SOMMAIRE
MAJERUS, C'EST MAGICUS !
Georges Majerus, sans titre, photographie Amir Rezoug
MAJERUS, C'EST MAGICUS !
Georges Majerus expose à la
Galerie Jean-François Meyer un ensemble de Polaroids grands formats de
différentes périodes selon un agencement particulier qui mélange les
thématiques de son travail : le spectre des couleurs, la guerre, les
avatars de l´amour.
SX70 : code magique pour Majerus ! Celui du Polaroid mais aussi celui
du film. Mis au point par le docteur Land dans les années 70, il n´est
actuellement plus produit. Pourquoi cet appareil plus qu´un autre ?
Parce qu´il offre une facilité d´emploi et une immédiateté qui permet
de ne plus réfléchir quand la mise au point est terminée. Un avantage
appréciable lorsque les séances durent de 2 à 3 heures pour prendre une
dizaine de photos.
Majerus aime détourner les objets de leur contexte au moyen d´effets
optiques. Il reste souvent surpris de son propre résultat. " Parfois
sur dix photos, neuf sont réussies ", avoue-t-il. Le résultat est
surtout le fruit d´un maniement particulier de son SX70. Ce travail est
physique, presque " comme une performance, surtout les photos qui sont
purement spectres, pour lesquelles le travail est uniquement sur la
couleur et la forme ", précise-t-il.
Ses photos sont des exposés argentiques sur Dibon. Ce procédé leur
confère un aspect polaroid sur grand format. Mais aucune photo n´a subi
de traitement logiciel. Majerus construit ses photos : il scanne les
polaroids, les numérise puis les traite en labo avant de les
contrecoller sur un support Dibon. Tout son travail est donc original
et les photos sont une reproduction la plus fidèle possible du polaroid
initial. Son alchimie organique repose sur un effet de
démultiplication. " J´aime multiplier et mon chiffre de base est le
trois ", dit-il. Il a choisi délibérément le cheminement le plus simple
et le plus pur, le plus exigeant aussi.
La palette chromatique des Polaroids se compose de rouges et de bleus,
le noir en est absent. Alors comment Majerus parvient-il à produire des
noirs si profonds, si envoûtants ? " En travaillant sur un bureau noir
et en jouant sur la profondeur, je jongle avec deux mondes qui
s´interpénètrent ", confie-t-il. On sent qu´il ne nous révélera pas
tout. C´est sa " petite cuisine ".
Les photos ont des dimensions particulières qui créent un trompe l´œil
: elles donnent l´impression d´être carrées. Elles sont en effet
imperceptiblement plus hautes que larges. Majerus a travaillé
principalement avec deux formats, un format plus petit de 26 x 32 et un
format plus grand (79 x 96) qui correspond à l´assemblage de 81 petits
polaroids.
Sauf exception, Majerus n´accorde pas de titre à ses œuvres, elles
parlent d´elles-mêmes. " Tout est compréhensif, presqu´évident ",
ajoute-il.
Georges Majerus, sans titre, photographie Amir Rezoug
Le spectre des couleurs
Plusieurs groupes de photos traitent du spectre des couleurs. Majerus
fabrique ses spectres avec des matières réfléchissantes et crée un flou
en variant les expositions (3 à 4 secondes). Ses couleurs semblent
vivantes, en mouvement, elles font penser à des tableaux de peinture
abstraite. Sur une photo, une main pointe une boule blanche sur un
tapis vert de billard. Les couleurs s´entrechoquent avec bruit. Une
autre est un grand ´faux´ carré noir avec, en son centre, une lueur
rouge surmontée d´une légère volute vert-jaune. Cette lumière, il l´a
voulue, il l´a cherchée, il l´a élaborée avec son appareil : avec une
grande ouverture et en prenant appui, il a maintenu l´exposition sur
plusieurs secondes, cela lui a permis de sélectionner une zone en
particulier. Le rouge est rempli d´une intensité, d´une épaisseur, la
volute semble gazeuse et le noir autour vous happe comme un tunnel.
Trois cerfs-volants dans un ciel bleu, quelques flocons nuageux.
D´aériennes traïnées horizontales, des fluorescences vertes verticales.
Ils flottent dans un bleu de ciel éternel, ni printemps, ni automne, et
s´élancent comme poursuivis par des lucioles vertes, retenus seulement
par leur cordon d´un bleu intense. L´un blanc, l´autre multicolore.
Tout en haut, un rouge semble avoir pris son envol définitif, comme
détaché dorénavant des contingences de ce monde, flottant ivre de
liberté toujours plus haut. En bas, la photo n´a pas de frontière,
comme si la terre avait pivoté à la verticale des cieux.
Majerus est allé à la plage, il a vu des cerfs-volants, il les a pris
en photo, tout simplement.
Georges Majerus, sans titre, photographie Amir Rezoug
Cinq photos percées en leur centre d´un cercle de dimension réduite. Le
pourtour est d´un noir sombre, le centre est occupé par une mini photo
: un canal, un champignon, une petite plante de forêt, deux petits
champignons accolés. Cet agencement, tel un clin d´œil, donne
l´impression de se trouver derrière un objectif. Ces photos sont en
fait le résultat d´un accident : un retournement de la jumelle devant
l´objectif. Juste à côté, une petite tête de mort orange inscrite elle
aussi dans un petit cercle noir. En réalité, il s´agit d´un panneau
signalétique de danger dans une carrière que l´œil de Majerus a
totalement modifié.
Dans ses photos représentant le feu, on a l´impression que les flammes
dansent encore sous nos yeux et qu´elles sautent même d´une photo à
l´autre.
Une autre photo montre un assemblage de trois photos sur papier A4
plié, juxtaposées à deux formes symbolisant une sorte de construction
humaine par la multiplicité des angles, des formes et des ombres
portées.
Trois photos de forêt. On jurerait qu´elles sont en noir et blanc.
Effet d´optique trompeur. Elles sont réalisées dans des dominances de
bleu. La forêt est d´un bleu profond,les champignons bleu fluorescent.
Accrochés en grappe à leur tronc d´arbre, on dirait " Les Envahisseurs
". Sur un paysage de troncs et de branches enchevêtrés semble tomber
une fine brume, perception subjective. Sur la troisième photo, une
méduse floutée. Erreur, c´est un tout petit champignon qui s´est
métamorphosé sous la loupe de Majerus.
Sous un autre groupe de photos, un nom : Phallus Impudicus ! Pas de
confusion, c´est un champignon commun de nos forêts qui porte bien son
nom ! Majerus a capté sa dichotomie surprenante. D´un côté, une sorte
de tubercule ronde qui, sectionnée en son centre, ressemble plutôt à
une vulve. C´est Phallus Impudicus en pleine jeunesse, œuf oblong et
comestible. De l´autre, un pédiment érigé avec une petite calotte (la
gléba) foncée. C´est Phallus Impudicus à maturité. Il évoque alors la
forme d´un phallus en érection et dégage une odeur putride, il est
devenu incomestible. Il porte même un surnom : satyre puant !
