annonce bien sa fin, devrais-je le considérer comme une sorte d´avis de « fin de partie »? Simples et quelque peu désolés « résidus » d´action passée, que font là ces osoratos oikos, les reliefs du banquet que les anciens figuraient en trompe-l´œil sur le sol de mosaïque de leur salle à manger ? Mais alors, qu´en est-il de la performance ? Tout se passe comme si d´un instant à l´autre, le bureau pouvait être ouvert, l´agent reprendre du service, au cas où... Mais il n´y aura pas de deuxième session. Qu´est-ce d´autre par exemple que la pièce appelée Totems réalisée en 2009, composée de trois échelonnements de masques, yeux et bouches ouvertes sculptés dans un tronc d´arbre évidé ?


photographie fifou
photographie fifou

Quand j´ai fini une performance, dis-tu, il y a toujours une vieille dame qui s´approche de moi et me dit à l´oreille : « Vous êtes obligé de crier tout le temps comme ça ? » Tu précises, actif pédagogue : Ces têtes, ce sont mes trois Moi : Moi avec les trois possibilités ... j´ai trois paroles, celle de l´intimité - en me glissant tout bas à l´oreille : « Ça va pour toi Xavier... » - celle de normal : tu peux me faire la photo, s´il te plaît - dis-tu, mezzo voce, au photographe présent dans la salle - et celle de : Putain - mot inaudible - de Putes ! vociféré dans le marbre du Mac. J´ai trois bouches : il murmure, il parle et il hurle. Mais quand j´ai fini le premier totem, je me suis dit, limité à moi, ce n´est pas très intéressant, je vais essayer de faire ça avec tous les visages des cinq continents, se soutenant l´un l´autre avec des changements de temps en temps. N´importe où il y a trois paroles. La question que je pose, c´est : qu´est-ce que c´est que le minimum de dire une chose ?

Nous entrons dans la salle où sont exposés une série de feuilles blanches de grand format, datées de 2007 sur lesquelles on peut lire dans un halo d´encre noire, inscrit au pochoir, des lettres de l´alphabet romain : A, IF, J, TU, IL, I ?, O, V, M, X, Z. Le minimum est la lettre, mise en réserve comme le Bestiaire de Dufy et tout autour, soufflée : une sorte de nuée, ce qui reste quand il ne reste plus rien, quand l´agent : le locuteur, l´actant, le performer, le crieur ont disparu.

Quand nous entrons dans la travée aux défroques, tu dis : « Ce sont tous mes costards de performance avec le costume de l´élu et son écharpe tricolore, le patch de maire adjoint de Marseille, le Ch´i, l´Appel au linge, la combinaison de la revue Dock´s, l´autre Ch´i. A chaque performance correspond un costume, un travesti mais aussi une identité. Ce qui est important, c´est de montrer que c´est une seule identité. On se dit, c´est l´Adjoint mais c´est Julien Blaine, c´est untel mais c´est Julien Blaine.

Ce n´est pas moi mais quand même... Quand tu performes Ni vieux ni traîtres à la galerie Meyer-Le Bihan à Paris en 2008 : Ce qui m´intéresse, dis-tu, c´est le balayeur et l´action de balayer. Je raconte dans un texte que Marseille est entre deux chagrins la Penne sur l´Huveaune et les Pennes Mirabeau. C´était quand j´étais marseillais. Je sors de Marseille et je m´aperçois que dans ce troisième millénaire, finalement, c´est le contraire, c´est-à-dire que le monde est entre deux chagrins : ça part de l´autre côté de la Penne sur l´Huveaune et hop ça retourne jusqu´aux Pennes Mirabeau. Le chagrin, c´est terrible, c´est : on se révolte mais ça sert à rien. C´est une révolution inaccessible.

Devant l´image au masque d´âne : C´est un hommage à Giordano Bruno, c´est une façon de parodier la sagesse de Confucius : avec le jeu de mots : Je livre le livre.
Devant la photographie qui sert d´affiche à l´exposition : Je me fous à poil et je plonge dans cette mare de Muga Caula, en Catalogne, là depuis trois ans mon ami Joan Casellas qui a pris cette photo a créé un festival de performances magnifique. Il faut savoir que devant cette mare, il y a un tout petit bar où le monsieur qui venait là régulièrement l´été s´appelait Marcel Duchamp. Et le copain qu´il recevait : Salvador Dali. C´est toujours l´histoire des spiritualités premières. Chacun invente les siennes.

Dans la salle des galets plats et oblongs peints au doigt de points, de virgules, de traits transversaux et de croix ou de signes géométriques plus complexes, que tu empruntes à l´art azilien (du nom des galets magdaléniens trouvés par Edouard Piette dans la grotte ariégoise du Mas d´Azil, datés par le C 14 entre 9 500 et 7500 ans av JC.) et en Palestine à l´époque chalcolithique dans la vallée de la Beershéva, sur le site d´Abou Matar. Tu dis : Ces gens là, ils communiquent entre eux à travers des galets, dans lesquels il y a très peu de vocabulaire, sur les galets il y a très peu de signes, insistes-tu. Donc, j´ai écrit au monde entier, là, à tout mon réseau et je leur ai dit, on va tous être azilien, vous allez trouver un galet près de chez vous, vous allez prendre en photo l´endroit où vous l´avez pris ou faire un relevé topographique ou cadastral ou cartographique et puis vous mettrez sur le galet avec votre main la couleur que vous voulez et vous m´envoyez le tout. Donc, il y a là des envois du Danemark, Uruguay, Etats-Unis, Madagascar, Italie, France, etc. »

Jean Perrot, spécialiste de l´Azilien suggère que : « La signification des galets aziliens pourrait être liée ici à une notion de continuité familiale ou tribale, à un rappel de l´ascendance du groupe dont chaque unité se réfèrerait à un signe particulier A proximité des Totems dont le principe est le même, je me dis que tes galets sont une façon d´affirmer qu´à l´instar des aziliens d´Ariège, d´Afrique ou de la vallée du Jourdain, les artistes contemporains appartiennent à un même « réseau », en quelque lieu qu´ils se trouvent, les outils qui leur servent à signifier sont en nombre limité, tous liés au corps et à la terre, au minéral et à l´eau, tous manieurs de signes rudimentaires et communiquant par l´image et l´objet en divers points du monde.


masque de la série “La vengeance des denrées et des subsistances”, photographie fifou
masque de la série La vengeance des denrées et des subsistances, photographie fifou

Il est encore temps de revenir sur vos pas, dit en écho au panneau de l´entrée du Mac le dernier mur de l´expo. Il est toujours temps, il est temps, voilà j´écoute, maintenant j´écoute, j´écoute, parlez, dis-tu sur ton portable. Entre le « fracas de la parole » et de l´histoire présente et les « berges originelles où le charbon a bu la graisse des fauves » que tu t´en vas arpenter aux quatre coins du monde, reste cette petite frange du temps, non pas celle des grandes séquences historiques que tu aimes énumérer par paquets de siècles : T´ang, Troubadours, Renaissance, Avant-garde, mais celle impossible à mettre en boite et à exposer, celle fulgurante et fragile des « messages, des passages, des confidences, des aveux, des rites et des recettes » de l´instant dans lequel pour ta part, dis-tu, physiquement : tu continues sur tous les tons, sous tous les travestissements, entre « acharnement & effraction » à croire que le poète, le chercheur un peu ethnologue, l´ex-performer, l´homme de la cité, le voyageur, le crieur public ou le manieur de paradoxes a quelque chose d´urgent, d´utile, d´infiniment précieux, d´absolument nécessaire à nous dire et qu´il est le seul à proférer.

