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J.S.O. n°042
NIVÔSE 2009

Seiji Shimoda


Jean-Christophe Tarot - La Tangente - Un cadeau de la reine de Saba / par Mika Biermann
Le Zêbre et l´âNE / par Jean-François Meyer
Xème Biennale de Lyon - Le spectacle du quotidien / par Françoise Rod
Xème Biennale de Lyon - Le spectre tacle le quotidien / par Antoine Simon
Thierry Kuntzel - La Compagnie - La peau de Thierry Kuntzel / par Paul-Emmanuel Odin et Philippe Duciel
Poésie marseille - Approches Poésie marseille 2009 / par Jean-jacques Viton
Enzo Minarelli - Polypoète-pouêt / par Florent Joliot
Poésie marseille - UN PETIT JOURNAL DE POESIE MARSEILLE 2009 - DEBUT / FIN / Par Nadine Agostini
Jean-François Bory / par Xavier Girard
Jean-Jacques Lebel - La maison rouge, Paris - BARRICADES / par Antoine Simon
Jean-Jacques Lebel - Ève Lève Soulève Il soulève le Jean-Jacques / par Julien Blaine
Sabine Heim - Le jeu du castor / par Xavier Girard
Florent Joliot - Art\Positions - VERS L E L A R G E / par Emmanuel LOI
Sarkis - galerieofmarseille - Sarkis, le quinconce des Munch / par Xavier Girard
Jean-Jacques Ceccarelli - Ceccarelli, roman / par Xavier Girard








SOMMAIRE

Un cadeau de la reine de Saba - par Mika Biermann



Jean-Christophe Tarot, March and Eyes, 2009, Papier magazine et papier de soie, Carton, Gouache et acrylique, Fil de lin, Corbeille en métal, Impression jet d'encre, Disque dur, 1m80 x 1m18 x 80cm
Jean-Christophe Tarot, « March and Eyes », 2009, Papier magazine et papier de soie, Carton, Gouache et acrylique, Fil de lin, Corbeille en métal, Impression jet d´encre, Disque dur, 1m80 x 1m18 x 80cm

Un cadeau de la reine de Saba
par Mika Biermann


Pendant longtemps la mythologie a fourni aux peintres un prétexte pour peindre des femmes à poil. De Tiziano di Cadore (on préféra la « Venus et organiste » de la Gemäldegalerie de Berlin ou la distance entre la montagne bleue et la langue du petit chien est incommensurable à la variante du Prado avec son allée d´arbres sages et sa fontaine si maladroite) à Cabanel (quoi dire de sa Médée au regard cochon, sinon qu´elle est cochonne ?), et même aux Demoiselles d´Avignon, tableau du début de la fin de la peinture (la belle histoire...), ou Picasso part de l´allégorie bordélique avec drapé et panier de fruits (supprimant finalement un marin et un étudiant en médecine tenant un crâne dans ses mains) pour pouvoir camper cinq laideronnes nues. Or, cent ans plus tard, le corps nu dans l´art ayant perdu sinon son attrait du moins sa charge perturbatrice (encore que ça couine bien fort quand Mappletorpe se met un manche de fouet dans le fion - et les rétrospectives des photos de filles imberbes de Lewis Carroll se font rare de nos jours), bref, l´art ayant perdu tout court son pouvoir de déranger ceux parmi nous qui sont devenus de fins médecins légistes (peu importe l´âge du cadavre, pas besoin de pince-nez), une sorte de résignation (tout artiste pas résigné sera forcement maladroit) se répand dans les oeuvres.
RESIGNATION est bel et bien le premier mot qui se lit dans l´installation de Jean Christophe Tarot exposée à La Tangente : ce n´est donc pas une oeuvre maladroite. En tout cas pas dans son exécution. Ce tapis volant dans la pénombre est somptueux. Le travail de trompe l´oeil pour le faire décoller est adroit ; la texture, rare (on saura enfin quoi faire avec nos vieux catalogues d´IKEA et de la REDOUTE). Il est conseillé de le toucher discrètement pour se faire caresser la paume. Ce n´est qu´ensuite que viendra le fastidieux travail intellectuel : qu´est-ce que c´est, ce machin ? Qu´est ce qu´il représente ? Ca ne serait pas un écran d´ordinateur, avec pointeur en forme de flèche, sablier, corbeille ? Bien vu, ça en est un. Ce que la mythologie était au nu, le virtuel l´est au réel : un prétexte (voilà le genre de phrases qu´adore l´écrivaillon las, chargées de bon sens, pour constater après réflexion qu´elles n´en font pas ou trop - mais laissons donc...). Donc simplement : un tapis volant (le roi Salomon en avait un à la maison ; Aladdin se déplaçait avec) traversant la nuit sous une pleine lune qui brille mélancoliquement. Zut alors : cette pleine lune, c´est le disque dur d´un ordinateur se balançant au bout d´une ficelle. C´est presque agaçant, cette insistance. Les ordinateurs (une erreur de frappe nous a fait écrire d´abord « ordinatueurs », quelle bonne blague ça aurait fait) en carton, en pots de yaourts, en boites de conserves (pas celles de soupe CAMBELL), on en a déjà vu moultes fois. Le virtuel en béton armé est le romantisme des bien connectés (combien plus élégante, signifiante, révolutionnaire était l´idée d´un ordinateur portable à manivelle - cinq minutes de moulinage pour une demi-heure d´autonomie, boîtier vert fluo étanche, possédant toutes les fonction, connecté par satellite à Internet, à un prix dérisoire de cent dollars, qui fonctionnerait aussi bien sous les étoiles du Sahara que dans les bidonvilles de Sao Paulo...). Ne les aime-t-il plus, Tarot, les ordinateurs, pour les déposséder de la sorte ? March and eyes, résignation doublée d´acceptation (qui n´est pas son contraire), la corbeille bien réelle qui déverse son lot d´ordures, le petit sablier tristounet (les concepteurs des systèmes d´exploitation avaient du cran de nous faire attendre en contemplant un symbole du passage du temps datant probablement d´avant l´invention de la roue), la jolie flèche qu´on bouge en vain (interactivité ludique bienvenue) : après le clic l´animal est triste ? Et l´artiste, a-t-il le droit d´être si naïf ? (Tous les droits, aucun devoir, diront certains : pas la peine d´en débattre). Non. Ca tombe bien, car le tapis de Tarot ne l´est pas : ni naturel, ni sans artifice, ni spontané, ni d´une simplicité sans apprêt, ni exprimant par ignorance des choses simples que tout le monde sait, ni d´une confiance irraisonnée et quelque peu ridicule. Il n´est pas pour autant artificieux, astucieux, habile, méfiant ou rusé. Il flotte quelque part entre la dure piste d´atterrissage des concepts bavards et les courants d´air de l´art contemporain, c´est toute sa qualité (et sa faiblesse, mais on connaît l´histoire de David et Goliath) ; et (même, surtout ?), dénudé de son discours en abîme pixellisée, il reste absolument incroyable, c´est à dire on n´y croit pas. L´orientalisme était un prétexte pour peindre des dames à peine voilées et des chameaux qui souvent étaient des dromadaires. Le tapis volant de Tarot est peut-être l´oeuvre d´un orientaliste du XXIème siècle revenu d´un voyage dans le vaste monde des petits bits, jet-lag, prospectus, souvenirs, mensonges et rêves inclus.


M.B.


Jean-Christophe Tarot
« March and Eyes international »
du 5 décembre 2009 au 10 janvier 2010

La Tangente
Marché aux puces - Hall des antiquaires
130 chemin de la Madrague-Ville, 13015 Marseille
ouvert du vendredi au dimanche de 10h à 14h - Tel : 04 91 58 30 95
http://la.tangente.free.fr



Un cadeau de la reine de Saba - par Mika Biermann


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Le Zêbre et l´âNE - par Jean-François Meyer



Crédit photo JSO
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Le Zêbre et l´âNE
par Jean-François Meyer


En général si les galeristes doivent exercer une fonction de surveillant c´est plutôt par rapport aux visiteurs qu´aux œuvres qui, si elles ont été correctement acrochées ou installées, ne bougent pas de leur propre chef.
On a vu des tableaux abstraits évoluer sous la lumière dans des proportions surprenantes mais les peintres professionnels y trouvent rapidement une explication rationnelle.
Il n´en est pas toujours ainsi avec des objets investis d´un pouvoir que leur a conféré leur créateur soit en leur insufflant sa croyance, soit en restant, bien qu´à distance, constamment relié à eux notamment par l´usage de la concaténation de symboles dans une chaîne symbolique la plupart du temps invisible.
C´est ainsi qu´un phénomène surprenant c´est produit dans ma galerie lors de l´exposition de Julien Blaine « L´âne et le zèbre ».
JB avait acheté un zébre, un ballon gonflé à l´hélium et pas d´âne ce qui pouvait surprendre. Le zèbre s´était installé au plafond de la galerie le nez vers le haut près à poursuivre sa route vers les hauteurs si d´aventure l´espace s´ouvrait pour lui.
Cette exposition qui suivait comme chacun sait l´importante exposition de Julien au MAC de Marseille était en fait un accrochage de quelques jours pour matérialiser la venue à Marseille d´ Achile Bonito Oliva, le grand critique d´art italien qui soutient son ami depuis plus de vingt ans.
La veille du jour de l´arrivée d´Achile je constate un comportement bizarre chez le zèbre. Non seulement il a quitté son poste mais il s´amuse à descendre et remonter selon son gré. En mon fort intérieur je ne pense pas que cela soit prévu et je téléphone à Julien pour lui signaler que le zèbre est en train de faire l´âne. Il en est très surpris et me dit qu´il arrive pour étudier la question et entre autre pour me parler d´Achile, il me demande si j´ai lu son courriel. Ce qui n´est pas le cas.
Je l´attends donc et je lis son courriel. Achile s´excuse, il doit partir en Bolivie et ne pourra être à Marseille comme prévu le lendemain. C´est une cruelle déception; pour me rasséréner je sors m´acheter un paquet de cigarettes en laissant Benard Pesce garder la galerie tout en consultant le superbe catalogue de Jean-Jacques Ceccarelli.
A mon retour Volker Krein est dans la galerie avec son vélo.
Je suis légèrement contrarié car je trouve qu´il y a assez de vélos en ville sans qu´ils entrent dans les galeries.
Mais c´est le pire qui m´attend : je cherche en vain le zèbre. Il n´est plus là, tous les trois nous cherchons en vain ; quand Volker a ouvert la porte le zèbre en a profité pour s´enfuir.
Il y a des moments douloureux dans l´existence où l´on aimeait bien que le ciel n´intervienne pas en sens contraire et pourtant qu´a-t-il fait : m´envoyer chercher des cigarettes, promouvoir les vélos et souffler suffisamment pour ramener le zèbre vers ses hauteurs à lui.
Incontestablement vaut mieux faire l´âne.
Au moins on est sûr de rester sur terre.


J-F.M.


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Le Zêbre et l´âNE - par Jean-François Meyer


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Xème Biennale de Lyon - Le spectacle du quotidien - par Françoise Rod



Le collectif Hehe, Toy, vidéo, 3mn30, photographie biennale de lyon
Le collectif Hehe, « Toy », vidéo, 3mn30, photographie biennale de lyon

Le spectacle du quotidien
par Françoise Rod


Créée en 1991, la Biennale de Lyon, attire un public de plus en plus large. Cette année, pour sa dixième édition, le travail de soixante artistes est présenté dans quatre lieux d´exposition. La direction a été confiée au commissaire Hou Hanru qui n´a pu disposé que d´un court temps de préparation, suite à la défection de Catherine David qui avait été désignée auparavant.
Son titre, Le spectacle du quotidien, est un fil rouge qui, à la manière d´une colonne vertébrale, structure les différents espaces d´exposition. Très engagée, soucieuse de créer un lien entre l´humain et l´art, l´exposition présente des oeuvres directement liées à la thématique, le quotidien dans la société du spectacle.
Par spectacle Hou Hanru entend « un système de production et de représentation d´images dominé par la logique du capitalisme de marché » et par quotidien « les conditions du développement d´idées critiques, créatives, nouvelles, subversives ». Cette proposition de mettre en avant des expériences du quotidien dans l´espoir de mettre en échec le rapport aux pensées du spectacle dominant est le fondement du projet artistique de cette Xème biennale.
La Biennale est organisée selon cinq piliers ; « La magie des Choses » ou « La réinvention du quotidien » offre un espace aux artistes travaillant sur la redécouverte et la transformation du quotidien. « L´Eloge de la dérive » présente un choix d´artistes intervenant dans la ville en questionnant, détournant les contraintes de l´espace urbain. « Un autre monde est possible » (rappelez-vous c´est la maxime du forum social) propose des œuvres engagées plutôt utopiques. « Vivons ensemble » invite à un dialogue entre art contemporain et les habitants de la ville, cette dernière section entretient des liens étroits avec Veduta, la programmation hors murs de la biennale.
Les reproches faits à Hou Hanru principalement par les critiques de Libération et d´Art Press sont ceux de « privilégier les discours bien pensants au détriment de la forme » et de présenter des œuvres illustrant de « bons sentiments sociaux ». Les biennales sont toujours critiquées, généralement soit parce que leur commissaire donne une ligne directrice trop prégnante soit que parce que celle-ci est presque inexistante, (comme par exemple pour la dernière biennale de Venise). A Lyon, nous sommes certainement, face à un fort parti pris, d´ailleurs pleinement assumé par Hou Hanru.
Bien que la qualité de la Biennale ne soit pas partout égale, parfois les œuvres viennent trop simplement illustrer le discours du commissaire, il n´en reste pas moins que certains artistes ont créé des formes fortes où se télescopent l´artistique, le social et le politique. A l´entrée, un demi portail s´ouvre ou se referme en s´abattant bruyamment contre le mur. La paroi du musée est modelée ainsi, par coups successifs par l´image en négatif de la grille. Symbolique dans sa contradiction, la porte électrique de Shilpa Gupta tente avec cette œuvre conçue expressément pour la Biennale de démolir le lieu même de sa présentation. Cette contradiction sous-jacente se retrouve tout au long des expositions comme dans les termes du titre : « spectacle » et « quotidien ».
Hou Honru tente de lutter contre la société du spectacle avec ses armes mêmes. En effet, une biennale d´art contemporain, à l´époque de la globalisation, fait plus que partie de la société du spectacle ; elle l´organise. La conscience de cet état de fait est déterminante dans le choix des œuvres. Si aujourd´hui tout est spectaculaire, les sphères plus intimes du quotidien résistent encore. Les artistes choisis utilisent le spectacle pour mettre en vue l´invisible du quotidien et cherchent à détourner les effets aliénants de la consommation du spectacle en transformant l´ordinaire.
Takahiro Iwasaki, par exemple, présente de frêles constructions de fils de fer en forme de grues émergeant d´une pile de livres, des tours de communication apparaissant d´un tas de chaussettes, d´un amoncellement de serviettes. La poésie qui se dégage de ces œuvres d´Iwasaki comme l´attention minutieuse qui doit leur être portée nous fait entrer de plein pied dans le monde de « La magie des choses ».
La dimension urbaine est un thème récurant chez Hou Hanru, ici aussi, une grande place est accordée à la ville. Le collectif Hehe basé à Paris propose « Toy emission » une vidéo de slaloms d´un modèle réduit de 4x4, d´une durée de 3 minutes 30, perturbant le trafic de New York en dégageant une fumée colorée. Avec humour, légèreté et poésie les artistes nous posent la question : « Pourquoi les voitures jouets n´émettent-elles pas d´émissions elles aussi ? »