Sur une autre photo, un moine debout enveloppé dans sa cape nous fixe
de son œil grave et mystérieux. Le vent souffle en rafales détrempées.
Le paysage est dramatique comme une fin du monde, l´atmosphère irréelle
est d´un gris d´argile...
En fait, il s´agit d´un face-à-face entre Majerus et une jeune pousse
de datura sur son balcon un jour de pluie !
La guerre
Une photo de feu le Pape Jean-Paul II à Auschwitz. Au-dessus de la tête
du pape, Majerus a gardé seules les dernières lettres du mot : WITZ.
Witz signifie blague en allemand. Sous la photo du pape, comme pour lui
faire écho, une photo de trois émirs hilares et inquiétants.
Une série de photos prises à la télévision montre Tony Blair et George
Bush visiblement en plein discours sous-titré en arabe. A côté, une
légende : déclaration à la télévision au peuple irakien après le
bombardement des réseaux de communication. En-dessous, Vladimir Poutine
au téléphone jouxte une photo d´un cochon avec un dollar tatoué sur le
front. La légende indique : Poutine au téléphone avec l´ONU pour les
traiter de cochons capitalistes.
Plus loin, trois photos de scènes de guerre surmontées du mot Kalak TV
montrent une carte marquée d´une ligne brisée, un blindé dans le sable
et une silhouette de femme allongée. Sur les trois semble courir cette
brisure qui nous fait comprendre que la guerre, pour Majerus, c´est un
char qui tue le peuple.
Georges Majerus, sans titre, photographie Amir Rezoug
Les avatars de l´amour
A l´origine de cette série de six photos, une publicité japonaise de
très petite dimension qui recommande une technique pour faire l´amour
sans attouchement. L´homme glisse son sexe dans un objet en plastique
et se place derrière la femme qui s´attache une sorte de bassine sur
les fesses. Majerus a transformé le petit original en une progression
de six photos assemblées comme une chenille, l´une derrière l´autre,
afin de démontrer l´incommunicabilité et l´absurdité de ces rapports.
Une autre photo. Un trèfle ou une serrure de porte ? Comme un regardeur
regardé, son coeur est sombre, ses bords d´une laitance violacée, le
contour est d´un blanc épais, chaud et vibrant rappelant la lumière du
jour. Ici, Majerus a comme retourné son bureau noir. C´est pour mieux
capter ton regard, mon enfant !
Le clou de l´exposition. Un grand format avec un pur carré noir nous
fait face. " Cette photo, c´est la base de tout, le noir est frontal et
transparent. C´est cette ambivalence qui nous aspire, nous captive, qui
donne la dimension de l´infiniment grand et de l´infiniment petit,
telle une rétine argentique ", déclare-t-il. Nous restons confondus.
Majerus est un magicien. Sa rétine est au format SX70. Amoureux de
champignons, de petites pousses, de microcosmes, méticuleux, pris et
épris dans une relation fusionnelle à son appareil, il polaroide le
monde qui l´entoure. Et pour nous le faire partager, entre scanner et
Dibon, il se démène sur un bureau noir dans sa petite cuisine.
Carine KOOL
Georges Majerus expose chez J-F MEYER
du 18 septembre au 18 octobre 2009
Galerie Jean-François Meyer
43, rue Fort-Notre-Dame, 13001 Marseille
Tèl : 04 91 33 95 01
MAJERUS, C'EST MAGICUS !
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CCI - DEUXIEME CONCOURS
ARTISTIQUE
Colas Baillieul, Bureau :" Uva da tavola ", le bureau du marché et de la culture, H 70 cm, L 180 cm, Larg.70 cm
Tabourets : "etelvina", "conrado", "citroluz", "ricafrut", photo Dominik Barbier. octobre 2007
Deuxième concours artistique
Chambre de Commerce et d´Industrie
Marseille, septembre 2009
Depuis 2008 la Chambre de
Commerce et d´Industrie organise un concours
artistique qui mérite qu´on y prête attention, quand on est artiste
bien sûr, car il est doté d´un prix de 30 000 euros - ce qui le place
parmi les mieux dotés en France comme le rappelait Gérard Traquandi,
président du jury (son sourire lorsqu´on lui donne du " président ! ")
et héraut inspiré de l´opération de rénovation de la politique
artistique de la Chambre - mais aussi quand on s´intéresse à la
création et à son sort dans la région. Il convient à cet égard de
saluer la décision de la CCI de revoir ses priorités. Pour donner une
réelle cohérence à sa collection, qui compte 80 000 ouvrages, près de
12 000 estampes, tableaux, objets, sculptures, œuvres sur papier, mais
aussi 100 000 photographies et un fonds exceptionnel de 4 000 affiches
de pub, la CCI a commencé par faire un peu d´ordre dans ses réserves et
à mettre aux enchères (en mai 2008) les œuvres qui n´y avaient plus
leur place. Elle y a été invitée par les membres du jury parmi
lesquels, le monde de l´art reconnaitra les noms de Josée Gensollen,
Eric Chaveau, Françoise Guichon et Michèle Sylvander, conviés à donner
aux nouvelles destinées de l´action de mécénat de l´institution une
véritable ligne de conduite. La difficulté de l´exercice, on l´imagine,
fut, comme l´an dernier de concilier l´exigence artistique et le cahier
des charges fixé par la vénérable institution. Celle-ci se montrant
soucieuse de donner au prix une dimension régionale (seuls les artistes
de l´aire Aix-Marseille-Toulon-Arles et de ses environs étaient
invités, cette année encore, à concourir) et une thématique qui fut en
relation avec l´économie, les candidats étaient donc pressés de
présenter des œuvres dont le sujet devait être " la représentation du
monde du travail ". Mais l´époque n´étant plus celle du Comité des
forges et de la Confédération générale de la production française,
quand les industries du fer, de l´acier, les automobiles et les
produits chimiques étaient donnés pour thème aux peintres de la
République, comme l´électricité à Raoul Dufy, ni celle d´August Sander,
encore fallait-il préciser ce qu´on devait entendre par " économie ".