Xavier Girard


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BLAINE AU MAC UN TRI


SOMMAIRE

Chute : chut.



« il giro del mondo », photographie Serge Assier
« il giro del mondo », photographie Serge Assier


Chute : chut.

Le titre de l´exposition de JULIEN Blaine au MAC est à réfléchir. Un TRI. Le tri ouvre immédiatement à la diversité des productions de Julien Blaine. Que cela soit en texte, en oeuvre plastique, en installation, performance, créations de revues, initiatives collectives, journaux ou brûlots. A première vue, un tri serait nécessaire. Un tri pour y voir claire dans la profusion. Mais comment définir cette diversité, cette profusion de ses créations ? Est-elle construite, produite sur une hétérogénéité, ou bien s´inscrirait-elle à partir d´une seule source, d´un seul pli, et donc d´une simplicité fondatrice, dont les créations ne seraient que des variations, des traces, des indices ? Ainsi qu´y a-t-il donc à voir dans et par ce tri : diversité, ou l´insistance d´une mêmeté, d´une même pensée ou intuition ?

Ce qui frappe lorsque l´on observe l´œuvre de Julien Blaine, c´est à quel point il a entrepris des chantiers liés à l´écriture traversant aussi bien de très nombreux médiums, que de très nombreuses dimensions d´écriture : de la poésie lyrique jusqu´à la poésie concrète ou encore à la métaphore incarnée, pour reprendre la très juste expression d´Alain Frontier analysant Chute : chut.

L´écriture, la langue, est le révélateur de ce qui se donne inconsciemment dans le monde et les choses. C´est en ce sens que dans de nombreuses œuvres plastiques, alors qu´il travaille avec des objets tant naturels, qu´issus de pratiques artistiques ou bien industriels, c´est la langue, en tant que révélateur qui intervient pour mettre en relation. Elle s´immisce entre les choses, permet de saisir des liaisons invisibles, effacées, d´associer par de nouvelles jointures ce qui était séparé. Mais la langue ici n´est pas à comprendre comme ce qu´a pu être le langage dans l´art conceptuel. Dans l´art conceptuel, la langue définit les conditions de possibilité de l´oeuvre, voire même se substitue à l´oeuvre. La langue construit l´oeuvre à venir, en donne la réalité. De fait, il y a neutralisation de la sensibilité au profit de l´intelligibilité de ce qu´il y aurait à voir. Il y aurait à voir, du fait que cela ne soit pas toujours vu, c´est-à-dire incarné. L´art conceptuel suppose la dichotomie entre la réalité plastique et la réa lité noématique de l´oeuvre, au sens où le langage devient le site d´existence d´une oeuvre.
Chez Julien Blaine la langue fait partie de l´œuvre, s´introduit dans l´œuvre pour faire œuvre. Elle n´est pas à distance de ce qui est produit, mais elle est au cœur de ce qui se produit, elle est la marque même du créateur : l´animal parlant. Elle ne renvoie pas à un ailleurs, mais elle est le lieu même de l´oeuvre, de son apparition, même si elle est ténue, même si elle est fragile, même si elle ne se donne que dans quelques signes.
Si le langage apparaît à ce point dans ses œuvres, c´est parce que pour Julien Blaine ontologiquement, l´homme est bien animal parlant, animal de langage et non pas seulement doté de langage, comme si le langage était un outil. Le langage est l´être même de cet être-là.

Mais pour que la langue soit révélatrice, il faut qu´il y ait une écoute de la langue, il faut s´effacer pour que la langue puisse naître et apparaître. Julien Blaine, laisse la langue advenir, il la laisse se déplier de par sa langue, celle-là, charnelle, dans la bouche, qui se tire vers l´extérieur.


« Target poëm », 1967, photographie fifou
« Target poëm », 1967, photographie fifou

Comprendre ce fait d´être touché demande de réfléchir et de mettre en évidence l´intentionnalité spécifique qui anime son travail. Depuis Aristote, il est de bon ton d´analyser les productions selon quatre causes : causa materialis, causa finalis, causa formalis, causa efficiens. Il est évident que ce qui domine cette quadrature tient à la causa finalis. la finalité ou la fin constituant l´axe de construction des choses. Toutefois, ici, si nous comprenons bien cette ouverture à l´écoute de la langue à laquelle invite Julien Blaine, alors il apparaît que la causa finalis n´est pas déterminée, ou encore parce que la finalité n´est autre que la libération de la langue, la finalité est sans fin, dans un devenir sans cesse relancé. Il ne se tient pas dans l´écoute pour un résultat. Ce qui dirige son œuvre n´est pas un en vue déterminé et extérieur au langage, mais c´est la possibilité même du langage dans sa liberté. C´est en ce sens qu´en 1968, il va définir son travail en tant qu´ actionécriture dans Approches n°3, en précisant que « le désir d´accéder étant + que l´accession », alors « il n´y a plus que le faire = l´action ». Le faire ne fait rien que de se tenir dans l´agir, dans un agir qui n´a pas sa fin, mais qui pour être, impose à l´animal parlant d´être ouvert au parlé du monde. Toute écriture est simultanément écriture de la nature par la médiation d´une de ses parties. C´est de même ce qu´il précise en légende de Breuvage épandu. Déversant des lettres de l´alphabet à partir d´un verre, et fixant leur chute aléatoire à l´aide d´un bombage de peinture, ce qui importe pour lui, n´est pas le résultat, à savoir la fixation, mais la liberté de l´association, « l´écriture n´étant pas ce résultat mais les gestes qui l´ont précédé et suivi ».