Mounir Fatmi, Ghosting, photographie biennale de lyon
Mounir Fatmi, « Ghosting », photographie biennale de lyon

Spectaculaire est la pièce intitulée « Ghosting » de Mounir Fatmi. Une paroi immense est remplie de cassette VHS se dévidant au sol en larges paquets et envahissant des photocopieurs dispersés dans l´espace, avec à gauche les derniers mots de Goethe avant de mourir « Mehr licht » (plus de lumière), et à droite des projections de calligraphies arabes. Le spectateur est invité à se servir des photocopieuses qui produiront une feuille presque entièrement noire. Duplication des mémoires, engloutissement par le trop d´information, propagande, bégaiement de la transmission, cette pièce, reflet de l´état de notre mémoire collective, peut se résumer dans une des devises de l´artiste : La vie c´est tout ce qui est écrit, et tout ce qu´on arrive à modifier.
Pour son commissaire, une biennale « n´est pas seulement une représentation d´objets, une mise en scène mais c´est un cadre de départ pour réfléchir à ce que nous sommes et ce que nous faisons là ». Ainsi l´installation de Sarkis « Le monde est illisible, mon cœur si devient un forum permanent ». Deux scènes successives se déroulant chacune sur une période d´un mois environ débouchent sur une troisième appelée « L´ouverture ». Une gigantesque soufflerie encercle la salle de ses tuyaux, des journaux du monde entier sont poussés vers le centre par l´air chaud ou froid. Une programmation de conférences de débats et de concerts a été conçue invitant ainsi différents discours à se croiser au sein de cet espace poétique.
A l´image de l´œuvre de Dora Garcia « steal this book » (volez ce livre), une performance ouverte qui propose a chacun des visiteurs de voler un livre, alors qu´un gardien spécialement affecté à cette tâche rend cette injonction irréalisable, les contradictions soulevées par cette Xème biennale restent inextricables.
Les 26 chairs events léguées par Georges Brecht au Musée d´art contemporain en 1986 que la biennale exposent, semblent avoir acquis un statut de stars de spectacle parce que magnifiées en tant qu´œuvres. Leur monstration particulièrement lors de biennales érode le sens premier transmis par ces chaises, le « tout est art » de Duchamp et de John Cage. Encadrées par les institutions, elles perdent définitivement la force de leur quotidien pour devenir presque le modèle formaté d´art versus vie.
A l´heure de la globalisation, alors que le phénomène des biennales est en pleine expansion, on peut s´interroger sur l´efficacité de ces événements à promouvoir des pratiques subversives.


F.R.


Xème Biennale de Lyon
« Le spectacle du quotidien »
Du 16 septembre 2009 au 3 janvier 2010

Commissaire : Hou Hanru
Directeur artistique : Thierry Raspail
Régisseur artistique général : Thierry Prat
Les lieux : La Sucrière,Le Musée d´art contemporain, La Fondation Bullukian, L´Entrepôt Bichatet tous les lieux Veduta


Xème Biennale de Lyon - Le spectacle du quotidien - par Françoise Rod


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Xème Biennale de Lyon - Le spectre tacle le quotidien - par Antoine Simon



Takahiro Iwasaki, Sculptures, 2001-2008
Takahiro Iwasaki, Sculptures, 2001-2008

Le spectre tacle le quotidien
par Antoine Simon


Oui, car la Biennale de Lyon montre plutôt le spectacle du « Spectacle du quotidien » : le quotidien entré au musée change le regard du visiteur, on n´a plus sous les yeux le spectacle mais l´œuvre qu´il est devenu, c´est à dire un nouveau spectacle un cran au-dessus, au-dessous, un spectacle spectral. On est loin de Fluxus, mouvement pour lequel tout fait art, et son représentant présent ici à travers ses oeuvres, George Brecht, est celui qui m´a semblé correspondre le mieux au titre de la Biennale avec ses 9 Event Glasses : 9 rectangles de verre sur chacun desquels est gravé le mot Event, montés sur support métallique, dont les dimensions variables et l´emplacement qu´ils vont occuper sont tirés au sort. Tout ce qui se passe ou qui passe devant le verre est un événement sur décision de leur créateur démiurge. Bien entendu, au cours des quelques heures que j´ai passées dans les lieux, je n´ai vu personne se placer en observateur curieux derrière l´un des verres. La seule intervention à laquelle j´ai assisté fut la mise en garde d´une jeune prof à ses encore plus jeunes élèves car ils risquaient de se blesser la tête contre l´angle métallique de l´un des Events. Ce fut un événement. L´effort qui consiste à chercher à comprendre pourquoi cet objet se trouve là serait-il trop difficile ? Faut-il que tout soit évident, soit mâché, soit culture macdo ?
Je ne sais pas, je n´ai pas de réponse, je n´ai que des questions. Par exemple, celle qui ressort de l´ensemble de la visite : très sociologique l´exposition. La revendication sociale se rencontre-t-elle désormais plus facilement dans le musée que dans la rue ? Est-ce le dernier lieu d´expression ? Ou peut-être, chacun des artistes s´attachant à la revendication qui le touche, l´ensemble réuni donne-t-il cette impression de bouillonnement qu´on ne trouve plus dans la rue ? Ou la rue, comme les médias de masse, sont-ils si bien muselés que seul le musée reste musclé ? Bien entendu c´est un muscle soft, aseptisé par la force des choses : le statut revendicatif devient la statue de la revendication.
Mais revenons à nos moutons à cinq pattes sur lesquels on compte pour ne pas s´endormir.
Une petite précision sur le travail de Takahiro Iwasaki, qui donne toute leur valeur à ses réalisations : les constructions tirées des livres sont faites avec les fils de la reliure durcis à la colle, comme les tours érigées sur les serviettes le sont à partir de fils tirés de ce « matériau ». Le symbole de la maison accompagnée de ce qui pourrait être son reflet dans l´eau prend ici tout son sens : tout est dans tout et son contraire, il y a des châteaux dans les chaussettes, sauf qu´avec l´avènement des tissus non tissés (!) et des livres brochés, il faudra encore chercher...
Il y a beaucoup à voir, à boire, à manger, à élucider dans les deux lieux principaux plus quelques autres, il y a de ces petites choses qui font sourire, par exemple cette phrase en anglais sur un mur de graffitis de Dan Perjovschi Toutes les personnes ayant acheté un fragment du mur de Berlin entre 1990 et 2009 sont aimablement priées de le rapporter pour la reconstruction du mur. On aurait bien entendu préféré tomber par hasard sur cette phrase écrite sur un vrai mur de ville, le plaisir aurait été d´autant plus grand.
Et puis cette vidéo d´Adrian Paci qui inclut le projecteur dans l´œuvre avec son cliquetis perturbateur : où est la réalité, où est la fiction ? Où est l´intérieur, où est l´extérieur ? Le fim présenté confirme cette indécision : de jeunes enfants s´amusent dans la nature, puis ils se rassemblent pour une photo de groupe, ou plutôt un film. L´un d´eux arme une fronde et tire devant lui, l´image, le groupe, se brise, où est quoi ?
Et cette structure à la Fondation Bullukian, par Sophie Dejode et Bertrand Lacombe : Off the wall. Il s´agit d´une construction en bois adossée à un mur, deux niveaux qui rappellent la bibliothèque du Nom de la Rose et aussi les structures d´Escher. Au centre se balance un chaudron qui servira aux « agapes organisées à l´occasion de nombreuses performances ». A chacun de démêler vrai/faux.

Sarah Sze, Untitled (Portable Planetarium), 2009
Sarah Sze, Untitled (Portable Planetarium), 2009

Il y a surtout, pour moi, l´œuvre magistrale de Sarah Sze (Untitled Portable Planetarium), 2009. Une sphère légère, fragile, aérée et aérienne, improbable, faite de petites choses : plumes, tiges, petits serre-joints, épingles, bouts de bois, bouts d´ficelle, cailloux contre-poids, mètres métalliques dépliés, tout ceci déconstruit l´espace autant qu´il crée des mondes possibles (guide de l´exposition). Nous avions remarqué le travail de Sarah Sze déjà à Venise en 1995 où elle occupait peu de place et la plupart des gens passaient sans remarquer cette structure infime faite d´épingles à nourrice ou à linge et autres objets sans valeur ni intérêt, courant à peine sur des mètres dans un coin du sol et sortant par une fenêtre pour se perdre dans le vaste extérieur. On avait pu la revoir quelques années plus tard à la Fondation Cartier dans une oeuvre à grande échelle si je puis dire, puisque ce sont des échelles métalliques qui fournissaient le gros de la sculpture toujours aérienne. Le travail que l´on peut voir à la Sucrière est très abouti, on s´y perd et l´on y trouve son compte (pour ne pas s´endormir). Préparé dans son atelier, démonté et remonté avec grand soin et l´aide de 6000 photos, il est placé dans un recoin un peu à l´écart, mais peut-être est-ce pour éviter les courants d´air intempestifs qui pourraient endommager une structure aussi fragile. En tout cas, à mon sens, elle mériterait la place d´honneur, sa revendication est plus subtile que la plupart, elle rejoint Iwasaki dans la démonstration que ce sont les petites choses qui permettent d´en faire de grandes.
Bien sûr il reste beaucoup, il reste toujours des questions en suspens. Pour avancer vers des réponses il faudrait inventer des regardeurs et des lecteurs captifs, susceptibles de suivre le développement d´une pensée, d´une intention, à travers le temps, comme le lecteur de magazines tombe à l´improviste sur le fatal à suivre... des feuilletons, dont les points de suspension sont en réalité des injonctions, des points d´exclamation déguisés...


A.S.


Biennale de Lyon : Le spectacle du quotidien
du 16/09/2009 au 03/01/2010
www.biennaledelyon.com


Xème Biennale de Lyon - Le spectre tacle le quotidien - par Antoine Simon


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La Compagnie - La peau de Thierry Kuntzel



Thierry Kuntzel,La Peau, 2007, Mac-Val, Conseil Général du Val de Marne, photo Paul-Emmanuel Odin
Thierry Kuntzel, « La Peau », 2007, Mac-Val, Conseil Général du Val de Marne, photo Paul-Emmanuel Odin

La peau de Thierry Kuntzel
par Paul-Emmanuel Odin et Philippe Duciel


La courbure, sa dissémination de signes secrets, fulgurants

Thierry Kuntzel est mort le 18 avril 2007 à l´âge de cinquante neuf ans. Thierry était plus qu´un grand artiste pour nous. C´était un ami. Il a donc disparu. Mais quelle œuvre a-t-il laissée ? Une œuvre mythique, mais très certainement toujours trop peu connue, et la plupart de ceux qui l´ont rencontré ont la conviction d´avoir été touché secrètement dans un endroit à la fois intime et terrible, en tout cas immensément riche. Pour lui rendre hommage à la Compagnie, nous avons choisi de montrer La peau.
Thierry préparait La peau depuis longtemps. Il est mort après avoir validé le montage du film, et sa projection dans le projecteur spécial qu´est le photomobile. Quand il parlait de ce projet, il insistait sur la particularité de l´écran de projection en tant qu´il devait être courbe. Pourquoi ? Lui qui avait toujours projeté les images de ses installations sur des murs, des écrans plats, il devait donc pour lui se profiler dans la courbure de l´écran une tension propre à l´œuvre qu´il préparait. Raymond Bellour, qui a été proche de Thierry depuis une trentaine d´année, nous avait montré un schéma, un dessin (voir ci-contre), qui corroborait l´intention de l´écran courbe, nettement dessiné sur une feuille blanche, datée de 2003.
A la mort de Thierry, le MAC-VAL a acheté La peau. Sa place dans une collection publique a rassuré les proches de Thierry, en assurant la postérité d´une telle œuvre, qui, il faut le dire, est l´a-peau-théose de toute l´œuvre de Thierry. Après la mort de Thierry, La peau a pu être montrée deux fois, une fois à Genève à Biennale de l´image mouvement à Genève, par André Iten qui était à la fois coproducteur et ami de Thierry, et une fois à Sau Paulo. Cela a été malheureusement présenté, pour des raisons pratiques, avec une projection murale. Pour la présentation à la compagnie en octobre 2009, nous avons construit l´écran que voulait Thierry (je remercie ici Fabien Artal, régisseur à la compagnie, pour sa tenacité, sa perspicacité dans cet entreprise risquée) : non seulement il est courbe, mais il est aussi double face, on peut voir l´image des deux côtés, on peut tourner autour de l´écran. Thierry voulait aussi cela. La compagnie a donc présenté pour la première fois en France La peau, et pour la première fois dans les conditions exactes voulues par l´artiste.

Pourquoi cette œuvre est-elle la sommme de tout ce qu´a fait Thierry, pourquoi en elle son parcours se boucle-t-il d´une façon aussi parfaite ?