Celle-ci comprenait donc, selon les organisateurs : " les nouvelles
technologies, les réalisations collectives, publiques ou privées, le
patrimoine économique et culturel, les secteurs du commerce, de
l´industrie, des transports et des services, le tourisme et
l´aménagement du territoire ", liste un rien baroque (n´avait-on rien
oublié, vraiment ?), vaste panorama qui ne dût pas manquer de soulever
quelques questions. Pour ajouter au dilemme, il était entendu que : "
les artistes devraient soumettre une œuvre répondant aux critères
d´originalité, d´esthétique et d´innovation tout en conservant de
manière plus ou moins abstraite (délicieuse précision qui dût intriguer
plus d´un) une vision de l´économie régionale " Les termes du concours
considéraient ainsi comme " plus ou moins " résolue la quadrature de
l´autonomie esthétique de l´œuvre et de son assujettissement - fut-il "
plus ou moins abstrait " - aux prescriptions d´un thème économique et
industriel. Il convenait donc à la fois de s´inscrire dans la tradition
des Chambres de commerce, quand celles-ci commandaient aux peintres et
sculpteurs de la Troisième République triomphante des allégories
destinées à célébrer en d´énormes machines les effets positifs de sa
bonne gouvernance commerciale et industrielle. Dans le hall de la CCI
de Marseille un immense tableau de Marcel Poggioli (l´un des meilleurs
du peintre à mon point de vue) réalisé au début des années Trente et
figurant les bateaux à quai sur le port de Marseille (admirable
Rosengart bleue charron de 1928!) montre le genre de commande auquel on
sacrifiait alors. J´imagine le casse-tête du jury, partagé entre le
cahier des charges de la tradition - qui explique peut-être dans sa
sélection 2009 la présence de la peinture de Challan Belval intitulée
La Joliette, à qui aurait pu être passé commande d´une peinture
intitulée : La Rénovation des Docks de Marseille ou La grande vitrine
de l´excellent Pierre Chanoine, promu peintre de la chapellerie
marseillaise et des derniers tailleurs marseillais. J´imagine les
débats relatifs à la notion d´ " économie " et de " monde du travail "
tels que les artistes de la région Marseille Provence la conçoivent
aujourd´hui. Le sujet mériterait certainement réflexion. Fallait-il
seulement " représenter " ? Ou bien pouvait-on proposer des films,
vidéo, performances et installations qui se donneraient pour thème de
traiter de la réalité de l´économie régionale à travers ses acteurs,
leur quotidien, leurs point de vue sur le sujet, leur condition de
travail, leurs revendications, etc., au risque de bousculer
l´institution ? N´était-ce pas l´occasion de solliciter des artistes
qui ont fait œuvre avec des industriels, comme Corinne Marchetti ou
Sophie Menuet et tant d´autres ?
Pierre Chanoine, " Grande vitrine I ", huile sur
toile, diptyque, 190x240 cm , 2006
Je serais tenté de penser que celui qui répondait le mieux aux critères
de la CCI, du point de vue de l´économie était Colas Baillieul (qui n´a
pas eu de prix). Ses cagettes récupérées ne font-elles pas l´éloge
d´une économie de la récup ? Ne sont-elles pas un bon exemple des
solutions alternatives au traitement des déchets dans une ville que les
employés du nettoyage ont à cœur de submerger avec méthode et
persévérance d´une montagne d´ordures éparses ? Je suis moins convaincu
en revanche par les petites répliques en carton ondulé à l´échelle 1
des outils, caisses palettes et transpalettes du monde du travail,
industrieusement fabriquées par Sylvie Reno (à qui un prix fut
attribué), elles me font trop songer aux laborieuses copies censées me
révéler les mystères du réel et de sa représentation que l´art
contemporain a infligé à des générations de sémiologues en herbe. Au
reste, leur économie d´œuvre d´art n´est nullement bouleversante,
contrairement aux perspectives ouvertes par Colas Baillieul en temps de
crise. Il en va de même de Laurent Perbos et de ses Dragibus en verre
soufflé dépoli. Eut-il conçu des bonbons Haribo géants à la gloire de
l´entreprise marseillaise que son entreprise aurait été plus
convaincante? Pour rendre hommage à l´inventeur anonyme (qu´il soit ici
remercié) de Masque noir, Cocobat, Haribat, Maoam, Happy Chews,
lampion, Floppy, requins, mini hamburger, crocodiles, schtroumpfs
assortis et autres Fraises tagada du roi de la barquette hermétique, il
eut fallu sans doute un peu plus d´humour et d´esprit critique. Primé
lui aussi pour une idée tout aussi mince et impeccablement réalisée -
mais cela ne produit rien d´autre que de jolis objets d´art décoratif -
que celle avancée par Sylvie Reno.
Il ne reste pas moins vrai, en dépit qu´on en ait, que le prix de la
CCI 2009 était réjouissant, par le ton général de la sélection, le
monde de l´art venu à la remise des prix, et par les questions
relatives à son thème qu´il ne manquait pas de poser. Je voudrais
néanmoins suggérer aux organisateurs pour leur édition 2010 d´élargir
le champ de la sélection au-delà de la région et à donner à la question
une formulation qui dépasserait le traditionnel schéma
thème/représentation (comme a cherché à le faire la Fondation
d´entreprise Ricard et le Rapport sur l´économie créative, 2008) et
surtout davantage en relation avec ce que nombre d´artistes
contemporains se sont donné pour terrain d´investigation : interroger
de nouvelles façons de penser et de concevoir l´économie de l´œuvre
d´art et la posture de l´artiste dans la société contemporaine.
Le Jury officiel, présidé par Gérard Traquandi avec
Colette Barbier,
Jean-François Brando, Corinne Brenet, Eric Chaveau, Françoise Guichon,
Josée Gensollen, Jacques Pfister, Michèle Sylvander
Les oeuvres des 14 artistes retenus :
La Actual, Mifer Genesis et Los Rapidos, Citroluz, Mifer, Compliments,
Conrado Ricafruit, Colonne Brancusi, Colas BAILLIEUL / 2´52, Anne
BARROIL et Marie-Anne HAUTH / Et la mer profonde et bleue, Hervé
BERNARD / Naufrage, Maxime BERTHOU & Cathy WEYDERS / La
Joliette, Caroline CHALLAN BELVAL / Grande Vitrine I, Pierre CHANOINE /
Bouillon de culture, Benjamin CHASSELON / Horizon 67/69/70 Fos, Marc
CHOSTAKOFF / Miroir 8-bits, Collectif DARDEX-MORT2FAIM / Tour CGM vue
de la rue Breteuil, Eliane FABRE / Dragibus, Laurent PERBOS / Stock
Exchange, Sylvie RENO / Made in China, Isabelle ROCHE MARS / Watertanks
n°7, 9 et 12, Lionel SCOCCIMARO
Xavier
Girard
2ème Concours artistique de la CCIMP
au Palais de la Bourse
à partir du 25 septembre 2009
CCI - DEUXIEME CONCOURS
ARTISTIQUE
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SOMMAIRE
Poëme pas-sage
"Innocent III", (lotario Conti) Des Comtes de Segni Gavignano 1160 - Peruggia 1216
Poëme pas-sage
Pour son exposition " Blaine au
Mac un Tri ", le poète s´est prêté à un
entretien sur son travail. Passeur de langues, d´écritures, de
cultures, Julien Blaine mélange les pratiques, brouille les frontières
et les temps. Sorcier nomade, il sort la poésie du livre pour ouvrir,
initier le spectateur à une poésie qui est passage, expérience, rituel.
Sandra Raguenet : Poésie concrète, visuelle, action, totale,
élémentaire sont autant de qualificatifs qui indiquent ton terrain
d´action, l´exigence de sortir de la poésie textuelle. Poésie
élémentaire, c´est toi qui a inventé ce vocable. A quelle nécessité a
répondu cette invention ?