« totems », photographie fifou
« totems », photographie fifou

De sorte que la métaphysique dont il parle, notamment à travers les poëmes métaphysiques, est cette inscription du surgissement de la langue, de son écoute. Métaphysique, non pas au sens religieux, car tel qu´il le répète encore dans le catalogue Au mac un tri, il est anti-religieux, mais au sens où se crée une forme de création qui est propre au déploiement de la langue, et de la vie qui la traverse. La vie de la langue, de la langue libérée de ses syntaxes, de ses règles. Métaphysique au sens où les associations de la langue témoignent d´une liberté qui trouve sa fondation dans l´être de l´homme. Car ce que tente de montrer Julien Blaine, c´est bien que la liberté a son assise dans la nature elle-même, et non pas seulement dans la pensée, moyen ultime par exemple pour Kant pour dépasser la formalisation de la troisième antinomie de la Critique de la Raison pure : liberté/déterminisme. Blaine est davantage proche d´un Nietzsche ou d´un Bergson. La nature, n´est pas un ensemble d´étants reliés par des lois déterministes, ce qui n´est le résultat que du prisme logico-mathématique réducteur de notre entendement, mais la nature, si elle a bien des lois nécessaires, est transie par une puissance de liberté, la vie. La langue est une intensité de la vie, un révélateur concret de cette liberté. Méta-physique, au sens alors d´une puissance de liberté non réductible au déterminisme. La liberté intensive de la nature, de sa puissance d´association, de bifurcation, de devenir sans finalité, mais dans le jeu de sa propre durée, pour l´homme se donne dans cette réalité tout à la fois extérieure aux choses, et chose elle-même qu´est le langage. La liberté est méta-physique car elle transcende le donné, elle est ouverture, imprévisibilité, élan créateur qui ne s´arrête jamais dans la donation, mais relance sans cesse le donner.
L´espace de cette métaphysique, est celui du jeu dans le Je. Ludicité, la page, par exemple dans les 13427 poëmes métaphysiques, est celle « de toutes les expériences possibles » lui permettant de multiplier « les confrontations (...) entre des images, des textes, des mots, des dessins, des collages... ». Composant un rituel graphique, il va se laisser entraîner par les possibles de la langue, par ce que la langue est capable de tracer par ses méandres, par ses boucles, par ses entrelacs de sens. C´est selon cette ligne que nous pouvons comprendre sa parenté aussi bien avec Roussel qu´avec Brisset. Avec Roussel : certes on se rappellera Simulacre de rituel de 1986, exposé à la galerie J&J Donguy, mais ce n´est ici qu´un indice d´une relation plus secrète, dévoilée dernièrement dans ses fables exposées entre autres en 2008 au Musée des Beaux-Arts de Périgueux. En effet, Roussel avec ses Nouvelles impressions d´Afrique a composé une relation étrange entre image, textes et légendes. Tout se jouant dans le secret de la langue, sa manière de se donner à lire donc à traduire. Les fables de Blaine se donnent en quelque sorte comme écho de cette pratique, mais déjà les poëmes métaphysiques travaillaient sur cet écart, sur ce que la langue peut dire dès lors qu´elle est saisie en son ouverture, dans des reflets, et pas seulement selon des significations gelées, faisant que les mots auraient perdu, pour reprendre Nietzsche, leur empreinte première, la force sensible les ayant amenés au jour. Parenté de même avec Brisset, parenté très forte : aussi bien quant à l´axe poéticoscientifique, qu´au niveau de ce qui n´a de cesse de se poser en tant que question de l´origine de la langue. L´origine de la langue pour ces deux, si elle est recherchée selon des vecteurs poéticoscientifiques, ce n´est pas tant pour fixer une connaissance que pour faire entendre quelque chose qui n´a de cesse de s´originer depuis l´origine dans la langue : sa liberté d´association, non pas étymologique, ou linguistique, mais poétique, peau-éthique : ouvrant à une éthique de sa surface, de ses courants, de ses flux. La langue n´a pas ainsi une origine une, mais depuis son origine, ses premiers signes, que traque avec obsession Julien Blaine, elle s´origine. De langue il n´y a que dans cette origination permanente et constitutive d´elle-même. Une langue qui ne s´origine plus dans sa liberté d´expression, n´est plus alors que signal, mots d´ordre, qui n´écoute plus la vie, mais qui donnant des ordres à la vie, la condamne à être refermée sur sa liberté.


photographie fifou
photographie fifou

Ce travail d´ouverture de la langue, de libération de la langue n´est pas cependant savant, même s´il est évident que la démarche poéticoscientifique de Julien Blaine se nourrit de très nombreuses connaissances, notamment concernant la préhistoire humaine. Dans Bimot, il écrit : « Ceux qui interprètent à la sophistication, / quand tout n´est que mastication, / oublient de s´abîmer dans la parole ». S´abîmer, être touché, parfois être dévasté par ce que dit la parole, par ce qu´elle transmet par sa manière d´être. Mais pour s´abîmer dans la parole, il faut se libérer, ne pas laisser la parole enfermée dans le cadastre de sa restriction. La pièce sonore Claustrophobie exprime parfaitement cela. Le cadastre de la parole. Son castrage. Si Julien Blaine dénonce le politique c´est pour ses mots, au travers de la dénonciation des mots du politique, de sa fixation du sens. Il oppose à la complexité artificielle des langues cadastrées et castrées, une simplicité et une facilité. La poésie n´est pas difficile, mais facile, au sens où l´effort de faire advenir est celui d´un laisser être, d´une écoute, d´une joie à se laisser surprendre par ce que la langue révèle et que notre formation culturelle inter-dit, laisse mourir dans les interstices du dire.
Dans ses dernières oeuvres de 2007 à 2009 le laisser être de la langue, de ses particules alphabétiques est suprématisé, parce qu´exposé dans son intensité la plus brute, la plus minimale. Alors que dans Breuvage étendu, les lettres déversées sont nombreuses, donnant une forme chaotique dans son résultat, dans les particules de if, de J, seules une ou deux lettres sont exposées, par empreinte. La lettre disparue apparaît par l´espace noir ou blanc qui l´entoure. Si pour une part cette technique renvoie bien évidemment pour Julien Blaine au prototechnique d´impression dans l´art pariétal, où l´on souffle par la bouche la boue pour faire un pochoir de la main par exemple, cela renvoie aussi à une dimension asiatique qui n´est pas étrangère à son travail poéticoscientifique, comme cela est apparu entre autre dans le Cahier de la 5ème feuille. En effet, comme on peut le voir dans le boudhisme, notamment développé par Dögen et l´école Sôtô, le dépassement des oppositions, tel : « la forme et le vide ne sont pas deux », amène à saisir les choses, non plus comme séparées du tout, mais comme rendues possibles par ce qui les entoure. Si une chose apparaît, c´est que l´air autour lui donne son incarnation. C´est le vide autour de la coupe qui lui donne sa forme. Dans les poèmes tableaux minimalistes de 2007, en faisant surgir par la trace d´une absence des lettres, et en les liant avec des jeux esthético-graphiques, Julien Blaine fait apparaître l´intensité des particules du langage, leur libre circulation, en tant que ces particules sont libérées aussi bien de toute inscription (elles ne sont pas inscrites, mais leur trace apparaît par un retranchement, par l´espace qui en a gardé la présence passée), que de toute signification figée. Ses créations ainsi épurées, mettent en perspective ce laisser-être de la langue, cette écoute constante de la langue qu´il a entreprise depuis tant d´années.
Dans qu´appelle-t-on penser ? Heidegger, explique que ce qui définit la force d´un grand créateur, c´est l´insistance du Même. Alors que le rythme du monde laisserait penser que ce qui caractérise l´homme c´est le changement, la différence, le même auquel nous renvoie Heidegger parlant de Nietzsche, est ce qui caractérise notre être : sa liberté ontologique à travers la langue, à travers le penser : son devenir en tant qu´écoute de l´être.
En écho de cela, le même qui insiste chez Julien Blaine, n´est pas cependant à seulement polariser en lui, comme signature de sa seule modalité, à savoir un Je. Mais ce même qui définit toute son oeuvre, n´est autre que ce qui selon lui constitue notre humanité d´animal parlant : être l´animal de signe, l´animal qui découvre et produit des signes dans sa rencontre des choses et des êtres. C´est ainsi que dans La fin de la chasse, il indique l´horizon de la chasse originelle : « la chasse typographique ». C´est dans le tissu du monde, dans le monde comme livre de signes, que l´homme se livre à lui-même par la médiation de ce qu´il sait y lire. Il y a bien évidemment là une référence à Baudelaire et à Correspondances, mais dans une forme et un art qui radicalise l´intuition poétique que Baudelaire avait eu notamment et surtout avec les petits poèmes en prose. Les renvois de signes, les découpages de signes ne sont pas préétablis, mais en devenir constant, ils n´appartiennent pas seulement au poème tel qu´il est compris communément et que pratique bien évidemment Julien Blaine, mais à toute forme d´expression humaine qui si elle est libre devient alors poétique.
C´est pour cela qu´il était important de bien expliquer en quel sens tout geste de Julien Blaine ne se tient pas dans un faire avec une finalité déterminée, mais dans un agir, une action. Si ce que revendique Julien Blaine est bien l´assomption de la liberté dans et par l´être parlant, alors ce qu´il accomplit tient toujours de cet indéterminé immanent d´une action, et non pas de l´action.

