Choix du NUMÉRO
J.S.O. n°045
THERMIDOR 2010


Armelle Kerouas



BEN : UN INVENTERRE / par Antoine Simon
Moquet - L’archaïsme de l’animal dans le savoir savant de la peinture / par Bernard Muntaner
Château d’Avignon - D’après nature / par Françoise Rod
American Gallery - Ambiguity is beautiful* / par Julien Blaine
ATELIER SOARDI Jean-Christophe Nourisson - HORS-CHAMPS / par Cécile Mainardi
L’ultima volta - Per Gianni Bertini / Sarenco (traduction Julien Blaine)
Sarenco, Julien Blaine, Gabriele Rosa : Mon idée est d’associer à...
Georges Bru à La Villa Tamaris / Propos recueillis par Serge Mistichelli
Galerie Catherine Issert - Gérard Traquandi / par Xavier Girard
En route pour le Québec - Commissariat Meyer / par Antoine Simon
L’OURSIN / par Liliane Giraudon
Les 8èmes Conviviales des Arts Dojo de la Seyne sur Mer - Parcours de scènes / par Madeleine Doré
Marseille-Provence 2013/MuCEM - Imaginez maintenant ? / par Françoise Rod
Gilles Miquelis - Galerie Sintitulo - beyond the valley of the dolls / par Cécile Mainardi
Espace d’art Le Moulin - MATALI / par Xavier Girard



SOMMAIRE

BEN : UN INVENTERRE



BEN, «Les artistes se donnent trop d’importance», 1971, 69 x 97 cm, Acrylique sur toile - Collection Bischofberger-Zurich, © photo : galerie Bruno Bischofberger-Zurich, © Adagp-Paris, 2010
BEN, «Les artistes se donnent trop d’importance», 1971, 69 x 97 cm, Acrylique sur toile
Collection Bischofberger-Zurich, © photo : galerie Bruno Bischofberger-Zurich, © Adagp-Paris, 2010


BEN : UN INVENTERRE
par Antoine Simon


Pourquoi ce titre ? Parce que Lyon présente en rétrospective un inventaire des inventions de Ben qui justement a tout inventé sauf le ciel : pas de métaphysique chez lui, aucune échappée vers une quelconque spiritualité. Mais alors pour ce qui est des choses d’ici-bas, chaque idée pourrait se décliner en une oeuvre complète, ça part dans tous les sens, c’est limite exhaustif. Le premier étage recense de nombreuses interventions de jeunesse dans une présentation relativement rigoureuse et commissariale (Jon Hendricks). Les deux autres niveaux laissés aux bons soins de Ben lui-même sont un fouillis dans lequel lui seul se retrouve, mais on s’y perd avec délectation.
Ces outrances sont nécessaires, qui remettent les choses en place à intervalles réguliers, depuis les zutistes en passant par les dadaïstes, puis les surréalistes pour arriver aux fluxistes (gens de fluxus) dont Ben fait partie. Aller parfois trop loin permet d’équilibrer, c’est le système marchand de tapis de l’art dont les retombées sur le social, si elles sont difficilement quantifiables, paraissent évidentes le temps aidant.
Ainsi des premières années où Ben signe tout ce qui lui tombe sous l’esprit : une poule, un coup de pied, un paysage, Dieu. C’est du conceptuel direct, immédiat, irréfléchi, tellement irréfléchi qu’il a fallu longtemps pour se rendre compte que ça n’était pas que plaisanterie. D’ailleurs c’est Paul Valéry qui dit que seuls les sots pensent qu’un jeu de mots n’est pas une réponse. Actualité encore brûlante de ce genre d’inventions que certains redécouvrent en croyant innover : l’art c’est la vie, tout est art, des slogans de fer sur une main de velours, car tout est bon, même ce qui existe déjà : le nouveau c’est aussi la réappropriation de l’ancien, Ben signe des tableaux faits par d’autres, son énergie perdure et tout reste possible : qui saura compter le nombre de cordes de son art ? Tout Ben est art, tout art est Ben, toute sortie est définitive. Ben à tout faire a tout fait, tout est art plus que tu ne penses, tout est art dit la grenouille en manque de bénitier. Que dire de Ben, sur Ben, il a déjà tout dit lui-même de lui-même sur lui-même, tous les magazines plus ou moins proches de l’art ont disséqué cette rétrospective lyonnaise. C’est un strip-tease intégral, plus qu’intégral, qui rappelle cette histoire d’Alphonse Allais dans laquelle le sultan fait déshabiller la danseuse et lorsqu’elle est nue demande qu’on poursuive le déshabillage jusqu’à ôter l’épiderme, puis le derme, puis les muscles, puis les os...

BEN, «Je signe rien», 1960/1966, 46 x 61 cm, Acrylique sur toile - Collection de l’artiste, Nice, © photo : Eva Vautier, © Adagp, Paris, 2010
BEN, «Je signe rien», 1960/1966, 46 x 61 cm, Acrylique sur toile
Collection de l’artiste, Nice, © photo : Eva Vautier, © Adagp, Paris, 2010

Que reste-t-il alors de Ben ? Tout et son contraire (tuot) : l’art c’est la vie (comme Rrose). De Duchamp à Ben c’est de l’objet approprié (ready made) au geste déclaré oeuvre d’art, la ligne est directe. Chez Ben l’art prend la forme de tout ce qui se produit au dehors et en lui, jusqu’à la jalousie, l’envie, la peur de la mort, tout ça.
Il y a le premier barreau sur l’échelle de la sagesse avec la reconnaissance de son ego démesuré. Mais voilà, comme il est dit au début ça ne débouche pas sur autre chose que cette reconnaissance. Dénoncer le faux : l’ego comme maître, demanderait à poursuivre la recherche pour arriver à l’affirmation du vrai : ce qui est est. Mais voilà, il y a en permanence l’ego entre ce qui est et le fait que ce soit. L’ego n’est pas, n’a jamais été l’ennemi à abattre comme une interprétation erronée des traditions orientales a pu le faire croire. Non, l’ego c’est comme l’argent : un bon serviteur mais un mauvais maître, et passer sa vie sous sa coupe c’est rater le coche. Du coup la recherche de la vérité se cantonne au social, aux problèmes ethniques, politiques, et à la question de l’art.

BEN, «Regardez moi cela suffit», 1962
BEN, «Regardez moi cela suffit», 1962

Mais bon, qui peut parler de Ben mieux que lui-même ? Alors, en bonus à l’exposition du MAC de Lyon, des idées de Ben qu’il n’a pas retenues (tirées de sa newsletter du 18 - 01 - 2010)

DES IDEES POUR LYON
Voici tel quel trouvé dans mon carnet «idées pour Lyon»


IDEE ESPACE COIN STUDIO CINEMA
Venez tourner un film de cul avec Ben
avec décor lit à baldaquin
fouet et moustiquaire
menottes, chaînes et miroirs,
caméra sur pied
projecteurs etc.
PRETS POUR LE CASTING

IDEE POUR LYON
Un espace scène de ménage
avec piles d’assiettes où les couples
fâchés pourraient venir se jeter des assiettes à la tête. (Irréalisable)

IDEE POUR LYON
Tout le monde reçoit
un ticket d’entrée numéroté
le 1er avril on tire au hasard
un ticket gagnant qui donnera le droit à une nuit
avec Ben au lit dans le musée.
Bien sûr je prends des risques :
je pourrais tomber sur un vieil homosexuel de 77 ans

IDEE POUR LYON
Grand matelas de 12 sur 12
avec une énorme couverture imperméable dessus,
les gens peuvent se glisser sous la couverture,
viagra offert à l’entrée,
ça s’appellerait le «bénodrome»

IDEE POUR LYON
Une baignoire,
une pièce qui s’appelle «ball trap»,
une balançoire,
une chaise gynécologique qui s’appelle «la vérité»,
un tonneau à boire avec les jambes autour,
une sculpture de Diogène cherchant la vérité
un très grand miroir 1m50 sur 2m (à peu près)

IDEE POUR LYON
J’ai toujours été jaloux de Bukowsky et de Gainsbourg.
Pourquoi pas un espace grossier
presque méchant
où chacun peut être méchant

IDEE POUR LYON
Installer trois caravanes
avec des péripatéticiennes trouvées devant la Biennale
du côté de la Sucrière
et les faire travailler pour Raspail et Prat
au troisième étage du Musée.

IDEE POUR LYON
Un espace «tatou»
Faites vous tatouer sur le corps la phrase
«c’est du sous Wim Delvoye» signé Ben

IDEE POUR LYON
un espace : défilé
où chacun pourra défiler
pour le plaisir de défiler
et se faire photographier.

IDEE POUR LYON
Fouiller les gens à l’entrée
avec certificat de fouille
vieille idée et puis
on ne sait jamais il peut y avoir une femme terroriste
qui aimerait se faire sauter.

IDEE POUR LYON
Idée pour Lyon ce matin :
des grandes affiches partout dans la ville
«je vous emmerde à pied à cheval et en voiture»
signé Ben
Annie trouve cela trop grossier

IDEE POUR LYON
Un espace One vision
vous pourrez vous déshabiller et
changer de tenue sans
que les gens vous voient.

IDEE POUR LYON
Un espace cirage de pompe
où vous pourrez cirer vos chaussures,
sachant de l’art n’est qu’une forme de cirage de pompe.

IDEE POUR LYON
Les croix de pharmacie
avec le texte
«Croix de bois croix de fer
si je mens je vais en enfer»


...etc
il y a encore 100 idées



A.S.


Retrospective Ben - Strip-tease intégral .
du 3 mars au 11 juillet 2010
Musée d’art contemporain de Lyon
Cité internationale, 81 quai Charles de Gaulle
www.mac-lyon.com www.mac-lyon.com


BEN : UN INVENTERRE


SOMMAIRE

Moquet - L’archaïsme de l’animal dans le savoir savant de la peinture



Patrick Moquet, «Story Box VII (indiscrétions)», 2010, Acrylique sur toile, 195 x 260 cm
Patrick Moquet, «Story Box VII (indiscrétions)», 2010, Acrylique sur toile, 195 x 260 cm

L’archaïsme de l’animal
dans le savoir savant de la peinture.
par Bernard Muntaner