Julien Blaine : A la fin des années 50, je me vis seul à faire ce type
de poésie. Il y en a d´autres mais je ne le sais pas encore, donc je me
trouve confronté à des poètes anciens comme Cummings, Apollinaire,
Mallarmé et je me sens obligé de rebâtir ma propre histoire, de
m´inventer des antécédents. Mes pères seront mes fils ! Je veux
(dé)montrer que je ne sors pas de rien, que je travaille selon une
histoire de la littérature. Quand je rebâtis cette histoire, je
m´aperçois qu´existe un mouvement mondial, la poésie concrète qui est
née en Suisse avec Eugen Gomringer, et qui s´est développée au Brésil
avec les frères De Campos et Decio Pignatari et en Allemagne autour de
Max Bense. Les pays qui étaient de l´autre côté du rideau de fer
étaient aussi très vivants avec des poètes comme Kachack, Kolar et
celui qui deviendra Président de la République : Havel. Je me sens
proche de ces poètes mais le jeu concret-concret avec simple
titillement de rétine me gêne. Bien que je sois dans ces anthologies de
poésie concrète avec mes amis Jean-François Bory ou Adriano Spatola,
cela ne me satisfait pas. Je découvre qu´il y a en Italie un autre
grand mouvement autour de la poésie visive d´Eugenio Miccini, Sarenco,
Ugo Carrega... Là, se passe vraiment quelque chose qui m´intéresse avec
Nanni Balestrini qui vient des Novissimi, Adriano Spatola qui vient de
la poésie concrète, Sarenco de la poésie action et visive. C´est
l´époque où il y avait un tel totalitarisme avec Tel Quel, " la poésie
c´est ça et rien d´autre ", ce sont eux, soi disant, l´avant-garde ou
alors tu as Change avec Jean-Pierre Faye et tous ceux qui
l´entourent... Intérêt limité sauf Denis Roche que j´apprécie par
ailleurs. Par rapport à cette espèce d´hégémonie, j´ai besoin d´une
épithète. Je n´ai pas envie non plus d´être confondu avec la poésie
visive ou concrète. Cette poésie de détournement des messages
publicitaires et des slogans politiques me plaït mais c´est insuffisant
pour moi. D´un coup, je trouve ce mot " élémentaire " qui m´a
bouleversé parce que je le trouve très beau, très juste. A la fois je
joue sur les éléments, y compris toute la métaphysique que tu peux
admettre dans les éléments, tout le rituel, la spiritualité, notamment
les ritualités premières, je joue sur tout le côté alchimique et sur le
côté apprentissage. Je ne suis pas en cours supérieur. On commence.
C´est plus le cours préparatoire mais on n´est pas encore dans le cours
supérieur ni en section ou phase terminale. Donc cette épithète me
convient très bien et je commence tout de suite à travailler sur ces
deux mots. Je rassemble tous les poètes de ce genre à travers le monde
sous les termes " poésie matérielle et élémentaire " pour montrer qu´il
y avait un autre courant possible par rapport à la poésie concrète ou
celle des beaux messieurs du gotha du ghetto culturel made in quartier
Saint-Germain. Il faut savoir aussi qu´à cette époque là l´hégémonie
marxiste-léniniste est aussi très importante. Je voulais donc avoir ces
deux épithètes. Après " matérielle " a disparu ; il y a des mots qui
restent, des mots qui s´en vont. Ma poésie élémentaire dès 62 est très
impliquée par le corps, la voix, la gestualité, comment je bouge,
comment je lis et puis, petit à petit, on s´aperçoit que la poésie du
quartier latin qui était hégémonique, devient sclérosée, fermée,
recroquevillée et moi je n´ai plus besoin d´épithète, c´est eux
maintenant qui en ont besoin.
Il faut bien voir alors le bouleversement représenté par l´exposition "
Poésure & Peintrie " que j´ai réalisée et organisée avec
Bernard Blistène et une ribambelle de commissaires, conservateurs,
curateurs et autres critiques. Ce que je veux montrer alors c´est que
tout l´art du XXe siècle est à l´origine la seule fabrication des
poètes. Il n´y en a pas d´autres. Pour le futurisme ça se voit très
bien parce que Marinetti est une grande gueule, parce que les Russes,
les Khlebnikov, les Maïakovski, y compris dans sa mort, sont des types
remarquables. Derrière, arrivent ces Dada, des fous furieux qui sont
toujours issus d´une source poétique. Après c´est le surréalisme avec
Breton, impérial, ce n´est pas le meilleur mais à l´intérieur il y a
des courants géniaux avec, par exemple, Antonin Artaud, notre cher
compatriote, ou Benjamin Péret. Puis il y a un moment de flottement
avec le retour de la poésie poétisante jusqu´à ce que Cobra
(Copenhague, Bruxelles, Amsterdam) arrive : la force, le cri avec
Christian Dotremont qui fait, entre autres des logogrammes en pissant
sur la neige. Donc là, une nouvelle force arrive et on peut attaquer :
Bernard Heidseick avec les Poèmes-partitions, moi avec la poésie
élémentaire puis la poésie événementielle qui s´impose tout autour du
monde avec le mot performance.
Julien Blaine, photo de Sandra Ragenet
SR : Tu ménages également des passages entre tes pratiques. Je pense
notamment à ta célèbre performance La chute transformée en " Chute
typographiée ".
JB : Toujours. C´est aussi un acte spectaculaire mais surtout, comme
l´a dit Alain Frontier, c´est la première métaphore incarnée. On part
d´une action qui devient un mot, la chute devient " chut ". C´est ce
qui m´intéresse, tantôt en amont, comme pour les musiciens avec leur
partition, tantôt en aval où je me dis qu´il faudrait que je précise ce
que j´ai voulu faire. Après tu es libre de voir autre chose, c´est ce
qui est intéressant. Chez moi, le résidu est toujours très déterminant.
Ce résidu étant ce qui reste une fois la performance finie. J´expose
des restes (mon costard, mes chaussures trouées, etc.) ou j´écris trois
lignes pour dire que cette phrase là ne signifie rien, qu´il n´y en a
pas d´autres et ce côté " vous voyez bien que cet escalier est une page
de livre avec des caractères, des espaces et des lignes écrites : des
mots " et là, tu vois le rapport entre le silence, la page écrite ornée
du monument colonial. Et à partir de là, tu peux recommencer
l´histoire. Dans la plupart de mes performances, j´ai écrit un texte
avant de commencer qui n´est pas le texte définitif et qui se modifie
au moment de la performance puis une fois encore au moment de la
publication.