C´est qu´on y retrouve toutes les préoccupations de Thierry, depuis sa première période où, théoricien du cinéma, il avait distingué le film-pellicule (celui qui permet de déplier synchroniquement un film) et le film-projection, jusqu´à ces paradoxes de l´immobile-mobile qui ont toujours été au centre de son interrogation sur la possibilité d´un signe dans ses installations vidéo et photo principalement.
L´écran y est indéfectiblement, et une dernière fois, une membrane psychique, c´est-à-dire une surface sensible sur laquelle les émotions sont saisies dans leurs mouvements les plus imprévisibles, de la douceur à la douleur, à la terreur, sans que les passages, lents, ou brusques comme l´éclair dans l´esprit du spectateur, ne soient saisissables rationnellement, objectivement. L´écran ou ce mur de chair est abrupt et radicalement dressé là dans l´être-debout d´une image humaine-inhumaine. Pour une stature imposante et dont pourtant on perçoit la mince pellicule d´être qui la constitue en tournant autour - cette membrane fine, blanche, qui reçoit la lumière, n´est-elle pas fragile, dérisoire, et comme le lieu où s´effectue le retour de la conscience pour une impossible prise sur l´être ?

Il faut aussi enfin décrire ce qui fait tout le paradoxe d´un tel dispositif dont les béances résistent à toutes les investigations, tous les raisonnements. Une fois de plus, Thierry a réussi à faire une « image dont on ne peut parler », comme il aimait le dire (il avait précisément publié quelques notes dans le numéro de la revue américaine Camera Obscura intitulé : « Unspeakable Images »).

Thierry Kuntzel,La Peau, 2007, Mac-Val, Conseil Général du Val de Marne, photo Didier Morin
Thierry Kuntzel, « La Peau », 2007, Mac-Val, Conseil Général du Val de Marne, photo Didier Morin

Mais quoi, venons-en aux faits, même s´ils résistent au discours. Contrairement à toutes les autres œuvres de Thierry Kuntzel, La peau exhibe sa machinerie, sa machine, ses entrailles ouvertes. La machine, c´est ici le projecteur PhotoMobile. Tel est le nom de l´étrange machine, du prototype conçu par Gérard Harlay, dans le cadre de sa société DIAP´, à l´occasion de l´exposition « Les bons génies de la vie domestique », au Centre Georges-Pompidou en octobre 2000. Ce qui a pu intéresser Thierry dans cette machine, c´est qu´elle n´est ni un projecteur de cinéma, ni un projecteur de diapositive : c´est précisément entre les deux processus que se glisse l´activité de cette machine. Elle utilise une pellicule film 70mm qui est impressionnée sans intervalle, pour une image panoramique de cinq mètres, bouclée sur elle-même. C´est donc une image photographique qui se déroule devant la fenêtre de la projection, dans un mouvement latéral extrêmement lent, continu, à vitesse constante, égale.
Posée au milieu de l´espace, comment ne pas sentir la motivation secrète, évidente, de ce parti-pris, où quelque chose dans la machine fait ce sujet immobile et moteur, pour faire sortir une subjectivité sans sujet.
L´image est un panorama de peaux humaines, et la continuité est faite pour que l´on passe sans s´en rendre compte, entre les peaux de quinze personnes (de six ans à quatre-vingts ans, et de couleurs blanches, jaunes ou noires). Le film est le produit d´un collage de quatre-vingt photographies (choisies parmi un milliers) où les raccords ont été gommés, effacés, par fondus subtils, pour créer cet effet stupéfiant d´une continuité de peau trans-individuelle où l´on passe entre les âges, entres les types de peau différents, sans coupure, sans intervalle, le temps d´un cycle de quarante-cinq minutes. Cette continuité transindividuelle n´est-elle pas l´opposé de la vision multiculturelle néolibérale proposée idéologiquement dans le monde aujourd´hui, quelque chose de bien plus radical, qui aborde les fondements même du sujet ? Où le Un - dans sa puissance de pensée - désamorce une dérive perverse de la multiplicité du devenir. L´effet de La peau, c´est bien, contre le multiple, d´affirmer l´unité du multiple, pour en relancer les éclats avec plus de force.

Thierry Kuntzel,La Peau, 2007, Mac-Val, Conseil Général du Val de Marne, photo Paul-Emmanuel Odin
Thierry Kuntzel, « La Peau », 2007, Mac-Val, Conseil Général du Val de Marne, photo Paul-Emmanuel Odin

Les parties du corps dont on voit la peau restent une énigme, elles ne sont pas identifiables. L´agrandissement de la peau est ce qui fait ce paysage, tantôt chaleureux, tantôt aride, tantôt inquiétant (sombre et plissé). On croit voir défiler, par les événements de surface propres à la peau (ses stries variées, ses rythmes, ses boutons, ses cicatrices, ses bleus, ses plis...) toute l´histoire de la peinture, depuis les fresques rupestres, jusqu´à l´impressionnisme, Turner, l´expressionnisme, Rothko (pour la couleur, auquel il faudrait associer James Turell), mais aussi et encore Dubuffet, Twombly, Soulages...
Quant aux rayures sur la pellicule, tout-à-fait assumées par l´artiste, ne sont-elles pas formidables, comme un immense rappel que l´image a un corps, ce qui fait un tel bien à l´ère du numérique (oh, mais horreur, le numérique serait un univers sans peau ! un univers écorché vif !). Et cette courbure, qui introduit comme la dimension d´une chute à l´horizontale, une asymétrie entre les deux côtés de l´écran - si nous sommes habitués au creux de l´image panoramique enveloppante, son côté enflée, n´est-il pas comme un ventre maternel infiniment doux, mais aussi comme une protubérance monstrueuse, qui s´avance là dans l´espace des visiteurs ?
Entre la peau de la pellicule filmique, la peau de l´écran, et la peau humaine, c´est un nœud complexe qui se serre, qui se rassemble autour d´un centre insaisissable, celui de la psyché, du désir, du vide sur lequel le sujet repose. On n´en a pas finit de rebondir insatiablement autour de La peau qui, maintenant, brille pour toujours. D´ailleurs, si vous l´avez raté à Marseille, elle sera en février au Fresnoy (sous l´impulsion de Raymond Bellour), et ensuite, enfin, dans l´accrochage Parcours IV de la collection permanente du MAC-VAL.


P-E. O. et P. D.


Thierry Kuntzel
« La Peau »
du 10 octobre au 7 novembre 2009
la compagnie, lieu de création
19, rue Francis de Pressensé, 13001 Marseille
tel : 04 91 90 04 26 - www.la-compagnie.org

Paul-Emmanuel Odin, programmation artistique
tel : 06 71 61 90 82 mel : paulemmanuelodin@free.fr



La Compagnie - La peau de Thierry Kuntzel


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Approches Poésie marseille 2009 - par Jean-jacques Viton



Performance de Seiji Shimoda dans la Chapelle de la Vieille Charité
Performance de Seiji Shimoda dans la Chapelle de la Vieille Charité

Approches Poésie marseille 2009
par Jean-jacques Viton


Du 20 au 24 Octobre, se sont déroulées les séquences de la 6° action du Festival « Poésie Marseille ». Pas toutes sur la même scène mais, comme pour les précédentes journées, dans des lieux différents : Musée des Arts Contemporains MAC, chapelle de la Vieille Charité , Galerie Jean-François Meyer, librairies Histoire de l´œil, Odeur du Temps et Le Lièvre de Mars, Friche de la Belle de Mai et Musée Cantini.
Cette année, Jean-François Meyer avait invité 16 intervenants internationaux, poètes, performers, plasticiens et musiciens.
Généralement, c´est à sa cinquième étape que l´on peut considérer un Festival comme stable. Cette sixième année semblerait confirmer la réalité nécessaire d´une telle manifestation annuelle dans Marseille.

Public Poem, d'Alain Arias-Misson devant la Galerie Jean-François Meyer
« Public Poem » d´Alain Arias-Misson devant la Galerie Jean-François Meyer

L´ouverture s´est faite, comme les autres années, au MAC. Une répétition un peu différente cependant puisqu´elle coïncidait au ramassage de la très grande exposition que Julien Blaine, un mois avant, avait réussie en rassemblant dans le titre « un Cri un Tri », les remarquables traces (toiles, affiches, revues, journaux, sculptures, films, constructions, masques, rébus ...) de son infatigable déambulation dans le monde et les mondes de la poésie sonore et visuelle.
La première soirée présentait en ouverture, le poète performer japonais Seiji Shimoda, étonnant manieur gestuel, silencieux, écrivant au ralenti dans l´espace les compositions oniriques de son propre corps. Elle se concluait dans une assourdissante démonstration d´ordinateur commandée par Joachim Montessuis.

Entre ces deux interventions, le poète californien Jérôme Rothenberg proposait une suite de lectures extraites de quelques uns de ses livres, « the Lorca variations », « Poems for the game of silence », « that Dada strain »... (dans des traductions d´Y. di Manno, P.P. Auxéméry, J.Roubaud, P. Joris...)

Placer Jérôme Rothenberg dans la première soirée de ce Festival, c´était bien indiquer la place que ce festival entend donner à une écriture de cette envergure et, d´une manière plus affirmée, à la poésie contemporaine, en offrant à un public très large l´occasion de découvrir ou de réentendre un écrivain majeur.

Lectures Magali Brien et Black Sifichi à la Librairie Le lièvre de Mars
Lectures Magali Brien et Black Sifichi à la Librairie «Le lièvre de Mars»

Le 21 Octobre, se sont succédés , à midi dans la chapelle de la Vieille Charité, le poète japonais Seiji Shimoda, l´écrivain Florence Pazzottu, et la plasticienne performeuse Diana Chaumontet. En soirée à 19.30 à la galerie Jean-François Meyer où se tenait une exposition de Jean-François Bory, la lecture d´un « poème publique » de l´américain Alain Arias-Misson qui a transporté l´auditoire dans la rue et sous la pluie.
Le 22 Octobre, à midi, à la librairie Histoire de l´œil, la plasticienne Françoise Rod, les poète Jean-François Bory et Dorothée Volut. Le même jour en soirée, à la Friche de la Belle de Mai, les poètes performers Enzo Minarelli et Black Sifichi, la plasticienne Magali Brien et l´écrivain Eric Giraud accompagné par Hervé Nahon, distributeur d´images et de sons.

Performance de Françoise Rod à «L´Histoire de l´œil»
Performance de Françoise Rod à «L´Histoire de l´œil»

Le 23 Octobre, à midi à la librairie le Lièvre de Mars, deux performances avec Magali Brien et Black Sifichi. Le même jour à 19.00, à la Librairie L´Odeur du Temps, Dorothée Volut, lisait dans un seul élan très tenu, « comme tous les enfants » (Ed. Précipités) et Jérôme Rothenberg (« ...is a five cents cigar ») dont cette dernière lecture était extraite du célèbre « Shaking the Pumpkin - (poésie traditionnelle des indiens noraméricains) », composé de poèmes extraits et retravaillés de la tradition indienne retrouvés dans des documents, des poèmes de la poésie orale sans qu´il s´agisse aucunement d´anthropologie mais plutôt d´une entreprise « ethnopoétique ».

Lecture d'Eric Giraud au Musée Cantini
Lecture d´Eric Giraud au Musée Cantini

Le 24 Octobre, dernier jour du festival, à 20.00, au musée Cantini, Florence Pazzottu, Diana Chaumontet, la performeuse Marina Mars, Enzo Minarelli et Eric Giraud. Ce dernier lisait des extraits de « la fabrique des américains », excellent texte réparti en particularités comportementales (Ed. Contrepied).

Performance de Michel Giroud à la Friche BdM
Performance de Michel Giroud à la Friche BdM

Comme pour tous les festivals de poésie ici et ailleurs, les interventions de Poésie Marseille ne suscitent pas le même intérêt. Une programmation n´est pas seulement une affiche à proposer pour un calendrier, il me semble que ce doit être une manière de plan où chaque étape forme un réseau de passerelles. Il est donc essentiel, si on tend à une qualité générale intéressante dans toutes les expressions abordées (lecture, performance, musique, exposition, chorégraphie...) de construire un programme complémentaire, cohérent, thématique ou non.
Je me permets d´ajouter cette remarque parce que le festival Poésie Marseille qui affirme sa place mérite un tel travail d´attention.


J-J.V.


les lieux du 6ème festival Poésie Marseille :
[mac] Musée d´Art Contemporain
Musée Cantini
Chapelle de la Vieille Charité
Librairie L´odeur du Temps
Librairie Histoire de l´œil
Librairie Le lièvre de Mars
Galerie Jean-François Meyer
Restaurant Les Grandes Tables de la Friche



Approches Poésie marseille 2009 - par Jean-jacques Viton


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Enzo Minarelli - Polypoète-pouêt



Performance de Enzo Minarelli au Musée Cantini
Performance de Enzo Minarelli au Musée Cantini

Polypoète-pouêt
par Florent Joliot


Officiant dans le cadre de Poésie Marseille 2009, Enzo Minarelli a interprété pour le plus grand bonheur de nos sens quelques morceaux choisis de son répertoire poétique « Poemi Cognomi » (Rome,1988), « El Poemméxico » (Mexico City 1988), « Poema » (1985), pour ne citer que quelques-uns.
La poésie d´Enzo Minarelli est gourmande, jouissive, et fait appel à une impulsion originelle de la parole.
« Au commencement était le verbe »
Le verbe sonore poétique, ardant, trucullant, intensif, perfectif, performatif, irrégulier, déclaratif, défectif, dissident.
« Puis le verbe s´est fait chair ». Verbe pronominal, réfléchi, verbe actif, passif, verbe transitif, intransitif, réfléchi, auxiliaire, verbe neutre, verbe objectif, verbe régulier. Enzo Minarelli, tente par sa « Polypoésie » qui s´inscrit de par son manifeste dans la lignée des travaux futuristes, surréalistes et dadaïstes sur le langage, d´expérimenter un retour à une forme originelle, intuitive du langage.
« La langue objet doit être de plus en plus étudié dans ses segments minimum et maximum: le mot, l´élément de base des expériences sonores, prend les caractéristiques de plusieurs mots, pénétré à l´intérieur et cousu à l´extérieur. Le mot doit être en mesure de quitter le son de sa polyvalence. »
Ainsi, l´artiste, poète performeur, tantôt jongleur virtuose, tantôt Monsieur Loyal bégayant, use le verbe à sa racine, malaxe son matériau, le sédimente syllabes après syllabes, pour en extraire le jus, l´essence, la semence de la langue.