Philippe Boisnard


Blaine au [mac] : un Tri
du 7 mai au 20 septembre 2009

avec des invités :
-le 10 mai Ma Desheng
-le 10 juin Hortense Gauthier & Philippe Boisnard
-le 10 juillet John Giorno & Jean-Marc Montera
-le 13 juillet Toni Négri & Julien Blaine

au [mac]
galeries contemporaines des musées de marseille
69, avenue d´Haïfa 8e
Tél : 04 91 25 01 07


Chute : chut.


SOMMAIRE

L´autre une proposition de Cédric Shönwald avec Justin Sanchez et Justin Sanchez



Cédric Schönwald, commissaire de l´exposition
Cédric Schönwald, commissaire de l´exposition


L´autre une proposition de Cédric Shönwald
avec Justin Sanchez et Justin Sanchez

A la galerie de la Friche la Belle de Mai, Astérides propose de repenser le partage conventionnel du travail entre l´artiste et le critique-commissaire. Depuis novembre 2008, l´association présente des expositions comme des rencontres collaboratives entre artistes et critiques. Ainsi, l´exposition L´autre réunit un plasticien : Justin Sanchez, un écrivain : Yannick Liron, un critique -commissaire d´exposition- : Cédric Schönwald et une actrice de l´organisation du monde artistique contemporain : Cristelle Alin.

L´une des premières œuvres de l´exposition est une innocente petite piscine, d´aspect bon marché, en plastique coloré, remplie maladroitement, (car quelques gouttes salissent le sol et ses rebords gonflables) d´un pur pétrole noir. Un peu plus loin, dans un recoin, des chaînes et des anti-vols vaporisés par des bombes de couleur doré métallique, sont accrochés au mur sur d´agressives et proéminentes tiges de métal. En face, les tiroirs d´une coiffeuse laissent apparaître les chaînes comme autant de colifichets, de bijoux étalés en dessous d´une glace, un miroir attirant repoussant, reflétant notre image. Le titre de ces œuvres « Grigri » nous ouvre à une pluralité d´interprétations. Une frise de montagne noire orne la paroi du fond de la salle, elle est constituée à partir de magazines déchirés, plus précisément à partir de la couverture noire des InrocKuptibles. En hauteur, un tableau d´affichage recouvert de post-its noirs auquel est rattaché un fil électrique noir qui aboutit à une ampoule remplie d´encre de chine. Au centre, sur deux piquets à la pointe aiguisée dirigée vers le ciel, sont empalés des papiers bleus sur lesquels sont reproduit le texte de Samuel Cordier La mesure du bleu du ciel, des images de ciels et de paysages. Lorsque, selon les indications le spectateur s´empare de l´un de ces flyers, le piquet tangue.

Dans cet environnement la tension est présente, la menace constante, une impression renforcée par la couleur noire semble constituer une des constantes formelles des installations de Justin Sanchez. Petit à petit l´on comprend que l´exposition l´Autre est composée de la même manière que le livre de Yannick Liron l´effet fantôme. En imprimerie, « l´effet fantôme » nomme ce qui est parfois provoqué par la transparence du papier lorsque les pages se superposent. L´exposition comme le livre se déchiffrent par bribes et les deux sont constitués de sept entrées : -la nuit -le jardin -la maison -les lumières -le ciel -les fenêtres -les ombres. L´exposition nous offre en sus -les pieds ; une vidéo évoquant la collaboration de l´auteur et de l´artistes et un feuillet volant intitulé -prière d´insérer réalisé par Yannick Liron et Christelle Alin, distribué lors du vernissage.*

La nuit est le premier de ces chapitres, il se situe autour du bureau d´accueil. Des adresses de sites internets concernant différentes nuits à travers le monde sont listées, accrochées sur des bouts de papier suggérant de possibles entrées. Ici comme dans l´effet fantôme, il nous est proposé une succession d´énoncés, des références mentales provoquant l´ubiquité d´un quotidien virtuel qui se construit pourtant à partir du réel. La nuit est là, constamment présente accessible partout et en même temps. Les ombres est un chapitre aux entrées encore plus discrètes, à peine visibles, il nous faut découvrir cette œuvre située entre le bureau d´accueil et la salle d´exposition proprement dite.

Cette exposition possède de nombreux niveaux de lectures à découvrir, elle offre de multiples pistes; réelles, possibles ou imaginaires. C´est dans les infimes détails des œuvres que l´on découvre la tangibilité agissante d´une réalité fictionnelle partout présente. Par exemple, au milieu de la salle d´exposition une montagne de sacs poubelles noirs composent en contrepoint un paysage en résonance avec la chaîne alpine des magazines culturels du fond de la salle. Les sacs de poubelles sont noirs mais d´un noir total allant jusque dans l´attache normalement rouge qui a été repeinte. Là le rebut est sous contrôle, loin d´être les ordures ordinaires d´une à deux semaines de travail en atelier, il s´agit de poubelles savamment agencées, remplies de matériaux sélectionnés ayant servi à la confection de l´exposition, énumérés d´ailleurs dans la légende de cette œuvre.

C´est précisément cette main mise sur le réel qui provoque une transversalité de lectures permettant le passage entre réel et imaginaire. Ce passage s´opère également inversement de l´imaginaire au réel, toujours grâce aux détails. La goutte de pétrole négligemment renversée au bord de la piscine brise la présence envoûtante et réflexive du noir profond, elle salit, nous atteint dans la réalité de notre instant présent nous tirant de la fascination qu´exerce la beauté de cette matière première. De même que la quantité de post-it tombés par terre est savamment dosée, leur présence provoque une autre lisibilité du tableau d´affichage, brouille les références ouvre à d´autres pistes.

Dans cette exposition, les histoires s´imbriquent les unes dans les autres, il n´y a pas d´écart clair entre la réalité et la fiction. L´artiste et ses collaborateurs conjuguent les trois registres définit par Lacan : Réel, Symbolique et Imaginaire (RSI) et confère ainsi une dimension d´hyper réalité aux concepts proposés. Le spectateur éprouve l´effet de réel, mais en passant par des chemins de fiction, c´est-à-dire de manière décalée dans le temps. Le travail de la fiction est créé par un retour sur le réel, grâce au temps celui-ci s´en trouve ainsi court-circuité. Pourtant, il réapparaît surgissant par bribes, par fragments au fur et à mesure des découvertes du spectateur qui le reconstruit, en lui conférant une continuité. Ici, l´imaginaire devient réel et la fiction dit le monde.

L´exposition très homogène est menée à bien avec maîtrise, Justin Sanchez adopte l´attitude des grands dandys qui gèrent les moindres détails, contrôlent chacun de leur gestes afin de donner une impression de spontanéité désabusée. Ses collaborateurs renforcent encore cet effet de construction extrêmement contrôlé. Pas de fausses notes, tout semble évident, presque trop naturel pour que cela ne cache pas quelque chose. C´est au spectateur de mener l´enquête dans cet univers où la maison est tout à reconstruire car livrée en kit plastifié (du moins les ornements) où le jardin est à réinventer à partir des ouï-dire autour du flamboiement du vert. Les pistes données loin d´être des red herrings, sont proches de jeux mentaux paranoïaques renvoyant à une quantité de scénarios possibles.

A l´entrée une petite chaise d´enfant fait face à une lampe noire menaçante, derrière elle, peinte par terre, une ombre noire en forme de diable. Cette œuvre évoquant la mise à l´aveu semble être une métaphore de cette recherche du réel qui ramène à la fiction. En effet les bourreaux exigent une vérité dont souvent la victime ne sait rien mais qu´elle invente sous la torture, les tortionnaires ainsi ne se sentent pas coupables. La vérité devient mensonge organisé, parce que trop forcée, un paradoxe que fait ressortir cette exposition. Ici le contrôle permanent sur la fiction lui confère une qualité de réalité. Le réel a en effet un statut particulier, il est insaisissable, l´exposition nous le rappelle. Nous passons notre quotidien dans un état permanent d´illusion, toujours à la recherche d´un éclair de tangibilité de luci-dité. Le réel finalement ne se livre jamais totalement, seulement sous forme d´histoires.