Quand je fais L´appel au linge, c´est pour me mettre à poil sur une
place publique. La première fois, c´était à Mantoue. Je me déshabille,
je me mets des pinces à linge un peu partout pour montrer que c´est
l´homme qui devient linge. Je mets toutes mes tuniques, ma tunique du
vocabulaire : signes chinois et lettres latines, celle d´Arlequin :
losanges multicolores, de la musique : notations musicales. Je les
endosse comme les voiles du magicien et je raconte que l´histoire de
l´art, de l´origine jusqu´à nos jours, c´est toujours l´histoire du
drapé. Tu prends Christo, Beuys ou César pour prendre les exemples de
l´art contemporain, mais si tu peux prendre les scribes égyptiens, les
statues grecques, romaines, les pinacothèques avec leurs belles
saintes, tu t´aperçois que c´est toujours une histoire du drapé. Et
tout à coup dans ma tête ça sonne parce que le premier drap et le
dernier drap, c´est le lange et le linceul : " lange et linceul, l´ange
et linceul, l´un seul, l´ange et l´un seul ". On dit : " c´est un
gueulard ". Même si j´écris peu de mots, je ne peux pas travailler dans
une autre langue que le français. Là tu vois la partition, l´origine,
le passage au corps, à la voix, à la gestualité et le résidu transformé
que je redonne. Ça veut dire aussi qu´il y a toujours un
état d´éveil, tu ne dors jamais vraiment, il y a toujours quelque chose
qui tourne au milieu du crâne.
SR : Dans tes diverses pratiques les mots et les choses
s´interpénètrent. Il n´y a pas d´un côté l´art, de l´autre la vie bien
que leur rapport ne soit pas si simple puisque le poète doit " pénétrer
par effraction " dans le monde. La dimension politique est aussi
toujours présente.
JB : A ce que tu dis là je ne peux rien ajouter sauf qu´il y a un côté
démonstratif, le mot est vulgaire mais il faut quand même dire, déduire
des choses. Quelle que soit la simplicité de ce que j´ai à dire, il y a
des choses qu´il faut savoir. Pourquoi vit-on dans une telle barbarie à
la fin du XXe siècle et maintenant au début du XXIe ? Pourquoi il y a
une hégémonie américaine avec Bush et maintenant - quoi qu´on en pense
- avec Obama ? Pourquoi Monsieur Poutine, à peine élu patron de l´ex
Union Soviétique, devient un pratiquant orthodoxe ? Pourquoi la grande
guerre entre la Palestine et Israël devient une guerre entre deux
monothéistes ? Il faut savoir qu´on fait partie de l´humanité. On est
vieux de 90 000 mille ans et ça fait 6 000 ans qu´ils nous font chier.
Ce sont eux qui font la guerre au nom de leur Dieu. Ce sont eux qui
massacrent des populations parce qu´elles ne croient pas en ce même
Dieu, nous avons d´autres spiritualités, beaucoup plus belles. C´est
d´une simplicité incroyable mais tu ne peux pas le comprendre parce que
ce n´est pas repris par les media, parce qu´ils appartiennent tous au
pouvoir, parce qu´ils sont tous dans cette perspective là : monothéiste
!
SR : Ta poésie élémentaire rejoindrait alors l´image que Walter
Benjamin donnait de l´histoire. Si pour Marx " les révolutions sont les
locomotives de l´histoire ", pour Benjamin, c´est " l´action de saisir
le frein du genre humain voyageant dans ce train ". Cette image semble
proche du message adressé par l´enseigne qui ouvre ton exposition : Il
est encore temps de rebrousser chemin.
JB : Moi c´est plus modeste, c´est plus simple. Je m´adresse aux
visiteurs de l´expo pour leur dire : " Si vous avez autre chose à
faire, c´est peut-être plus simple d´aller vous baigner mais si vous
rentrez, j´ai des choses à vous dire ". On sait à peu près dans quel
univers on va plonger. Ce n´est pas pour rien que dans cette
exposition, il y a une référence dès l´entrée à Reagan, à Poutine, à
Bush. Dans les monothéismes, je n´ai pas de préférence. Ce qui se passe
en Afghanistan et au Pakistan, c´est quand même une guerre coloniale !
Que ce soient les évangélistes américains qui gouvernent le pays, ou
les catholiques romains en Europe, ou l´état juif colon en Israël ce
n´est pas mieux que les intégristes musulmans ; pire le plus souvent.
Donc c´est vrai que je rentre par effraction mais j´y suis bien. C´est
une dimension qu´on ne soupçonne jamais. Quand je fais une performance
en fonction de moi, comment je vis, comment je suis, j´aime être, au
bout d´un moment je me sens bien. De la même façon, le rapport à
l´autre ce n´est pas que le rapport au lecteur. Là, tu vois comment
l´autre se place par rapport à toi et comment tu te places par rapport
à lui. Quand tu rentres dans ce dialogue et qu´il s´établit, que ça se
passe, c´est absolument euphorique.
SR : Il est toujours temps de rebrousser chemin contient aussi une
dimension ironique.
JB : Ce n´est pas ironique. Je me sens toujours illégitime. Je crois
que ce n´est jamais pour une bonne raison que je suis à telle ou telle
place. Quelque part, je ne suis pas à ma place et c´est très frustrant.
Ce que je mets là c´est de la modestie, l´aveu d´un handicap, pas de
l´ironie.
SR : Cette ironie, on la sent pourtant. Il est toujours temps de
rebrousser chemin semble indiquer la nécessité d´un retour à
l´originel...
JB : Bien sûr dans le cadre de la totalité de mon travail et non quand
je parle de l´exposition comme je viens de le faire. Par rapport à
l´hégémonie monothéiste, par rapport à cette histoire contemporaine de
6 000 ans, leur Dieu dure depuis 6 000 ans. En effet il est temps de
rebrousser chemin, de se rappeler qu´il y a eu quelque chose avant, le
rapport à la nature, à l´art. C´est encore flagrant en ce moment. Si tu
considères les verts avec leurs idées, ils se targuent d´écologie, de
rapport à la nature. Qu´ils aillent jusqu´au bout de leur idée ! La
première chose à faire pour être vraiment écologiste, c´est de balancer
les monothéismes, de les rejeter et de les condamner définitivement et
radicalement, sinon cela reste un pauvre discours politique ; ils
devraient avoir le courage de le proclamer mais en but d´un " succès ",
c´est trop dangereux donc il vaut mieux dire on va faire une taxe sur
le carbone.
photo de Sandra Ragenet
SR : " Il vocifère, il faut s´y faire ". C´est ainsi que tu dresses ton
autoportrait. Des performances aux déclaractions, le Cri est une
composante essentielle de ta poésie. Quel est son pouvoir ?
JB : Ce qui est formidable, c´est qu´on atteint la même force
universelle qu´avec la musique. Ce qui ne veut pas dire que je n´ai
rien à dire. Il parle français, " il vocifère, il faut s´y faire ",
c´est intraduisible. Mais je me dis, j´aimerais vraiment entrer en
contact avec cet africain, ce Bamiléké avec qui j´ai travaillé, cet
Indien que j´ai connu au nord du Québec. Comment je lui parle ? Je ne
connais pas sa langue, il ne connaït pas la mienne. Il y a trois
façons. Si je parle doucement, il sait que c´est intime : je murmure.
Si je parle avec un volume sonore moyen, il sait que j´ai des choses à
lui dire : je parle mais il ne va pas pouvoir me comprendre alors : je
hurle. Et avec le cri tout se dit, tout s´entend et se comprend...