Lors de sa première exposition en 2005 à la Villa Tamaris, la série des Barques et des grandes Natures mortes convoquait l’idée du paysage et, par là, l’idée d’un hors champ de l’œuvre. La série intermédiaire des «Cabanes», présentait des espaces fermés dans un espace ouvert. Pour cette exposition, la série des Story Box, s’intéresse à un espace «fermé»...
Le regard précédent qui ouvrait les bords du tableau, se concentre ici dans un lieu circonscrit : une boîte... Évocation de la perspective de la Renaissance, et de la camera obscura qui recueille les images de la réalité objective. Mais dans ces toiles les images se télescopent de façons incongrues, inobjectivées. Tout cet entremêlement à la polysémie débridée invite le spectateur à construire une pseudo narrativité. Nous découvrons dans cet espace Renaissant des incohérences. Les perspectives sont fausses, nulle convergence vers un point central, les ouvertures présentes sur chaque côté appartiennent à de multiples points de vue. Nous soulignerons cet anachronisme, cette équivocité, ces fausses pistes, ce que j’appellerais ces ruptures. Car rupture il y a ! Dans tous les tableaux de la série Story Box, la pénétration de l’image de l’animal est une incursion quasiment violente dans l’espace pictural qui est bousculé à plusieurs niveaux. Patrick Moquet connaît l’histoire de l’Art et plus particulièrement l’histoire de la peinture. L’animal, porteur d’archaïsme, viendrait-il ici déraisonner le savoir, fragiliser la rigidité du cultivé, remettre en cause l’incontournable maîtrise académique du «métier» de peintre, et tenter de rompre avec je ne sais quels liens ? L’animal jaillit de nulle part dans la toile, comme on lance un pavé dans la marre pour y faire des ronds, c’est à dire pour animer par une onde de choc une surface plane, immobile, une eau dormante. S’agit-il d’un état latent de la peinture qui interpelle l’artiste ? Car dans ses tableaux, il y a des références à l’histoire de l’Art, et à la Peinture, comme ces citations plus directes aux peintres (et quels peintres !), que sont Chardin, Goya, Courbet, Manet, Monet. Manifester par là, la présence d’un «dit» dans le tableau que l’artiste chercherait à dé-dire. Son Panthéon et son patrimoine référentiel, Moquet les exhume, et les exhibe, mais il leur envoie une horde de cerfs (il s’agit ici d’impalas), pour perturber les espaces plastiques et sémantiques conventionnels, lesquels animaux agitateurs deviennent à leur tour la proie et la cible : du peintre, assis à gauche (référence à Courbet en train de peintre L’hallali du cerf), qui le «capture» en le dessinant, et du personnage de droite qui semble lui tirer dessus. Dans Story Box I, (Pêche, chasse, barbecue et autres divertissements), le poisson, à la bouche dévoratrice, opère de même, car il se retrouve empalé, embroché, prêt à être mangé, anéanti. L’ours blanc semble vouloir sortir d’un magma pâteux de peinture qui retient fermement ses pattes arrière, il tourne le dos à la reprise du tableau Femmes au jardin de Monet situé à droite et porte un regard absent sur l’esquisse d’un nu dans un fauteuil qui, elle, justement, ne parle pas de peinture. Le caméléon Story Box VII, (Indiscrétions), tourne sa tête vers un nu de dos de Courbet. Il ferme les yeux. Il sait que le référent artistique est «dans cette direction», mais il ne veut pas le voir. Le caméléon est métaphorique de ce qui se passe dans cette série de peintures, parce que c’est un animal qui s’adapte à l’environnement dans lequel il est. Il porte en lui à la fois l’intrusion et l’intégration dans le lieu. Comme chaque animal présent dans les peintures de Moquet, il fait «saillie» et disparaît picturalement en s’accordant à l’environnement plastique. Le grand oiseau de Volière volage, agit de même, il fragilise un état des lieux — celui de la peinture que pointe l’artiste ? —, et fait «voler» en éclat les schèmes enracinés. Il fait s’éclabousser la peinture en effervescence devant le fantôme esquissé du jeune peintre assis, emprunté à Chardin. Tous ces animaux semblent agir comme autant de phénomènes castrateurs. Châtrer la peinture pour lui enlever son pouvoir afin de mieux s’en séparer et la (se) mettre à distance pour la voir plus lisible et intelligible. Créer un écart pour bousculer la planéité du tableau enserré dans ses références et les savoirs cultivés : couper le cordon. Dans ce même tableau, la jeune fille qui soulève sa robe, serait-elle un écho érotique et contemporain de la femme que l’on voit en arrière plan du Déjeuner sur l’herbe de Manet ? Pour quelles raisons l’artiste convoquerait tous ces arrières plans de références, si ce n’est pour les disputer, les violenter, les pénétrer de l’archaïque animal qui est en nous, et pour bousculer — et régénérer —, son (notre) asphyxiante culture ? Cet état conflictuel fait questionner alors la séparation provoquée par l’association des deux châssis accolés. Il s’agit d’un faux diptyque plastique, mais d’un vrai diptyque sémantique. Cette ligne de fraction verticale est un insert visuel qui signale également une séparation qui est en jeu entre l’histoire référencée de la peinture et l’écriture d’une histoire de peinture personnelle. C’est la fraction signifiée de deux espaces temps, celui du savoir savant, et celui, psychique, de la création.

Patrick Moquet, «P.R.É.D.E.L.L.E. III», 2010, Acrylique sur toile, 22 x 108 cm
Patrick Moquet, «P.R.É.D.E.L.L.E. III», 2010, Acrylique sur toile, 22 x 108 cm

La série des P.R.É.D.E.L.L.E.S. est une succession de petits formats qui semblent toujours interroger la peinture. Contrairement aux prédelles historiques qui apportent un discours construit et détaillé, les prédelles de Moquet font s’entrechoquer les images, comme si un certain nombre de pages avaient été arrachées entre deux chapitres d’un livre. Chez Patrick Moquet, le sujet n’étant pas la narration, mais le «parler peinture», on peut proposer que ses P.R.É.D.E.L.L.E.S. doivent se lire «PRÈS D’ELLE» : elle, LA Peinture. Les animaux flirtent et se marient avec elle en y insérant un rapport de force, en s’y incluant, en se diffusant, en participant à leur tour à l’unité de ce questionnement «qu’est-ce que peindre un tableau ?».


B.M. Juillet 2010


Patrick Moquet
«La Peinture diseuse d’aventures»
du 2 au 22 juin 2010
Villa Tamaris centre d'art
Communauté d´agglomération
Toulon Provence Méditerranée
Avenue de la grande maison
83500 La Seyne-sur-mer
Tél: 04 94 06 84 00 - www.villatamaris.fr



Moquet - L’archaïsme de l’animal dans le savoir savant de la peinture


SOMMAIRE

D’après nature - Château d’Avignon



Carole Chebron, «pomme dA», 2004 , Photographie JC Lett
Carole Chebron, «pomme dA», 2004 , Photographie JC Lett

D’après nature
Domaine départemental du château d’Avignon
par Françoise Rod


Situé sur la route des Saintes-Maries-de-la-Mer, bâti par la famille d’Avignon au XVIIIe siècle, le domaine est racheté par Louis Prat-Noilly en 1893. L’esprit novateur de ce dernier transforme cette bastide en un des premiers bâtiments à disposer du confort moderne, eau courante, salles de bain, chauffage central, lumières électriques grâce à des équipements révolutionnaires pour l’époque ; une station de pompage et d’assainissement de l’eau, et une chaufferie. Classé monument historique en 2003, il a ré-ouvert ses portes en avril 2010, après des travaux de restauration. Cet été, une exposition d’art contemporain permet de mieux découvrir ces lieux qui témoignent des idéaux de la fin du XIXe siècle. Le parc et le château rassemblent une sélection de 27 œuvres ainsi que sept productions spécialement conçues pour l’exposition. En sus, à l’arrière du château, le sculpteur américain Richard Nonas dispose deux lignes de pierres blanches. Minimale, l’œuvre pérenne s’inscrit dans un projet environnemental plus vaste qui s’étendra à plusieurs sites de la région et qui sera globalement visible en 2013 dans le cadre de la capitale européenne de la Culture.
Le thème de ce parcours d’art contemporain : D’après nature, patrimoine et création contemporaine en Camargue interroge les rapports entre l’homme et la nature. Un thème qui rend hommage au domaine où la nature est partout présente, au dehors le parc, le bosquet la grande prairie, les grandes étendues de la Camargue, au-dedans, les décors d’une nature idéalisée parce que hostile à l’origine. Les visions des artistes et des designers choisis confèrent un souffle tout particulier au domaine et à l’histoire de Louis Prat-Noilly.
Devant la porte du château, le vignoble mobile de Nicolas Boulard, une parcelle 100% chardonnay plantée sur une remorque attend le visiteur. Créé suivant les recommandations datant de 1819 de Jean Antoine Chaptal en termes de sol, de climat et d’exposition, Clos mobile propose avec autant d’efficacité que d’humour, une alternative nomade aux traditionnels savoir-faire. Clin d’œil à l’activité marchande de l’ancien maître des lieux qui possédait entre autre les apéritifs Vermouth.
A l’intérieur, céramique, tapisserie, art du verre, sons, installations concourent à évoquer la présence étrange et poétique d’un monde caché. Le grand salon accueille une installation en forme d’allée en berceau de Marie Ducaté. Luxuriante, vaporeuse et colorée sa légère corolle d’étoffe plissée dialogue avec les peintures de l’atelier de Boucher enchâssées dans les boiseries de noyer.
Une aura féérique se dégage de la plupart des œuvres, à la cuisine surtout où une centaine de magnifiques pommes d’un rouge dévastateur étincellent de sensualité. Eminemment séductrice, cette œuvre odorante de Carole Chebron s’impose par sa présence silencieuse dans ce lieu stratégique de la vie féminine.
Fantasmes, souvenirs des fables d’antan sont à l’honneur. Dernières neiges, un dispositif d’objets photographiques au statut ambigu est présenté dans le bureau de Louis Prat-Noilly. Dans ce décor bourgeois et feutré, les machines à optique de Pascal Navarro ; un ensemble de stéréoscopes du XIXe siècle, des photos éparses et de grandes photos lenticulaires jouent sur le phénomène de l’apparition et de l’évanescence.
L’imaginaire ici galope comme la générosité féconde de la nature naturante. Les sculptures en polyuréthane peint de Piero Gilardi, des morceaux de forêt, des fragments de paysage plus vrais que «nature» semblent être la continuation directe des boiseries du petit salon, nature échappée, proliférant libre par essence.
Cet envol lyrique et poétique n’empêche pas l’efficacité et la performance fonctionnelle et pragmatique de certaines œuvres. Ainsi le designer Mathieu Lehanneur et le chercheur américain David Edwards, à partir de recherches effectuées par la NASA sur les composants volatiles des matériaux ont imaginé un principe innovant de filtre à air végétal aspirant les polluants gazeux et recyclant l’air grâce aux vertus purifiantes d’une plante vivante. Cet objet au design lumineux a sa place dans la grande laverie où l’hygiène était tenue en haute estime.
Presque la totalité des lieux sont habités par un travail artistique, jusqu’au lavoir où Sophie Ristelhueber projette la force symbolique de la beauté de ses images.
Seules les œuvres exposées dans le couloir à l’entrée du vestibule restent faibles car moins intégrées à l’histoire de la demeure, les trois portemanteaux : le cactus façon BD de Drocco & Mello, les balais pour suspendre les vêtements de Matali Crasset et la fôret d’Elise Fouin réalisée à partir de chutes de bois ne s’inscrivent pas vraiment dans l’harmonie de l’ensemble.
Les meilleures pièces sont bien celles qui disparaissent au profit du lieu et avancent masquées comme l’œuvre de Pierre-Gilles Chaussonnet qui adopte tellement l’esthétique industrielle de la grande salle de la pompe qu’il est possible de passer sans la voir. Elle dialogue avec les dynamos, les tableaux de la centrale électrique et la célèbre pompe Dumont primée aux expositions universelles du début du XXe. Ses «machines paysages» sortes d’engins mécaniques construits à partir d’objets usinés et déclassés dégagent une forte tension poétique.
Toutes les œuvres sont choisies avec soin, les deux commissaires ont même inséré un petit joyau de l’artiste mythique Bas Jan Ader qui disparût en mer à l’âge de 33 ans au cours d’une action artistique, une vidéo toute simple où l’artiste vêtu de noir arrange un bouquet dans un vase en séparant soigneusement les fleurs en 3 couleurs primaires.
Les expositions thématiques confrontant patrimoine et création contemporaine foisonnent depuis que le gouvernement privilégie le financement de ce secteur. C’est vrai que l’art n’a pas besoin de château pour exister mais lorsque, comme ici des œuvres contemporaines arrivent à fusionner jusqu’à transcender leur lieu d’exposition cela vaut vraiment la visite.


F.R.


d’après NATURE
du 26 juin au 31 octobre 2010
Domaine départemental du château d’Avignon
Organisée par le Conseil Général des BdR
Commissariat Agnès Barruol, Véronique Baton
En partenariat avec
le fonds régional d’art contemporain Paca
et les associations :
«Voyons voir», Aix-en-Provence
«Ateliers archipel en Arles»
«Art en résidence», Saint-Rémy-de-Provence



D’après nature - Château d’Avignon


SOMMAIRE

Ambiguity is beautiful*



...
...

Ambiguity is beautiful*
par Julien Blaine


Je rentrai là, dans un jardin sur les hauteurs de la Corniche, à l’aplomb de la fausse monnaie, rue des flots bleus chez Pamela King qui venait de créer son nouvel espace :
The American Gallery
dans la salle du fond au-dessous du jardin Patrick Guns présentait une vidéo et quelques images à «propos» des derniers repas des condamnés à mort (je cite) :
Il y a quelques année je découvrais que les derniers repas commandés par les condamnés à mort (...) étaient accessibles et lisibles sur le site Web du département de la justice du Texas.(...) j’ai proposé à un Chef de grande renommée, (...) de choisir un repas selon son affinité culinaire. (...)
Cette présentation de son travail s’accompagne de quelque commentaires que je n’ai pas retenus mais que vous pourrez retrouver sur son site :
www.patrickguns.com
ou sur ceux des galeries qui présentent ce travail :
la galerie of Marseille en association avec la galerie Polaris.
Immédiatement me sont revenus à l’esprit cette campagne de United Colors of Benetton : des portraits des condamnés à mort et plus encore les portraits des regards des condamnés à mort Made in USA...