La proposition du critique pour mettre en perspective l´artiste, redouble plus que dédouble la proposition de l´artiste. « L´autre n´est pas une exposition sur la figure du double, ni humanitaire, ni rimbaldienne mais l´invitation qu´un critique d´art fait à un artiste de tenter de sortir de ses procédures habituelles de travail pour les besoins d´une exposition », d´où le sous-titre de l´exposition : « Une proposition de Cédric Shönwald avec Justin Sanchez et Justin Sanchez ».

Le critique-commissaire et les autres intervenants réunis autour de Sanchez qui sont à la naissance de ce projet ont cherché à créer « une tentative d´échappée » à la mise en vue classique. Ici, le travail de l´artiste, du commissaire et de l´auteur débouche sur une belle exposition, toutefois l´ouverture recherchée ne transparaît pas, la position contrôlée de l´artiste est consolidée plutôt que chamboulée par l´Autre.

Une exposition à voir et à revoir.



* une page construite sur sept sections de fantômes zéros, température variable, lumière ambiante, densité incontrôlable, son aléatoire, déplacement discrétionnaire, espace conditionnel et perception singulière.

Françoise Rod


-L´autre-
une proposition de Cédric Schönwald avec Justin Sanchez et Justin Sanchez
et la participation de Yannick Liron et Christelle Alin

du 20 juin au 25 juillet 2009
Galerie de la Friche Belle de Mai
www.asterides.org - Tél : 04 95 04 95 01

Publication : l´autre,
textes de Cédric Schönwald et Yannick Liron
56 pages, quadrichromie - 500 exemplaires



L´autre une proposition de Cédric Shönwald avec Justin Sanchez et Justin Sanchez


SOMMAIRE

MARIKA NANQUETTE-QUERETTE --- T R O U V A I L L E



Marika Nanquette-Querette, « Kama Sabbat », Cire
Marika Nanquette-Querette, « Kama Sabbat », Cire


T R O U V A I L L E

Discerner, distinguer, choisir sont pour Marie-José Mondzain le tremplin où notre esprit critique est convoqué. Confronté à de l´art, discerner ce qui est profitable, neuf à l´œil, surgissant, distinguer la malfaçon du bien œuvré, la répétition et la reconduction de méthodes d´un nouvel élan de la forme, choisir finalement point dans le but de restaurer des vieilles valeurs évangéliques quant à un jugement juste sur les choses de l´esprit et de l´art mais déterminer une convergence. Triple empan, discerner, distinguer, choisir, facilitent un langage opératoire critique efficient.
Le travail de Marika Nanquette-Querette présenté chez Andiamo, galerie qui s´affirme au fil des mois comme un lieu coopératif susceptible de faire bouger les lignes du jugement préétabli, interroge et intrigue les attendus.

Ne supportant plus les pigments, Marika est passée au bronze. Elle présente des dispositifs astucieux et malicieux où la bacchanale et la rencontre idyllique jouent des tours et des farces. Toute une école marseillaise se pénètre de la mythologie chrétienne et tarabuste l´iconographie religieuse. Rappelant en ceci la pratique des ex-votos des chapelles côtières et des cités marines, quelques artistes marseillais - des femmes, oui pour la plupart - Marie Ducaté, Marina Mars et autres déplacent les codes de perception de l´assiduité aux signes de la croyance.
Subvertissant et renversant la bienséance, la jubilation avec laquelle Marika N-R. empoigne l´Enfer des bibliothèques ou des salons privés de vicaires priapiques dérange et ne fait pas qu´émoustiller. A la fois, ces pièces peuvent apparaître comme antiques, datées, d´un autre temps ; en les observant de près, en jouant avec (elles sont interactives, le spectateur est convié à jouer avec les éléments de bronze pour compléter des figures, changer des agencements) nous réalisons assez vite l´ambivalence entre dévotion contournée et irrespect, sacralisation de l´interdit et banale incartade dans le vaste imagier du religieux iconoclaste.

Cette inspiration ange/démon, cette visitation, le jeu avec les saints et les figures surcodées est le fruit de toute une tradition marseillaise, de Gérald Neveu à Christian Guez Ricord en passant par André Suarès. A la grande différence que l´approche mystique de la part des artistes femmes est déjouée : l´incantation devient mirobolante, le Saut de l´Ange ou les hommes-licornes qui sabrent de leurs braquemards-massues l´air de la steppe stigmatisent la tiédeur : les anges se prennent et s´éprennent, bonnes sorcières et mauvaises fées interfèrent leurs rôles de composition.
L´astuce de la belle Marika est d´enfreindre la réceptivité de ces incunables ; elle reproduit à l´aide de boîtiers et autres coffrets les écrins que ces curiosités féeriques méritent. Les bacchanales et la pratique du Kama soutra que toutes ces nonnes croquantes et ces abbés turgescents appréhendent de rêver et rêvent d´appréhender sont serties avec un doigté qui allie somptuosité et rigueur.
Les bronzes fins de huit centimètres de haut, exécutés à la cire perdue, sont disposés sur des piédestaux, vis en bois, colonnes doriques qui leur donnent un air de majesté ; les dispositifs et scénographies changent l´échelle : les figurines apparaissent les esquisses d´un caravansérail magique où le tragique est torché dans le ruisseau, vascularisé et c´est là où Marika déroge à l´idée de bijou, au travail strict de l´orfèvrerie. Les miniatures ne trompent pas leur monde : les mythes fondateurs de l´élan et de l´éros sont croisés avec une représentation païenne la plus épicée ; aucune solennité là-dedans ou là-dessous : ce qu´il faut cacher, c´est ce qui reste à découvrir et si Wittgenstein nous lance « ce dont on ne peut parler, il faut le taire », ce n´est pas pour quêter des rampes de lancement du désir châtié de ne pas voir.
Entrouverts, les coffrets, tombeaux et sépulcres à demi fermés.



- Entretien -



JSO D´où peut venir ce souffle ? Qu´est-ce qui vous pousse à produire des formes que l´on pourrait croire oubliées ou issues en ligne directe du cabinet des curiosités, le bijou érotique, la lice du satrape, le stupre à confesse ?
La bonne sorcière et la mauvaise fée se penchent sur le nouveau-né. Observez l´oscillation de la pièce de bois sur laquelle reposent les trois pièces, je l´ai trouvée dans une brocante. Je pense que c´est une ronde-bosse de tailleur, pour faire les vestes. C´est en voyant les choses que je commence à les associer. Vous pouvez remarquer mes matériaux fétiches : le bois, le bronze, la loupe que j´associe toujours.