On me dit tout le temps : " Mais qu´est-ce que vous avez à être tout le
temps en colère ? ". C´est vrai que je suis en colère mais quand tu
vois comment est ce monde ! Là, je reviens de Palestine, c´était drôle,
là, une palestinienne traduit par un arabe qui me dit, à moi, qui ne
vis pas à Ramallah : " Julien, qu´est-ce que vous avez à être en colère
? ". C´est du bonheur absolu. Des expériences comme celle-là, j´en ai
vécu beaucoup. Une fois j´étais au festival d´Hiroshima, le festival
NIPAF (Nipon International Performance Art Festival). J´avais déjà une
certaine réticence par rapport à l´administration américaine... Tu
rentres dans le musée de la catastrophe, tu sors de là tu n´es plus
intact, tu ne le seras jamais plus. Je ne peux jamais en parler trop
longtemps...
Tu vois des petites boucles de cartable, dernier vestige du trajet vers
l´école, des petits boutons qui restent de la petite vareuse, puis tu
passes d´un coup devant un mur avec trois marches. Tu passes une fois,
deux fois, tu ne comprends pas pourquoi on expose là un pan de mur avec
un morceau d´escalier. Et la troisième fois tu vois l´ombre d´un couple
qui s´enlace, qui est en train de s´embrasser et que la déflagration de
la bombe a fait disparaïtre en imprimant leur image, leur ombre pour
toujours. Le soir je fais un tch´i (Qi), j´essaie de retrouver
l´énergie pure pour gueuler et dans la rage je lance un cri. J´étais
dans un état inimaginable. Une violence absolue. Une haine intégrale.
Et là une petite japonaise descend avec sa grande sœur. La petite émet
des sons que je ne comprends pas et je réponds : " je suis désolé, je
ne parle pas japonais ". La grande me dit alors : " Elle ne parle pas
en japonais, elle est sourde et muette mais elle voulait vous dire que
pour la première fois de sa vie, elle a cru qu´elle avait entendu ".
C´est ça le cri. C´est mieux que la musique, cet autre langage
universel.
photo de Sandra Ragenet
SR : Poète nomade, avec ta revue Doc(k)s tu as fait le tour du monde
pour faire émerger des mouvements méconnus. Tu as également fait
(re)découvrir des poésies oubliées voire méprisées comme celles de
peuples lointains. Qu´as-tu découvert auprès de ces peuples qui a été
perdu, oublié ou qui n´a jamais été entrevu en Europe ?
JB : D´abord le tour du monde. La France est un pays centralisé donc il
est très difficile d´avoir une activité poétique, politique, économique
ou autre en dehors de Paris. Et pour l´édition de la poésie et la
poésie, en dehors du périmètre parisien, je voulais montrer que la
poésie du quartier latin ce n´était pas La poésie. Donc je fais le tour
du monde pour montrer qu´on parlait d´une autre poésie dans le monde,
qu´elle n´était pas négligeable et en plus qu´elle pouvait être utile.
Donc je vais faire un tour en Amérique latine, après tous les pays y
passent. Chaque fois c´est une aventure. L´Uruguay qui à l´époque était
un pays fasciste, la Chine un pays communiste dur et pour sortir les
textes c´était toujours compliqué. Je voulais montrer qu´il n´y avait
pas une poésie mais des poésies et que cette poésie, la nôtre, qui
était invisible, existait.
La deuxième question est plus importante. Ce que je dois à ces peuples
? Ils m´ont refait, ils me gouvernent. Tout part d´un constat, d´une
analyse. L´avant-garde est. On sait que tous les grands mouvements
poétiques, culturels, artistiques durent deux siècles c´est-à-dire que
ces gens ont suffisamment d´ambition pour dire : " on va commencer
quelque chose " mais pour vraiment que ça change, il faut deux siècles
: la poésie T´ang en Chine dure deux siècles tout comme la Renaissance,
ou l´époque des troubadours, ou celle des grands poètes arabes pré
islamiques. Nous on fait partie de ce qu´on appelle l´avant-garde donc
on est à mi-parcours. Tout commence avec le Livre de Mallarmé. On est
un groupe avec tout le parcours, l´histoire des avant-gardes
historiques, le futurisme, dada, le bon côté du surréalisme, Cobra,
nous, les concrets, les fluxus. Alors je me dis : Chaque fois que
j´essaie de retrouver une mémoire, je me transforme en chercheur et je
retrouve une mémoire dans le livre. Or, ce que j´essaie, c´est de
sortir du livre, ce que je fais c´est par rapport au corps, c´est par
rapport à la voix, comment tel cri, tel borborygme, telle gestualité me
transforment. Si le cri persévère, si le geste se maintient, au bout
d´un moment, je ne suis plus pareil... Mais pourquoi je n´ai pas cette
mémoire là ? Donc je commence à me demander pourquoi on a perdu cette
mémoire corporelle, vocale, gestuelle, rituelle ; alors je constate :
Il y avait des gens comme nous qui avaient cette pratique là, ça
s´appelait des sorciers, plus spécialement des sorcières, des mages,
des enchanteurs, des chamans et tous ces gens là, parce qu´ils
n´étaient pas catholiques, Innocent III le pape de l´inquisition les a
tous fait brûler vifs. Cette mémoire là, qui est la mémoire du corps, a
donc complètement disparu. Tous les pays chrétiens ou envahis par la
chrétienté, et en l´occurrence le catholicisme romain, ont bousillé
cette mémoire. Donc moi je dois la rebâtir et pour la rebâtir, il faut
que j´aille dans des pays, voyager dans les espaces " Y " (Y être, Y
vivre, Y lutter...) où il n´y a pas ces assassins donc j´ai commencé
avec des Piaroas grâce à mon ami Jean Monod qui m´a fait traduire les
enregistrements où ils chantent leur genèse. J´ai découvert ce rapport
magnifique aux animaux, le yopo, une poudre hallucinogène que tu prends
dans le pif par le tibia des ancêtres qui te fait partir à toute
allure. Après, j´ai travaillé avec les rusés Bamilékés. Ils reçoivent
les curés et dès qu´ils ont fini, que les prêtres sont partis les neuf
sages retournent dans la forêt refaire leur rite à eux. Et d´un coup,
j´ai commencé à voir des trucs qui m´étonnaient. Là, on revient à
l´écriture. Je retrouvais un même signe : dans tous les rituels
monothéistes, le poisson ou l´œil et dans les rituels premiers, que
j´essaie de comprendre, c´est la feuille ou la plume.