Performance de Enzo Minarelli au Musée Cantini
Performance de Enzo Minarelli au Musée Cantini

Ce troubadour des temps modernes, incarne sa langue dans une interprétation kitch, décalée, une esthétique de cabaret, simiesque, cultivant non sans humour, une passion pour la butée, le ratage, qui n´est pas sans rappeler les tours délibérément ? fouarés d´un certain Garcimore magicien de mon enfance.
Les phonèmes qu´il racle, profère, ou souffle prennent la couleur de ses vidéos, acidulées, fluos, sucrées ; et forment autant de bulles de savons lorsqu´il les articule, les roule, pour se transformer en mots qui se contaminent , fusionnent en « sembles », ensembles, en phrases s´élevant pour se crever ensuite scandées, fragmentées, « splitées ».
Enzo Minarelli, Artiste diachrone, ne se fait pas le corps, mais l´instrument, le réceptacle, l´outre de la parole. Son travail se situe en effet en deçà ou au-delà, s´intéressant à la phonétique (les sons en tant qu´unités physiologiques) autant qu´à la phonologie (les sons en tant que parties d´une structure), il ne commet pas l´irréparable erreur que serait incarner le verbe, soit réécrire l´histoire... de l´écriture. Il reste dans l´oralité, dans une forme éminemment plus subjective, intuitive, originelle, en phase avec les théories des sciences cognitives actuelles qui pensent désormais qu´il existe dans le cerveau un module du langage qu´il n´est possible de connaître et développer qu´à travers la langue parlée.
Fréquentant récemment les travaux d´Erwin Wurm, Je me suis interrogé sur les similarités que présente son esthétique objectivée, avec les travaux Enzo Minarelli. Et force est de faire ce constat : il est décidément regrettable que la poésie ne jouisse pas de la même audience que les arts plastiques ce qui ferait à coup sûr d´Enzo Minnelli un représentant éminent de la scène contemporaine.


F.J.


Enzo Minarelli invité par Poésie Marseille 2009
Festival Poésie Marseille



Enzo Minarelli - Polypoète-pouêt


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UN PETIT JOURNAL DE POESIE MARSEILLE 2009 - DEBUT / FIN



Performance de Diana Chaumontet au Musée Cantini
Performance de Diana Chaumontet au Musée Cantini

UN PETIT JOURNAL DE POESIE MARSEILLE 2009
DEBUT / FIN

Par Nadine Agostini


Mardi 20 octobre 2009.
Rejoins en voiture Jacqueline dans le quartier de Bon Rencontre à Toulon. Monte dans sa voiture. Direction Marseille. Allo Julien on est perdu. Par où passer. Il a dit quoi ? On tourne. On tourne. Quand on voit le pouce de César je sais plus.
La fin du MAC au TRI ou du TRI au MAC ne sais plus. Jean-François Meyer arrive. Michel Giroud parle d´apnée, de respiration japonaise. Personne ne sait ce que c´est. Moi oui parce que j´ai déjà eu à faire à un respirateur Japonais. Un Italien tout droit sorti de la commedia dell´arte entre en faisant de grands gestes / en parlant fort. Enzo Minarelli s´extasie sur mes baskets quadrichromiques. Marina Mars arrive. Et puis plein de gens, de poètes, d´amis que je ne vois que rarement et auxquels je pensais justement ce matin.

Performance de Marina Mars au Musée Cantini
Performance de Marina Mars au Musée Cantini

Festival POESIE-MARSEILLE ouverture. Julien Blaine présente la soirée. Performance de Seiji Shimoda. Longue. Comme sa respiration. Très longue. Les gestes. L´équilibre du corps. Tout est dans la respiration. Il scotche sur sa tête des tiges. Des antennes. Il trace au feutre noir et au feutre rouge des traits le long de ses avant-bras. Il s´accroupit lentement. Il soulève son corps à la force de ses bras. Est-ce un criquet qui a pris possession de son corps ? On ne comprend rien. Ce n´est pas notre culture. On essaye de voir avec notre culture. On ne voit pas. On devrait juste regarder l´homme et écouter sa respiration. Le voilà qui se relève et s´arc-boute. Est-ce un démon ou l´âme d´un défunt qui soudain a pris possession de son corps ? Jérome Rothenberg. Enfin je le vois. Il est très vieux. Il vient de Californie. Dès qu´il entre en lecture, son corps et son visage se trouvent transformés. C´est un jeune homme qui s´avance au micro et fait tournoyer un tuyau au-dessus de sa tête. Il a une pêche d´enfer. Jean-Jacques Viton, qui entre autres l´a traduit, lit les textes en français. A fond la caisse le son avec Joachim Montessuis. Si fort que des gens sortent. Texte sur les poètes qui « déconnent ». Très belle ouverture de festival. Reviendrai. N´en verrai que les deux dernières soirées. Retour. Reprends ma voiture. Entrée dans Toulon me retrouve coincée dans des travaux. Sors sur le côté gauche (pas d´issue à droite). Me retrouve face à un flot de voitures phares allumés et pas de voie pour moi. Prends à gauche la rue qui monte et va vers la droite. Sens interdit. Marche arrière. Prends tout droit la rue qui monte. Feu rouge à l´envers. Regarde au sol. Flèches, voie en sens unique, dans le sens de la descente. Marche arrière. Agis dans la vie comme agis dans les rêves. Est-ce que je me teste / est-ce que je me coince pour évaluer ma capacité à m´en sortir ?

Lecture de Florence Pazzottu au Musée Cantini
Lecture de Florence Pazzottu au Musée Cantini

Vendredi 23 octobre 2009.
Laisse voiture sur parking du bureau. Bus. Gare de Toulon. Train. Marseille Saint-Charles. Métro. Librairie L´odeur du temps. En face, attablés, Jean-François Meyer et Jean-Jacques Viton. Me pose. Arrivent Blaine, Rotenberg et Madame, des gens. Marina Mars présente les intervenants. Dorothée Volut. Elle lit quand on est petit. Elle a une voix agréable. Jérome Rotenberg, plus performant que l´autre jour, chante. Quand il intervient, il sourit. Quand il n´intervient pas aussi. Restau indien. Dormir chez MM & JFM. Blabla.


Lecture de Jérome Rothenberg à la Librairie « L´Odeur du Temps »
Lecture de Jérome Rothenberg à la Librairie « L´Odeur du Temps »

Samedi 24 octobre 2009.
Matin blabla with Marina. Après-midi galerie Meyer. Arrive Enzo Minarelli très volubile. Et puis Seiji Shimoda silencieux, magnifique. 20h00 musée Cantini. MM & JFM m´ont demandé de présenter la soirée. Me prends pour une présentatrice de télévision. Ce n´est pas ce que MM & JFM m´ont demandé mais m´amuse comme une petite folle. Dans la cour, Florence Pazzottu, appliquée, parle avec finesse des bijoux qu´elle ne veut pas porter. Ecriture élégante, précieuse, intelligente. Voilà qu´arrive Marina Mars en tenue de tennis casquette sur la tête. Par rangées nous lançons des balles de ping-pong. Elle tente de les renvoyer avec sa raquette. Elle se change. Nuisette courte et rouge, cheveux lâchés, talons, miroir. Elle se mire. Miroir mon beau miroir. Elle nous fait nous mirer. Maintenant par rangées nous lui jetons des pierres. Elle évite la lapidation en se réfugiant derrière une immense ombrelle sur laquelle elle a peint Jésus en icône orthodoxe. Quelques impies jettent des pierres sur Jésus. A l´intérieur du musée, Enzo Minarelli se joue des mots / des sons. Il débite le texte à toute vitesse. Vient ensuite le tour d´Eric Giraud. Attablé, sobre. Il dit son texte aux multiples personnages. La soirée comme le festival se terminent sur Diana Chaumontet sandales blanches à talons / robe de Marilyn dans Sept ans de réflexion. Elle fait l´arbre droit sur une estrade (bien que le mot ne convienne pas à la chose, le dictionnaire dit « plancher surélevé de plusieurs marches ») tandis que trois très gros ventilateurs tentent de rabattre la jupe sur ses jambes. Le tissu flotte tout autour de ses cuisses. Elle recommence et recommence. Sans cesse. Jamais la jupe ne sera complètement plaquée sur son corps. Elle travaille sur la frustration. Restau indien. Dormir chez MM & JFM. Blabla.

Lecture de Dorothée Volut à la Librairie « L´Odeur du Temps »
Lecture de Dorothée Volut à la Librairie « L´Odeur du Temps »

Dimanche 25 octobre 2009.
Matin blabla with Marina. Midi cours chez Aurélia et Julo. Anniversaire d´A. 17h00. Sur le chemin des poubelles renversées / des groupes de gens qui semblent attendre. Gare Saint-Charles. Tout autour des policiers en civil-en tenue / des CRS. Tous casqués / armés / emboucliés. En haut des marches de l´escalier ils sont en rang. Derrière eux les cameramen sans doute de FR3. Quand même ! Y aurait pas Marina au bas des escaliers ! Ils ont prévu une perf surprise ? A moins que ce soit Julien Blaine pris d´une crise de nostalgie qui se soit à nouveau jeté dans l´escalier. Yeux et gorge qui piquent.
- Dites Monsieur, que se passe-t-il ?
- Le match OM-PSG est annulé pour cause de grippe A.


N.A.


Poésie Marseille 2009
6ème Festival de Poésie et de Performance
www.poesie-marseille.net


UN PETIT JOURNAL DE POESIE MARSEILLE 2009 - DEBUT / FIN


SOMMAIRE

Jean-François Bory



Jean-François Bory


Jean-François Bory
par Xavier Girard


Ce jour là, en revenant vers son petit organisateur portatif, le Critique se dit une fois de plus que la vraie puissance d´une œuvre tient à ce que ses lecteurs s´approprient ses personnages, son action et parfois même ses tics de langage. Etant entendu que le premier des personnages déjà ancien de l´auteur est l´Auteur lui-même, travesti parfois en violoncelliste, buveur de saké un peu contraint, en douloureux play-boy au volant de son Alfa Romeo sur les routes de la Notte, liseur de foire marseillaise au poème en veste à doublure de soie ponceau ou pélican sacré du lac Biwa, la lecture spatialisée du poème peut commencer. L´Auteur est-il écrit, avec un A. Mettons à ce propos tout de suite les choses au point quitte à les embrouiller. L´Auteur soit, mais aussi le diariste et le calligraphe de Japon, le retour, mais encore le poète visuel des Nourritures typographiques et de beaucoup d´autres visibles « pochades », poesia visiva reluctent. Ce n´est pas moi, c´est le mot qui le dit, mais encore et encore l´Auteur portraituré en typographe intermittent qui dans l´une de ses calligraphies pris la lune pour : « un œuf poché avec son petit nuage ». Le verbe « pocher », faut-il le relever, Petit Robert historique dixit, dit quelque chose comme « mettre en sac » qui signifie aussi s´esbigner « faire des taches », ce qui ne saurait déplaire tout à fait à notre Auteur, lui qui tel le joueur de scacus met les mots sens dessus dessous ou les regroupe pour former sur la page l´exacte transcription bruitique de - oui : Un gong lent dans la nuit humide à Nara ou d´une Vue du Mont Kujo dans les pins un jour de pluie. Mais reprenons : parmi les identités nationales de l´Auteur je me garderais bien d´oublier l´anthologiste provisoire ou l´auteur Du même auteur, ni l´Auteur (qu´il fait naître pour plus de commodité il y a deux mille cinq cents ans, sans préciser l´heure ni le jour, ce qui ne laisse pas d´étonner), l´Auteur, disons, entre autre de Un Auteur sous influence (Flammarion,1986), dont je puis affirmer sans risque qu´il est à la fois l´auteur lui-même (le placebo de l´auteur classique en quelque sorte) et le personnage autrement coruscant de l´Auteur photographié dans les situations les plus embarrassantes. Notez seulement celles-ci, je vous prie : l´Auteur surpris à l´aube lors d´un banquet poétique à Marseille en train d´appeler Madame Rosa-Nanette, une vieille connaissance poétique, spécialiste de l´auteur, sur son porteballe élastique, l´Auteur au bistrot Chez Marcel avec un jeune écrivain roumain fou de Danilo qui lui raconte comment sa première nuit d´exilé il a couché sur le paillasson de Marguerite Duras, de bonne heure encore et longtemps, l´Auteur avec Federman et Cauwet à l´angle de la rue Saint Benoit et du boulevard Saint Germain alors qu´il se dirigeait d´un pas léger vers la rue de Palerme, numéro 5 exactement, à Romainville, l´Auteur mort dans l´après-midi vers le périphérique avec ce scribouillard de Robbe-Grillet, l´Auteur sur le marché de livres d´occasion de la Porte de Brancion fouillant dans les bacs tout en cherchant un Sopalin pour moucher un rhume entêtant contracté dans l´avion qui le ramenait de Tokyo via le pôle nord et vers trois heures du matin, derechef, l´Auteur lui-même en compagnie de Paul Valéry, devant la porte du musée Dapper, toute festonnée de palmes, où il s´était rendu pour revoir une petite statuette confectionnée avec des touches de machine à écrire qu´il avait aperçue sur le marché de Vérone, l´Auteur tombé du lit où La Jeune fille verte de Paul-Jean Toulet, quoiqu´un peu grise s´était endormie à son côté, l´Auteur huit mois après sa naissance, l´Auteur à soixante huit ans, l´Auteur devant la galerie de Jean-François Meyer, l´Auteur rue Sainte avec Julien Blaine en train de brailler bon Dieu qu´on en finisse avec le monothéisme, des cornes de cerf plantées sur le haut du crâne, le mollet posé avec un rien de forfanterie sur un oreiller d´herbes et tout au long de l´après-midi, encore, avec Christian Boltanski et Jean-Pierre Bertrand (qui ressemblait chaque jour un peu plus à Pasternak jeune ou plutôt dont la « fulgurante ressemblance » - c´est un mot de l´Auteur - avec le Pasternak des années trente s´était encore accusée avec le temps) accompagnés de Blake et Mortimer.