JSO Mais quel est le cheminement ?
Cela fait un an que je fais des bronzes. J´avais besoin de faire un bilan d´étape entre ma peinture et les bronzes. Un passage à situer entre le passé et l´âge de bronze. Toutes les pièces sont d´abord faites en cire perdue. J´ai constaté l´absence de structure pour fabriquer des pièces et j´ai d´ailleurs l´intention de créer une fonderie à Marseille en collaboration avec le CIRVA ; j´ai fait les demandes auprès des institutions. Oui, j´aspire à « fonder » une fonderie.
Mon cheminement vient des comptines d´enfance. Une enfance très joyeuse avec une grand-mère belge, penchée et branchée sur le paranormal. Donc une jeunesse bercée par les contes, le mystérieux. Ce qui m´intéresse, c´est le côté populaire. J´ai fait ma thèse sur le Diable et les arts plastiques. Elevée par les sœurs, j´ai eu la chance ou du moins la singularité d´être hébergée à plusieurs reprises pendant quinze jours au Vatican, un lieu inaccessible au commun. C´est à la fois un concours de circonstances incroyable pour des fillettes curieuses de cru, de magie et d´événements ainsi qu´un concert des formes dans Rome. On apprenait plein de choses : un dîner et une messe privée avec le pape Jean Paul II.

JSO Votre attrait pour les icônes à découvrir sous leurs caches vient donc d´un bain précoce dans un hinterland à la fois très véhiculé et inconnu du grand public, le mausolée de la religion hégémonique en Occident.
Je me rappelle d´avoir demandé à un évêque bibliothécaire de me montrer la plus vieille représentation du Diable que la bibliothèque du Vatican pouvait receler. Songeur, il a fini par me sortir et accepté de me montrer un document en cuir, un parchemin sur peau de chèvre sous une cloche de verre ; j´avais des nattes, des socquettes blanches. Il était ému. Ma curiosité l´intriguait.
J´ai depuis ce temps-là un amour pour tout ce qui est altéré. Une tendance à abîmer la matière. J´ai travaillé avec des produits toxiques volatils, des dissolvants violents et maintenant je suis allergique aux produits de la peinture. J´approche le rejet des pigments de façon positive. Depuis, je m´attelle au bronze qui est très onéreux, moins cher que l´or mais fortement coûteux. D´où de très petits formats. Oui, la contrainte est aussi pécuniaire.

JSO Comment construisez-vous et concevez-vous l´édifice ?
La hauteur des socles est liée à l´ergonomie du spectateur. Les œuvres sont manipulables. On peut toucher les pièces, on peut jouer avec elles. Je le répète : ce sont de petits formats pour des raisons économiques. A Marseille, il n´y a des fonderies que pour les bijoux. La réduction de moyens aide à trouver de bonnes solutions.
En ce moment, je travaille sur un jeu de tarot avec des cartes inventées : l´Artiste, le Graveur, la Sorcière, le Magicien.

Propos recueillis par Emmanuel LOI


Marika - Peintures, bronzes et sortilèges…
jusqu´au 12 mai 2009

Galerie ANDIAMO
30, cours Joseph Thierry, 1er / Tel : 04 91 95 80 88



MARIKA NANQUETTE-QUERETTE --- T R O U V A I L L E


SOMMAIRE

PICASSO / CÉZANNE - DUEL AU sommet



Vue de l´exposition à la Galerie Jean-François Meyer, photo Amir Rezzoug
Vue de l´exposition à la Galerie Jean-François Meyer, photo Amir Rezzoug


PICASSO / CÉZANNE - DUEL AU sommet

En alternative avec l´événement Picasso-Cézanne qui a lieu au musée Granet d´Aix, cet été, le Victory Club organise une exposition où le duo en duel est au sommet du contemporain. A l´image de l´humour provocateur qui entoure les activités artistiques du Victory Club, (marche, conférence, publication) l´esprit mythique de la Sainte Victoire, l´utilisation de l´imagerie populaire et les multiples représentations cézanniennes sont à l´honneur.
Trente cinq artistes ont répondu à l´invitation lancée par le Victory Club et la Galerie Jean-François Meyer à ce DUEL AU sommet. Une seule contrainte imposée: le format.

A l´instar d´une frontalité dramatique de duels de maître, cette exposition éclectique où différentes tendances et parcours picturaux se croisent, présente des expériences ludiques ; Accolade, sensualité, humour et jeux de mots sont au rendez-vous.
Jean-Christophe Tarot dessine un rébus complexe et un anagramme combinant les mots picassocézanne. Armelle Kérouas brode une rime psychologique illustrant l´antagonisme des caractères des deux artistes, Cézanne rumine, Picasso Culmine. Ne disait-on pas de Cézanne qu´il avait l´imagination romantique et l´autre plus frivole ? Jean-Baptiste Audat par un collage d´alvéoles enchevêtrées de mots cachés intitulé Paroles, insinue que les rumeurs sur les peintres ou la peinture doivent rester secrètes. Picasso ne disait-il pas « l´art est un mensonge, une vérité inventée. » Anne Marie Pêcheur recouvre de plastique bulle son tableau où deux serpents sont peints côte à côte, l´un est bleu et l´autre rose. Selon certains historiens, la mort d´un ami a déclenché la période bleue de Picasso et l´amour la période rose. Laurent Le Forban propose des énoncés bilingues en gros caractère blancs sur fond coloré rouge et bleu, portant sur l´univers des peintres semblant « interpréter les horizons dans leurs largeurs sévères » comme disait Zola de la peinture de son ami.
Valérie Blanchard dépeint les joueurs de cartes en monstres sacrés en déjouant la figure de ces deux artistes tandis que Pierre Ravage présente un collage fantaisiste du duo avec leurs chapeaux rappelant ainsi une scène de cabaret. « Ce n´est pas ce que l´artiste fait qui importe mais ce qu´il est » disait Picasso.


Daphnée Boussion, Sans titre (4 duos), 1/1, 1999-2009, 4 X 2 photographies encadrées.
Daphnée Boussion, Sans titre (4 duos), 1/1, 1999-2009, 4 X 2 photographies encadrées.

Les motifs traditionnels et les icônes mémorielles des tableaux de Picasso et de Cézanne font surface. Leurs portraits sont déformés dans l´un des quatre duos photographiques de Daphné Boussion. Dans un autre diptyque, elle met en relation une nature morte à la pomme avec les poignets d´une personne avec des bracelets qui permettent d´entrer au Musée Guggenheim, il s´agit d´une nature foisonnante avec l´idée du construit. Une époque dévolue s´immisce dans le travail de Julien Blaine. La photo de sa mère en Arlésienne est placée juste à côté du ready-made qu´il signe; le communiqué de l´exposition Picasso-Cézanne du musée Granet.


Laure Chaminas
Laure Chaminas

La montagne Sainte Victoire est le site imageant le DUEL AU sommet. Plusieurs artistes se confrontent à un art d´altitude : monter, descendre, gravir, traverser, parcourir, se poser et méditer sur l´énigmatique rencontre que soulève le regard.
Christiane Ainslay peint le chatoiement de la montagne, « des sensations colorantes qui donnent la lumière » selon Cézanne. Françoise Rod conçoit une bougie à l´effet de marbre et propose une rencontre lumineuse au sommet, Patrick Lindsay miniaturise avec une chaussette la Sainte Victoire, Madeleine Doré érige la victoire de la simple peinture avec une palette de couleurs industrielles étalée en cercle, Micheline Simon superpose les collages de montagnes blanches. Sylvie Guimont fouille en profondeur les couches qui font voyager tantôt dans la reconnaissance de la manière de peindre de Cézanne tantôt celle de Picasso. « Si je mettais là quelque chose au hasard, je serais forcé de reprendre tout mon tableau en partant de cet endroit. » disait Picasso. Laure Chaminas se présente en modèle nu, déambulant sur la montagne Sainte Victoire avec un gorille en peluche rouge pendu en écharpe autour de son cou. Curieusement elle refait un geste similaire à cette proposition photographique, à la fin de la performance de Didier Calleja lors du vernissage à la galerie Jean-François Meyer. Elle saisit l´écran de plastique découpé et l´enroule autour de son cou. Calleja donne une version virtuellement poétique d´un espace duel. Il débute sa performance par la projection d´un film qu´il a réalisé sur la Sainte Victoire, l´image présentée sur un logiciel de montage est minuscule. Il dessine au feutre des montagnes sur l´écran de plastique en déclamant. Un performeur musical l´accompagne à la guitare en ponctuant ses gestes. Il déconstruit l´espace duel d´un questionnement sur l´être en train de sentir, de voir et de revoir. Il invite les spectateurs à participer à ce découpage du réel, à déconstruire l´écran qui focalise l´attention. « La sensation forte de la nature est la base nécessaire de toute conception d´art » disait Cézanne.