Il y a une quinzaine d´années, je vais visiter la petite demoiselle de
Brassempouy, dans sa grotte dans les Landes où on a trouvé cette petite
demoiselle appelée la femme à la capuche, toute petite en ivoire, une
vénus d´une beauté absolue. Maintenant c´est un musée mais à l´époque
c´était un hangar avec juste une chaïne et un cadenas. Je vois des
dessins de vulve, c´est toujours le même signe c´est-à-dire l´ovale
fendu, la plume, l´œil, le poisson, la feuille et la vulve. A ce
moment-là, je m´aperçois que dans tout l´aurignacien supérieur,
c´est-à-dire le début de l´humanité " traçante ", écrivant, gravant et
peignant, ici en Europe entre 60 et 45 mille ans, il y a des vulves
partout : dans la grotte Cosquer à Marseille, dans la grotte Chauvet à
Montélimar, dans la grotte Cazelles aux Eyzies. Là, tu descends dans de
la terre glaise mouillée et toi tu deviens bite. Tu descends dans un
vagin, tu arrives dans une matrice magnifique, un utérus sublime, tu
regardes au plafond, tu as tout l´intérieur de l´utérus, à droite et à
gauche 24 vulves, rien d´autre, et au cas où tu n´aurais pas compris,
tu marches dans du liquide amniotique c´est-à-dire que tu as de l´eau
tiède jusqu´aux couilles. Donc je suis absolument fasciné par cette
histoire. Ce qu´ils m´apprennent ces gens là, c´est ça. A partir de là,
je me dis, moi, je n´ai pas trois mille écritures à ma disposition, je
travaille sur trois ou quatre langues et quatre ou cinq écritures mais
je peux avoir des intuitions. Donc je joue sur l´intuition et chaque
année depuis l´an 2000 je fais un cahier pour dire où j´en suis de ce
travail là, sur cette rencontre avec les Aurignaciens jusqu´à
aujourd´hui, enfin l´aujourd´hui préhistorique, c´est-à-dire les
Aziliens, il y a 15 000 ans. Ce qu´on ne voit pas, c´est que la période
préhistorique, des Aurignaciens aux Aziliens, s´étale d´environ 60 000
ans à 15 000 ans. Et sur les parois de leur grotte, on a l´impression
de voir, de lire les mêmes figures, les mêmes signes. Or, il y a une
sacrée différence, plus de 45 000 ans ! Alors qu´entre les Aziliens et
Picasso ou toi il y n´y a que 15 mille ans ou 10 mille ans.
Dans 15 000 ou 60 000 ans les humains, s´il en reste, penseront sans
doute que les sculptures de scribes égyptiens et celles de Brancusi
étaient de même acabit !
J´ai essayé de montrer que le monde pouvait aussi parler comme ça.
Comme eux : les aziliens.
photo de Sandra Ragenet
SR : Poète sorcier, tu tords les signes et les relances dans le jeu des
formes. Tu jettes aussi un sort aux machines...
JB : En 62, c´est le début du magnétophone. A cette époque, je suis
fasciné par l´un des plus beaux textes de la poésie française, le
bestiaire d´Apollinaire, avec la carpe, le poulpe, les dromadaires
qu´il fait tourner autour d´Orphée. A l´époque, je trouve ça magnifique
mais néanmoins un peu mièvre. Ce que je trouve très fort, c´est qu´il
illustre ses petits quatrains avec des bois de Dufy qui n´était pas à
l´époque le peintre affecté qu´il va devenir. Ses gravures sur bois
avec des noirs, des blancs, sont d´une violence, d´une pureté, d´une
radicalité féroce qui me bouleverse. Je décide, sous cette influence,
de faire mon propre bestiaire avec mes propres animaux, la libellule,
la mouette, le rossignol. Je dois trouver une guirlande et puisque
c´est un bestiaire, je décide de le faire tourner autour d´une bête
plutôt qu´autour d´Orphée. Arrive, alors, le cirque Franchi à
Aix-en-Provence. Ma guirlande sera dans le cirque avec ses
eacute;léphants. Je prépare ma partition, je vais dans la ménagerie
avec mon magnétophone Philips trois vitesses. J´enregistre des
questions et j´attends que l´éléphant veuille bien me répondre.
Évidemment, il n´en a rien à foutre mais il y a quand
même une question où il jette son barrissement à la fin de ma demande.
Je rentre chez moi, je joue avec les vitesses du magnétophone et là
c´est moi qui deviens inaudible, incompréhensible et l´éléphant parle,
lui, par interjection, onomatopées. Je deviens ainsi le premier
traducteur de la langue éléphantine.
En ce qui concerne le réseau international, il est très important. Au
début des années 70, on a créé un réseau postal, le mail-art. C´était
très important à l´époque parce qu´il y avait beaucoup de pays sous des
régimes totalitaires donc on était les plateformes, on pouvait faire le
passeur pour les tenir au courant et dire au reste du monde ce qu´ils
étaient en train de faire. Puis est arrivé l´informatique et le réseau
internet. On s´est tout de suite tous mis sur la toile. Les plus
grandes archives aujourd´hui proviennent du réseau international avec
le Hongrois Gyorgy Galantai d´Artpool, celui de Clemente Padin en
Uruguay ou de Ray Johnson, un grand penseur qui expédiait aux
Etats-Unis avant de se suicider. Comme par hasard c´était des gens qui
en avaient vraiment besoin, c´était pas que des jeux typographiques
gratuits mais des gens qui avaient besoin de transmettre des
informations.
Sur le plan de l´écriture, je travaille beaucoup sur l´apparence de la
page, sur les images. Il y a un travail en amont qui est très
difficile. Du temps de l´écriture calligraphique, les moines faisaient
ce qu´ils voulaient, un petit dessin, une lettrine, une vignette mais
avec la typographie c´était fini, il n´y avait plus possibilité de
représenter ce que tu voulais exprimer dans sa totalité. Et puis arrive
l´offset, tu peux - à nouveau - tout reproduire, on retrouve la
qualité, l´identité du texte comme dans la calligraphie médiévale.
Quand tu vois les débuts de l´offset, les écrivains de Tel Quel et les
auteurs célébrés essaient de faire des livres comme avant, ils restent
dans l´espace textuel alors que tu peux faire autre chose. Avec les
Poèmes Métaphysiques, j´ai essayé de trouver une forme. La forme
géniale pour la typographie, c´est le sonnet de Pétrarque à Raymond
Queneau. La forme pour l´offset, c´est ce que j´ai essayé de trouver
avec les Poèmes Métaphysiques.
Avec l´informatique, autre retrouvaille, je travaille sur le programme
Xpress qui te donne une liberté extraordinaire, qui te permet de jouer
sur une grande quantité de polices, sur les images... Le premier livre
que j´ai travaillé dans ce sens s´appelait Eclats d´éveil avec tout un
jeu à partir de la lettre G, sur l´état de veille. J´essayais de dire
ce qui se passe dans ces moments-là. J´ai joué sur Xpress avec les
images, la grosseur des lettres pour être le plus proche de la réalité.
Après j´ai fait un copier-coller. Je rentre mon livre dans un autre
programme pour faire un poème à la queue leu leu comme les autres, les
célébrés ! sauf qu´ils ne savent pas que ce poème, qui ressemble à un
poème traditionnel avec des lignes qui se suivent, c´est un poème qui
est un copier coller d´un livre de textes visuels. C´est le cas à la
fin de Poëme Vulgos. Donc de temps en temps, je m´amuse à passer d´un
programme à un autre pour savoir ce que va me filer la machine.