Jean-François Bory, Collage
Jean-François Bory, Collage

Quant à son action, l´action de l´Auteur, rien de plus simple depuis qu´il se décida d´investir dans l´import-export, le trafic d´objets, des objets parfois dorés qu´il destine aux dessus de cheminée et l´écriture graphomaniaque de son Journal. Le Critique, donc revenant vers sa table, alors même qu´il était en train de se diriger vers la table de son petit bureau en zigzaguant entre les livres, se souvint de la couverture d´une revue d´avant-garde dont il avait oublié le nom mais qui pourrait bien être L´Humidité - beau titre à faire taire les accusations d´aridité habituellement réservées aux publications d´avant-garde de l´époque. C´était un temps béni. Un temps où les jeunes gens allaient aux revues d´avant-garde comme on se rend aux bains. La couverture montrait la place Saint Marc, de nuit, vue du musée Correr. Le campanile et la basilique se détachaient sur un ciel de fin du monde crépitant de comètes en fusion et des livres volants échappés des Procuraties. L´Auteur un peu devin avait décrit très précisément la scène, dans le style de Nostradamus un rien modernisé : Les anneaux des nuages, écrivait-il, circonscrivent d´autres anneaux qui forment des îles et des sphères où perce soudain un trou de soleil. L´Auteur saisit la lumière qui bouillonne un instant sur une façade. On y était. Longtemps cette couverture-catastrophe liserée de blanc était restée là, sur ma petite tablette, comme un post-it glissé entre les piles des catalogues de la Biennale d´Istanbul. Quand en 1986, j´acquis à La Sorbonne de Nice Un Auteur sous influence, c´était sous l´envoûtement de cette Apocalypse à Venise. Un livre de sable argentin dessiné à marée basse y rappelait les in-folio de l´apocalypse de Saint Marc. Livre ouvert que l´Auteur aime jeter ici et là au cours de ses pérégrinations à la mer ou sur un rocher pour le prendre en photo avant qu´il ne soit emporté. La martelière était ouverte. J´étais entré dans le borynage vénitien de l´Auteur. Le Lecteur n´avait pas encore abordé à la bibliothèque enflammée de Jean-François Bory mais il l´accompagnait déjà dans le palais de Bonna Fulgata sur les pas du Prince de Salinas, de Tancrède et d´Angelica, Feux pâle dépassant à peine de la poche de son manteau froissé d´inspecteur Colombo. Ivre comme il l´était et pas seulement que de livres, l´Auteur exerçait sur son esprit une influence excessive au point d´adopter son action et parfois même ses tics de langage. S´il ne fumait pas de Players, ne voyageait pas avec la même frénésie, ne fabriquait pas d´icônes, ne se produisait pas dans les foires, n´écrivait pas son Journal et ne possédait pas la collection complète des Blake et Mortimer, il partageait sa passion pour Le Nègre du Narcisse, La Vie d´Henri Brulard et pour certains mots d´architecture comme : entablement, balustre, palmettes, rinceaux, oves, triglyphes, métopes qu´il consultait désormais dans le Dictionnaire de Viollet le Duc, ou bien : strigilement pour dire les stries d´un bruit non identifié aux accents répétés comme le raclement des strigiles sur la peau des nageurs de l´Antiquité. Le Critique avait trente ans. Il roulait sous une pluie battante qui dessinait des coulées de boue strigilées par le chemin détourné qui conduit à la fondation Maeght en se répétant la phrase de Bram van Velde après que sa femme l´eût quitté : « Tout est brisé » comme Claudel, cité par l´Auteur, dans sa villa sur la lac Chuzenji écrivant face au paysage d´eau qu´il allait quitter à jamais : « Tout est liquide ». L´Auteur, lui se souvenait des vers d´un poète qui avait consigné dans un cahier égaré : « la mort est une montagne de pluie ». Mais au fait, de quelle action l´Auteur était-il l´auteur ? Celle d´écrire sans autre fin que d´écrire ou de calligraphier, de former littéralement des lettres une à une avec son calame électronique ? Celle de lier entre elles les pages du livre comme les javelles de petit bois après les avoir émondées ? Ou bien voulait-il parler de l´action civique, celle de « l´auteur engagé », au sein des « luttes idéologiques » de l´autre siècle ? L´Auteur au service des grandes causes ? Vieille lune de la révolution surréaliste, de la Beat Génération et de la génération 68. Lorsque je lis Jean François Bory, je n´ignore rien de ces questions et de la difficulté d´y apporter des réponses séparées. Cependant, une chose est sûre - c´est l´Auteur qui le dit tout en se moquant de ce tic de langage - le plaisir que je prends à le lire est immédiat, il relève d´un bonheur littéraire sans naïveté qui mobilise avec les innombrables noms de l´Auteur en même temps raison graphique, littérature, arts visuels, arts des objets improbables et non savoir.


X.G.


Jean-François Bory
exposition dans le cadre de Poésie Marseille à la galerie Jean-François Meyer



Jean-François Bory


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Jean-Jacques Lebel - BARRICADES



Jean-Jacques Lebel, « La tribu des amis »,1985 (Installation), Photographie Marc Domage
Jean-Jacques Lebel, « La tribu des amis »,1985 (Installation), Photographie Marc Domage

BARRICADES
par Antoine Simon


C´est le terme qui m´a paru le plus approprié pour parler de Jean-Jacques Lebel et de son travail. Au pluriel parce qu´il en élève dans plusieurs domaines, parce qu´il en est pratiquement une lui-même. J´avais d´abord pensé Le chevalier de Maison Rouge, c´est là qu´il expose et se montre chevaleresque en invitant tous ses amis, morts ou vifs, mais il y avait quelque chose de trop précieux pour s´accorder au personnage.
Barricades, oui, ça le cerne bien, au sens propre comme au figuré, les barricades étant généralement cernées par un « maintien de l´ordre ». Il les érige contre tout cet environnement réactionnaire qui nous étouffe aujourd´hui encore plus qu´hier mais qui perdure depuis la fin des années cinquante.
Quand on élève des barricades (et il est un spécialiste de cet élevage), ce n´est pas pour se barricader, s´extraire du monde, c´est au contraire pour se dresser contre les pouvoirs en place et le conformisme moral, les comportements obligés, qui imposent leur toute puissance ; la barricade c´est la transgression par excellence parce qu´elle s´affirme et qu´elle se voit.
La première, érigée en lui-même, il l´a construite au contact, enfant déjà, de Duchamp ou de Breton qui symbolisent les grands refus intellectuels du consensus mou.
La deuxième c´est quand il voit le surréalisme entrer dans le rang et qu´il se fait exclure, on est en 1959, sa barricade se renforce contre l´établissement (establishment pour les intimes).
Ensuite elles vont se suivre à un rythme... effréné (tant pis, c´est tellement juste) : en 1960, le 14 juillet, il produit le premier happening d´Europe en jetant à l´eau dans un canal de Venise une sculpture de Tinguely (Enterrement de la Chose, Anti-Procès2).
Les barricades des années soixante vont s´élever d´abord contre le puritanisme bien-pensant/bienséant et ce seront les stupéfiants débordements du festival de la libre expression dont il est l´instigateur, avec notamment, en 1966, les 120 minutes dédiées au Divin Marquis, pendant lesquelles par exemple un(e) participant(e) nu(e) s´introduit en public différents légumes dans l´anus.
1968 approchait, dont Jean-Jacques Lebel a largement contribué à barricader le mois de mai, lui dont les amis se nommaient Ginsberg, Burroughs ou Kaprow. Cette fameuse année 1968 dont certains, et non des moindres, aspirent à éradiquer les retombées. Souhaitons le salutaire retour de baton, peut-être celui de marche poétique de Serge Pey qui se trouve dans l´exposition.
Ceci pour situer le personnage, si par hasard il se trouvait encore quelqu´un qui ne le connût point.

« Montée André Breton / Descente André Breton », 1996, Installation, marteaux, sacs, dimensions variables, Photographie Marc Domage
titre, photographie

On déduira de ce qui précède qu´il ne faut pas chercher trop de rationnel dans l´exposition : si chaque espace est consacré à un thème qui lui est cher, il n´y a pas de progression dramatique, pas d´ordre chronologique, pas de priorité ni de point d´orgue, juste une proposition multiple et surtout anarchique, le maître mot (si toutefois l´anarchie supporte un maître dans quelque domaine que ce soit), celui qui préside à l´élaboration des barricades qui sont elles-mêmes anarchiques, c´est à dire désordonnées. « Les oeuvres rassemblées par l´artiste ne forment pas une collection traditionnelle, mais une collecte au sens anthropologique. Associant ses oeuvres et celles de ses amis à des objets de toutes les époques et de toutes les civilisations, la collecte de Lebel constitue une pensée en action, qui s´incarne dans les objets et s´en nourrit. » (opuscule de présentation).
Gros contraste avec l´exposition simultanée de Beaubourg sur le Surréalisme qui elle est très cadrée, didactique : J.J. Lebel offre un « montrage » : à chacun d´établir ses propres connections, puisque le regardeur fait l´oeuvre depuis Duchamp. J´en ai établi car tout fait sens et tout me parle. Presque dès l´abord j´ai été cueilli par la voix de Ghérasim Luca, reconnue de loin avec un frisson, lui dont Deleuze, encore un proche de Lebel, disait qu´il était le plus grand poète du vingtième siècle.
Puis Les avatars de Vénus que nous avons vus à Marseille, projetés sur le mur de la galerie Meyer, vidéo morphing de 90 minutes présentant la femme nue dans la peinture, dans la photo d´art ou de magazine, dans la sculpture, dans le porno ; etc... la femme en perpétuelle transformation, ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre, et qu´on aime et qu´on ne comprend pas (peut-être faute, ou grâce à, l´infracassable noyau de nuit qu´André Breton nous attribue à tous). Ici la vidéo est projetée simultanément recto-verso sur quatre écrans disposés en carré, un cube pénétrable donc, huit images changeantes qui donnent le vertige féminin : cette irrepressible boulimie d´images inconvenantes, cette sorte d´attraction obsédante pour la façon dont les figurations sexuelles font effraction dans nos normes, nos bienséances, nos règles morales... n´est peut-être rien d´autre que la projection dans le monde visible de l´inépuisable et insatiable énergie du désir, écrit Guy Scarpetta dans le catalogue de l´exposition. Qui d´ailleurs, l´exposition, s´intitule Soulèvements, d´où son corollaire Barricades.
Parmi les choses qui m´ont particulièrement touché il y a cette bague façonnée par Apollinaire qui fut avec Rimbaud le maître de mes dix sept ans. Un an auparavant j´avais eu des poèmes publiés dans une revue en compagnie d´André Salmon que j´avais rencontré quelquefois, celui pour qui Apollinaire écrivait dans Alcools : On a pavoisé Paris parce que mon ami André Salmon s´y marie. C´était le 13 juillet 1909, ce qui ne nous rajeunit pas. Relisant le texte d´Apollinaire, je tombe sur ce vers que J.J. Lebel j´en suis sûr apprécie Je sais que seuls le renouvellent (le monde) ceux qui sont fondés en poésie.
Autour de la bague une quantité impressionnante d´obus de la guerre de 14 plus ou moins kitch, travaillés, façonnés, emboutis par les soldats des deux camps, ce qui fait sens : porte-parapluies, vases à fleurs, chopes de bière, théières ou simples objets de décoration, crucifix en balles de fusils, autant de morts sans doute, autant de témoins de l´absurdité de toute guerre, barricade métonymique soft pour un massacre.

Jean-Jacques Lebel, « Monument à Félix Guattari », 1994, voiture (Renault 25), lit, coeur tournoyant en bois, terre, plantes, trois moniteurs vidéo, hauteur totale: 630 cm, au sol 6x6m, Photographie Marc Domage
Jean-Jacques Lebel, « Monument à Félix Guattari », 1994, voiture (Renault 25), lit, coeur tournoyant en bois, terre, plantes, trois moniteurs vidéo, hauteur totale: 630 cm, au sol 6x6m, Photographie Marc Domage

Plus loin encore c´est L´irregardable, une pièce fermée pour dissuader les enfants et les âmes sensibles : on y voit un Hitler sur une croix tenant une badine à la main, une auréole derrière la tête, sous lui un amoncellement de cadavres gris forme une colline qu´escaladent quatre filles nues et roses, c´est un tableau de Blalla W. Hallmann (Der Popstar, 1991). Dans la même salle deux grandes photos de l´actualité de 2003 représentant les sévices et tortures infligées aux prisonniers irakiens à la prison d´Abou Ghraïb, par les soldats américains Charles Graner et Lynndie England. A propos de l´exposition j´ai eu l´occasion d´entendre sur France Culture une critique très enthousiaste, la seule réserve étant cette partie, la commentatrice trouvait le parallèle exagéré. Je m´inscris en faux : à regarder les regards satisfaits des deux soldats devant les corps nus, humiliés, nous sommes bien en présence d´apprentis nazis, il n´y a pas d´époque privilégiée, la bête immonde bouge toujours.
Dans la profusion je grappille parmi mes goûts : La tribu des amis, une installation de 1985, qui me renvoie à la définition de Pierre Reverdy : « Plus les rapports des deux réalités rapprochées seront lointains et justes, plus l´image sera forte ». Ici la juxtaposition ignorant le bon goût et mélangeant les styles me ravit par sa perfection formelle et sa question sans réponse (L´énigme est d´ailleurs le titre donné à la section).
Et puis le porte-bouteille, un original de Duchamp que j´aimerais utiliser pour une performance, moi qui me contente de copies,.