Didier Calleja, « joindre les deux bouts », photo Amir Rezzoug
Didier Calleja, « joindre les deux bouts », photo Amir Rezzoug

L´exposition est un fourmillement d´idées et de trouvailles qui rend vivante la relecture des Picasso-Cézanne. « Je ne sais pas je doute » disait l´un, « je ne cherche pas je trouve » répondait l´autre, sans doute ce duel montre que l´ensemble des œuvres interrogent le rôle central que peut jouer un Arte Joven, comme le suggère le titre d´une revue dont Picasso a été directeur.

Madeleine Doré


exposition intinérante présentée :

à la galerie Alter Ego d´Aix-en-Provence
du 2 au 13 juin 2009
et à la galerie Jean-François Meyer de Marseille
du 16 au 18 juin 2009



PICASSO / CÉZANNE - DUEL AU sommet


SOMMAIRE

LE GENRE SINGULIER



Aurore Valade, «Exótico», 2007, Série Le temps de l´été
Aurore Valade, «Exótico», 2007, Série Le temps de l´été


Le genre Singulier

Poissant littéralement au thème initié au début de l´année « féminin pluriel » l´exposition « identités de femmes » à la galerie d´art du Conseil Général à Aix en Provence, confronte les travaux de deux photographes contemporaines Aurore Valade et Florence Chevalier. Une exposition De, Avec, Par, Pour !? L´enjeu est-il de démontrer qu´au-delà du terme générique il y a des femmes, des identités ? Le Conseil Général envisage-t-il pour l´année à venir afin de compléter cette étude sociologique hautement pertinente une thématique « masculin pluriel ? », « identités d´hommes ? ». Au-delà de l´aspect navrant de ce commissariat d´exposition, on peut s´interroger sur sa mise en balance avec la nature démagogique de la motivation à laquelle cèdent trop souvent les institutions dans leur affligeante course au public. On peut également déplorer que loin de servir la cause que serait le féminisme moderne, ce genre de thématique fourre-tout nous renvoie à des combats passés, les remettant en question comme intégrés par notre société occidentale. Cet état de fait est d´autant plus malheureux qu´il ne correspond pas au travail extrêmement pointu et qualitatif de ces deux Artistes, qui méritent toute notre attention. Aussi, en réponse à la dichotomie récursive de la thématique artificiellement équilibrée de l´exposition, et faute de points d´entrée dans son discours ; Le choix d´une présentation déraisonnable s´impose. Il sera arbitrairement générationnel.

Florence Chevalier réalise un travail d´auto-représentation, au travers de scènes qui par leur banalité, leur composition, et la lumière qui les irradie touchent à l´immuable. L´artiste s´affiche dans une féminité moderne, complaisante et dilettante, que son caractère pleinement assumé rend éminemment subversive.

Aurore Valade, Jeune photographe contemporaine récemment primée pour son travail par la fondation HSBC pour la photographie, présente quant à elle des scènes de genres « intérieurs avec figures » s´inscrivant d´emblée dans une tradition picturale classique. Les saynètes sont composées en plusieurs étapes : dès la prise de vue par un agencement, voir une accumulation d´objets autour des personnes photographiées (objets qui leur appartiennent et issus de leur entourage proche), qui ont pour fonction de fournir autant de discours divergents que de symboles convergents. L´accumulation loin de fournir un tout, nous renseigne sur la complexité voir la vanité d´une tentative qui dès lors qu´elle se veut exhaustive, met en évidence les limites d´une anthropologie sociale photographique. La démarche de l´artiste, mutine, rompt ainsi avec une pratique documentaliste de la photographie sociale et se joue des codes dans ses allers-retours incessants entre peinture classique et iconographie contemporaine. Il n´est pas rare de retrouver au détour de ses compositions à la contemporanéité affichée, un Vermeer, un Jacques-Louis David, un Velázquez...

Aurore Valade assume l´expérience jusque dans ses extrémités, composant l´image à posteriori, ajoutant des éléments, déplaçant, surlignant par la couleur ou la saturation tel objet ou tel autre, les combinant dans un réseau complexe et signifiant. Si la fascination de ces compositions, somme toute classiques opère de prime abord, force est de constater que ce n´est pas ici que se trouvent les enjeux d´une telle photographie. En effet, cette accumulation n´intervient que comme une toile de fond, comme décor artificiel, et s´il y´a une virtuosité évidente dans le travail de cette artiste, elle n´est pas technique, mais elle se ressent dans cet improbable événement qui laisse aux personnages la possibilité de s´approprier pleinement le décor dans lequel ils sont présentés. La qualité et la force de ces portraits qui s´assument entièrement dans leur intérieur, dit beaucoup de la nature du rapport de l´artiste à ses modèles, de son attention et de la précision de son geste photographique. Aurore Valade, ayant pleinement intégrée la spécificité du médium photographique, balaye par son recours assumé à l´artifice la question d´une représentation objective ; Et par la précision de ses détours, le courage et la finesse de son approche, nous livre des réalités composées qui laissent entrevoir leur complexité. Enfin une photographie singulière aux multiples entrées, intelligente et décomplexée, joyeuse et ludique pour le plus grand plaisir de notre regard émerveillé !

L´exposition étant terminée, que cela ne dispense pas la curiosité, documentez vous!



Florent Joliot


Aurore Valade
Publications :
« Grand miroir »
monographie 2008, François Bazzoli & Chantal Grande,Actes Sud/Fondation HSBC pour la photogaphie « Plein air »
Aurore Valade / Laetitia Bianchi, 2008, Diaphane Editions, France.
« Intérieurs avec figures »
Catalogue d´exposition, 2006, Denis Driffort & Didier Arnaudet Association Pollen, France

Agent :
- Sandra Karkos (France) : 06 61 32 14 00
Galeries :
- Alternative Gallery miami (USA) : 646 510 2554
- Stieglitz19 (Belgique) : 00 32 495 515 777

Florence Chevallier Publications :
« Le Bonheur »
texte de Bernard Lamarche-Vadel, Paris, La Différence, 1993.
« Who´s Looking at the Family ? »
Barbican Art Gallery, Londres, 1994.
« L´enchantement »
premier couplet, texte de Régis Durand, Ed. paris Musées, 1996.
« A posteriori » « Inactualité du nouveau »
Espace Arts Plastiques, Villefranche-sur-Saône, 1997.
« Portraits, singulier pluriel »
1980-1990. Le photographe et son modèle, Hazan/ Bibliothèque nationale de France, 1997.
« Des journées entières »
Interface, Marseille 2000

Galerie :
- Les Filles Du Calvaire, Paris, : +32 (0)2 511 63 20

Identités de femmes :
Florence Chevallier et Aurore Valade
du 17 avril au 28 juin 2009
Galerie d´art du Conseil général des BdR
http://www.aurore-valade.com/





LE GENRE SINGULIER


SOMMAIRE

L´ART des Corps - sixième festival de lagorce



Olivier Germain-Noureux / Drôme, Massage Sonore - durée variable plusieurs fois par jour.
Olivier Germain-Noureux / Drôme, Massage Sonore - durée variable plusieurs fois par jour.