En légende :
It’s hard to keep on hoping every day
(c’est dur de garder espoir chaque jour)
avec cette autre précision :
we, on the death row
(nous, dans le couloir de la mort)
et sous chaque portrait au-dessous du logo Benetton :
sentenced to death
(condamné à mort)

Ainsi une marque italienne de maille et de tricots peut faire «sa» publicité et préparer sa nouvelle collection automne-hiver sur des photographies de condamnés à mort américains
A quoi je pense ?
comment j’y réfléchis ?
une superbe habilité ?
une magnifique idée ?
cette campagne pourrait-elle comme le prétendit le photographe Oliviero Toscani viré de Benetton après cette campagne...
un cynisme cupide ?
une dénonciation d’une barbarie toujours en «pratique» ?
En tout cas le résultat est fort, d’autant plus dur qu’au bas de la photo on donne l’identité du condamné, sa date de naissance (certains sont encore des adolescents), son crime et la manière dont Il sera exécuté...
ça c’est l’histoire d’Oliviero Toscani, un photographe publicitaire qui se proclame artiste. Et me voilà dans le jardin américain de la galerie américaine...
A quoi je pense ?
comment j’y réfléchis ?
une superbe habilité ?
une magnifique idée ?
cette exposition pourrait-elle comme le prétend l’artiste Patrick Guns une apologie de la Vie face à la mort décidée ?
un cynisme cupide ?
une dénonciation d’une barbarie toujours en «pratique» ?

Partick Guns, «My last Meals / Hastings Arthur Wise - South Carolina - Nov.4, 2005 / Peter Goossens - Kruishoutem - May 10, 2007», C-print, 75 x 125 cm, 2007
Partick Guns, «My last Meals / Hastings Arthur Wise - South Carolina - Nov.4, 2005 / Peter Goossens - Kruishoutem - May 10, 2007», C-print, 75 x 125 cm, 2007

En tout cas le résultat est fort, d’autant plus dur qu’à côté de la photo du cuisinier Guns inscrit dans des typographies banales ces derniers menus réclamés. des menus modestes et simples le plus souvent. Ça c’est l’histoire de Patrick Guns, un artiste belge plutôt vidéaste que plasticien.
J’ai trouvé dans ce rapprochement une qualité nouvelle après les thèses d’une incroyable arrogance et suffisance du postmodernisme et les futilités prétentieuses de la parodie un bel aspect de l’art contemporain en tout cas un aspect intéressant : l’ambiguïté.

Partick Guns, «My last Meals / Hastings Arthur Wise - South Carolina - Nov.4, 2005 / Peter Goossens - Kruishoutem - May 10, 2007», C-print, 75 x 125 cm, 2007
tPartick Guns, «My last Meals / Hastings Arthur Wise - South Carolina - Nov.4, 2005 / Peter Goossens - Kruishoutem - May 10, 2007», C-print, 75 x 125 cm, 2007


*l’Ambiguïté est belle



J.B. Juillet 2010



Ambiguity is beautiful*


SOMMAIRE

Jean-Christophe Nourisson HORS-CHAMPS à L’ATELIER SOARDI



Jean-Christophe Nourisson, vue d’ensemble : «Corridor», «Hors-Champs» - au mur : «Résidus», 3 photogrammes, 76 x 76 cm, 2010, Photographie J-C Nourisson
Jean-Christophe Nourisson, vue d’ensemble : «Corridor», «Hors-Champs»
au mur : «Résidus», 3 photogrammes, 76 x 76 cm, 2010, Photographie J-C Nourisson


HORS-CHAMPS
Jean-Christophe Nourisson

par Cécile Mainardi



«Chaque instant se définit par des visions éphémères et des impressions fugitives,
dans un univers en perpétuel devenir»
                  (à propos des jardins chinois)




L’exposition «Hors-champs» que propose Southart et l’atelier Soardi nous fait découvrir le tout dernier travail de Jean-Christophe Nourisson sur les jardins chinois. L’artiste travaille depuis 2007 autour de ce motif, qu’il a déjà décliné lors d’une précédente exposition en Allemagne à la galerie Voss.

Ainsi, à l’occasion de cette revisitation conceptuelle et poétique de ces millénaires jardins, toute une réflexion de l’artiste s’organise autour des notions d’espace abstrait, de rapport au langage, de cinématique et d’architectonique, qui donne lieu à une exposition complexe, subtile, déroutante, limpide et intrigante tout à la fois. Cette dernière en effet, toute en ductilité phénoménologique, se déplie à partir d’un dispositif architectural, à la fois sculpture et promenoir scopique : une passerelle/ou pont en bois, d’un équilibre architectonique d’une exquise douceur et d’une très suave ergonomie/harmonie invite le spectateur à s’y promener, s’y asseoir en autant de points possibles, à simplement s’y tenir, immobile, ceint de l’espace visuel environnant, «et lui-même vu du dehors, tel qu’un autre le verrait, installé au milieu du visible»1. Désorganisant et réorganisant à loisir l’espace de la galerie, ce promenoir se donne également comme un sorte de promontoire d’observation, fixe ou déambulatoire, de toutes les surfaces d’exposition alentour : de l’immense monochrome en laine de verre, (sfumato de jaune coquille d’oeuf et de blanc) recouvrant tout le mur du fond, sans plus laisser régler sa distance, aux sporadiques plaques noir et blanc, semi-laquées («photogrammes» des pierres de Liuhu, et «résidus» —comme il les appelle— des ouvrages dits «des pavillons de coupes flottantes») qui parsèment les deux autres murs —D’où d’ailleurs, pour le grand panneau, le nom d’ «emprunts de vue N°1», tout droit venus de l’expression de «paysages empruntés», qui se rattache à cette antique technique paysagiste destinée à donner l’impression d’un jardin aux dimensions infinies (il n’y a effectivement aucune mise au point possible sur ce vaste plan de laine de verre, «dé ou a-perspectivé», et nonobstant «capturé» dans la composition d’ensemble — incendie boréal).

Jean-Christophe Nourisson, premier plan : «Corridor», 7,20 x 4,20 x 2,50 m , 2010 - au mur : «Hors-Champs», laine de verre, 45 m2, 2010, Photographie J-C Nourisson
Jean-Christophe Nourisson, premier plan : «Corridor», 7,20 x 4,20 x 2,50 m , 2010
au mur : «Hors-Champs», laine de verre, 45 m2, 2010, Photographie J-C Nourisson

Mais, plutôt que de parler de revisitation, on pourrait se risquer à parler de «visitation», si l’on garde à l’esprit la connotation spirituelle et sacrée dont sont emprunts de tels jardins
(«Bien que tout ceci ne soit qu’une création humaine, elle peut paraître œuvre du Ciel», Ji Cheng). Souvenons-nous que les jardins chinois, à l’instar des poèmes et de la calligraphie appartiennent aux arts sacrés...
Jean-Christophe Nourisson se proposant de ré-orienter l’espace d’exposition sur celui de flânerie zen de ces jardins magiques, rebascule sans doute celui-ci du côté d’une résolue immancence, notamment matériologique, mais ne cède néanmoins rien quant à l’appel d’un mystère équivalent, voire en constante recrudescence...
Ainsi voué à un questionnement hors-classe, hors-genre, proprement «hors-champ», dont la réponse ne peut que repasser par la convocation d’un secret dont il nous fait les spectateurs ébahis, il oscille constamment entre esthétique et symbolique, ancien et palpable, hermétique et offert, lisible et crypté, et parvient à mettre en place un lieu d’instabilité captivante/fascinante, un espace à la lecture parcellaire, comme ré-enchanté. Et ce n’est le moindre des talents de l’artiste, que d’en réinitialiser —parce qu’à chaque vision éphémère et fugitive d’un espace en perpétuel devenir— l’énigme à l’infini.


(A noter qu’une commande publique pour l’Université de Saint-Jean d’Angely sera installée au début de l’été : une trentaine de pièces —qui s’apparentent à du mobilier urbain— prévues, et un espace public imprévisiblement promu à un politique et poétique ralentissement.)


1 Merleau-Ponty cité par Stéphane Lojkine qui écrit : «Le scopique est donc l’expérience d’un enveloppement ; la distance tombe, mais en même temps la conscience de la distance (je regarde, je suis regardé) n’a jamais été si grande.»


le mystère abstrait/le dessein irrévélé/


C.M.


HORS-CHAMPS
Jean-Christophe Nourisson
Du 4 mai au 19 juin 2010

L’ATELIER SOARDI
8, rue Désiré-Niel
F-06000 NICE
Tél: 04 93 62 32 03
geraldine@soardi.fr
www.soardi.fr

association SOUTHART.FR
infosouthart@gmail.com
Tél: 06 81 67 55 93



Jean-Christophe Nourisson HORS-CHAMPS à L’ATELIER SOARDI


SOMMAIRE

L’ultima volta - Per Gianni Bertini



Gianni Bertini
Gianni Bertini

L’ultima volta
La dernière fois

(Per Gianni Bertini)
(Pour Gianni Bertini)



L’ultima volta che ci siamo visti,
La dernière fois que nous nous sommes vus

Io, te e Julien,
Moi, toi et Julien

Per via di uno spettacolino
A Partir d’un petit spectacle

Che abbiamo fatto in tuo onore,
Que nous avions fait en ton honneur

Abbiamo ancora e sempre discusso
Nous avons encore et toujours discuté

Della lotta, la nostra poetica
De la lutte, de notre poésie,

Lotta che non fa prigionieri
Lutte qui ne fait pas de prisonnier

Ma che ci ha portato
Mais qui nous a porté

Lontano, oltre la brughiera
Loin, au-delà du Landerneau

Pubblicitaria, per non ritrovare
Publicitaire, pour ne pas se retrouver

Se stessi, per cancellare
Que soi-même, pour effacer

Una storia dell’arte
Une histoire de l’art

Che non e’ vita
Qui n’est pas vie

Ma carriera economica.
Mais carrière économique.


L’ultima volta che ci siamo visti
La dernière fois que nous nous sommes vus

E’ stata, purtroppo,
C’était, hélas,

L’ultima volta.
La dernière fois




Sarenco
(traduction Julien Blaine)



...


L’ultima volta - Per Gianni Bertini


SOMMAIRE

Gabriele Rosa : Mon idée est d’associer à...



de gauche à droite : Sarenco, Gabriella Rosa et Julien Blaine, Photo Fabrizio Garghetti
de gauche à droite : Sarenco, Gabriella Rosa et Julien Blaine, Photo Fabrizio Garghetti

Gabriele Rosa :

Mon idée est d’associer à chaque marathon national ou international une exposition d’art contemporain de haut niveau. Pour ce premier essai transformé, j’ai choisi comme partenaire la Fondation Sarenco qui a eu, et qui a, entre autres mérites celui d’organiser l’exceptionnelle Biennale Internazionale (Euro Africaine) de Malindi au Kenya. Ce projet d’associer une grande manifestation d’art contemporain à une grande manifestation sportive populaire mais moins liée aux puissances financières que le foot ball, le tennis ou le golf, s’est réalisé ici à Brescia, dans son immense et célèbre château dans d’immenses salles entre le Musée du Risorgimento et le Musée des Armes, et ce, à l’occasion du marathon de Brescia. C’est un grand succès !
Et nous allons réorganiser ce couplage partout dans le monde où se déroulent des marathons... !



Gabriele Rosa : Mon idée est d’associer à...


SOMMAIRE

Georges Bru à La Villa Tamaris



Georges Bru, «l’un dans l’autre et réciproquement», 2010
Georges Bru, « l’un dans l’autre et réciproquement », 2010

Georges Bru à La Villa Tamaris

.