Jean-Jacques Lebel, « Reliquaire pour un culte de Vénus », 1998-2004, technique mixte, dimensions variables Photographie Marc Domage
Jean-Jacques Lebel, « Reliquaire pour un culte de Vénus », 1998-2004, technique mixte, dimensions variables Photographie Marc Domage

Et puis le Reliquaire pour un culte de Vénus (24ème du genre) la plus grande partie d´un mur recouverte de photos de femmes nues ou vêtues, le mot NU s´écrivant dans un espace laissé... nu entre les photos. On peut le voir ou pas, comme on peut voir ou pas le au néon qui précède le grand rectangle de photos, et le S qui suit.
Et puis aussi la chape qui s´abat sur vous quand vous visitez la chambre reconstituée où Artaud subit un nombre impressionnant d´électrochocs à Rodez en 1943.
Et puis encore le monument à Félix Guattari dont les tuyaux d´échappement (échappement, le mot juste) symbolisent à mes yeux cette idée de rhizomes exprimée par Deleuze et Guattari : Faites rhizome, mais vous ne savez pas avec quoi vous pouvez faire rhizome, quelle tige souterraine va faire effectivement rhizome, ou faire devenir, faire population dans votre désert. Expérimentez. Formule que Lebel reprend généreusement à son compte lorsqu´il dit Il me semble que le travail d´un artiste ne consiste pas seulement à produire ses propres tableaux et ses propres textes, ce serait trop banal. Cela consiste aussi à inscrire ses recherches dans un rhizome qui vient de très loin.
Luxuriance des pousses, on rencontre les amis, Esther Ferrer vomissant les pièces jaunes dans un Europortrait de 2002, Robert Filliou avec un Spaghetti sandwich de 1963, Julien Blaine en poème élémentaire ou John Giorno, poème aussi, mais visuel que vous ...verrez si vous en profitez pour déjeuner dans l´agréable cafétéria. Les rhizomes sont légions, dans l´espace et le temps, de Shiraga à Arcimboldo, de Picabia à Yoko Ono, de Hans Bellmer à Henri Michaux, sans oublier Victor Hugo, que de oh! que de oh!..
Et puis enfin, cette idée de barricades, elle est bien présente dans l´exposition, concrètement, avec toute une section ainsi nommée (L´art de la barricade), introduite par une affiche placardée pendant la Commune de Paris (1871) portant en gros titre COMMISSION DES BARRICADES, sous l´égide de la République Française. Ca ressemble à un canular surréaliste, supposons un journal qui s´appellerait Journal sous Officiel, ça ferait à peu près le même effet.
Suivent des barricades, photos ou tableaux, de 1871, 1968, 1944, 1968, 2009, histoire d´assumer par le refus de la chronologie les désordres de l´histoire.
Pour la bonne bouche (restons gourmet), un mot de Ghérasim Luca ...On ne s´inquiète et on ne lutte que pour sauver ce qui est et l´idée même de liberté ne s´énonce qu´en termes d´esclave...Et l´on se demande pourquoi cette balançoire en soi fait encore boule de neige sur les barricades noires écarlates...
à quoi J.J. Lebel fait écho de façon lapidaire L´art de la barricade est promis à un avenir brillant!

N´omettons pas de signaler que le commissariat de l´exposition est assuré par Jean de Loisy, qui fut aussi le commissaire de l´exposition Hors Limites, l´art et la vie (1994/95) au Centre Pompidou, où le Monument à Félix Guattari était présenté pour la première fois. Il ne faut pas manquer la vidéo du dialogue entre Jean-Jacques Lebel et Jean de Loisy présentée dans l´exposition, que l´on retrouve, le dialogue, dans le beau catalogue nourri des interventions d´Anne Tronche, Herald Falckenberg, Alain Fleischer, Félix Guattari, Bernard Heidsieck, Olivier Kaeppelin, Arnaud Labelle-Rojoux, Dominique Païni, Guy Scarpetta et Jean Louis Schefer, avec une préface d´Antoine de Galbert.
Des noms rhizomes, des noms barricades, oui...

N.B. : en terminant ce court article j´éprouve le sentiment frustrant de n´avoir pas dit grand chose du contenu humain et intellectuel d´une telle manifestation. Je ne saurais trop conseiller de visiter l´exposition et/ou de se procurer le catalogue.


A.S.


Jean-Jacques Lebel
Soulèvements La maison rouge
du 27 octobre 2009 au 17 janvier 2010



Jean-Jacques Lebel - BARRICADES


SOMMAIRE

Jean-Jacques Lebel - Ève Lève Soulève Il soulève le Jean-Jacques,



Ève
Lève
Soulève
Il soulève le Jean-Jacques, `

par Julien Blaine

Ah lala lala ! Quel Choc !
Quelles fantastiques monstractions...
Dès le sas on sait déjà qu´on va en prendre plein la gueule : sa voix - présente - accompagnant celles de Ghérasim Luca et d´Antonin Artaud.
Que des installactions à se shooter au neuvième ciel et au dixième enfer.
Ah lala la ! ces documents incroyables, jamais vus, ces photographies, ces dessins...
Me voilà au milieu de mes idoles : Charles Fourrier, les poupées kachinas, les statuettes lobi et des autres cultures africaines, Louise Michel, etc.

Il nous fait revivre 68 comme si nous n´avions pas abouti jadis à un échec répugnant !
à une catastrophe irrémédiable qui a conduit tous ses acteurs à la désespérance ou au cynisme
De ça bravo, bravo fort.

Et tous ses amis sont là, des moins morts au plus vivants.

Ah lala lala les avatars de Vénus recto verso en transparence et en mouvement...
Du pôle Nord au pôle Sud et de l´Est à l´Ouest.
La voilà animée et s´animant aux quatre points cardinaux, pile et face.
Ici à la galerie Meyer on ne l´avait vu qu´au quart...
Quelle fantastique œuvre. Mais oui ! Magistrale, là c´est un mot qui veut dire : qui dit (enfin)

Et les images à gerber, à être en haine permanente et définitive vers cette armée impérialiste d´occupation, celles d´Abou-Graib avec Lynndie en uniforme camouflé en tee-shirt beigeasse, en star au mégot !

Ah lala lala ! et comment tu nous rafraîchis la mémoire...

Ah oui, je suis allé bander dans ta salle des nus de Vénus, une ribambelle de belles pin-up et une foule de starlettes délicieuses et une multitude de cover-girls magnifiques, nues ou mieux encore à peine habillées inscrivant en taille d´épargne sur un mur immense le mot « NU » encadré du « Vé » qui en marseillais veut dire regarde ! et du « S » qui veut démonter le pluriel...
Mais au moment de me masturber, il ne m´a fallu que quelques marches pour faire flanelle quand je me suis retrouvé dans la chambre d´Antonin. Évidemment, là, j´ai eu mal au bide et à ma vertèbre.

Et de ci de là mes chères Fanny, mes belles compatriotes avec leur beau cul découvert à couvrir de baisers.
Ah lala lala ! Baiser Fanny !
Ah lala lala ! Comment tu nous a fait baiser Fanny...

Et pour finir ton installation sur les douilles d´obus...
Bien rangées sur tes étagères, moi, dans ma bibliothèque, je n´ai qu´une pointe d´obus
(voir photo)
avec dessin du cratère et de la cabane explosée, celle de mon grand père, et au dos du socle de la pointe d´obus un charmant petit poème* qu´il faudrait opposer à cette vieille blague que j´ai entendu enfant d´un poilu qui venait rendre visite à mon grand père :

C´est une dame très distinguée, très chic, très polie qui s´est mariée avec un rustre qui revient de la Grande Guerre,
un poilu un grossier personnage mais elle l´aime.
Elle redoute, néanmoins, ses interventions quand elle organise des dîners mondains avec des gens chics et polis.
Or, au cours d´une soirée un nouveau dîner est offert !
Et voilà qu´au dessert, l´avocat raconte une blague chic mais le mari a promis le silence, juré qu´il resterait muet.
Et le général raconte une blague polie...
Et le mari arrive toujours à garder son sang froid.
Puis la doctoresse et le mari de la doctoresse et l´épouse du général alors le mari éclate :
« À moi ! À moi ! Je vais, moi aussi, vous raconter une bonne blague
(la dame distinguée, son épouse, est atterrée...! Elle craint le pire.)
Et le mari la raconte :
Qu´est-ce que c´est qui reste chaud après avoir tiré un coup et qui finit par ouille ?
_ Non, je ne vois pas, dit l´avocat (très gêné.)
_ Non, je ne vois pas, dit le général (très gêné.)
_ Non, je ne vois pas, dit la doctoresse (très gênée.)
Eh bien, proclame le mari, c´est une douille !
(Apaisement général ! Soulagement de tous et de toutes et surtout de son épouse)
Alors le mari s´adresse à sa femme chérie et avec sa belle voix tonitruante :
Tu as cru que c´était les couilles, hein ! Chérie ?

...
...

* Plus tard regardant ce symbole
Reposant sur votre bureau
Vous penserez aux émotions atroces
Qui auraient pu vous mener au tombeau
Le 4 mai 1917

Albert Poitevin sort pour pisser,
et sa cabane d´ingénieur est bombardée.
On le recherche, au fond du trou d´obus
et on ne retrouve que la pointe de l´obus.

Albert Poitevin (grand père de Julien Blaine)
Heureusement était ailleurs...
D´où ce dessin
Intitulé : Bureau du Génie de l´H.U.E .
Bombardement du 4 mai 1917
Daté : Mont Notre Dame 1917
Signé : Marcel L´Enfant
Et ce poëme
Daté du 4 mai 1917
Non signé


J.B.


Jean-Jacques Lebel
« soulèvement »
à la Maison Rouge
jusqu´au 17 janvier 2010
Fondation Antoine de Galbert, 10, bd de la Bastille, 75012 Paris



Jean-Jacques Lebel - Ève Lève Soulève Il soulève le Jean-Jacques,


SOMMAIRE

Sabine Heim - Le jeu du castor



Sabime Heim, « la garçonne », 2009
Sabime Heim, « la garçonne », 2009

Le jeu du castor
par Xavier Girard


L´image « cartonne » comme on dit. Selon un autre mot tout aussi tendance mais un peu plus spécifique au monde de l´art, on dira qu´elle est « efficace ». Plusieurs raisons à cela. Son cadré serré d´abord qui ne laisse au regardeur d´autre issue que de voir ce qu´elle montre : un corps vu de dos, cadré de la taille aux mollets, vêtu d´un mini dessous transparent de dentelles à fleurs qui laisse entrevoir entre les cuisses une queue animale à poil noir, genre queue de matou synthétique, d´une longueur raisonnable et des fesses plutôt petites. Garçon ? Fille ? L´image ne le dit pas même si la lingerie incline à penser qu´il s´agit d´une fille, ce qui ne constitue pas une preuve. Et puis d´ailleurs, quelle importance ? Elle l´a appelé pour faire genre - bête et méchant ? genre, voire, mauvais ? comme il est d´usage beaucoup depuis quelques années, rien n´est très sûr : La Garçonne. La photo est en couleur mais sans ostentation. On se dit : Ce qu´elle nous fait voir est ce que nous voyons. Mais que voyons- nous exactement ? Il y a là des indices anatomiques (?) que je n´arrive pas à identifier clairement... Préférant donc ne rien voir, vite, je rameute les exemples (appartenant de préférence à la culture cultivée) auxquels elle fait songer pour l´inscrire bien à sa place dans la bibliothèque des images de femmes et l´y ranger une fois pour toutes à l´abri du genre. Or, une autre place l´attend, plus singulière, plus transgenre, précisément, et moins assujettie aux discours convenus du type : femme artiste/artiste femme ? Art féminin ou devenir-femme de l´art ?

Pas de chichi avec moi, jette ma voisine photographe à qui je parle de la photographie contemporaine avec des mots qu´elle ne comprend pas toujours bien. Ma voisine à qui je me proposais justement de montrer l´image réalisée par Sabine Heim que Michèle Sylvander m´avait adressée par email et qui parmi d´autres non moins « efficaces » m´avait aussitôt intrigué. Ma voisine qui ne-connaît-rien-à-l´art-contemporain et serait bien surprise si je lui disais tout à trac qu´il suffirait pour bien comprendre de se placer devant l´image et de répéter plusieurs fois, à voix basse, la formule magique : What you see is what you see. Il n´empêche, si, par hypothèse je lui traduisais la chose par : Tout ce qui est à voir est ce que vous voyez, nous ne serions pas plus avancés. Comme je faisais durer le plaisir, elle me dit : Allez ! Vous pouvez me la montrer, va ! C´est une de ces images por-no-gra-phiques comme il y en a partout maintenant ! Pas besoin de faire des manières. Eh bien non justement. C´est une image, chère Madame qui n´a rien comme vous dites de por-no-gra-phique ; c´est juste une image « dérangeante ». C´est quoi donc une image dérangeante ? Un truc de ouf ? Non pas exactement, Madame. Une image dérangeante, c´est une image disons, gênante, une image qui dérange nos habitudes, nous donne à penser autrement, bouscule l´ordre des choses et nous interroge... De quoi ? Nous interroge ? A quel sujet ? Jamais vu des images comme vous dites. Des images choquantes, oui, des images brutales, insupportables même, ou violentes avec des accidentés de la route, des morts et tout ça, des enfants du Darfour, de images « porno », « sales » « vulgaires », oui, ça oui, mais « dérangeantes » ou qui « interrogent », et qui ne seraient ni violentes, ni porno, ni révoltantes, non vraiment, ouesque vous autres les intellectuels vous allez chercher ça ? Ah ! Mais c´est dégoutant ! fut sa réaction avant qu´un fou rire ne la secoue, quand je lui montrais l´image dont l´attente avait trop duré. Pour un moment encore, en la quittant, je me dis qu´un petit dictionnaire historique du vocabulaire de l´art contemporain serait un vadémécum amusant et bien utile au critique. Peut-être existe-t-il déjà. On y verrait le jargon logico-philosophicus des années modernes céder la place aux expressions passe-partout de l´époque contemporaine et aux idées reçues qui vont avec. De retour dans ma boite à chaussure, je regardais à nouveau quoiqu´un peu différemment l´image de Sabine Heim.
En quoi dérangeait-elle ? L´exposition Fémininmasculin Le sexe de l´art organisée par le Centre Georges Pompidou il ya déjà quinze ans comptait un grand nombre d´images qui comme Marie-Laure Bernadac et Bernard Marcadé le soulignaient en ouverture du catalogue déstabilisaient : « les fatalités biologiques, anatomiques et culturelles traditionnellement liées au sexe. » et jouaient de l´effacement des différences entre féminin et masculin, en se plaçant à rebours des identités meurtrières sous l´invocation des intensités et des devenirs deleuziens, euphorisants philosophiques de ce tardif Après Mai que l´actuelle fixation identitaire s´efforce d´enterrer sous la logique des territoires. Sabine Heim comme Cindy Sherman, Annette Messager, Sophie Calle, Marlene Dumas, Jeanne Dunning, Jana Sternak, Lynda Benglis, Elke Krystufek, et Louise Bourgeois pour ne citer que les artistes du genre féminin qui figuraient dans l´exposition, aime mettre en scène l´indécision qui vient du sexe et dérange les fausses évidences de l´identité. Le sujet n´est pas nouveau. Dans les années surréalistes, Dora Maar avait réalisé un collage photographique dont Michèle Sylvander m´a adressé l´image, qui faisait jaillir de l´entrecuisse d´une femme sculpture la cataracte sexuelle d´un pubis foisonnant. Duchamp dans L.H.O.O.Q, 1921 avait collé de même des insignes virils à la Joconde dont il y a fort à penser, avec Jean-Luc Hennig que les lèvres étaient en fait une paire de fesses d´adolescent couchée à l´horizontale. Michèle Sylvander dans La Fautive, mieux que Jana Sterback dans Hairwhip, avait couvert sa poitrine de la toison arbustive des cacous de Marseille.
Sabine Heim ne cherche pas à transcrire le même type d´images hantées par la question du genre sexuel, ce qui la fascine, dans la pub, au cinéma comme dans l´art de certains artistes contemporains, c´est quelque chose comme le passage à l´acte, une sorte d´action painting de catastrophe, l´irruption sauvage à l´intérieur d´une image qu´on devine réglée et préméditée au millimètre, une image qui nécessite une mise en scène sophistiquée, d´un « trop ». Un trop qui ne serait pas seulement de l´ordre de l´écart ou de l´excès transgressif mais se confondrait avec les désirs et les anxiétés de l´époque quant à l´image et à ses pouvoirs diminués par son succès même. Parmi les questions que posent ses premières photos, on devine une fascination pour la photo de mode et de pub que revisiteraient les arts visuels, y compris la peinture et la danse, pour lui restituer une forme d´expression capable de choc qui la rendrait de nouveau, oui, « dérangeante ».