L´ART des Corps,
sixième festival de Lagorce

Sous le soleil, exactement, en Ardèche Sud, à une demi-heure des célèbres gorges (canoe-kayak) et de la grotte Chauvet (Vallon-Pont-D´Arc), Lagorce inaugurait à la mi-juin, son festival festif, conduit par l´association PAS D´PANIQUE, sous la houlette d´Annie Goy, de son comité endiablé et de sa troupe de bénénévoles, qui, tous, firent des merveilles, en si peu de jours... du jamais vu ailleurs ! Trois journées et soirées intenses, avec dix expositions, douze spectacles, trois tablées et des rencontres en tout genre, dans le village et la commune. Une trentaine d´artistes variés invités à secouer les habitudes. Epuisant parfois, on se croise, sans vraiment le temps de se rencontrer. Il faudrait une bonne semaine. Une réussite ; Un public attentif et curieux, amusé, d´ici et d´ailleurs et des écoles primaires. L´art contemporain sans prétention, dans son foisonnement hors-limite (danse, concert, lectures, performances, sonorités, art-action, promenades, photos, videos, films, spectacles, expositions, chansons, installations, rencontres, expériences éphémères...) le cru ou la cuvée 2009 fut particulièrement dense, bouillonnante, débordante. Impossible de tout voir, tout entendre, tout vivre, tout digérer.


Françoise Rod / Cuges les pins, Apparaître, « Espace Intuitionnel »
Françoise Rod / Cuges les pins, Apparaître, « Espace Intuitionnel »

Chaque soir une tablée thématique (l´art, un jeu de relations, art et langage, le village irréductible) animée par Thierry Boutonnier : échappée des rencontres transdisciplinaires, aux croisements des Routes et des Sentiers, hors frontières, pour un village invisible, ouvert à tous les vents, là où l´art devient un outil de rencontres et de transformations et non plus un spectacle pour des touristes consommateurs d´exotismes. Lagorce 2009 est un révélateur certain de quelque chose de fondamental dans un climat général et mondial de crise (surconsommation en tout genre, spectacle généralisé) : un petit festival qui doit absolument demeurer modeste mais très riche de rencontres, de croisements, d´échanges et sur plus de temps ; une semaine ! .


Diana Chaumontet / Bruxelles, « Marylin », performance 2009, durée variable
Diana Chaumontet / Bruxelles, « Marylin », performance 2009, durée variable

La qualité 2009 de l´Art des Corps, c´est sa variété et ses trouvailles, souvent au cœur même de la région Rhône-Alpes (Ardèche, Lyonnais, Isère, Savoie, Drôme). .
Du cirque-théâtre-performance (sur la place publique) avec le groupe Dare d´art, du théâtre-objet-sonore avec le Petit Cirque de Laurent Bigot (Grenoble), une chorale surprenante (en extérieur et en salle) Crise Carmen (trois voix de femmes en langue inventée) de Grenoble, du slam (Montpezat sur Bauzon) avec Julien Delmaire (écritures, cris, conférences, sur les chemin d´Aimé Césaire, des Last poets et des Rastas, comme des poésies sonores), un concert très singulier, dans une chèvrerie de Lagorce et sous la lune (trompette, saxo, voix, concert en forêt, sur le chemin botanique de Philippe Lantenois / mairie de Lagorce), des musiciens d´Annonay (Nord Ardèche), des actions de corps avec la pièce burlesque Marylin (Diana Chaumontet, Bruxelles), l´improvisation performance de Marion Bae (Manosque) qui, après une formation de Taï Chi et Qi Gong devient praticienne de BMC (Bodymind Centering), avec Création (la compagnie Le Corps entropique de Lyon, avec « Nues » (photos et videos de la danseuse Emilie Camacho par Hélène Joly, des photos de danses de Lisa Boniface (Ardèche) et les PAS de Sylvie Planche (Valence). .


Jean-Baptiste Nourrisson / Paris, « Nap Space »
Jean-Baptiste Nourrisson / Paris, « Nap Space »

Autres découvertes, en déambulant dans le vieux village de Lagorce, entre le temple et l´église : une réflexion quant à l´Apparition, interprétée par Marina Mars (Marseille) avec « La tentation de Saint-Antoine »; Madeleine Doré et Françoise Rod (Cuges les Pins); une soirée de Poésie-action, burlesque et assez raide, par le collectif Boxon (Lyon) ici en trio ; et un film expérimental (un poème visuel) du cinéaste arménien Artavazd Pelechian, « Les Saisons » dans le Temple. .


Marina Mars / Marseille, performance, « Libérez Marie-Madeleine de ses sept démons »
Marina Mars / Marseille, performance, « Libérez Marie-Madeleine de ses sept démons »

Le Musée des Muses Amusées (MMAM) fondé, in Alpina, dans les années 90, par Gerwulf, révèle et réveille des objets et des gestes oubliés, (re)découverts sur la commune de Lagorce (printemps 2009) : enclume et marteau, évocation du Martinete, chant flamenco du Cante Jondo, jeu de fourches et râteaux (évocation de la secte SDF, sacrés / secrets derviches faucheurs / fauchés, inventée par Gerwulf en 2000), Bidons Total + Elan (Elan Total Bidon), documentation sur les vins du vivarais (+ drapeau du vivarais) et sur le conservatoire des oliviers ardéchois et les 12 huiles bio (entreprise Berneau, à Lagorce), présentation des éditions de l´Ibie (Lagorce), livres consacrés au patrimoine ardéchois (1), un choix de livres « trouvés » à Aubenas ; durant ces 3 journées eurent lieu des petits concerts collectifs avec les enfants et le public (sonnailles), le bol tibétain de David Albrand (Lagorce), un slam de Julien Delmaire, un canto pour enclume de El Coyote, avec des photos de Fabien Velasquez et une intervention surprise en poésie-action, des vociférations de Jean-Hubert Sittler (Belfort) ; et encore, d´anciennes cartes de géographie pour l´école (année 50), des objets de Philippe Lantenois (lithothérapeute, savant en pierrres, papillons, scarabées, orchidées, de Lagorce). Révélations, Ré-incarnations, surprise du hasard objectif des muses inspiratrices (le cor, la corporation des muses de la cornemuse) !


Madeleine Doré, l'art au service de la collectivité
Madeleine Doré, l'art au service de la collectivité

(1) Histoire et environnement d´un territoire, De la Dent de Rez aux Gorges de l´Ardèche, 2008.
Michel Giroud, peintre oral et tailleur en tout genre, Alpina, 30 juin 2009.
dir.collection l´écart absolu (lespressesduréel.com) .

Coyote


L´ART DES CORPS.
6ème festival de Lagorce.

12,13,14 juin 2009.
avec : DIANA CHAUMONTET - BoXoN - MARION BAE - AUDE CORTES - DARE D´ART - JULIEN DELMAIRE - LAURENT BIGOT - MARINA MARS - MADELEINE DORE - FRANCOISE ROD - OLIVIER GERMAIN-NOUREUX - G. J. PLISSON - BRUSK - SUPA-JAY - LAURA TEJEDA MARTIN - RADOSLAW KLUKOVSKY - ERIC VAGNON - CRISE CARMEN.
Annie GOY, directrice artistique du festival.
http://pasdpanique.free.fr/ - tel : 04.75.37.17.76. .



L´ART des Corps - sixième festival de lagorce