En présence de nombreux artistes dont Gérard Eppelé, Franta, Jean-Marie Cartereau, des Galeries Sordini et Chave ainsi que de nombreux amateurs et collectionneurs, Robert Bonaccorsi accueille Georges Bru à La Villa Tamaris pour son exposition intitulée : « l’un dans l’autre et réciproquement » Georges Bru explique ainsi sa démarche « j’ai souhaité présenter ici le résultat d’un travail de dessin réalisé pendant trois mois environ. Une de mes préoccupations a toujours été de considérer le dessin sous l’angle de son apparition et des conditions qui le font apparaître. Voilà pourquoi j’ai posé comme postulat « le faire et le comment c’est fait » et décidé d’entreprendre un travail de dessin en continu en m’imposant une contrainte de départ, comme le font systématiquement les membres de l’Oulipo. La contrainte était de réaliser un maximum de dessins sur une unique feuille de papier et de photographier dans l’ordre de leur réalisation tous ces dessins apparus successivement ainsi que leurs différents états intermédiaires. À partir de ces photographies, j’ai réalisé 220 impressions numériques sur une imprimante jet d’encre en utilisant un papier d’une texture à peu près identique au vélin d’Arches utilisé pour les dessins. Cet accrochage des impressions numériques présentées en continu figure l’ensemble de ce travail méthodique et justifie le titre de l’exposition en montrant clairement que ce travail de dessin peut s’ordonner dans un sens ou dans l’autre ».


Propos recueillis par Serge Mistichelli


Villa Tamaris
Toulon


Georges Bru à La Villa Tamaris


SOMMAIRE

Gérard Traquandi à Saint-Paul-de-Vence — Galerie Catherine Issert



Gérard Traquandi, Sans titre (tra0627 et tra0630), 2010, Céramique en Terre cuite, 40 x 40 x 10 cm, Sans titre (tra0323B), 2009, Résino pigment type, monotype, 240 x 180 cm, Sans titre (tra02g01), 2010, Huile sur toile, 230 x 410 cm, Sans titre (tra0632), 2010, Céramique en Terre cuite, H 73 x D 44 cm, Sans titre (tra02g06), 2010, Huile sur toile, 100 x 81 cm - Photographie François Fernandez - Courtesy Galerie Catherine Issert
Gérard Traquandi
Sans titre (tra0627 et tra0630), 2010, Céramique en Terre cuite, 40 x 40 x 10 cm
Sans titre (tra0323B), 2009, Résino pigment type, monotype, 240 x 180 cm
Sans titre (tra02g01), 2010, Huile sur toile, 230 x 410 cm
Sans titre (tra0632), 2010, Céramique en Terre cuite, H 73 x D 44 cm
Sans titre (tra02g06), 2010, Huile sur toile, 100 x 81 cm
Photographie François Fernandez - Courtesy Galerie Catherine Issert


Gérard Traquandi
par Xavier Girard


Une toile de grand format comme il les aime depuis la découverte de l’expressionnisme abstrait, des céramiques murales comme il en modèle à Aubagne chez Ravel, des dessins sur papier japon, des tableaux, assez peu finalement mais présents comme s’il n’était pas nécessaire de les accrocher en nombre pour que la peinture soit au rendez-vous : la première exposition de Gérard Traquandi chez Catherine Issert avance sans peser.

Rhétorique dans l’exécution, l’artiste est intarissable sur sa façon de procéder —il fallait l’entendre devant Pagès qui l’interrogeait sur la technique de projection utilisée. La manœuvre des opérations est à la fois concertée et déprise des savoirs accumulés. Appel aux différents «états» du tableau, réjouissance dans la fabrique des fonds. Précision du geste et indétermination mêlés. Pluie noire sur la préparation du vert cendré. Déposition, lenteur, empreinte, renversement inaugural.

On ne comprend rien à la passion de Traquandi si on n’entre pas dans les régions secrètes de la peinture. Dans ses raisons éperdues, de plus en plus mystérieuses à mesure que sa pratique se raréfie. Mais pratique dont certains renouvellent le jeu sous une apparence d’archaïsme. Pourquoi l’aventure, en la circonstance, nous touche-t-elle autant ? Parce qu’elle émet des signaux lumineux qui nous viennent toujours et encore du peintre, de son action physique, de l’implication d’un regard, d’un certain goût et d’une histoire de peinture ? Parce que l’économie de moyens mobilisés —leur diversité, les essais, les tentatives, les pas de côté qu’elle suppose— met Traquandi à l’abri de la confusion habituelle du «métier» et de l’art ? Parce que la critique qu’on lui a faite d’une forme d’éclectisme tombe d’elle-même pour peu qu’on y regarde à deux fois ? C’est probable.

Ou bien parce qu’elle interroge toujours et en tout lieu le «lieu inaccoutumé» selon le mot d’Empédocle où nous errons face à l’œuvre d’art ? Interrogation, faut-il le préciser qui ne connait d’autre mémoire que celle des émotions, d’autre fidélité que la relation aux autres arts : la photographie pratiquée comme une autre peinture, la céramique comme une façon de faire autrement de la peinture et une manière de sculpture, peinte le plus souvent dans le relief du toucher et la pression des mains, le dessin comme un buissonnement de traits que le papier s’assimile et transfigure, l’architecture convoitée, attendue, qu’un jour prochain Traquandi finira bien par pratiquer tout en peignant.

Aussi on ne peut qu’être saisi par cette tentative de tout reprendre, de tout organiser —le quotidien même, une conjonction d’ateliers— à partir de la peinture. Peu nombreux les artistes pour qui elle est à ce point la cheville qui tient toute la charpente, la clé de voûte, l’explication d’une vie. Il est des moments de l’œuvre plus convaincants que d’autres, il est des voies divergentes ou interrompues et reprises, des engouements, des tentations trop manifestes, mais au bout du compte, le fil de l’œuvre passe par elle. Et c’est le mérite de cette petite expo que de le rappeler, avec la force des ouvrages imprévisibles.

Traquandi ces mois derniers dans sa chapelle aixoise peint des crucifixions. Ceux qui imaginent un changement d’attitude, se trompent bien sûr. S’il paraît extraordinaire à certains de voir un tel thème surgir après la série d’empreintes, exposées récemment, c’est faute de reconnaître sous le voile de Véronique l’empreinte de la seule passion qui vaille la peine d’être représentée, celle de la peinture déposée à même la toile, afin qu’on la voie.


X.G.


Gérard Traquandi
du 14 mai au 26 juin 2010
Galerie Catherine Issert
2 route des serres
F-06570 Saint-Paul-de-Vence
Tél : 04 93 32 96 92
www.galerie-issert.com



Gérard Traquandi à Saint-Paul-de-Vence — Galerie Catherine Issert


SOMMAIRE

Carte blanche à Jean-François Meyer - «En route pour le Québec»



Marina Mars, «7 têtes de Christ»,  installation, 2001, Support en bois, masques en plastique d'injection, photographies, ampoules
Marina Mars, «7 têtes de Christ», installation, 2001, Support en bois, masques en plastique d'injection, photographies, ampoules

Commissariat Meyer
Antoine Simon


Ca fait feuilleton policier, il suffit d’angliciser le titre de l’exposition pour qu’elle devienne un épisode : On the Quebec Road.

On est tout de suite dans l’ambiance, la caméra se déplace sur la facade d’une friche industrielle puis pénètre dans un tunnel d’obscurité qui débouche dans une sorte de grotte volontairement mal éclairée. A droite nous découvrons une chaise torturée dont les barreaux sortent du corps pour accuser leur bourreau, un certain fifou, surnom de truand sans doute, qui porte ses interrogations sur les temps, les différents temps que nous vivons, sachant que nous en vivons un seul à la fois, le présent, les autres n’étant qu’imagination : le passé se réinvente et le futur se suppose. Pour clarifier les choses, son forfait accompli, l’homme a laissé une bouteille à la mer sur la chaise, un indice de l’Antérieur (c’est écrit dessus), un message à décrypter pour l’enquêteur.

Un autre forfait contre le mur, des masques d’animaux écrasés par Julien Blaine, cérémonie barbare sans doute, les animaux nous symbolisent, voir Lafontaine et autres, qui sont les victimes ou les proies de ce prédateur-là ? Qui dénonce-t-il ?

Julien Blaine, séries des masques - fifou, «au temps de», bois plomb papier
Julien Blaine, séries des masques - fifou, «au temps de», bois plomb papier

Dans le fond de la grotte, à gauche, une apparition fomentée par Marina Mars, sept visages de lumière, un christique au centre, les six autres de part et d’autre, montés sur des corps de bois minces : curieux miracle que le temps court, quinze jours, a produit, les six corps de bois sous l’effet de l’humidité se sont penché vers celui du centre. Le Christ serait-il désigné comme coupable ou comme rédempteur ? Il fut bien les deux dans l’histoire.

Au premier étage on retrouve la lumière, c’est magique, avec Georges Majerus dans la première salle : encore des indices, de très grandes photos polaroïd sur fond noir, la première peut représenter un visage (une autre victime peut-être) ou une plante (des animaux aux plantes, la symbolisation de l’humain se poursuit). En fait il s’agit de tirages ratés. On aimerait voir l’appareil qui les a pris, ça ferait une belle pièce à conviction (artistique).

Dans la pièce suivante, la plus claire, encore de très grandes photos, grandeur nature, de victimes, elles aussi sur fond noir (normal pour un feuilleton policier) : un homme en habit dont les mains sont invisibles (coupées peut-être) portant un masque blanc inexpressif (l’homme au masque de fer blanc ?) Un masque qui semble être plutôt de porcelaine ou de papier mâché, mais allez savoir, il faudra une autopsie pour le déterminer. Deux autres cadres, deux autres victimes, des femmes cette fois, c’est tellement plus facile : la première, indienne ou arabe, porte une longue jupe noire qui se confond avec le fond, un filet noir lui couvre la tête et le buste, son bras droit barre le buste, cache dévoile les seins, la deuxième, peut-être la même, est dénudée du bas, ses mains se croisent juste pour laisser apparaître un peu de son sexe, tout le haut du corps et la tête sont recouverts d’un tissu noir qui lui aussi se confond avec le fond. Les choses se précisent, les victimes prennent corps.

Bernard Pesce, série «raconter moi votre histoire»
Bernard Pesce, série «raconter moi votre histoire»

Dans la salle du fond les photos de Daphné Boussion apportent des précisions sur les circonstances du crime supposé. Il s’agit de trois diptyques très bavards : le premier montre un paysage forestier, le second un immeuble ancien avec angle, facade de face (oui). Les deux lieux proposent la même verticalité, le même mystère derrière les fenêtres et derrière les branches. Est-ce dans cet immeuble que le pire se serait accompli ? Aurait-on ensuite transporté le/les corps dans ce bois ? Le second diptyque présente d’abord un personnage d’apparence en porcelaine (encore, mais allez savoir) baignant dans le jaune, le rouge et le bleu. Ça génère un malaise, un décalage, comme la cérémonie étrange dans le film de Stanley Kubrick, Eyes wide shut. La deuxième partie montre un plateau de table bleu sur lequel on distingue un paquet de camel, un demi-mazagran et des choses comme des copeaux, rouges, innommables. Peut-être le lieu de la bataille. La suite, la bataille elle-même ? Un bras d’homme, un bras de femme, une jambe, de la monnaie, une histoire d’amour et d’argent, d’espionnage peut-être. Le dernier diptyque : un petit oiseau mort sur une soucoupe plus un drapé, tout est dit, nature morte et linceul.

Mais peut-être est-ce tout simplement une affaire politique, Armelle Kerouas dans la même salle présente trois canevas : Hello Vichy, une chatte en vichy rose sur fond bleu blanc rouge, extrême droite pas loin jusque dans le jeu de mots, puis Hello Scarie, un chat balafré aux organes sexuels roses, enfin Hello Pussy, une chatte avec chatte. Dans le jeu politique la femme n’est jamais loin.

Florent Joliot, dans une belle video de l’étage supérieur, projetée verticalement contre la voûte, nous confirme que la victime est bien la femme, absente de cette chemise de nuit qui se gonfle dans le vent sur son fil d’étendage, qui se gonfle et devient méduse, qui inquiète et se coule partout, comme l’eau qu’on entend en décor naturel depuis la cascade adjacente, et par là-même il nous rappelle que la femme, victime, est aussi le vrai maître du jeu, comme l’affirmait déjà Charles Baudelaire dans Le Voyage :

...La femme, esclave vile, orgueilleuse et stupide
Sans rire s’adorant et s’aimant sans dégoût;
L’homme, tyran goulu, paillard dur et cupide,
Esclave de l’esclave et ruisseau dans l’égout...