X.G.


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Sabine Heim - Le jeu du castor


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Florent Joliot - Art\Positions



Florent Joliot, « U+2641 - L´Anabase », 2009, Tirage argentique contrecollé sur dibond, 3 fois 1m20 x 1m80
Florent Joliot, « U+2641 - L´Anabase », 2009, Tirage argentique contrecollé sur dibond, 3 fois 1m20 x 1m80

VERS L E  L  A  R  G  E
par Emmanuel LOI


   Le dire n´est pas le dit.
      Heidegger

Les réactions nerveuses d´un corps, et certainement, par là, son métabolisme, sont étroitement liés à l´ensemble de ses représentations, s´ils n´en dépendent pas directement. Cela doit être admis pour établir moins la valeur que la signification vitale de chaque métaphysique, son incidence en termes de forme-de-vie.

   Contribution à la guerre en cours
      Collectif Tiqqun


Certains travaux raffûtent au fond de nous des homologations dépassées, qui se retrouvent à l´instar de leurs découvertes, détrônées. Tout est alors question de surdité : ai-je à peine entendu ce qui me surprend ? N´ai-je vraiment pas vu ou croisé de tels éléments qui, hors de cet agencement, ne me parlaient pas vraiment ?
A une remise en question du corps qui ne voit plus rien, Florent Joliot met en place un dispositif qui dialectise le hors champ, la visibilité encourue à moindre frais et une certaine indigence due au talent. Ce qui est montré chez Daniel Roth rue d´Aubagne vaut le déplacement, déplace la valeur d´exposition par une ébauche de déréalisation quant à la mainmise du regard.
Peu de pièces dans un espace restreint. Une photo-dalle où une icône préraphaélite joue avec une sage perfidie du regard sans crainte de la béatitude, spectre figé de la stupeur oculaire, le clin d´œil au chien andalou de Bunuel fonctionne. Le désir est revêche, il ne concerne que le caché, ce qui demeure en réserve.

Réductions et anamorphoses jouent le rôle de régulateurs. Là, le portrait a été agrandi, l´on pourrait dire quantifié que davantage qualifié. Trop de beauté revient à une obésité, une nourriture trip riche qui coupe le sifflet telle une fille trop belle pour soi, que l´on n´ose pas aborder et qui reste désespérément esseulée. A-t-on vraiment envie de goûter à l´odeur acide de cette crinière rousse ? Rien n´est moins sûr tant le mystère est donné, se prosterne profané dans une ostentation délibérée.
Une vidéo en boucle d´un jupon suspendu sur un cordage du Panier séduit inexorablement. Méduse ou corolle, le battement cardiaque du promeneur éberlué qui sait lever la tête et courir chercher sa caméra fait de l´amoureux de la rue un observateur irradié. Florent Joliot possède une qualité rare chez les tenants de l´objectivité. Il sait se déplacer, ne craint pas l´essaim de signes qu´il butine et parcellise à volonté, il prend le parti liant de montrer peu. Décentrement, resserrement, synecdoque. Il a vu, sait voir, et surtout ne sait plus voir. La robe du discours accompagne la maîtrise et le brio malgré tout tentateurs. Quand il saura se passer de la glose didactique qui étouffe la perception, il y gagnera en dignité et en simplicité.

Le morceau de choix __ pour parler comme les équarisseurs du goût __ réside dans un triptyque de trois photos tirées sur métal. Accrocheurs et ténébreux, aguicheurs et serrés, la première impression a tendance à occulter les autres remembrances. Le spectateur, promeneur ou rêveur, est dans l´expectative, il perçoit et appréhende des forces impassibles dont il ne reste que l´empreinte gommée, l´aura en voie de disparition ou de reconstruction mentale. Le travail onirique de recomposition de l´objet __ la question de Kant reste ouverte : l´objet existe-t-il en dehors de sa définition ? __ jouit de plusieurs aires de lisibilité qui s´enchevêtrent. La brume des fins de terre, pointe au Portugal la plus avancée de la vieille Europe qui jette son appel vers l´Ouest dans la voracité des avenirs extorqués à fin d´Empire, un monument aux morts qui marque et redouble cette chasse au fantasme incantatoire de la fuite en avant, d´horizons lointains qui soient autant de nouveaux paradis et un élément trouble par excellence, indéfini et désincarné, la bruine sur un chemin qui mène au nuage. Une absence majestueuse. Savoir se rendre absent, qu´un artiste dépose en faveur du latent, de la condensation extrême de ce qui meut, résidant à terre ou en partance, voilà quelque chose qui va droit à l´âme.
Il est toujours possible de rejeter la poétique, d´arborer une froideur méticuleuse et de persévérer à châtier les points de bascule dans une esthétique de combat contre le libéralisme. Joliot n´en a cure. Il ne croit pas à la Terre promise de l´hyperréalisme, se défie dans son coin de la croyance dans les messages héliportés de la libération du signe. Il laisse en suspens, réhabilite l´ellipse et va chercher assez loin dans la traversée des apparences de la mélancolie. Du côté d´Odilon Redon, de Kaspar Friedrich mais aussi étonnamment du cinéma de Manoel de Oliveira et de la plume terrible de Thomas Bernhard. Du vague à l´âme matérialisé par des balises de détresse et des messages de tendresse.
Le traitement plastique de l´imperceptible laisse place à une musicalité sèche et plus farouche qu´il n´y paraît : s´il n´y a rien à voir, ou si peu, si un monde sans légendes s´exhibe et oblitère le caractère vraisemblable de la mémoire ou de la trace, c´est que nous avons perdu en magie. Le voyeur a tué le voyant. Nous avons oublié nos sources. Nous répugnons à être traversés.


E.L.


Florent Joliot
U+2641- L´ Anabase
Installation, Photographies
du 10 novembre au 10 décembre 2009
Art\Positions, 36, rue d´Aubagne, 13001 Marseille
ouvert les mardi, mercredi, jeudi de 15h à 19h
artpositions@hotmail.com



Florent Joliot - Art\Positions


SOMMAIRE

Sarkis - galerieofmarseille



Sarkis, « Le cri du paysage », Néon rose, 2009, 62 x 82 cm, courtesy galerieofmarseille
Sarkis, « Le cri du paysage », Néon rose, 2009, 62 x 82 cm, courtesy galerieofmarseille

Sarkis, le quinconce des Munch
par Xavier Girard


L´image du film tourné par Sarkis à Saché en 1998 dans l´atelier de Calder transformé en résidence d´artiste a la simplicité d´un cérémonial japonais. Il faut imaginer une reproduction d´un fragment du Cri de Munch, icône fatale de la culture universelle, tout comme le Retable d´Issenheim ou la prédelle du retable de saint Zénon : Le Christ au jardin des oliviers, La Résurrection et la Crucifixion de Mantegna à partir desquels l´artiste a aussi travaillé. L´œuvre est l´une des quatre versions réalisées par le peintre en 1893, celle, me semble-t-il de la galerie nationale d´Oslo qui fut volée en 1994, à moins qu´il ne s´agisse de l´une des deux versions qui se trouve au musée Munch et dont l´une fut également volée en 2004. Elle apparaît à gauche de l´écran, inclinée vers l´extérieur et en partie hors cadre, ce qui précipite un peu plus la perspective accélérée du célèbre pont. Le bonhomme pris d´effroi au premier plan, qui prend sa tête ou plutôt son crâne à deux mains et pousse son cri occupe désormais la partie droite de la scène. A l´extrême gauche, à l´endroit où s´arrête la ligne de fuite du pont, les deux personnages endimanchés, chapeau sur la tête, sont parfaitement visibles. Dans la partie droite de l´image, débordant à peine sur la reproduction du tableau, un bol de céramique blanche. Entre dans le champ un pinceau qui dilue dans le bol rempli d´eau les couleurs du paysage, du jaune de cadmium, du bleu de Prusse et du jaune orangé. Un nuage d´arabesques se forme dans la baie circulaire du bol comme les lignes onduleuses du Cri. On pense à cette page de Munch rédigée à Nice l´année précédente, dans un cahier, avant de peindre le tableau : « Je longeais le chemin avec deux amis - c´est alors que le soleil se coucha - le ciel devint tout à coup rouge, couleur du sang - je m´arrêtai, m´adossai épuisé à mort contre une barrière - le fjord d´un noir bleuté et la ville étaient inondés de sang et ravagés par des langues de feu - mes amis poursuivirent leur chemin, tandis que je tremblais encore d´angoisse - et je sentis que la nature était traversée par un long cri infini. » Nombreux sont les exégètes du tableau à en avoir cherché la clé dans la « folie » de Munch. Certains préférèrent y voir une allusion à l´explosion de volcan Krakatoa en Indonésie (en 1883) qui obscurcit et fit rougeoyer le ciel norvégien des jours durant, d´autres, le cri d´un homme (végétarien comme Munch) que les hurlements venus de l´abattoir voisin rendait fou, d´autres encore, plus proches du vrai, la représentation d´une peur inimaginable au contact d´un espace mortel, incroyablement réel, à la fois banal (mixte de baie des Anges et de Fjord) et dévastateur qui aveugle celui qui tel l´artiste à l´inverse des deux amis convenablement habillés en perçoit d´une façon bien trop directe la violence comme un son ou un sang qui oblitère toute perception distanciée et s´insinue en vous comme le flash de la drogue pour faire son chemin dans vos veines. De cette peur dont Herta Müller disait récemment dans les pages du Monde que dans la Roumanie de Ceausescu, elle était si omniprésente qu´« Il n´y avait plus rien d´autre. » Herta Müller qui se souvient du paysage menaçant de son enfance, quand elle y gardait les vaches : « Je me disais : il va nous manger. Il nous nourrit, mais j´ai vu comment les gens y mourraient.

Sarkis, « Munch ~ Sarkis 10-5-2008 », Aquarelles encadrées, 46,5 x 61 cm posters (+/- 275 x 370 cm), 2008, courtesy galerieofmarseille
Sarkis, « Munch ~ Sarkis 10-5-2008 », Aquarelles encadrées, 46,5 x 61 cm posters (+/- 275 x 370 cm), 2008, courtesy galerieofmarseille

Nous mangeons le paysage et un jour, c´est lui qui nous dévore. » « Au commencement » était donc la peur, mais la façon dont Sarkis la met effectivement en scène est très particulière. Il commence par réaliser une aquarelle sur une feuille de papier d´un format réduit (46,5 x 61 cm) dans laquelle il figure au centre de la page la tête du Cri, un crâne ou un masque (on songe au masque d´Halloween dans le film de Craven mais aussi au petit masque africain de Guinée qu´il filme dans Au commencement et reproduit en rouge sang) plutôt qu´un visage. De part et d´autre de cette sorte d´apparition en manière de Vanité, il flanque les deux côtés de la page de rideaux de scènes. Comme il en use chaque fois qu´il peint sur des petites feuilles de papier, il les encadre - ici d´un entour de plomb auquel il ajoute au dos un papier magenta. Puis il fait agrandir l´aquarelle aux dimensions d´un « poster » conçu spécialement pour l´affichage en papier dos-bleu (ce qui le rend parfaitement opaque) qu´il colle directement sur le mur. A la Galerieofmarseille, Sarkis en a disposé trois de grande taille (ca. 275 x 370 cm) sur les quatres initialement prévus. L´un des posters occupe la presque totalité d´un mur. Comme il est constant chez l´artiste, les œuvres libèrent l´espace qu´elles investissent sans marquer de coupure. La seule division notable est celle opérée par l´aquarelle originale encadrée et doublée de son ombre rose qu´il place en bas du poster dans sa partie médiane, au-dessous de la figure centrale. La théâtralité de ces « tableaux », comme on le dit de décors d´opéra, est redoublée par la présence d´un néon rose (que Raymond Hains eût interprété comme un hommage discret au Chevalier Roze qui donne son nom à la rue de la galerie), néon qui sur le mur du fond légende, dirait-on, l´ensemble à la façon d´un frontispice à l´écriture cursive sur lequel on lit : Le cri du paysage.