SR : Dans ton dernier travail, tu revisites la forme de la fable à
travers un dispositif semblable à celui des Poèmes Métaphysiques. On
retrouve une surface coupée en deux qui délimite un espace pour les
mots, un autre pour l´image. Mais ici la forme est poussée à l´extrême.
A quoi correspondent ces nouvelles fables, quelles nouvelles directions
tracent elles ?
photo de Sandra Ragenet
JB : Il y a des formes géniales qui traversent les siècles. Le sonnet
par exemple naït de la sextine. C´est une forme typographique
éblouissante avec deux quatrains et deux tercets qui doivent à la fin,
par un seul vers, faire comprendre tout ce que tu as dit dans le poème.
La fable, c´est un petit truc avec des préceptes et une morale. Tous
les poètes ont traversé cette forme. Il y a eu Perrault, Marie de
Régnier, évidemment Jean de La Fontaine, tout le monde s´y intéresse.
Comme on est au XXIe siècle, le troisième millénaire a commencé, je me
demande comment je peux restituer la force de cette forme, la
restaurer, la faire renaïtre. Tu te dis : je vais raconter une petite
histoire, un minimum, sous la forme d´une fable juste pour dire que le
chien d´arrêt attend que le lapin sorte pendant que le chasseur attend
avec son fusil. Entre temps arrive le chat haret, un chat domestique
redevenu sauvage. Du coup tu n´as plus besoin d´image : le chien
d´arrêt rencontre le chat haret, ça fonctionne. C´est la première
phase. La deuxième phase, c´est l´inverse. Je donne des images, par
exemple d´animaux que je suis allé photographier dans une réserve
proche de Malindi au Kenya, le lion, des lézards de toutes les couleurs
et là, c´est toi qui te fais ton histoire. Après il y a toute ma
nostalgie des signes typographiques. A l´écrit, le point d´ironie est
passé à la trappe. Si ce qui m´intéresse, c´est le passage au corps, à
la voix, à l´articulation, à la gestualité, néanmoins il est
indispensable d´avoir en amont ou en aval la chose écrite, pas la trace
intacte, immuable. Or l´ironie ne s´écrit plus. Tu la sens par toutes
sortes de signes corporels et vocaux mais tu ne peux pas l´écrire. Ce
signe a disparu. Comme j´ai besoin de ce signe, que je veux l´avoir à
ma disposition, je le refais sous forme d´un 4 ponctué. Je veux rebâtir
ces signes typographiques. Dans les fables, je vois arriver un oiseau
d´Egypte, un ibis qui arrive dans la préhistoire, qui s´envole
au-dessus du Mas d´Azil et tu te demandes ce que vient faire là cet
ibis égyptien. Je le traduis par la typographie et je te donne toute ma
nostalgie des signes typographiques. Evidemment l´esperluette qui est
devenu aujourd´hui le " et " commercial. C´est une lettre de l´alphabet
algonquin - les Algonquins, un ensemble de clans indiens du nord au
Québec - que les missionnaires catholiques ont ramené avec le " ou ",
le huit ouvert en haut qui lui a aussi disparu. J´ai fait un livre
entier chez Frédérique Guétat-Liviani qui s´appelle Tshakapesh sur le
mythe de ce retour là. Comme la poésie est toujours en danger de mort,
comme je le dis toujours dans mes performances, j´essaie de restituer
des formes qui passeraient à la trappe. Sinon on va tous devenir
slameurs. C´est pas mon histoire, c´est la leur. Avec les fables, ce
qui est intéressant c´est que quand tu as l´illustration et pas le
texte, ça fonctionne à moitié alors que quand tu as le texte et pas
l´image ça fonctionne parfaitement.
SR : Avec le texte, tu places le spectateur en position d´acteur, avec
l´image il est en position de victime. Ca veut dire que sans les mots
le monde est perdu ?
JB : Oui. En tout cas si ce n´est pas le mot, c´est une articulation.
On revient à ce qu´on disait, sans articulation le monde est perdu. On
le voit, tout est fabriqué, plus rien n´est vrai. Dans le monde
politique hégémonique à l´occidentale, ce n´est pas faire les choses
qui est important, c´est les dire sans les faire et les contrôler par
les relais médiatiques. Continuer à nous manipuler...
Propos recueillis par Sandra Raguenet
" Insulte faite à Andy ", photo de Sandra Ragenet
Insulte faite à Andy
J´ai un ami grand faussaire de
Warhol à qui j´ai volé le premier
passage sérigraphique d´une Marylin : le passage orange. J´insulte Andy
W. , je lui dis : " Pas du tout, c´est pas l´icône qui sera dominante
au troisième millénaire, ce sera le mot, le mot pirate et ce sera le Y
: j´Y suis, j´Y reste, j´Y vis " et on voit bien en effet avec tout ce
qui se passe dans le monde que c´est le problème numéro un. Le problème
du territoire, des frontières. J´avais aussi fait un poème qui
s´appelle " Le troisième verbe " où j´ai travaillé sur cet Y.
L´Installation " Il giro del mundo "
Cette installation est le résidu d´une performance que j´ai faite au
centre Pompidou à la suite d´une grande exposition qui s´appelait "
Hors limite " organisée par Jean de Loisy. Il giro del mundo, c´est une
des phases de mon travail, mon nomadisme à travers le monde. C´est
aussi un jeu de l´oie italien d´où je ressors les animaux pour les
assassiner comme aurait dû le faire Actéon. Je reprends le mythe de
Diane et Actéon. Alors qu´il chasse un jour avec ses amis, Actéon
ébloui surprend Diane en train de se baigner nue avec ses nymphes. De
colère, elle le transforme en cerf et ses amis en chiens qui bouffent
le cerf. Je joue ça, en me clouant les pieds, je marche sur des
planchettes, je me badigeonne de rouge et après je danse tout en tuant
les bêtes ; je danse avec cet orchestre africain pour montrer que
effacer, s´effacer, colorier, danser, écrire, peindre sont issus d´un
seul et même geste. Avant que les musiciens ne me tuent !
Poèmes aziliens
Les Aziliens, cette préhistoire magnifique d´il y a 10/15 mille ans.
Aussi bien les Aziliens que les Magdaléniens peignent, gravent sur les
parois, ils font de l´art mobilier mais ils ont un truc qui n´est qu´à
eux, ils peignent sur des petits galets avec très peu de signes. J´ai
recensé six signes, l´empreinte des quatre doigts, les trois doigts qui
glissent, un petit zigzag, la bordure du galet... A quoi ça sert ? J´ai
essayé de travailler, toujours par intuition, sur cette question puis
finalement j´ai demandé à tous mes amis à travers le monde d´écrire
azilien, c´est-à-dire d´aller près de chez eux recueillir un galet, de
photographier l´endroit où ils l´avaient pris, de photographier la
couleur qu´ils mettaient sur leur main, d´en prendre la photographie et
de me l´envoyer avec le galet. Tout le monde écrit azilien sous le
regard d´un " vénérable " recueilli au cours d´une de mes promenades en
pays azilien au milieu des vignes...
note : commentaire par Julien Blaine de trois pièces
..
Poëme pas-sage
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