Tout ceci fait une belle cohésion. Lorsque j’ai demandé à JF Meyer comment il avait sélectionné les participants à l’exposition, il m’a répondu : Je leur ai proposé de participer dans l’ordre de leur rencontre à la galerie.


A.S


Carte blanche à Jean-François Meyer
«En route pour le Québec»
du 5 juin au 2 juillet 2010
Les Perles, 19 rue Pierre Curie, 83670 Barjols



Carte blanche à Jean-François Meyer - «En route pour le Québec»


SOMMAIRE

L’OURSIN : CELUI DONT ON MANGE LES ORGANES SEXUELS



L’OURSIN
CELUI DONT ON MANGE LES ORGANES SEXUELS
...


Un livre sur l’Oursin ? Ce funèbre pou, suceur de proies à son tour sucé dans les parois les plus intimes de sa rousseur ?
Un livre d’art ? Un livre d’histoire ? De zoologie ? Un livre savant ?
Un livre fou.
Et la couverture ? Vous l’avez vue la couverture ?
Cette merveille noire scintillante dont la présence salée explosera c’est sûr sur la table des libraires.... Certains (je les vois) hésiteront avant d’y porter la main, s’interrogeant...d’où sort ce livre ?
Avertissement : «L’écrivain de l’oursin s’il existe, ne fait pas nombre et son ouvrage est presque toujours clandestin ou du genre curieux»...

Xavier Girard, Photographie Alexandre Roche
Xavier Girard, Photographie Alexandre Roche

En effet. En effet. Et comme pour rendre plus épineuse la question Xavier Girard (lequel ? l’écrivain ? le critique d’art ? le spécialiste de Matisse ? le commissaire ? le dessinateur ? le jadis ami et modèle de Louise Bourgeois ? le photographe ?...) signe son Oursin chez André Dimanche avec en suspension une explosion de corail cramoisie, détail d’une sublime toile de Monticelli. La partie s’est jouée à Marseille. Juste avant 2013.
Si «aucune femme ne refuserait de mettre au monde un petit ours» on peut se poser la question sur les raisons de celui qui a pu concevoir un tel objet dont le sujet a pour cible un animal dont l’organe sexuel corallin fait notre régal.
Dumas nous avait pourtant avertis : «On est dégoûté d’abord de ce mets, qui ressemble à du pus, et qui a le goût des écrevisses ; mais on s’y accoutume bientôt. Il donne ordinairement un petit cours de ventre à ceux qui n’en ont pas l’habitude».
Ce goût défendu comme le fruit sera par un amateur rapproché de celui du sperme. Mais un sperme qui aurait «un goût d’orange mexicaine et de cédrat poivré».
Ici le lecteur s’énerve. Vous m’aviez parlé d’un livre savant, précis, vivace, privé, à l’érudition précieuse, une sorte de baroque classique et nous voguons en pleine pornographie !... En effet. En effet. C’est qu’il y a dans ce livre une véritable beauté pornographe. En parfait accord avec son sujet. Une agglutination du signifiant à son référent. Une étreinte diurne du motif. Et il est construit de manière si intense, il occupe un genre si improbable dans ses fonctions que je ne vois pour en rendre compte que cette méthode critique expérimentale mise en place par le grand Walter Benjamin : accumuler tout au long de sa lecture une série de prélèvements et les monter, telle une mosaïque citationnelle, afin de dégager une sorte de spectre du livre.
Si organiser sa bibliothèque est une manière humble d’exercer l’art de la critique (où ranger ce livre ? dans quelle catégorie ?) la creative method benjaminienne ici proposée n’aura d’autre fonction qu’introduire un petit sécateur dans le ventre du livroursin car comme le hérisson, l’oursin s’attaque par le ventre, partie tendre et vulnérable qui se trouve être aussi sa bouche :

«L’oursin est ce qu’il est envers et contre tous. Il prospère dans le chaos et dans les failles. Sa région est cassée comme les carcasses auxquelles il s’accroche. Il faut reconnaître que la peur est l’œil de l’oursin, la parabole de toute sa vie. Il est là, logé dans la calanque de nos étés, semblable à la petite touffe de poils qui fait une ombre épineuse autour du sexe et à l’aisselle des nageurs. C’est une bête comme vous et moi. Comme les lucioles, menacée d’extinction. Un vrai glaneur de roupilles, un chiffonnier des criques. L’animal cristallise aussi la rêverie des petits personnages doubles, pour ne pas dire équivoques que nous sommes. Est oursin qui se contredit par principe. Pics au dehors, soie au-dedans, moitié figue, moitié raisin ou kaki. Je le reconnais à son armure en tonnelle et à son air étonné. Concentrer en une si petite coupole autant de piquants tient du prodige. On a envie de le comparer à un feu d’artifice et à une petite cerise sauvage. Syncope d’un sexe et d’un animal, l’oursin est un sexe sans organe ou un organisme qui se réduirait à un sexe, un blason du corps dont le sexe serait l’anatomie et qui vivrait néanmoins sa propre vie. C’était bien lui, cette tête décapitée de saint Jean-Baptiste que Salomé contemple dans l’Apparition, posée sur un plat rond comme un œil écarquillé, auréolée d’une couronne de rayons épineux, les yeux brodés de flammes. Oursin toujours, le compagnon hirsute des têtes coupées de Rubens à Géricault en passant par Redon que je recherchais fébrilement dans les livres de la bibliothèque. Une tête toujours vivante, une «tête humaine triste», qui tient tête aux humains. L’oursin est un soleil nègre. Sa couleur rouissante n’est pas neuve : comme l’éclat un peu glauque de l’huitre, elle est issue d’une alchimie de la destruction. Mais comment peindre une couleur qui rouille ? De la pulpe mouillée entre des blocs de béton ? Une flamme humide ?... Valloton peint l’imminence du désastre ou du plaisir ou les deux en un et pourtant, lui, j’en suis sûr, aurait pu peindre l’oursin. Il aurait froidement traduit ce qu’il y a de mordant et de plaisamment criminel dans nos rapports avec lui. N’étaient les pages des ouvrages de zoologie, l’iconographie de l’oursin serait sans grande postérité. Une exception dans cette longue nuit de l’oursin des temps modernes, une seule ou presque, celle d’Adolphe Monticelli qui ne se contenta pas de peindre trois natures mortes aux oursins, une en 1858 et deux autres en 1882, mais voua secrètement toute son œuvre au parage électrique de notre héros... Dali accrocha aux murs de sa maison de grands dessins de test découpés à la forme et fit tapisser par le jeune César, dans les années soixante, pour épater ses visiteurs, le fond de sa piscine en forme de phallus, d’un élégant pavage d’oursins pris dans un couche de Plexiglas...
Derrière le rempart de ses piquants, il vit retranché au-dedans d’une Méditerranée en petit qu’il promène partout avec lui comme une timbale aquatique. C’est une mer portative, une mer oxygénée, allégée, mangée, digérée et solidement défendue d’éperons. Ce qui répugne dans l’animal, ce ne sont pas les œufs — le caviar fait fureur — ou les épines, mais cette idée d’un œuf à l’état naissant, d’une glu marine non encore séparée de sa gélatine originelle, comme Redon l’avait représentée. C’est cette consistance innommable de polype accroché ou de bave primitive dont on ne sait au juste si elle est mâle ou femelle, œuf ou semence, glu en train de se métamorphoser en rocher ou l’inverse. Sa carcasse arrondie de grenade hérissée est une entité menaçante qui appelle et refuse la caresse. Pour atteindre à son espèce de cellier, il faut casser sa voute, briser le cercle. Son abri rond se révèle mais en morceaux, comme une chapelle en ruine, privée de ses arches et de ses écoinçons, dépouillée de ses fresques, dans laquelle on s’engouffre comme des pilleurs de tombes. L’orange de l’oursin est un orange «sacripant» comme cette nuance d’un rose ardent, intense, un peu violet que l’auteur de La Figue cherchait à nommer au plus juste dans le ciel d’Algérie.»

Maintenant, à l’heure de cet exercice benjaminien, c’est le printemps. Un printemps sans nioques. La saison des oursins est passée. A Cannes, le bonheur glouton des gobeurs d’oursin a laissé place à celui (plus mental) du cinéma. Le retour de Godard me console de l’absence du petit animal. C’est lui qui va m’aider à sortir de cette crique : A son énoncé «Nous n’avons que des livres à mettre dans des livres...Qu’est-ce qui se passerait si on mettait la réalité dans du livre ?» je répondrais par l’envoi de «L’oursin» et n’hésiterais pas, pour faire bonne mesure, à l’accompagner d’un cassis blanc assez frais..


Liliane Giraudon marseille mai 2010


Xavier Girard «L’oursin», Ed. André Dimanche



L’OURSIN : CELUI DONT ON MANGE LES ORGANES SEXUELS


SOMMAIRE

Les 8èmes Conviviales des Arts Dojo de la Seyne sur Mer



Lecture poétique de Nadine Agostini
Lecture poétique de Nadine Agostini

Parcours de scènes
par Madeleine Doré


Les huitièmes Conviviales des Art du Dojo de la Seyne proposait cette année un parcours d’une dizaine d’étapes. Des lieux publics et privés s’ouvrant sur un art multi-forme-informe à l’idée d’un processus. Artistes plasticiens, poètes, danseurs, comédiens se succèdent pour dérouler une suite de scènes. Un contexte performatif d’expressions où la distance entre le public et l’artiste est abolie.
Le parcours démarre à la salle du Dojo avec l’exposition de Sylvie Guimont. A l’entrée de la salle, de petites toiles formant un rectangle introduisent ses grands formats. Ornées de motifs subjuguant la figuration, ses toiles faites de multiples surfaces picturales superposées laissent place aux éclats de mémoire, aux carnations de surfaces, d’espaces introduisant la profondeur. Peut on encore parler de la peinture, est-ce d’actualité ? interroge l’artiste. Sa peinture est faite de voiles qui mettent à nu la représentation en elle-même. Restitution d’une conscience de l’inactualité de la peinture qui pousse l’artiste à exhiber cet état de fait par des couches de toiles peintes ou matières plastiques insistant sur l’acte de peindre dont chaque surface construit ses moments d’ouvertures.

Sylvie Guimont au Dojo de la Seyne sur Mer
Sylvie Guimont au Dojo de la Seyne sur Mer