Sarkis, « De la terrasse de l´homme qui regarde le paysage », 1992-2009, table, ventilateur, briques, journaux, 90 x 300 x 146 cm, courtesy galerieofmarseille
Sarkis, « De la terrasse de l´homme qui regarde le paysage », 1992-2009, table, ventilateur, briques, journaux, 90 x 300 x 146 cm, courtesy galerieofmarseille

Placée en travers de la galerie sous un ventilateur, se tient une vaste et haute table de chantier en pin clair où l´on peut consulter les pages de la presse du jour soulevées par le courant d´air et fixées par des briques pleines. Sarkis nomme cette table : De la terrasse de l´homme qui regarde le paysage. Comme toujours, chez Sarkis, les liens symboliques qui unissent les divers composants de l´exposition sont aussi complexes et ramifiés que le dédale du souvenir. A chaque visiteur de tenter de les démêler à travers la juxtaposition du « monologue intérieur » de l´auteur, comme l´indique Henry-Claude Cousseau dans le catalogue des Ikones, et de ses propres apartés. Mai ce qui frappe ici, dans la disposition des choses, comme à la Chapelle de Vence, tient dans l´espèce de quinconce des Munch, chaque aquarelle, chaque dos bleu, chaque journal, chaque brique comme à Vence le Chemin de croix, le Manteau de la Vierge, l´Apocalypse, saint Dominique, le moucharabieh à l´ombre rose du confessionnal se font écho sur les « diagonales libres » chères à Deleuze, de mes petites perceptions. Les interstices roses du dos de l´aquarelle s´y assemblent avec le dos bleu théorique des posters, les briques roses de la table avec les lettres de néon, les têtes du Cri avec celles des visiteurs, sa propre tête, le visage de son interlocuteur mais aussi les autres têtes, les crânes aquarellés comme émergés du bol blanc du poster dans la fluidité des couleurs, celles que telles des iconostases elles portent dans leurs petits cercueils de plomb comme les masques traditionnels du théâtre italien et celles des pages du journal que l´air fait tourner. L´ « efficacité stratégique » (Cousseau) de l´exposition tenait à cette sorte d´entrecroisement sublime dans l´espace dégagé de la galerie entre la clarté irradiante de la scène représentée et l´ombre couleur de rose qui leur fait fond.


X.G.


Sarkis
« Le cri du paysage »
du 21 novembre 2009 au 30 janvier 2010
galerieofmarseille, 8, rue du Chevalier Roze, Marseille 2eme
Tel : 04 91 90 07 98 - www.galerieofmarseille.com



Sarkis - galerieofmarseille


SOMMAIRE

Ceccarelli, roman



Jean-Jacques Ceccarelli, « L´un dans l´autre », Aquarelle Crayon graphite sur papier d´Arches, 2009, 160x124cm, photographie Claude Almodovar
Jean-Jacques Ceccarelli, « L´un dans l´autre », Aquarelle Crayon graphite sur papier d´Arches, 2009, 160x124cm, photographie Claude Almodovar

Ceccarelli, roman
par Xavier Girard


Souvent les dieux accomplissent ce qu´on n´attendait pas ou pas de sitôt. Une exposition, galerie Polysémie, en partenariat avec l´Association Athanor et la parution chez André Dimanche de la première grosse monographie consacrée à son œuvre - l´ouvrage signé Frédérique Valabrègue est une formidable entrée dans le monde du peintre-dessinateur - Jean-Jacques Ceccarelli a ces temps-ci au moins deux raisons de se réjouir. L´exposition de ses dernières peintures-dessins et la mise au jour de sa trajectoire d´artiste depuis 1971 constituent un de ces moments magiques et redoutables en même temps où, d´un coup, presque entièrement, le paysage d´une œuvre est éclairé. Comme dans ces « belles contrées » que découvrent les fresques sous marine et ses flux d´arabesques méduséennes.

Ceccarelli, c´est aussi un rapport intense, un rapport amoureux aux pinceaux de tous poils et aux jus colorés ; la hantise de l´opaque, du « bouché » ou du pâteux. C´est encore le plaisir de refaire la même chose, de multiplier les séries « pour voir ce que ça donne » comme le bricoleur de Lévi-Strauss, en nappes transparentes. C´est une certaine façon de remplir une surface, de s´arrêter dans le blanc de la feuille de papier, de suspendre la diffusion du liquide en sorte que la morsure de l´encre reste intacte comme le trait. L´œuvre est sans rature ou n´est qu´une immense rature, un repentir, une réparation continuée. Contrairement à Twombly dont R. Barthes a si bien restitué la méthode créative, Ceccarelli ne laisse pas traîner, (dans l´atelier non plus, les choses ne traînent pas) il ne pratique pas la technique du glissement jusqu´à extinction du geste pour cause de fatigue, lassitude ou indifférence, mais n´aime rien tant que repasser, revenir sur ses taches en les redessinant tel l´enlumineur de Très riches heures. Etrange inversion des rôles du dessin et de la couleur : Ceccarelli ne colorie jamais, il laisse fuser une couleur première pour dessiner après coup par-dessus. Ce qu´il aime c´est par ce procédé instrumental obsessionnel : lier un jus comme un grand chef clarifie une sauce. Je pense particulièrement à la sauce dite « au pauvre homme » et à ses maigres ingrédients. Son trait n´est pas ininterrompu et filant mais hachuré, répété comme une inlassable reprise et acéré (pas de gomme qui émousserait ses arêtes). Il ménage la blancheur du papier. Son dessin est incisif - jamais de flou - mais il est aussi parfois presque invisible. Des œuvres de Ceccarelli, il faut s´approcher. Il passe entre les plages de couleur pour leur donner le relief désiré. Des milliers de lignes de pointe, proches souvent de la pointe sèche, forment un système nerveux, traversé d´influx qui font des lacets et des boucles, comme un cerveau irrigué par les impulsions de la couleur.

Jean-Jacques Ceccarelli - photographie Claude Almodovar
Jean-Jacques Ceccarelli - photographie Claude Almodovar

Dessin d´emblée séquencé en vignettes qui mettent d´abord en scène la vie du peintre aux prises avec sa hantise des corps écorchés, changés en insectes, surgis de La Métamorphose de Kafka, des planches anatomiques, des cartes et des scènes de la vie d´une sorte d´Homme sans qualité échappé de L´Institut Benjaminta. Mais il existe aussi des pages, parmi mes préférées, où affleure le bonheur d´un trait florissant que Ceccarelli compare à un Rituel amoureux : dessiner comme on photographie pour fixer les instants partagés avec l´être aimé et en constituer l´album en liant entre elles les images en une toile de Jouy aux motifs entrelacés, comme le souvenir.

J´aime particulièrement ces encres de Chine du début des années 80 dans lesquelles Ceccarelli tente de mettre de l´ordre dans son passé mais ne parvient qu´à embrouiller un peu plus l´acting out du dessin dans la futaie des corps désirants et des feuilles, genre : Cherchez le chasseur ou Image dans le tapis, comme François Rouan en a tissé beaucoup. Charlus aux Tuileries, Porno ou Rapt cèlent plus qu´ils ne dévoilent l´érotique amoureuse du peintre, mais dévoiler n´est pas chose facile, ni toujours nécessaire. L´actuelle théorie terroriste de l´outing n´est pas le fait de l´artiste.

J´aime aussi l´art ceccarellien de la tache qui prend instantanément l´allure des bêtes de la mer : sèches, poulpes, alluges, supions des Lorenzetti à Sienne, on a envie d´y suivre tous les chemins, d´explorer tous les arpents de terre, de s´aventurer dans les moindres criques et recoins d´un pays fluviatile dont on n´avait pu apercevoir jusqu´ici que le parcellaire des « œuvres récentes ».

Le livre d´André Dimanche me fait songer à certains ateliers, qui, tel L´Atelier rouge (1911) de Matisse, rassemblent le tout d´une œuvre en un seul regard. Atelier rouge dans lequel le peintre ne met pas seulement sur le même plan, en les jointoyant à l´aide d´un rouge passionnel aussi puissant que celui des fleurs rouges du jardin de Meudon imprimé comme « au fer rouge » dans l´esprit de l´artiste chaque fois qu´il entre dans son atelier. Rouge dont il remplit à ras bord les murs (qui étaient blancs) et le sol du petit espace, pour y engloutir la ronde cosmique des tableaux. Lesquels à la façon de méduses phosphorescentes, éclairées de l´intérieur d´un rose chair, gagnent la surface en emportant avec elles quelque chose de ce sang profond. Mais avec le rouge c´est aussi la mémoire des peintures de différentes périodes, de la plus ancienne à la plus récente, mais encore les sculptures, les fleurs et le mobilier qui font partie de sa palette émotive, sans oublier les crayons rangés au premier plan que l´Atelier rouge emporte avec lui, tout comme dans l´atelier de Ceccarelli, rue Estelle, à Marseille au plein cœur de la montagne d´ordures, les bribes de la vie du peintre.

Pour l´amateur et l´ami de longue date de « Cecca » comme pour l´Ignorant que je suis, la première impression est d´étonnement ravi. Une œuvre se découvre à vous dans son immensité quotidienne. Des premiers collages aux derniers grands dessins-aquarelles, plus encore que l´œuvre complette à laquelle il eût sans doute fallu ajouter le bonheur de bien des petits et grands dessins - tant l´œuvre est nombreuse et spiralée comme le dirait Viallat - les carnets de croquis, les livres d´artiste et les très généreuses contributions aux publications des amis poètes, les objets de l´atelier, les bouts de dessins accrochés au dessus du bureau, les petites constructions de rien, les faïences et les interventions dans le paysage et tout un lot de photographies pour l´incliner vers la biographie, c´est la méthode créative qui apparaît au grand jour dans sa continuité et sa cohérence.

Jean-Jacques Ceccarelli, « Tache », Broux de noix Crayon graphite sur papier Lenox, 1998, 150x100cm, photographie Patrick Box
Jean-Jacques Ceccarelli, « Tache », Broux de noix Crayon graphite sur papier Lenox, 1998, 150x100cm, photographie Patrick Box

On mesure dès le début à quel point l´œuvre trouve sa source dans une relation privilégiée avec les instruments du dessin et de la peinture. Ceccarelli, ce sont d´abord des crayons en forme de pentagone d´un beau bleu laqué, marqués HB, B1, B2, etc., impeccablement rangés sur la table de l´atelier. Crayons de différentes tailles, affûtés, prêts à l´usage comme une suite de jours de travail. Ce sont de lourds flacons d´encre de Chine avec leur étiquette médicinale, des petits bols de pigment et des feuilles de papier, avec une prédilection pour le BFK Rives, le papier lavis et surtout, surtout, le vélin d´Arches des Vosges, le papier préféré de Dürer. Le livre d´heures de l´ouvrage journalier ne compte pas un nombre très étendu d´instruments, deux ou trois suffisent. Son dieu est le Crayon Noir dont Régine Detambel dans ses Graveurs d´enfance déclare qu´il : « est le premier outil de paroi. A tailler comme un silex [...] guère plus, en apparence, qu´un mince bout de graphite, un long morceau de combustible glissé dans un étui de bois sec à tête laquée [...] » Plus qu´un outil parmi d´autres, le Crayon Noir est pour Ceccarelli un compagnon de route, un « allié substantiel », personnage majeur du roman de sa vie de peintre : « Avec le Crayon Noir, ajoute Detambel, on touche aux premiers sols, aux Indes Noires, à la terre profonde, au centre des couches empilées, à la mine, aux étais, aux puits, aux ascenseurs, aux pioches, aux casques. Au grisou. » Chez Ceccarelli, le Crayon Noir ou le Crayon Graphite n´a pas de ces profondeurs enfouies, sa mine est aérienne ou maritime, il est le petit cousin de la plume et de l´encre de Chine, autre graveur d´enfance. Comme la plume Sergent Major, il procède en hachurant et en croisant très doucement, très tendrement à la différence du bruit davantage métallique de la plume contre le papier. Son odeur de crayon diffère de celle de l´encre de Chine, une odeur entêtante de camphre mêlé au bois de pin après la pluie et à la peau de bœuf. Sa manière noire est le plus souvent très ténue. Règle d´or : Ne jamais insister, ne jamais peser, laisser affleurer sans brusquer, donner sa chance au hasard sans rien forcer. Le dessin, le destin de chaque feuille s´identifie à travers le trait le plus ténu à une petite philosophie pratique de la lenteur. Pour que ça marche, il convient que les tâches et les traits s´accordent en sous jeu, dans le temps long de l´œuvre en cours, dans sa lente délinéation méditerranée qu´il aime mettre à son tableau de pêche sur la digue de la feuille de papier qu´il prend un soin maniaque en toute occasion, après avoir nettoyé l´animal, de vider de ses esquilles comme pour procéder sur une surface sans taches, le plus proprement du monde, à l´opération du voir. Reste que le retour de certaines taches fait peur, comme l´une d´elles en brou de noix sur papier Lenox (reproduite page 44 de la monographie) et la suite des Peaux, réalisée en 1998, chimères de dépouille humaine et de monstres marins dressées à l´aplomb du papier Arches. Tout comme le plus secret de l´œuvre, je veux parler de la série des cinq Gisants de 1994, qui dresse devant le regardeur, dans la quadratura du linceul, le négatif du disparu et célèbre littéralement à corps perdu, l´ombre de celui dont le papier buvard a gardé, dirait-on, non seulement l´empreinte mais aussi l´espèce de nimbe diffusé et répété sur toute la surface de la feuille. Pour conserver sa trace comme on cherche à geler dans la texture de la photographie la présence de l´aimé, la main de l´artiste a regratté et strié le Gisant et ses formes auratiques à l´aide de traits subliminaux en hachurant la surface de fibrilles translucides.

Les biffures qui rayent l´image fixent ainsi son apparition. Elles ont pour dessein de commémorer la figure et de lui rendre ses pouvoirs à mesure qu´elle se dérobe.

Ceccarelli est le scribe de cette impossible retenue. Si sa passion prédominante est la disparition, l´effacement du visage de l´être aimé et l´insaisissable fourbi cellulaire du vivant, s´il est chaque jour aux prises avec les « Petites formes » qui s´agitent dans tous les sens, les petites perceptions du quotidien, « Petits chiens » énergumènes qu´il a, dit-il, drôlement, à l´œil et qu´il s´agit d´attraper comme des poulpes ou des phasmes dansants, l´œuvre de l´art, nous dit-il, est bien la tentative contradictoire de fixer ce qui échappe et d´échapper à ce qui nous rive sur place et nous assigne au jeu des identités immobiles.


X.G.


« Ceccarelli »
texte de Frédéric Valabrègue
octobre 2009 aux Editions André Dimanche



Ceccarelli, roman