L’on enchaîne au Dojo avec un extrait interactif de Noces, d’après Bertolt Brecht, présenté par les Ateliers du Paradoxe, dirigé par Francine Di Mercurio. Derrière une longue table surgit une ribambelle de têtes excentriques, aux visages maquillés en noir et blanc, agencés l’un à l’autre, déclamant les élocutions du goût, de la bouche, du palais à la langue. Une image faisant allusion à la scène biblique, est-ce une parodie des épousailles de la comédie et du burlesque ? Ou ici, en l’occurrence une rencontre entre les arts de la scène et la peinture. Puis c’est sous l’air de la marche nuptiale que la troupe convie le public à la suivre à l’extérieur pour un départ dansant. Après avoir franchi quelques ruelles et fleurté au passage avec l’action picturale histoire d’Hermina de Laure, c’est dans un petit jardin sous un soleil de plomb que Nadine Agostini nous convie. Juchée sur les premières marches d’un escalier, son récit au long souffle spontané nous engage dans son univers d’artiste, celui de la mère, de la femme qui se bat avec des poussières, avec des glissements de sens subtils, de sensuels interférences de mots de corps, d’odeurs de sueurs et de désirs déposés sur des mouchoirs blancs qu’elle offre aux hommes présents. Sous l’égide du musicien performatif Daniel Debureau, le public se déplace d’un lieu à l’autre. Il est tenu en haleine devant une résidence sur laquelle des infographies d’images de moutons de Fabienne Frossard ornent la devanture, reflétant symboliquement la posture des gens qui attendent à la queue leu leu pour entrer. A l’intérieur de cette résidence une installation domestique de tableaux vivants d’Artmacadam, s’animent lentement. Dans une atmosphère feutrée, remplie d’odeurs de nourriture, de cosmétique, les personnages d’allure rétro répètent un même geste, la femme qui repasse, passe son fer jusqu’à brûler le tissus, une autre fait des crêpes qu’elle renverse par terre, la suivante vernis ses ongles, recluse dans un coin au sol, l’autre chute dans l’escalier métallique en colimaçon, le public reste sans voix, comme ces femmes muettes, porteuses d’une tragédie quotidienne. Dans cette atmosphère l’unique personnage masculin arrive à raconter sa nuit, son obscurité sur le coin du lit et à demi nu.
Dans l’arrière cours suivante Roseline Dauban et Jasone Monoz en deux jumelles élégantes et légèrement loufoques exécutent une danse en miroir. De porte en porte, de jardin à jardin, une exposition de photomontages, une conteuse, ponctuent les étapes de cette déambulation d’art vivant. Sur le parcours les sons lancinant d’un violon attirent l’attention sur un personnage étendu à plat ventre au sol. Il est recouvert de poussière de chaux par deux jeunes gens qui agitent des tamis au dessus de lui, il se relève et disparaît. Les spectateurs traversent à la file les contours de l’ombre, clin d’œil à la silhouette classique de l’intrigue policière comme une scène jouée en temps réel. Puis le public se dirige vers la maison de Raoul Hebréard et Sophie Menuet. Nouvellement acquise leur blanche demeure devient un espace d’exposition et de présentation de leurs publications respectives. Sophie expose une sculpture vêtement, un traitement en piqué où un visage apparaît dans les plis du soyeux manteau bleu turquoise. Confluence de temps multiples, son travail reprend des savoir-faire féminins qu’elle réactualise dans un contexte qui personnalise la manière de faire et l’objet. Raoul Hebréard présente dans le jardin de l’arrière cours, Phrases Chorales. Il distribue à chaque participant deux phrases écrites par lui et Serge Baudot, puis invite le public à aller s’asseoir devant une caméra. Baudot s’improvise chef de cœur, il demande au gens de lire les deux phrases dans l’ordre qui leur convient. Avec les gestes appropriés d’un Maestro, il crée les modulations sonores requises pour les crescendo, decrescendos et arrêts brusques de cette cacosymphonie. Une action d’une dizaine de minutes qui réunit le public, afin d’en faire une pulsation de voix, un son entre le cri et la parole. Cette pièce sera projetée dans une installation ultérieure face à une femme sourde et muette déclamant les mêmes phrases à l’aide du langage des signes.
C’est sur un extrait d’Animal perplexe une création de Francine Di Mercurio présenté aux Chantiers de Lune que la ballade se termine. A la fin de ces conviviales, Eric Marro du Dojo invite les gens à la place Benoît Frachon où art visuel et actions se rencontrent dans l’espace public. Installations autour des arbres, Sophie Menuet les entourent délicatement de dentelles, Fabienne Frossard reprend son bestiaire, Jany Laborey fait trois assemblages de feuilles de papiers colorés en jaune, rouge et bleu accompagnés de ballets. Artmacadam, Acto Minore, s’immiscent dans le travail de l’un et de l’autre et s’inspirent des objets exposés pour leurs improvisations. Dans ce contexte performatif, art et vie se confondent dans un étrange amalgame de parcours croisées qui rendent complice un public à l’affût d’inusité.


M.D.


Les 8èmes Conviviales des Arts
du Dojo de la Seyne sur Mer, édition 2010
ont eu lieu le 3 juillet



Les 8èmes Conviviales des Arts Dojo de la Seyne sur Mer


SOMMAIRE

Marseille-Provence 2013/MuCEM - Imaginez maintenant ?



Jardin : collectif WAGON-LANDSCAPING & Création sonore : RadioLab, Crédit photographique François Moura
Jardin : collectif WAGON-LANDSCAPING & Création sonore : RadioLab, Crédit photographique François Moura

Imaginez maintenant ?
par Françoise Rod


Événement national en faveur de la jeune création, Imaginez maintenant a proposé à des jeunes créateurs de moins de trente ans, toutes disciplines confondues d’investir des lieux de patrimoine. Conçue pour toucher un large public, cette manifestation s’est déroulée simultanément du 1er au 4 juillet 2010 dans neuf villes de France.
A Marseille, le Fort Saint-Jean s’ouvre pour l’occasion aux jeunes créateurs qui proposent au public un parcours de découverte sonore et visuelle. Sur l’esplanade, à l’entrée, une dizaine d’étudiants de design des Beaux-arts de Marseille ont aménagé le parvis avec un dispositif d’accueil constitué d’éléments en carton alvéolaires formant différentes assises, et auvents. L’installation change au fil des jours.
Le public est ensuite invité à emprunter la montée des canons où il est littéralement bombardé par des salves de batterie, diffusées par des haut-parleurs de grande puissance. Il s’agit du morceau One du groupe de heavy metal Metallica dont chaque percussion a été isolée et est rejouée en espaçant les sonorités de manière à ce que l’intégralité de la partition soit diffusée au long des quatre jours. The wandering sound de Guillaume Gattier est un clin d’œil à Louis XIV qui ordonna d’orienter tous les canons en direction de la ville de Marseille, lors d’insurrections et un écho des sonorités des conflits dans le monde.
Entre graphisme, tags et calligraphie, aux accents de Space invaders, la frise Greco arabo latine de L’Atlas accompagne ce parcours. Sculptures ou objets de design les poubelles de Benedetto Bufalino ponctuent la visite. L’artiste a réalisé en carton, des copies conformes de poubelles. En remplissant dignement leur fonction, celles-ci posent la question de l’objet, de l’œuvre d’art, de son statut, de sa vie et de son mode de recyclage. Les œuvres commandées mettent toutes en valeur les anciennes commanderies des Hospitaliers de Saint-Jean. Nicolas Letzler projette sur la façade de la Galerie des Officiers Mapping, une animation lumineuse in situ dont l’éclairage multiplie les points de référence sur le lieu même.
Sur l’esplanade PAR[C]EN[K]IT, un jardin conçu par l’agence Wagon Landcaping est composé de trois ombrières abritant différentes espèces de la flore méditerranéenne, de fûts d’eau en plastique et de petites infrastructures en bois faisant office de scénettes pour les présentations d’art vivant, une composition paysagère mobile de trois mille plants forestiers qui seront transplantés dans un deuxième temps pour former un parc d’environ cinq hectares dans la Vallée de Séon au-dessus de l’Estaque. Les éléments du kit sont démontés et remontés par les étudiants de l’école nationale du paysage de Marseille, ils font écho au chantier du MuCEM qui après une dizaine d’années de tergiversations a finalement démarré aux pieds du Fort. Pour Marseille-Provence 2013, l’institution Pilote d’Imaginez maintenant à Marseille, l’objectif de l’événement est de préfigurer de manière contemporaine la naissance du premier grand musée national décentralisé qui fera revivre les collections du musée des Arts et Traditions populaires. Elément clef du projet de la capitale européenne, le MuCEM souhaite développer des parcours promenades avec expositions et spectacles en plein air. Imaginez maintenant nous en offre vraisemblablement, une avant première.
Rappelons que le MuCEM sera articulé autour de trois espaces ; Le Fort Saint-Jean réhabilité et ouvert au public, le môle J4 sur lequel commence la construction architecturale de Rudy Ricciotti et la création architecturale, confiée à Corinne Vezzoni sur les hauteurs de la Belle de Mai qui abritera les réserves du musée. Entre patrimoine d’hier et patrimoine de demain, ces quatre jours permettent de se mettre au goût de la création d’aujourd’hui.
Dominant Marseille, à la fois offensif et défensif le fort Saint Jean et rarement ouvert au public, se voulant symbole d’ouverture vers la Méditerranée, voué à la rencontre des civilisations, le lieu est chargé d’espoirs pourtant, admirer la ville de cet espace reste encore un privilège. Espérons que le MuCEM saura se montrer à la hauteur de ses attentes qui seront (sans exagération) de l’ordre de quinze ans si le MuCEM ouvre ses portes comme prévu en 2013.
Marseille 2013 est l’instance organisatrice d’Imaginez maintenant à Marseille comme les Subsistances à Lyon, le CAPC à Bordeaux mais la conception et l’organisation de l’ensemble de l’événement sont portés par le conseil de la création artistique dans le cadre du fonds d’expérimentation pour la jeunesse.
Le conseil de la création artistique est animé par le producteur, distributeur de cinéma, Marin Karmitz et est coprésidé par Nicolas Sarkozy et Frédéric Mitterrand, il compte 12 membres, dont une seule femme. Indépendant du ministère de la Culture, sa mission est de faire des propositions afin d’apporter des réponses pragmatiques (on reconnaît bien là les termes du gouvernement) pour développer la création artistique française et accroître le rayonnement international de nos artistes. Créé en période de crise, le 2 février dernier par le président de la république, alors que des diminutions du budget de la culture sont prévues d’ici à 2013 et chiffrées à environ 65 millions d’euros en moins, les perspectives sont inquiétantes. De plus, le financement du CCA grèverait le ministère de la culture d’une enveloppe d’environ 10 millions d’euros. Dix-huit mois après son officialisation, en s’alliant avec Martin Hirsh haut commissaire à la Jeunesse, le conseil semble vouloir justifier sa présence en mettant en place Imaginez maintenant. Dans de telles circonstances, il semble naturel que l’ensemble des syndicats (CGT, SNSP, UFISC) aient appelé au boycott de l’événement. «Première opération de détournement», «festival en trompe l’œil», «manipulation communicante de l’état», Imaginez maintenant est une dangereuse manœuvre pour les fédérations de Syndicats des structures culturelles qui demandent la dissolution du conseil de la création artistique.
Même, sans vouloir prendre parti face à ces agissements, il est facilement aisé de déceler le ton démagogique et un tant soit peu propagandiste face à l’ampleur donnée à la publicité de cette manifestation. Surcommunication qui rend d’autant plus mal à l’aise, lorsque l’on sait que la plupart des intervenants sont bénévoles, que la participation des étudiants est intégrée dans leur cursus, et que le reste des jeunes artistes est peu payé. Porté par «l’utopie» de promouvoir les «jeunes créateurs de moins de 30 ans» Imaginez maintenant entre en contradiction avec les objectifs affichés et ressemble plus à une vaste opération de communication, qu’à un projet de tremplin professionnel pour jeunes artistes.
Il est vrai que les premières journées de juillet étaient belles au Fort Saint Jean et qu’il est agréable de voir la jeune création mise en avant, mais à quel prix ? Aujourd’hui, la jeunesse loin d’être révoltée, cherche bec et ongle à se faire une place dans la situation de crise présente, elle est d’autant plus aisée à manipuler.
De la surcommunication à la création artificielle d’un mythe officiel il n’y a qu’un pas. Dans un monde extrêmement formateur, produisant des besoins qui seront comblés par la suite de constructions artificielles et monnayables, nous nous éloignons de la fonction de chercheur de vérité de l’artiste du XXe siècle pour nous rapprocher d’un système de commandes misant sur l’événementiel et placé sous la tutelle du gouvernement.
Il est compréhensible que Marseille 2013 valorise le MuCEM, mais il est certain que l’on attend de Maseille 2013 davantage que la participation à des événements propagandes des nouvelles instances politiques culturelles.


F.R.


Imaginez maintenant
du 1er au 4 juillet 2010
a été organisé à Marseille par l’association Marseille-Provence 2013
en collaboration avec Le MuCEM au Fort Saint-Jean



Marseille-Provence 2013/MuCEM - Imaginez maintenant ?


SOMMAIRE

Gilles Miquelis - Galerie Sintitulo - beyond beyond the valley of the dolls



Gilles Miquelis, «Dimanche après-midi», 2010, Huile sur calque, 220 x 150 cm Courtesy Galerie Sintitulo
Gilles Miquelis, «Dimanche après-midi», 2010, Huile sur calque, 220 x 150 cm Courtesy Galerie Sintitulo

«A desert road from vegas to nowhere
Some place better than where you’ve been
(...)
And I can feel a change is coming
coming closer, sweet release»
(...)

Lyrics of a song of a film.

beyond
beyond the valley of the dolls

par Cécile Mainardi



Entre nulle part et le désert du nouveau Mexique ou du Nevada d’un road-movie, il ne se passe rien, ou pas grand chose, et ce peu de choses a toujours lieu de la même manière : des femmes nues se font bronzer, entre deux moments de vie, presque à la dérobée, dans l’espace privé d’une arrière-cours délabrée, avec pour seule compagnie leur chien qui se prête volontiers au rituel. Garant de leur intimité autant que de l’isolement probable dans lequel elles se trouvent, l’animal vient par sa présence et l’énigme du rébus éthologique qu’il pose dans et à l’image discréditer l’hypothèse de tout voyeurisme louche. Nous sommes beyond Beyond the valley of the dools.

Des chiens, les mêmes qu’on voit attachés à l’entrée des super-marchés, qu’on voit sans voir, mais dont on reconnaît ici l’intemporel rictus du halètement, comme une image qu’on porterait en nous, et que Gilles Miquelis extrait directement de nous-corps-porteur-d’images-on-ne-savait-pas-à-quel-point-elles-pouvaient-si-nettement-ressurgir.

Des baigneuses sans plage, ni piscine, des baigneuses «à sec»,
américainement casquettées, clope au bec, barrette ou chouchou dans les cheveux, magazines féminins sous le coude,
exposant leur image nue de «bronzeuzes»,
huilées, encrêmées, suantes et suées,
au soleil autant qu’à la touche rapide, virtuose, et toujours vertueuse du peintre. Car la touche reste ici vertueuse et sans obscénité,
et ces créatures canines (malinois au reste, plus que caniches), loin de suggérer tout dérapage zoophile, s’érigent plutôt en gardiens du temple sans doute déjà dévoyé (qu’importe à l’artiste !) de la libido de leurs maîtresses...

qui les fait fondre en sueur et en coulure peinture ?

Qui de ces chiens ou de ces femmes est le sujet principal de ces scènes croquées sur le vif, et tient le devant d’une scène aussi, immanquablement, cinématographique (on pense aux films «nudies» des années soixantes, à ceux d’un Russ Meyer par exemple, et à ses pin’up en bikini dans l’aridité californienne). Sûrement se le partagent-ils à parts égales, le mutisme de ces sylphides n’ayant d’égal que celui de leurs chiens, le bruit de halètement qui gagne l’air ambiant de la scène, la chaleur vacante de ces non-lieux que celui d’un rauque son de radio... s’il est vrai qu’ici, la parole est mise en suspens, reléguée à l’appel soudain qu’elles feraient de leur nom ou à la résonance poussiéreuse de leur aboiement.

apesanteur de la mort seins luisants

Un mixte ludique et acidulé donc entre des clichés de presse people au zoom, (une Stéphanie de Monaco à Ibiza), et des photogrammes tout droit extraits des films de «sexploitation» des sixties —qui véhiculent l’exhibition de situations sexuelles non explicites et/ou de nudité gratuite— et autres court-métrage de nudistes amateurs ou semi-amateurs, films sexy d’avant la légalisation de film x ; sauf qu’en l’occurrence, on est ici post-légalisation, et que du coup, ces images tournent d’un cran d’ambiguïté historique leur visibilité.

halte éphémère dans le chaud

Entre bande dessinée (il y a Reiser dans le coup de crayon) et peinture d’un réalisme express, cette série peinte de Michelis porte la peinture jusqu’à ce point où elle s’exsude /
où elle s’oxyde presque, virant au jaune rouillé :

s’exsude en pellicule de nudité, en pellicule de sueur, en pellicule de produit bronzant, en pellicule de mélange de sueur et de produit bronzant, en pellicule de peinture (ces huiles qui sont peintes sur papier calque s’offrent donc aussi comme pure pellicule) : des peintures de peau, des peaux de peinture (on voit d’ailleurs la peinture «exsuder» en certains points d’aplat sur la surface du calque, et perler comme des gouttes de sueur à la surface d’une peau): des peaux peintes et des dépôts, des dépôtoires.

Car le cadre de ces saynètes, avec ses bidons, son désordre et ses vieilles carrosseries, n’est pas sans évoquer l’arrière-cours de station d’essence ou de motel routier minable —on y a jeté des objets, peut-être déversé les matières encore fraîches provenant des vidanges—

odeurs zoomées d’essence et de kerozen

En ce sens, Miquelis vidange-t-il peut-être la peinture (mot que j’emploie non sans évidente connotation sexuelle, mais c’est plutôt que toute la série, me semble-t-il, vise à métaphoriser la peinture elle-même, et lui ménage du même coup sa secrète pudeur).
Il la vide de son contenu, tel un réservoir, un radiateur, pour la nettoyer, la rendre à nouveau utilisable.
Ainsi, des bouts entiers de fond ne sont pas peints, qui mettent en acte l’évidement de la peinture -le calque permettrait d’en visualiser les «niveaux» d’écoulement-. La toile se vide de son image et son image aussitôt se recompose, presque irréellement, comme soumise au mirage de chaleur qui en ferait voir une autre plus fraîche, plus fraîchement peinte.

l’image en état de grande exsudation

En lointaine filiation avec le peintre et caricaturiste Goya (je pense aussi aux quelques magnifiques croquis accrochés non loin des grands formats —notamment les parodiques origines du monde !—), cette peinture qui tient au contenu iconographique, à l’ambiance, à la mise en images des fantasmes inconscients, au goût pour l’absurde, pour l’humour noir et le décalage, poursuivrait en fin de compte la destruction de la peinture elle-même et de la société qui a rendu cet art possible. Et dans ces poétiques croquis, le sourire garderait toujours quelque chose de sérieux et de réfléchi.


@@@

Pour l’anecdote : entre deux messages mail de la Galerie Sintitulo qui m’envoie les visuels de l’expo, se glisse incidemment un mail de publicité Vivolta «Dossier spécial bronzage : opération optimisation du bronzage». C’est dire à quel point les œuvres réunies ici pour l’exposition possèdent de force d’électrisation sociétale... elles en génèrent spontanément via la toile leurs ironiques échos, comme pour mieux s’en distancier et/ou pour en révéler la spectaculaire inanité.

@@@



C.M.


DIMANCHE
Gilles Miquelis
du 2 juillet au 1er août 2010
Galerie Sintitulo - art contemporain
10 rue Commandeur, 06 250 Mougins
www.galeriesintitulo.com
Tél. +33 6 71 59 36 42 / +33 4 92 92 13 25




Gilles Miquelis - Galerie Sintitulo - beyond beyond the valley of the dolls


SOMMAIRE

Matali Crasset - Espace d’art Le Moulin



Matali Crasset, «La table à l’olivier», 2010, table de dégustation, 70 x 200 x 38 cm, l’arbre 360 de hauteur, bois, non-tissé, Production Moulin de la Valette
Matali Crasset, «La table à l’olivier», 2010, table de dégustation, 70 x 200 x 38 cm, l’arbre 360 de hauteur, bois, non-tissé, Production Moulin de la Valette

MATALI
par Xavier Girard


interstices

Pratique de la claire-voie ou de l’interstice, façon de brouiller les démarcations, art du contrepied humoristique et du dégagement paradoxal, la trajectoire de Matali résiste aux définitions. Designer, le terme par son côté flou ou mutant, hors des découpages traditionnels, est encore celui qui lui convient le mieux. Mais qu’on y regarde à deux fois, son champ d’action est sans lieu propre, distinct de ce qu’il ne serait pas. Impossible de le délimiter. D’où l’apparente facilité, l’espèce d’allégresse avec laquelle on se déplace avec elle d’un projet l’autre, d’un territoire opérationnel l’autre, comme à cloche-pied. Son «statut» dira-t-on, en jouant sur les mots, est sans statement de base. On ferait fausse route en cherchant à l’identifier à des arts de faire, des opérations techniques, des matériaux, des couleurs, des schémas d’action ou des formes fixes. Son objectif est souvent de désobéir aux programmes fixés d’avance et aux images toutes faites mais les contraintes lui sont indispensables et son travail fait aussi image. Ses objets sont souvent modulables, mais la modularité n’est pas un dogme. Elle cherche à «faire sortir l’objet de lui-même» et à échapper aux balises du lieu commun mais aussi à s’y immiscer pour en faire sourdre des qualités inaperçues. Elle dessine des objets qui comportent plusieurs scénarios d’emploi, des objets émancipés de leur assignation à une fonction unique mais qui ne remplissent pas moins de manière extensive leur «besogne» hétéroclite. Sa propension à produire des rencontres, des intervalles surprenants et des connections et à dessiner des réseaux buissonnants de raccourcis ingénieux opère à rebours des relations d’autorité. Et pourtant leur design est le plus décidé qui soit. On se surprend, en l’interrogeant à adopter les points de vue multiples qu’elle met en contact, parfois de manière abrupte, dans un même lieu plutôt qu’à manipuler des objets inertes, monomaniaques, hantés par l’obligation de séduire.

Pas une réalisation qui ne porte la marque de ses différents «côtés» synthétisés en une unité inédite. Ses «extensions» possibles sont aussi nombreuses que ses condensations elliptiques. C’est dans certaines de ses scénographies prospectives que la mémoire tient la première place. Son immatérialité, sa couleur conceptuelle ou poétique émane de la plus concrète et de la plus simple des propositions. Elle est parfaitement à l’aise avec la complexité et son sens de la forme brève est souvent déroutant. On échouera à ériger ses productions en territoires particuliers tels que le design industriel, la scénographie, le design graphique, l’architecture ou l’œuvre d’art. Il ne reste pas moins que sa maîtrise de projeteur en chacun de ces domaines laisse interloqué. Sa trajectoire échappe aussi bien au retour de la fonctionnalité moderne qu’au postmodernisme qui l’en détache. Elle n’entend rien à la «décoration» et à ses avatars «néo», ne fait pas œuvre obsessionnelle, néo surréaliste ou offensivement expressive. Les symboles l’intéressent modérément. Sa pratique du minimalisme est plus économe et pragmatique que théoricienne. Il lui arrive d’allier dans un même projet design biomorphique et technologie avancée. Son imaginaire trouve sa force dans la culture de masse et dans celle du plus grand raffinement. Rien ne lui est plus indifférent que la notion de style alors qu’elle imprime le sien, reconnaissable entre tous à la moindre de ses productions.

Cette façon d’être étrangère à l’intérieur même du monde du design tel qu’il se parle — monde qu’elle investit depuis les années 90 en usant de ses armes tout en le déjouant — la distingue de bien de ses contemporains. A l’école de Denis Santachiara, elle a appris qu’un objet domestique n’obéit pas seulement de façon plus ou moins explicite, efficace ou satisfaisante d’un point de vue formel à un usage prescrit, réduit à une fonction exclusive, mais entre en interaction avec des pratiques multiformes, des niveaux de lecture et des contextes d’usage polyphoniques. Les rituels kaléidoscopiques de la vie quotidienne et des manières d’être en société que Santachiara s’attache à agencer dans des objets en mouvement à la fois impeccables et farfelus répondent à son vœu d’un design qui réunirait technologie et poésie, discours-objet spirituel et fonctionnalité domestique, mobilité migratoire et fantasmatique de la sédentarité. Art du court-circuit qu’elle poussera à sa limite. De Philippe Starck, elle a appris les vertus de «l’objet minimum» qui en fait plus «sans en avoir l’air.» Sa Décompression chair, 2000, un fauteuil club gonflable sur fonds de chaise rappelle en plus «gonflé» la logique extensive de la célèbre Dr. Bloodmoney. Comme Starck il lui arrivera de redesigner des standards du mobilier (telle l’abominable chaise plastique des résidences secondaires customisée de chic) en ajoutant à l’anonymat de la typologie le «plus» d’une nouvelle traduction.

L’un de ses thèmes de réflexion privilégié porte ainsi sur des objets encore à inventer ou plutôt qui prennent forme au jour le jour comme la culture orale au regard des règles de l’écrit et que le designer se propose d’arranger pour en faire un objet d’un nouveau type. Attentive aux tactiques du quotidien qui s’inventent dans l’espace public comme dans celui de la sphère privée, sans qu’on en fasse toujours la remarque, son ouvrage consiste à outrepasser sans fin les découpages stratégiques du politique et de l’économie et les coupures culturelles qui les régulent. Comme le designer italien, elle commence par produire des objets à double ou triple entrée, des «mix» non pas seulement multifonction comme le couteau suisse mais saisis par des potentialités habituellement considérées comme inconciliables. A son exemple, elle conçoit ses créations comme des organismes mutants, des machines dont le programme d’action apparaît perturbé, passant du coq à l’âne comme un Diffuseur d’eau, de senteur et de remous, 1991 ou un Diffuseur de lumière, d’images et de mémoire, 1991. Quand une applique de Santachiara se met à faire des étincelles, une cheminée à diffuser de l’humidité, un paillasson à chantonner quand on s’y frotte, un diffuseur de chaleur, chez Matali, propage simultanément, oui, des rumeurs et de l’intimité.

Le schéma d’action de ses objets s’est imperceptiblement déplacé, quelque chose s’est déboité et s’est mis à «déménager» intensément en dehors de son aire habituelle. Un tapis, selon les moments de la journée se réveille tipi. Le jeu de mots a pris ici la forme d’un jeu de choses. Quand Jim n’est pas à Paris son lit accessoirisé redevient une «colonne d’hospitalité». Dans l’univers de Matali, un tapis est un tabouret ou une yourte d’intérieur. Un canapé est une maison, une maison est un pouf comme à l’école des beaux-arts de Toulouse dans Chill out space, en 2003 et un pouf de se réveiller sac Barbès comme dans la Collection digestion ou «bibliothèque avec extension» comme dans les Boites du savoir, 2000. Une maison est aussi un arbre comme dans Biodiversity, 2003 et l’arbre une marionnette ou un «arbre à gestes» techniques de producteur d’huile comme aujourd’hui au moulin de La Valette. Un bureau comme dans l’agence Red Celle, 2001 est à la fois un bureau et une maison à roulette qu’on déplace au gré des projets. Les murs de la maison ont un épiderme. Les arbres émettent des sons. Ils peuvent être aussi des supports pour accrocher des photos ou exposer les œuvres des amis. En deçà de la distribution des fonctions immuables censées organiser notre quotidien, elle explore un métamorphisme que les multiplicités d’usage mettent en état de transformation continue. Un tel entrelacs de dimensions et d’usages n’a rien d’un grand déménagement chaotique ou d’une révolution intempestive. Il correspond à la logique d’une action déjà expérimentée à laquelle le designer apporte une réponse formalisable en termes économiques. L’exigence de redéfinition et de déplacement du point de vue, dans des espaces aussi hétérogènes qu’une scénographie d’exposition, une maison, un hôtel, une agence de publicité, un clip, un jardin en est le trait le plus marquant.

Designer, Matali expose avec Peter Halley. Créatrice d’objets usuels elle n’aime rien tant que se projeter dans le futur comme aux premiers temps du design. Conceptrice un jour pour le design industriel, elle imagine aussi bien des porte-manteaux, des dossiers de chaise et des structures en châtaignier non écorcé. La technologie et la chlorophylle sont ici des alliés substantiels. Sa passion prédominante pour les matières plastiques ne lui interdit nullement l’usage du bois nu, du tissé main et des matériaux nobles comme le verre ou la faïence. Le jeu avec les astuces, les ruses, les ellipses, les interversions et les figures mobiles de la modularité n’est pas exclusif d’objets autonomes qui tels la Lampe autogène, 2000, rêvent d’une autarcie énergétique. La pratique du workshop collectif est compatible avec celui d’une petite agence qui se refuse à l’embonpoint. Le choix d’un design urbain à haute définition technologique ne lui interdit nullement de réaliser un pigeonnier. Young urban designer, elle ne garde pas moins en mémoire son enfance paysanne.

Réfuter le formalisme ne signifie pas le mépris de la forme et l’imprécision du dessin. L’amour du vert acide, du jaune citron, du rose, de l’orange et du violet flashy coexiste chez elle avec celui du bleu layette et des subtiles gradations de tons. Elle n’a pas plus peur des couleurs vives que du blanc ambiant. La scénographie d’un salon d’exposition surdimensionné n’invalide pas l’aménagement d’un petit espace à vivre. La pratique du débordement par le presque rien, l’impalpable, l’idée faussement naïve, l’utopie gentiment écolo, la petite philosophie participative, la récup, le «lieu commun», l’apparent dérisoire et l’humour décalé fait bon ménage avec la rigueur du design industriel. Cette façon de faire voisiner les valeurs de l’everyday life (générosité, échange, rencontre, hospitalité, autonomie, modestie) avec des concepts titres plus proches de l’art contemporain comme digestion, interstice, désobéissance, travesti, digital, ne fait pas de Matali une adepte du design égotiste. Si elle se méfie du «je» allié à la notion de style personnel, elle ne plaide pas pour un design minimaliste a priori (de même qu’aucun autre préalable formel).

La dimension spéculative de bien des projets qui mettent en avant une notion, un principe d’action, une conception particulière, une poétique des modes d’emplois en rupture avec les stéréotypes de l’habiter, (telle la digestion du mobilier domestique) plutôt qu’une forme ou une fonction ne fait pas d’elle une artiste conceptuelle. La logique à laquelle elle obéit, est toujours relative à des occasions données, aux circonstances, aux situations concrètes, aux désirs exprimés par les commanditaires, à la complexité du projet mais aussi aux constantes d’une intuition synthétique dont chaque projet offre une nouvelle version. Elle procède toujours d’un engagement relationnel qui bouleverse le cadre formel et détermine des choix imprévisibles.

Le designer ne se propose pas de changer l’ordre effectif des choses en les mettant à bas. Sa tactique consiste à s’insinuer dans les interstices, les failles, les traverses du quotidien en quête d’une autre vision et d’une autre représentation du monde en procédant sur un autre registre. Invitée à intervenir dans le département design industriel de l’Ecole cantonale d’art de Lausanne (ECAL) en 2002, elle propose aux étudiants d’investir les intervalles des objets exposés dans l’espace du Mu.dac. La liste des interstices investis ne concerne pas tant l’espace physique que les intervalles mentaux dans lesquels des connivences d’un autre type pourront s’établir en dehors des cloisonnements établis d’œuvre à œuvre. Les exercices spirituels, moraux ou philosophiques «de la matière à penser», de «point de vue» et de «l’échange» y figurent non loin des opérations d’emploi plus spécifiques tels que : welcome, révélateur, interactif, informatif, sonore, anonyme, assimilables aux modalités d’un autre jeu, d’un autre fonctionnement possible que celui de l’usage prescrit. «Dans tout projet, dit-elle, il y a toujours un interstice où se glisser pour le faire avancer.»

Matali Crasset, «Arbre/bouteille», 2010, Installation,pièce unique, 290 x 100 cm de diamètre, Bois, verre,fil nylon, Production Moulin de la Valette
Matali Crasset, «Arbre/bouteille», 2010, Installation,pièce unique, 290 x 100 cm de diamètre, Bois, verre,fil nylon, Production Moulin de la Valette

permutations

Reprenons. Le canapé Permis de construire est à la fois un standard du mobilier de la maison et un jeu de construction. On le fait et on le défait à mesure qu’on s’approprie les pièces du jeu. Du coup, le canapé tourne fauteuil, lit, sofa, bergère, cabriolet, chauffeuse, dos-à-dos ou vis-à-vis, douillette ou maison, suivant la propension des jeux de l’enfance à faire muter les objets du quotidien. En «digérant» le pouf traditionnel, la Collection Digestion, 1988/2000, le sac en polyéthylène quadrillé comme les sacs d’emballages des marchés d’Asie et d’Afrique, raconte des histoires d’exil. Les emblèmes de la migration investissent le symbole caricatural de la sédentarité du home sweet home et de l’ordre autochtone qui lui fait fonds. Comme les cabanes de l’enfance, Matali imagine en 2002 une Casaderme, une maison-peau qui communique avec le dehors à l’aide de «capteurs sensoriels» en forme de spores. Ses structures gonflables puisent dans la mémoire des jouets le principe d’une relation sensorielle d’échange avec le monde. Decompression chair, 2000, une «chaise en hêtre avec extension gonflable» raconte l’histoire d’une petite grenouille de chaise de rien du tout qui se transforme en fauteuil club et se fait plus grosse que le bœuf.

Oritapi, 1999, métamorphose un vulgaire tapis en feutre découpé en un tipi miniature. Permutation dimensionnelle qu’elle développe en 2002 en faisant Un pas de côté selon le même principe d’un tapis découpé en sorte qu’un dôme à claire voie arrondi dans l’espace pour former le filigrane onduleux d’une yourte aérienne et transparente. Roll Roll, 2001 est un tapis de bain qui mute tabouret ou inversement. Quand elle conçoit un tabouret comme Le Botte cul m8, 2002, qu’elle appelle Mother and Child, c’est avec «extension» pour enfant. Ces tours de passe-passe dimensionnels et ces déplacements d’usage que le mobilier traditionnel a éliminé pour constituer des objets auxquels un sens propre a été imposé, sont pour Matali la meilleure façon d’échapper à la répression exercée par les produits de la convention sociale sur nos façons d’être. Les jeux de l’enfance sont de ce point de vue un bon levier de réappropriation de ce qu’on nomme encore notre «cadre de vie» que les tactiques développées détournent et infléchissent.

Matali Crasset, au premier plan : «Arbre/croissance», 2010, Installation, pièce unique, 290 x 100 cm environ, Bois, fil nylon, Production Moulin de la Valetteau - deuxième plan : «Arbre/récolte», 2010, Installation, pièce unique, 290 x 100 cm de diamètre, Bois, fil nylon, Production Moulin de la Valette
Matali Crasset, au premier plan : «Arbre/croissance», 2010, Installation, pièce unique, 290 x 100 cm environ, Bois, fil nylon, Production Moulin de la Valetteau
deuxième plan : «Arbre/récolte», 2010, Installation, pièce unique, 290 x 100 cm de diamètre, Bois, fil nylon, Production Moulin de la Valette

un artifice très naturel

Paradoxe insistant : le design de Matali est artificialiste et écologique à la fois. Excepté quelques rares projets qu’on qualifiera de naturalistes (comme la Casaderme, 2002, ou en dépit de son design futuriste, le Projet prospectif de salle de bain, Update/Three spaces in one : energizer, 2002), il invalide le naturel de la supposée nature et n’est pas loin de reconnaître par ailleurs, comme l’indique Clément Rosset (in L’anti-nature) : «l’incapacité de l’artifice à produire du naturel.» Le plaisir qu’il communique repose sur des objets «appréciés et assumés en tant qu’ils sont artificiels» bien qu’ils artificialisent manifestement le naturel. Mais le goût de l’artifice pour l’artifice et du «réel» de l’âge contemporain en tant qu’il est artificiel est contredit par les modèles d’emploi de la nature qu’il met en avant. L’eau, le feu, la terre, l’air, la lumière, la chaleur, la chlorophylle que Matali se propose d’introduire dans l’espace de la maison à travers une Trilogie domestique de diffuseurs (d’eau, de senteur et de remous ; de chaleur, de rumeur et d’intimité ; de lumière, d’images et de mémoire) réalisée en 1991 pour : «révéler le sens des éléments en les diffusant» offre l’exemple d’un «artificialisme naturalisé».


réseau

Pour entrer dans l’univers de Matali le premier des réflexes consiste à spatialiser sa réflexion en une sorte de Graphic melting pot. Les pages se couvrent de bulles et de dessins où l’on peut lire, reliées par des tuyauteries des mots clefs : réseau, nomade, ligne végétale, trame, flexible, modularité, «créer ses propres outils de pensée», «magnifier le monde», élastomères, nid, cohabitation, rite, open, secret, empathie, intérieur/extérieur, transparence, typologies, renversement, «la boîte ouverte», méduse, champignon, nuages, «Les petits riens», ponctués de titres anglais ou d’écritures disséminées : Klorofil, Not for Hire, Flat-Flat, Tray and shelves, Head & Mirror’s cells, Easy China, etc. Des lignes courent entre les flèches. La lecture de l’œuvre a besoin d’espace, de sas de décompression, d’interstices dans lesquels loger des observations techniques ou poétiques imprévues. Son action la plus décisive est peut-être d’empêcher les idées de «prendre» un tour définitif. Son design est celui de la non-fixation de la pensée en une image fixe, un style. Il oscille entre des émotions contradictoires. Et cette oscillation est sa méthode même, son rythme de travail, la respiration de ses objets, son aire de pensée et son moteur pour aller plus loin.


X.G.


Matali Crasset
«Nature Intérieure»
du 5 juin au 20 septembre 2010
Espace d’art Le Moulin
avenue Aristide Brian, 83160 La Valette-du-Var



Matali Crasset - Espace d’art Le Moulin